Tribunal administratif N° 46089 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46089 1re chambre Inscrit le 4 juin 2021 Audience publique du 24 avril 2024 Recours formé par Madame A, …, contre une décision du conseil communal de Schuttrange en présence de Madame B, … en matière de droit de préemption
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 46089 du rôle et déposée le 4 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme Krieger Associates SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Madame A, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une « décision du conseil communal de Schuttrange, en date du 28 avril 2021, d’exercer son droit de préemption sur une parcelle inscrite au cadastre de la commune de Schuttrange, section … de Schrassig, sous le numéro 1 » ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 15 juin 2021, portant signification de ladite requête à la commune de Schuttrange, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, ayant sa maison communale à L-5367 Schuttrange, 2, place de l’Eglise ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de la société anonyme Arendt & Medernach SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue J.F. Kennedy, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B186371, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Christian Point, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, déposée le 16 juillet 2021 au greffe du tribunal administratif pour compte de la commune de Schuttrange, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 novembre 2021 par la société anonyme Arendt & Medernach SA au nom de la commune de Schuttrange, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 décembre 2021 par la société anonyme Krieger Associates SA, au nom de Madame A, préqualifiéé ;
1 Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 janvier 2022 par la société anonyme Arendt & Medernach SA, au nom de la commune de Schuttrange, préqualifiée ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 19 décembre 2022 invitant Madame A à procéder à la signification de la requête introductive d’instance aux vendeurs de la parcelle sur laquelle le droit de préemption a été exercé ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 27 décembre 2022, portant signification de ladite requête à Madame B, demeurant à L-… ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Philippe Sylvestre, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, déposée le 6 mars 2023 au greffe du tribunal administratif pour compte de Madame B, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 mars 2023 par Maître Philippe Sylvestre au nom de Madame B, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les actes attaqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien Couvreur, en remplacement de Maître Georges Krieger, Maître Martial Barbian, en remplacement de Maître Christian Point, ainsi que Maître Tamara Turcarelli, en remplacement de Maître Philippe Sylvestre, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 décembre 2023.
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Par courrier du 14 octobre 2020, Maître Frank Molitor, notaire, sollicita auprès du service technique de la commune de Schuttrange des informations d’ordre urbanistique concernant la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Schuttrange, ci-après désignée par la « commune », section … de Schrassig, sous le numéro 1, ci-après désignée par « la parcelle 1 », tout en précisant que le propriétaire de la parcelle, Madame B, se proposait de vendre la parcelle.
En date du 15 octobre 2020, Madame A, propriétaire de la parcelle inscrite au cadastre de la commune, section … de Schrassig, sous le numéro 2, ci-après désignée par « la parcelle 2 », signa un compromis de vente portant sur la parcelle 1 avec Madame B.
Par courrier du 26 octobre 2020, le bourgmestre de la commune, ci-après désigné par « le bourgmestre », communiqua à Maître Frank Molitor les informations sollicitées.
Par courrier du 26 mars 2021, Maître Frank Molitor informa la commune de la transaction envisagée entre Mesdames B et A.
Par courrier du 6 avril 2021, le bourgmestre informa Maître Frank Molitor que le dossier de notification lui communiqué par courrier du 26 mars 2021 était complet.
