Tribunal administratif N° 47270 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47270 3e chambre Inscrit le 6 avril 2022 Audience publique du 24 avril 2024 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de sursis à l’éloignement
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47270 du rôle et déposée le 6 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Algérie) et de son épouse, …, née le … à … (Algérie), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leur enfant mineur …, né le … à … (Algérie), tous de nationalité algérienne et demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 janvier 2022 portant refus de leur accorder la prolongation d’un sursis à l’éloignement ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP, et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 janvier 2024.
Le 15 novembre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, ci-
après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ». Son épouse, …, introduisit la même demande en date du 6 décembre 2018.
Par décision du 18 mars 2019, ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », rejeta comme non fondées les demandes de protection internationale des époux …, accompagnés de leur enfant mineur …, ci-après dénommés « les consorts … », tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, le recours contentieux introduit contre cette décision ayant été définitivement rejeté par un jugement du tribunal administratif du 30 avril 2019, inscrit sous le numéro 42593 du rôle.
Par courrier de leur litismandataire du 18 juillet 2019, les consorts … firent introduire une « demande de report ou de sursis à l’éloignement et rapatriement », basée, d’une part sur 1la situation sécuritaire en Algérie et, d’autre part, sur l’état de santé de Monsieur …, laquelle fut rejetée par décision du ministre du 25 juillet 2019.
Le ministre accorda en revanche, sur base de l’article 125bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », à Monsieur …, par décision du 10 décembre 2020 et sur base d’un avis favorable du médecin délégué de la Direction de la Santé, Division de l’Inspection Sanitaire du ministère de la Santé, ci-après désigné par le « médecin délégué », du 1er décembre 2020, un sursis à l’éloignement jusqu’au 30 mai 2021 et étendit le bénéfice de ladite mesure à son épouse, ainsi qu’à leur enfant mineur …, en application des dispositions du paragraphe (4) de l’article 131 de la loi du 29 août 2008.
Par courrier de leur litismandataire du 14 avril 2021, les consorts … sollicitèrent le renouvellement du prédit sursis à l’éloignement en raison de l’état de santé de Monsieur …, lequel leur fut accordé jusqu’au 30 novembre 2021 par décision ministérielle du 26 avril 2021.
Par courrier de leur litismandataire du 23 novembre 2021, les consorts … introduisirent une nouvelle demande en renouvellement du sursis à l’éloignement leur accordé, ladite demande ayant également été motivée par l’état de santé de Monsieur ….
Par décision du 3 janvier 2022, le ministre rejeta la demande en renouvellement du sursis à l’éloignement sur base d’un avis du médecin délégué du 9 décembre 2021, ladite décision ministérielle étant formulée comme suit :
« […] J'ai l'honneur de me référer aux courriers de Maître Michel Karp des 1er octobre 2021, 23 novembre 2021 et 6 décembre 2021 sollicitant la prolongation de votre sursis à l'éloignement initialement accordé en raison de l'état de santé de Monsieur … et venu à expiration en date du 30 novembre 2021.
Il y a lieu de rappeler que le médecin délégué de la Direction de la santé a été saisi en date des 14 octobre 2021, 1er et 9 décembre 2021. Suivant son avis du 9 décembre 2021, reçu en date du 29 décembre 2021, la prolongation du sursis à l'éloignement est refusée à Monsieur … conformément aux articles 130 et 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
En effet, il ressort du prédit avis, dont vous trouvez une copie en annexe, que « (…) analyse l'examen médical du concerné réalisé le 09.12.2021 conformément à la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration, et notamment les articles 28, 130 et 131 ; Vu l'examen médical par le médecin délégué en date du 09.12.2021 ; (…) Vu le résultat de nos recherches dans la base de données MedCOI (Medical Country of Origine Information) Considérant que la prise en charge médicale de Monsieur … peut être réalisée dans le pays vers lequel l'éloignement est prévu. Le médecin délégué est d'avis que : 1. l'état de santé de Monsieur … ne nécessite pas de prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; 2. par conséquent, Monsieur … ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d'un sursis à l'éloignement ».
Par conséquent, le sursis à l'éloignement initialement accordé à Monsieur … et les membres de famille qui l'accompagnent par décision du 26 avril 2021 avec une validité jusqu'au 30 novembre 2021 ne sera pas prolongé. En effet, il ressort des articles 130 à 132 de 2la loi modifiée du 29 août 2008 citée, que le sursis à l'éloignement est uniquement prorogeable après avis positif du médecin délégué. Or, tel n'est pas le cas concernant l'état de santé de Monsieur …. […] ».