Lors de la séance du 28 avril 2021, le conseil communal de la commune, ci-après désigné par le « conseil communal », décida d’exercer son droit de préemption concernant la parcelle 1, l’extrait de cette délibération étant libellé comme suit :
2 « (…) Vu le courrier du 26 mars 2021 de l'étude de Me Frank Molitor, notaire de résidence à Luxembourg, soumettant à la commune une demande formelle basée sur les dispositions de l'article 8 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l'habitat et création d'un pacte logement avec les communes relative à la vente d'un terrain inscrit au cadastre de la Commune de Schuttrange, section … de Schrassig, sous le numéro 1 et situé dans la rue … à Schrassig avec une contenance de 27 centiares ;
Étant donné que la parcelle est non construite et est située dans des zones urbanisées ou destinées à être urbanisées sur le territoire communal ;
Considérant que la parcelle est classée en zone HAB-1 suivant notre plan d'aménagement général qui a été adopté conformément à l'article 14 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain par le Conseil Communal en date du 19 juin 2019 et qui a eu son approbation définitive par Madame la Ministre de l'Intérieur en date du 6 février 2020, référence 29C/012/2018 ;
Considérant que la parcelle est classée en zone HAB-1 a II 1L suivant le plan d'aménagement particulier « quartier existant » de la Commune de Schuttrange qui a été définitivement approuvé par Madame la Ministre de l'Intérieur en date du 6 février 2020, référence 18456/29C, 29C/012/2018 ;
Vu l'avis de réception du 6 avril 2021 de la commune de Schuttrange attestant que le dossier est complet;
Tenant compte de la proposition du collège des bourgmestre et échevins d'exercer le droit de préemption en vue de la réalisation sur la parcelle de travaux de voirie et d'équipements publics, à savoir l'aménagement d'un arrêt de bus ;
Vu la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l'habitat et création d'un pacte logement avec les communes ;
Vu la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus » portant modification entre autres de la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l'habitat et création d'un pacte logement avec les communes ;
Vu la circulaire numéro 3951 du Ministère de l'Intérieur au sujet de la loi pacte logement, droit de préemption des communes - arrêt de la Cour administrative du 5 janvier 2021 ;
Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ;
Décide avec sept voix contre quatre - d'exercer son droit de préemption aux prix et aux conditions mentionnés dans le dossier de notification de l'étude de Me Frank Molitor, notaire de résidence à Luxembourg, soumettant à la commune une demande formelle basée sur les dispositions de l'article 8 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l'habitat et création d'un pacte logement avec les communes relative à la vente d'un terrain inscrit au cadastre de la Commune de Schuttrange, section … de 3 Schrassig, sous le numéro 1 et situé dans la rue … à Schrassig avec une contenance de 27 centiares ;
- de procéder à la réalisation de travaux de voirie et d'équipements publics, à savoir l'aménagement d'un arrêt de bus, sur le terrain préempté et ceci dans les meilleurs délais possibles. (…) ».
Par courrier du 5 mai 2021, le bourgmestre informa Maître Frank Molitor de la délibération du 28 avril 2021.
Par deux courriers séparés du 6 mai 2021, Madame A introduisit, par l’intermédiaire de son litismandataire, un recours gracieux à l’encontre de la délibération du conseil communal du 28 avril 2021.
La commune et Madame B signèrent l’acte de vente relatif à la parcelle 1 en date du 26 juillet 2021.
Par requête déposée le 4 juin 2021, Madame A a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la « décision du conseil communal de Schuttrange, en date du 28 avril 2021, d’exercer son droit de préemption sur une parcelle inscrite au cadastre de la commune de Schuttrange, section … de Schrassig, sous le numéro 1 ».
I.
Quant à la compétence et à la recevabilité Etant donné que ni la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l'habitat et création d'un pacte logement avec les communes, ci-après désignée par « la loi du 22 octobre 2008 », ni aucune autre disposition législative ne prévoit un recours au fond contre une décision d’une commune d’exercer son droit de préemption, seul un recours en annulation a valablement pu être introduit.
Dans son mémoire en réponse et à titre liminaire, la commune se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours, sans pour autant fournir la moindre argumentation à ce sujet.
Madame B se rapporte également à prudence de justice quant à la recevabilité du recours.
Force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions1.
Le recours en annulation est dès lors à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
II.
Quant au fond 1 Trib. adm. 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 905, 2e volet, et les autres références y citées.
4 Moyens des parties A l’appui de son recours et en fait, Madame A explique avoir acquis par acte de vente du 15 mai 2018 la parcelle 2, d'une contenance de 30 ares 23 centiares et qu’elle aurait, pour « compléter » son terrain à bâtir, également acquis, suivant compromis de vente du 15 octobre 2020, la parcelle 1, d'une contenance de 27 centiares.
Elle soutient que cette dernière parcelle serait importante pour lui permettre d'accéder à son garage et qu’elle aurait par hasard appris que la commune avait décidé de préempter cette parcelle 1.
Elle fait valoir que le préjudice subi serait bien plus important que la seule valeur de la parcelle 1, fixée à 500 euros, étant donné que, non seulement l'accès à son garage ne serait plus assuré, mais qu’encore son terrain serait dévalorisé.