Par courrier recommandé de leur litismandataire du 18 janvier 2022, les consorts … introduisirent un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 3 janvier 2022.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2022, inscrite sous le numéro 47270 du rôle, les consorts … ont fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle, précitée, du 3 janvier 2022.
Etant donné qu’aucune disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de sursis à l’éloignement, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs rappellent d’abord les faits et rétroactes à la base de la décision litigieuse du 3 janvier 2022, tels que retranscrits ci-avant.
En droit, tout en s’appuyant sur différents rapports et certificats médicaux des docteurs …, …, et …, spécialisés en psychiatrie, les demandeurs font état de la gravité de l’état de santé de Monsieur …, lequel souffrirait d’une grave dépression. Ils précisent que celui-ci serait principalement suivi par deux médecins psychiatres au Luxembourg, à savoir les docteurs … et …, et que son traitement, qui devrait être régulier, continu, proche et adapté, ne pourrait se poursuivre qu’auprès de ces deux médecins, dans un environnement propice à son rétablissement. A cet égard, ils donnent encore à considérer que les problèmes psychiques de Monsieur …, et notamment le trouble de stress post-traumatique dont celui-ci souffrirait, seraient directement liés à son vécu dans son pays d’origine. En prenant encore appui sur les dispositions des articles 130 et 131 de la loi du 29 août 2008, les demandeurs concluent qu’il résulterait de l’ensemble des rapports et certificats médicaux versés en cause que, d’une part, l’état de santé de Monsieur … nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et que, d’autre part, il devrait bénéficier d’un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays vers lequel il serait éloigné.
En se référant ensuite plus particulièrement au paragraphe (3) de l’article 131 de la loi du 29 août 2008, ainsi qu’aux articles 4 et 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », les demandeurs concluent encore à l’annulation de la décision litigieuse pour défaut de motivation, en ce que le ministre se serait contenté de se référer à l’avis du médecin délégué du 9 décembre 2021, sans exiger la communication d’éléments de motivation supplémentaires de la part de ce dernier.
Les demandeurs soulèvent encore un défaut de motivation de l’avis du médecin délégué du 9 décembre 2021, en faisant valoir que ledit avis serait sommaire et ne saurait suffire à établir l’état de santé de Monsieur …, à défaut d’énoncer les éléments et faits justificatifs sur lesquels il reposerait. Ils estiment plus précisément que l’avis du médecin délégué ne suffirait pas pour remettre en cause la gravité de l’état de santé de Monsieur …, ni les conséquences graves qu’entraînerait l’absence de traitement dans son chef, de sorte que la seule condition 3légale litigieuse en l’espèce serait celle relative à l’accès à des soins adéquats dans son pays d’origine.
Les demandeurs se prévalent, par ailleurs, d’un rapport de l’organisation non-
gouvernementale « Médecins du monde », intitulé « Une situation alarmante nécessitant une action humanitaire en Algérie », d’un article publié sur le site internet « orientxxi.info » le 23 avril 2019, intitulé « Le système de santé algérien entre corruption, privatisations et charlatanisme » et d’un article du quotidien « Liberté », publié le 10 janvier 2022 et intitulé « Assises nationales pour la réforme de la santé – diagnostic et thérapie », pour soutenir que Monsieur … n’aurait pas accès à des soins adéquats dans son pays d’origine, tant en termes de structures adéquates qu’en termes financiers.
Enfin, les demandeurs estiment que la décision litigieuse devrait être annulée pour violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH », en ce que Monsieur … risquerait, en cas de retour dans son pays d’origine, des traitements inhumains et dégradants, à défaut de pouvoir accéder à des soins adéquats.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne tout d’abord la légalité externe de la décision déférée, et plus précisément le moyen tendant à un défaut de motivation de ladite décision, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.
La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ; […] ».
Il résulte de la disposition précitée que si toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et que certaines catégories de décisions, dont celles refusant de faire droit à une demande, tel que c’est le cas en l’espèce, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, il suffit que ces indications soient sommaires.
Or, en l’espèce, contrairement aux affirmations des demandeurs, la décision déférée est suffisamment motivée d’un point de vue formel, tant en fait qu’en droit, dans la mesure où elle relève, sur base de l’avis du médecin délégué du 9 décembre 2021, que la prise en charge de Monsieur … pourrait être réalisée dans son pays d’origine et qu’elle indique, par ailleurs, les dispositions légales sur lesquelles elle repose, à savoir les articles 130 à 132 de la loi du 29 août 2008.