En droit, Madame A invoque des moyens ayant trait à :
- une violation du principe du contradictoire, des droits de la défense et des règles régissant la procédure administrative non-contentieuse, - une violation de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008, - une violation de l’article 10 de la loi du 22 octobre 2008 et - une violation du principe de proportionnalité.
S’agissant du moyen ayant trait à une violation du principe du contradictoire, des droits de la défense et des règles régissant la procédure administrative non-contentieuse elle soutient que contrairement à ce qui aurait été affirmé lors de la séance du conseil communal du 28 avril 2021, il n'appartiendrait pas à l'acquéreur d'un terrain soumis au droit de préemption de se manifester auprès de la commune.
Il appartiendrait, en effet, à la commune, en application de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », d'informer au préalable l'acquéreur d'un terrain soumis à un droit de préemption de la décision que la commune a l’intention de prendre, afin de lui permettre de faire valoir ses observations avant la prise de décision.
Il s'agirait d'un principe élémentaire de droit, lié au respect du principe du contradictoire et aux droits de la défense.
Dans son mémoire en réplique, Madame A renvoie à un arrêt de la Cour administrative du 21 octobre 2021, inscrit sous le numéro 45871C du rôle, tout en insistant sur l’importance du respect de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Elle conteste l’allégation de la commune selon laquelle elle n’aurait pas fait état d'éléments concrets de participation qui auraient été de nature à influencer la décision de la commune, étant donné que la commune ignorerait quels arguments auraient pu être invoqués si elle avait été invitée à un entretien. Elle expose qu’elle ne se serait pas limitée aux seuls arguments juridiques développés par son mandataire dans le recours contentieux, mais aurait également présenté des arguments factuels, susceptibles d'intéresser la commune. Il ne serait 5 pas exclu qu'à travers un tel entretien, la commune aurait mieux compris son projet et aurait vu que celui-ci aurait pu engendrer plus d'avantages pour le quartier que l'abri de bus, qui aurait pu être installé à un endroit alternatif. Elle aurait également pu informer la commune de l’évolution de son projet, qui aurait déjà commencé à s’esquisser.
Quant à la violation de l'article 10 de la loi du 22 octobre 2008, et à la suite de la communication du courrier adressé par la commune au notaire le 6 avril 2021 pour l’informer que le dossier de notification, qui lui avait été communiqué, était complet, Madame A, en admettant que la commune aurait respecté le délai d’un mois prévu à l'article 9 de la loi du 22 octobre 2008, renonce à son moyen afférent.
Il y a lieu de lui en donner acte.
La commune conclut au rejet du recours.
Quant au moyen ayant trait à une violation du principe du contradictoire, des droits de la défense et des règles régissant la procédure administrative non contentieuse, la commune fait valoir que la décision de préemption litigieuse ne saurait être assimilée à une décision ayant révoqué ou modifié pour l'avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie et que ni la partie venderesse, à savoir Madame B, ni Madame A, n’aurait pu ignorer que la parcelle litigieuse était susceptible d'être préemptée par la commune.
La commune donne encore à considérer que les arguments présentés par la demanderesse à travers les courriers adressés par son litismandataire à la commune le 6 mai 2021 ainsi qu’à travers son recours contentieux, consisteraient exclusivement en des arguments de pure légalité, qui pourraient encore être contrôlés dans le cadre d'une procédure contentieuse, étant donné que ces arguments seraient relatifs aux conditions entourant le droit de préemption telles que fixées par les articles 3 et 10 de la loi du 22 octobre 2008. Madame A resterait en défaut de faire état d'éléments concrets de participation qui, même s'ils avaient pu être présentés préalablement à la prise de la décision de préemption contestée, auraient été de nature à influencer celle-ci, voire à la modifier.
La commune fait encore état de la jurisprudence des juridictions administratives rendue au sujet de l'article 9 du règlement du 8 juin 1979 retenant que la non-observation des formalités prévues par cette disposition, ne saurait entraîner l'annulation de la décision critiquée, étant donné que les formalités procédurales prévues par cette disposition ne constitueraient pas une fin en soi.
Elle insiste sur le fait qu’en l’espèce, quels que soient les éléments de participation dont aurait pu faire état Madame A, ils n'auraient en aucun cas été susceptibles d'influencer d'une quelconque manière la décision de préemption de la commune.
Dans son mémoire en duplique, la commune donne à considérer qu’il serait « douteux » que Madame A serait effectivement devenue propriétaire de la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Schuttrange, section … de Schrassig, sous le numéro 3, ci-après désignée par « la parcelle 3 », qui aurait été l’objet du compromis de vente signé en date du 7 avril 2021, alors que la demanderesse resterait en défaut de verser l’acte notarié y relativement. Il s’ensuivrait que le compromis de vente, sur lequel s'appuie la demanderesse pour justifier l’importance pour elle de l'acquisition de la parcelle litigieuse ayant fait l'objet de l'exercice de son droit de préemption par la commune, serait entaché de caducité.
6 Elle donne à considérer que l'extension envisagée du projet immobilier développé par Madame A sur la parcelle voisine 3 n’aurait fait l'objet d'aucune démarche concrète auprès de la commune, d’autant plus que la réglementation urbanistique communale applicable ne permettrait a priori pas un tel projet, de sorte que la non-observation des dispositions de l'article 9 du règlement du 8 juin 1979 ne saurait entraîner l'annulation de la décision de préemption déférée.
Madame B se rapporte à prudence de justice quant au bien-fondé du recours.
Appréciation du tribunal S’agissant du moyen ayant trait à une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, du principe du contradictoire et des droits de la défense, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.
Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. (…) ».
En vertu de cette disposition, l’autorité qui (i) se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l'avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou (ii) qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir et lui donner la possibilité de présenter ses observations, à moins qu’il n’y ait péril en la demeure.
La procédure prévue par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est applicable en matière d’exercice d’un droit de préemption par une autorité de droit public.
Encore que la procédure exige une certaine célérité, l’exception du péril en la demeure ne se trouve pas vérifiée, étant donné qu’aucune situation d’urgence caractérisée au sens dudit article 9 ne se trouve remplie2.
S’agissant ensuite des conséquences, en l’espèce, du défaut - non contesté - par la commune d’avoir informé au préalable Madame A de l’exercice du droit de préemption, le tribunal rappelle qu’il est de jurisprudence constante que les formalités procédurales inscrites à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et ayant trait aux droits de la défense ne constituent pas une fin en soi, en ce sens que dans l’hypothèse où la finalité poursuivie, à savoir celle visant à ménager à l’administré concerné une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée, est atteinte, la question du respect de toutes les étapes procédurales préalables prévues afin de permettre d’atteindre cette finalité devient sans objet, 2 Cour adm. 21 octobre 2021, n° 45871C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Logement, n° 62 et les autres références y citées.
7 l’administré n’ayant en l’occurrence aucun intérêt à se prévaloir de ces formalités s’il se dégage du dossier qu’il a effectivement pu faire valoir de manière détaillée et circonstanciée son point de vue par rapport à la décision projetée à travers une prise de position écrite3.
Par ailleurs, l’article 9, précité, comme d’ailleurs l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif au droit des tiers intéressés à participer à l’élaboration d’une décision susceptible d’affecter leurs droits et intérêts, remplit une fonction essentielle en ce qu'il tend à garantir aux personnes susceptibles d’être affectées par une décision administrative de faire valoir, au préalable, leur point de vue et leurs moyens qui sont de nature à influer sur cette décision et, le cas échéant, à modifier la décision envisagée initialement. La participation de l’administré à l'élaboration de la décision administrative ne présente cependant une réelle utilité que dans la mesure où celui-ci est en mesure, par son intervention, d’apporter des éléments et arguments de nature à influencer la décision à intervenir. Tel est le cas lorsque l’administration dispose, pour prendre sa décision, d’un pouvoir d’appréciation et que la collaboration de l’administré peut amener celle-ci à prendre en compte les observations de l’administré et à rendre une décision différente de celle qu'elle aurait pu prendre en dehors de l’intervention de celui-ci. S’il est vrai que les dispositions afférentes de la réglementation sur la procédure administrative non contentieuse n’opèrent pas une distinction entre les décisions qui appellent l’administration à statuer en pure légalité et celles au sujet desquelles elle dispose d’un pouvoir d’appréciation et que les décisions relevant même de la pure légalité appellent en principe une consultation préalable des personnes concernées, l’omission par l’administration de ce faire entraînant dans son chef un comportement contraire à la lettre des textes en question, la sanction adéquate n’est dans ces hypothèses pas l’annulation de la décision administrative, la teneur de la nouvelle décision à intervenir ne pouvant différer de celle de la première décision, à supposer que celle-ci soit conforme à la loi, puisqu’elle intervient en pure légalité. En décider autrement reviendrait à assigner à l’annulation d’une décision administrative une fonction purement formelle sans utilité réelle étant donné que la nouvelle décision à prendre est, dans ces conditions, nécessairement la même que la décision annulée. Or, l’annulation d’une décision administrative, acte grave, ne doit intervenir que lorsque le contenu de la nouvelle décision à intervenir à la suite de l’annulation est susceptible de différer de celui de la décision annulée.