Partant, indépendamment de la question du bien-fondé de la décision déférée, question qui sera abordée ci-après, le moyen tiré d’un défaut de motivation de la décision ministérielle du 3 janvier 2022 doit être rejeté pour ne pas être fondé.
4En ce qui concerne ensuite le moyen fondé sur une insuffisance de motivation de l’avis rendu par le médecin délégué le 9 décembre 2021, il échet de relever que l’article 4, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose que « Les avis des organismes consultatifs pris préalablement à une décision doivent être motivés et énoncer les éléments de fait et de droit sur lesquels ils se basent ».
Le contenu même de l’avis à émettre par le médecin délégué est, quant à lui, défini à l’article 131, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] L’avis du médecin délégué porte sur la nécessité d’une prise en charge médicale, les conséquences d’une exceptionnelle gravité et la possibilité de bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel l’étranger est susceptible d'être éloigné. ».
Or, en l’espèce, force est de constater que, dans son avis du 9 décembre 2021, le médecin délégué s’est prononcé tant sur la nécessité d’une prise en charge médicale dans le chef de Monsieur … que sur les conséquences qu’un défaut de prise en charge médicale pourrait avoir pour lui. Ainsi, le médecin délégué a retenu que « […] Considérant que la prise en charge médicale de Monsieur … peut être réalisée dans le pays vers lequel l’éloignement est prévu » et a conclu que « 1. l’état de santé de Monsieur … ne nécessite pas de prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité ; 2. par conséquent, Monsieur … ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d’un sursis à l’éloignement ».
Ledit avis médical est dès lors suffisamment motivé au regard de l’article 131, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, de sorte que le moyen afférent est à rejeter comme étant non fondé.
Les contestations par ailleurs soulevées à l’égard de l’avis du médecin délégué seront examinées ci-après dans le cadre de l’analyse du bien-fondé de la décision ministérielle litigieuse qui est fondée sur ledit avis.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal rappelle que l’article 130 de la loi du 29 août 2008 dispose que : « Sous réserve qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’étranger ne peut être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et s’il rapporte la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné. ».
Aux termes de l’article 131, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008 : « (1) L’étranger qui satisfait aux conditions énoncées à l’article 130 peut obtenir un sursis à l’éloignement pour une durée maximale de six mois. Ce sursis est renouvelable, sans pouvoir dépasser la durée de deux ans. […] (3) Les décisions visées aux paragraphes (1) et (2) qui précèdent, sont prises par le ministre, sur avis motivé du médecin délégué visé à l’article 28, selon les modalités à déterminer par règlement grand-ducal. Le médecin délégué procède aux examens qu’il juge utiles. L’avis du médecin délégué porte sur la nécessité d’une prise en charge médicale, les conséquences d’une exceptionnelle gravité et la possibilité de bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel l’étranger est susceptible d’être éloigné. […] ».
5Il résulte des dispositions précitées que, pour pouvoir bénéficier d’un sursis à l’éloignement, l’étranger, qui ne doit pas présenter de menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, doit répondre à deux conditions cumulatives, à savoir établir, premièrement, au moyen de certificats médicaux, que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et, deuxièmement, qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné.
A ce titre, il convient de se référer aux travaux préparatoires1 de ladite loi, qui renseignent au sujet de l’article 131, précité, que : « Les personnes ne résidant pas ou plus légalement sur le territoire ne peuvent être éloignées, malgré une décision d’éloignement à leur égard, si elles sont atteintes d’une maladie grave qui nécessite impérativement une prise en charge médicale dont elles ne pourront bénéficier dans le pays vers lequel elles sont susceptibles d’être éloignées. La maladie qui est prise en compte est celle qui, sans traitement ou soins médicaux, entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave. La question de savoir s’il existe un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays d’origine devra s’analyser au cas par cas, en tenant compte de la situation individuelle du demandeur ».
Il résulte de la jurisprudence constante que l’article 130 impose explicitement la charge de la preuve à l’étranger, les conditions devant être remplies cumulativement, de sorte qu’il suffit que l’une d’elles ne soit pas remplie pour que le ministre puisse refuser le bénéfice de l’article 130 de la loi du 29 août 20082.
Si la première condition posée par l’article 130 de la loi du 29 août 2008 n’est pas litigieuse en l’espèce, le délégué du gouvernement ne contestant en effet pas qu’un défaut de prise en charge médicale entraînerait pour Monsieur … des conséquences d’une exceptionnelle gravité, les parties sont toutefois en désaccord sur la question de savoir si celui-ci peut bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine.