L’hypothèse ainsi envisagée diffère fondamentalement de celle où la décision administrative prise dans une matière relevant de la pure légalité ne respecte pas cette légalité et où l’administré est en droit d'en solliciter, moyennant un recours contentieux, l’annulation4.
Dès lors, les décisions qui ont méconnu l’obligation de faire participer l’administré au processus décisionnel ne sont entachées d’illégalité entraînant leur annulation et le renvoi devant l’administration que dans les hypothèses où l’administré a la possibilité d’influencer concrètement sur le contenu de la décision à prendre, soit que l’administration dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation, soit qu’appelée à statuer dans le cadre d’une compétence liée impliquant l’appréciation d’éléments subjectifs, l’administré puisse faire valoir des éléments utiles. Dans les autres hypothèses, la légalité interne des décisions prises sans le concours de l’administré peut encore utilement être vérifiée au cours de la procédure contentieuse5.
3 En ce sens : Cour adm., 29 novembre 2011, n° 28756C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
4 Cour adm., 6 mars 2008, n° 23073C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 134 et les autres références y citées.
5 Cour adm., 13 mai 2014, n° 34051C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 134.
8 En la présente matière, si le pouvoir préemptant doit certes agir dans le cadre strict de la loi, le tribunal relève toutefois que même dans les hypothèses où les conditions légales de l’exercice du droit de préemption sont a priori remplies, il dispose néanmoins toujours d’un pouvoir discrétionnaire en ce qu’il peut ne pas exercer le droit de préemption, voire pourrait volontairement, en accord avec les parties concernées, le limiter à une assiette plus réduite pouvant, le cas échéant, s’avérer, après discussions avec les parties concernées, plus acceptable pour celles-ci, de sorte que l’information préalable de l’intention d’exercer le droit de préemption est susceptible d’avoir un effet utile à ce niveau.
Dans son arrêt précité du 21 octobre 2021, la Cour administrative a encore souligné qu’il s’agit « d’échanger entre parties intéressées et de clarifier les points de vue respectifs chaque fois que le principe même du droit de préemption, puis les modalités afférentes concernant notamment l’assiette de l’objet de celui-ci, portent à discussion ».
En l’espèce, force est de constater qu’en l’occurrence le moyen fondé sur une violation de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008 tel que présenté par la demanderesse remet en question le principe même de l’exercice du droit de préemption en ce qu’elle reproche à la commune, d’un côté, de ne pas avoir eu de projet concret au moment de la délibération du 28 avril 2021, et, d’un autre côté, qu’il n’y aurait eu aucune nécessité d’ériger un abri de bus à l’avant de sa propriété, étant donné qu’il y en aurait déjà un à proximité. Elle expose encore à cet égard que la construction d’un arrêt de bus ne rentrerait dans aucun des cas d’ouverture de l’exercice du droit de préemption prévu par la loi.
La demanderesse soutient plus particulièrement avoir acquis la parcelle 3 à la suite de la signature du compromis de vente du 7 avril 2021. Si certes la commune fait valoir qu’il serait « douteux » que ce compromis aurait été suivi d’un acte de vente, il n’en reste pas moins que Madame A soumet à l’appréciation du tribunal un extrait cadastral la citant comme propriétaire d’une parcelle inscrite au cadastre de la commune de Schuttrange, section … de Schrassig, sous le numéro 4, ci-après désignée par « la parcelle 4 », qui est, de façon non contestée, le résultat de la fusion des parcelles 2 et 3.
Si certes les plans d’architecte relatifs au projet de construction englobant tant la parcelle 2 que la parcelle 3 n’ont été établis que postérieurement à la prise de la décision de préemption, il n’en reste pas moins que, dans la mesure où Madame A s’était déjà portée acquéreuse de la parcelle 3 avant cette date, son projet de construction était déjà, du moins en germe, d’actualité à ce moment.
Or, c’est précisément à ce niveau qu’il aurait été important que Madame A ait été informée au préalable. Cette information lui aurait permis de vérifier sur base de quels éléments factuels le droit de préemption est exercé et, le cas échéant, de rendre la commune attentive aux éventuels inconvénients créés par l’abri de bus dans le cadre de la réalisation de son projet de construction, tel qu’elle l’avance à l’appui du présent recours, et de permettre ainsi un débat utile préalable sur les éléments factuels nécessaires.
Ce reproche est d’autant plus pertinent que le tribunal constate que la décision déférée n’a pas été adoptée à l’unanimité, mais qu’à 7 voix contre 4.
Au regard de ces indications, un débat utile préalable aurait permis d’aborder les difficultés se posant à ce niveau, qui ne se résument pas à des moyens de pure légalité par rapport à des dispositions légales pour l’application desquelles la commune ne disposerait 9 d’aucun pouvoir d’appréciation, mais le moyen afférent de la demanderesse touche une question qui laisse un pouvoir d’appréciation à la commune.
Cette conclusion n’est pas infirmée par l’affirmation de la commune selon laquelle le projet de construction, tel qu’envisagé par la demanderesse, ne serait, aux termes des dispositions urbanistiques applicables, pas réalisable, étant donné que même si aucune construction n’était in fine érigée sur la parcelle 4, il n’en reste pas moins que Madame A se verrait confrontée à un arrêt de bus au milieu de la limite antérieure de sa propriété, circonstance, qui aurait, le cas échéant, pu être clarifiée à travers un échange de vues avant la délibération du 28 avril 2021.
Le tribunal est dès lors amené à retenir que le non-respect de l’article 9, précité, est en l’espèce de nature à entraîner la sanction de l’annulation de la décision du 28 avril 2021.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que Madame A ait, en l’espèce, pu faire valoir son point de vue à travers une prise de position écrite dans son recours gracieux, étant donné que, indépendamment de la question de savoir si le but poursuivi par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 peut être considéré comme étant rempli à partir du moment où la partie concernée a pu faire valoir son point de vue à un stade ultérieur, après avoir, en quelque sorte, dû imposer celui-ci à l’autorité de décision à travers l’introduction d’un recours gracieux contre la décision initiale, et ce, alors même qu’elle n’a pas été informée de la décision projetée, ni mise en mesure de prendre position y relativement préalablement à la prise de la décision d’exercer le droit de préemption, il y a lieu de relever que la situation de l’espèce est de toute façon particulière en ce sens que la commune n’a pas répondu au recours gracieux de la demanderesse, de sorte qu’il n’est pas établi, en l’absence d’autres éléments, que ses objections avaient été analysées et prises en considération.
Au vu de ces considérations, il ne saurait être valablement affirmé que Madame A n’aurait pu influencer la décision déférée.
Il s’ensuit que la décision du conseil communal du 28 avril 2021 est à annuler pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, l’examen de l’ensemble des autres arguments devenant par conséquent surabondant.
La demanderesse sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure à hauteur de 5.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, demande qui est toutefois à rejeter en ce qu’il n’est pas justifié à suffisance en quoi il serait inéquitable de laisser à son unique charge les frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
donne acte à la demanderesse qu’elle renonce au moyen tiré d’une violation de l’article 10 de la loi du 22 octobre 2008 ;
au fond, déclare ledit recours fondé ;
10 partant, annule la décision du 28 avril 2021 du conseil communal de Schuttrange d’exercer un droit de préemption par rapport à une vente portant sur un terrain inscrit au cadastre de la commune de Schuttrange, section … de Schrassig, sous le numéro 1 ;
rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure formulée par la demanderesse ;
condamne la commune de Schuttrange aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 avril 2024 par :
Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 avril 2024 Le greffier du tribunal administratif 11