A l’appui de leur recours, les demandeurs versent, d’une part, les documents soumis au ministre en phase précontentieuse, à savoir des rapports médicaux du docteur … des 12 novembre et 1er décembre 2021, un certificat médical du docteur … du 30 septembre 2021 et des certificats médicaux du docteur … des 11 février et 17 juillet 2020 et, d’autre part, un certificat médical du docteur … du 6 décembre 2021, un certificat médical du docteur … du 25 février 2022, ainsi que deux certificats médicaux du docteur … des 8 janvier et 1er mars 2022.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que dans le cadre d’un recours en annulation, le juge n’est pas, comme en matière de réformation, appelé à refaire l’acte en substituant son appréciation à celle de l’auteur de la décision administrative entreprise en ayant égard à des éléments d’opportunité autant que de légalité, son pouvoir se confinant à contrôler si, eu égard à la situation en fait et en droit ayant existé au moment où il a statué, l’auteur de la décision n’a pas commis une erreur en droit et, dans la mesure où il dispose d’un pouvoir discrétionnaire, il n’est pas sorti de sa marge d’appréciation.
1 Doc. parl. n° 5802, p. 86, ad article 131.
2 Trib. adm., 31 octobre 2012, n° 29705 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 795 et les autres références y citées.
6Il convient encore de souligner que dans le cadre d’un recours en annulation, la situation à prendre en compte est celle existant objectivement au moment où l’auteur de la décision administrative a statué. Le juge de l’annulation ne saurait ainsi prendre en considération ni des éléments de fait, ni des changements législatifs ou réglementaires s’étant produits postérieurement à la prise de la décision. L’administré n’en pâtit pas puisque dans une telle hypothèse, il peut faire état d’un élément nouveau lui permettant de solliciter une nouvelle décision et obligeant l’autorité administrative à statuer à nouveau, sur base de la nouvelle situation en fait ou en droit. Une annulation de la décision administrative par le juge sur base d’un changement en fait ou en droit intervenu en cours d’instance ne serait pas d’une réelle utilité pour l’administré qui devrait alors, de toute manière, attendre la prise d’une nouvelle décision par l’administration, le juge administratif ne pouvant prendre une décision tenant compte de la nouvelle situation en lieu et place de l’administration.
En revanche, au cas où de nouveaux éléments de preuve sont produits au cours de l’instance contentieuse, permettant d’apprécier différemment la situation factuelle soumise au ministre ayant existé au moment de la prise de la décision, le juge peut et doit les prendre en considération et, le cas échéant, annuler la décision administrative qui ne procède alors pas forcément d’une erreur en fait ou en droit, mais qui a été prise sur base d’une information incomplète ayant amené le ministre à une erreur d’appréciation. Dénier à l’administré, non le droit de se prévaloir en cours d’instance de faits nouveaux, droit qu’il n’a pas, mais celui de produire de nouveaux éléments de preuve se rapportant à la situation ayant existé au moment de la prise de la décision attaquée et appréciée par le ministre, reviendrait à le priver, le cas échéant, de la possibilité d’obtenir une décision prise sur la base de l’ensemble des éléments d’appréciation ayant existé au moment de la prise de la décision et correspondant ainsi à la situation réelle du moment, l’administration n’étant en effet pas obligée de reconsidérer une décision qu’elle a prise sans qu’un fait nouveau ne se soit produit3.
En l’espèce, en ce qui concerne tout d’abord le certificat médical établi le 25 février 2022 par le docteur …, il convient d’ores et déjà de retenir que celui-ci est dénué de toute pertinence en l’espèce, alors qu’il concerne l’état de santé de … et non pas celui de son époux, étant rappelé à cet égard que la demande en renouvellement du sursis à l’éloignement litigieux était basée uniquement sur l’état de santé de Monsieur ….
Ensuite, s’agissant des certificats médicaux du docteur … des 8 janvier et 1er mars 2022, si ceux-ci ont certes été établis postérieurement à la décision déférée et n’ont, dès lors, pas pu être pris en compte par le ministre lors de la prise de ladite décision, ils peuvent néanmoins être pris en considération par le tribunal, dans la mesure où ils tendent à établir l’état de santé de Monsieur … tel qu’il s’est présenté au moment de la prise de la décision déférée, lesdits certificats ayant été établis à une date très rapprochée à celle de l’analyse du médecin délégué du 9 décembre 2021 et décrivant toujours la même pathologie, à savoir un « accès dépressif majeur réactionnel » et des troubles de stress post-traumatique, sans faire état d’éléments fondamentalement nouveaux qui se seraient produits depuis que le médecin délégué a examiné le dossier de l’intéressé.
Il ressort des différents rapports médicaux du docteur …, datés des 12 novembre et 1er décembre 2021, ainsi que des 8 janvier et 1er mars 2022, que Monsieur … souffre d’un « Accès Dépressif Majeur réactionnel » et d’un « Post-traumatic Stress Disorder » et qu’il nécessite 3 Cour adm., 20 mars 2014, n° 33780C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 28 et les autres références y citées.
7un traitement pharmaco-thérapeutique soutenu, associé à un travail psychothérapeutique régulier.
Le docteur … a, quant à lui, retenu dans son certificat médical du 6 décembre 2021 que l’intéressé « présente un état de stress post-traumatique, actuellement traité par Lerivon 30 mg 1x/jour, et doit pouvoir poursuivre sa thérapie », le certificat médical établi par ledit docteur en date du 30 septembre 2021 étant de la même teneur.
De même, il ressort des certificats médicaux établis par le docteur … en date des 11 février et 17 juillet 2020 que Monsieur … souffre de troubles de stress post-traumatique, qu’il présente une « symptomatologie anxio-dépressive avec nervosité, ruminations, insomnie et angoisses » et qu’il « bénéficie d’un traitement par DIAZEPAM ».
S’il est dès lors établi que Monsieur … présente des troubles de stress post-traumatique, troubles qui nécessitent un suivi médical, force est toutefois de constater, à l’instar du délégué du gouvernement, qu’il ressort des résultats issus de la base de données MedCOI (Medical Country of Origin Information) des 19 janvier et 12 août 2021 que des traitements psychiatriques tant stationnaires qu’ambulatoires étaient disponibles et accessibles en Algérie, de sorte que la prise en charge médicale de Monsieur … peut y être réalisée.
L’absence de prise en charge médicale en Algérie, invoquée par les demandeurs, reste ainsi à l’état de pure allégation, les constatations du médecin délégué fondées sur la base de données MedCOI n’étant énervées (i) ni par le rapport de l’organisation non-gouvernementale « Médecins du monde » versé en cause, ledit rapport concernant essentiellement la situation des migrants en Algérie et n’étant, dès lors, pas directement transposable à la situation personnelle de Monsieur …, (ii) ni par les articles de presse précités, intitulés respectivement « Le système de santé algérien entre corruption, privatisations et charlatanisme » et « Assises nationales pour la réforme de la santé – diagnostic et thérapie », alors que si lesdits articles font certes état de certaines difficultés dans le système de santé algérien, il n’en résulte pas que Monsieur … ne pourrait, dans son cas particulier, pas accéder à un traitement médical adéquat en Algérie.
Par ailleurs, s’agissant de l’argumentation des demandeurs suivant laquelle le traitement de Monsieur … ne pourrait, de façon générale, se poursuivre en Algérie, dans la mesure où les pathologies de ce dernier seraient directement liées au vécu de celui-ci dans son pays d’origine, il échet de relever que seule une impossibilité momentanée d’être éloigné du fait de la nécessité de suivre un traitement déterminé au Luxembourg est susceptible de justifier un sursis, par définition provisoire, de sorte qu’une impossibilité générale de retourner dans le pays d’origine n’est pas susceptible d’entrer en ligne de compte, une telle argumentation se situant davantage dans le cadre d’une demande d’autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, telle que prévue à l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 20084.
Les demandeurs, sur lesquels repose la charge de la preuve, n’ont dès lors pas invalidé la conclusion du médecin délégué suivant laquelle Monsieur … ne nécessite pas une prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, ceux-ci n’ayant en effet pas établi l’impossibilité 4 Voir en ce sens : Cour adm., 13 juillet 2023, n° 48835C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
8pour Monsieur … de bénéficier d’un traitement adéquat dans son pays d’origine, tel qu’exigé par les articles 130 et 131 de la loi du 29 août 2008.
Par voie de conséquence, leur moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la CEDH, aux termes duquel « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. », au motif qu’un retour en Algérie serait de nature à exposer Monsieur … à des traitements inhumains ou dégradants prohibés par cette disposition, en ce qu’il ne pourrait y bénéficier d’un traitement adéquat, est également à rejeter.
La deuxième condition posée par l’article 130 de la loi du 29 août 2008 n’étant pas remplie en l’espèce et dans la mesure où les conditions dudit article doivent être remplies cumulativement, c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit, par sa décision du 3 janvier 2022, à la demande en prolongation de sursis à l’éloignement des demandeurs.
Il s’ensuit que le recours en annulation sous examen est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 avril 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 avril 2024 Le greffier du tribunal administratif 9