Tribunal administratif N° 50334 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50334 4e chambre Inscrit le 16 avril 2024 Audience publique extraordinaire du 24 avril 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50334 du rôle et déposée le 16 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 7 mars 2024, erronément attribuée au ministre de l’Immigration et de l’Asile, ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée de trois mois à compter de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en sa plaidoirie à l’audience publique du 23 avril 2024, Maître Eric Says s’étant excusé.
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En date du 27 octobre 2014, Monsieur …, introduisit sous le nom de …, né le … à … (Kenya), de nationalité kenyane, une demande de protection internationale auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 13 février 2015, notifié à l’intéressé par affichage public, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il sera transféré vers l’Espagne en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le même jour, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités espagnoles de la disparition de Monsieur … et, partant, de la prolongation du délai de transfert en vertu de l’article 29, paragraphes (1) et (2) du règlement Dublin III.
Il ressort d’un acte d’écrou du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 13 septembre 2023 que suivant un jugement du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 13 janvier 2022, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de 18 mois, dont 12 avec sursis et suivant un relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg, ci-après dénommé « CPL », du 13 septembre 2023, il y fut transféré en date du même jour.
Il ressort ensuite d’un relevé journalier du CPL du 17 janvier 2024 que Monsieur … fut libéré du CPL à cette date.
Par arrêté du 15 janvier 2024, notifié en mains propres à l’intéressé le 17 janvier 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier et ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et lui interdit l’entrée sur ledit territoire pour une durée d’un an.
Par arrêté séparé du même jour, notifié également en mains propres à l’intéressé le 17 janvier 2024, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification, sur le fondement de l’article 120 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
En date du 18 janvier 2024, une recherche effectuée dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … avait introduit, outre la demande de protection internationale précitée du 27 octobre 2014 au Luxembourg, des demandes de protection internationales en Norvège le 1er juin 2014 et le 26 février 2015 en Hongrie.
Par courrier du 26 janvier 2024, les autorités hongroises refusèrent la demande de réadmission de Monsieur … leur adressée par les autorités luxembourgeoises en date du 16 janvier 2024 au motif que le titre de séjour de ce dernier avait été révoqué.
Le 30 janvier 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités consulaires nigérianes en vue du rapatriement au Nigéria de Monsieur ….
Le 8 février 2024, l’Unité de Garde et d’Appui Opérationnel (UGAO), Service de Garde et de Protection (SGP), de la police grand-ducale, fut chargée par le ministre d’organiser le départ de Monsieur … vers le Nigéria.
Le 12 février 2024, la police grand-ducale communiqua un plan de vol au ministre, prévoyant comme date d’éloignement pour Monsieur … le 19 mars 2024.
Par décision du 15 février 2024, notifiée en mains propres à l’intéressé le 16 février 2024, le ministre rapporta sa décision de retour du 15 janvier 2024, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’un an tout en prenant une nouvelle décision de retour à l’encontre de Monsieur …, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans.
Par arrêté séparé du même jour, notifié en mains propres à l’intéressé également le 16 février 2024, le ministre ordonna la prorogation du placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 17 février 2024.
Le 19 février 2024, le ministre contacta l’agence de voyage Select Business Travel HRG Luxembourg en vue de l’émission des billets d’avion pour l’éloignement de Monsieur …, tant pour lui que pour les escortes.
Le 7 mars 2024, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une nouvelle demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Par arrêté du 7 mars 2024, notifié en mains propres à l’intéressé le même jour, le ministre prononça la mainlevée de l’arrêté de placement en rétention précitée du 15 janvier 2024 et décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de l’introduction de la demande de protection internationale. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :
« (…) Vu l'article 22 (2) b) et e) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 15 février 2024, notifiée le 16 février 2024 à l'intéressé ;
Attendu que l'intéressé est placé au Centre de rétention depuis le 17 janvier 2024 afin de préparer l'exécution de la mesure d'éloignement ;
Attendu que l'intéressé a introduit une première demande de protection internationale auprès des autorités luxembourgeoises en date du 27 octobre 2014 ;
Attendu qu'une décision d'incompétence a été notifiée à l'intéressé par affichage public en date du 17 février 2015 ;
Attendu que l'intéressé a effectué plusieurs séjours au Centre pénitentiaire de Luxembourg entre 2020 et 2023 ;
Attendu qu'il est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois alors que les autorités hongroises ont révoqué le permis de séjour de l'intéressé ;
Attendu que l'éloignement de l'intéressé était prévu pour le 19 mars 2024 ;
Attendu que l'intéressé a présenté une demande de protection internationale le 7 mars 2024 ;
Attendu que l'éloignement prévu le 19 mars 2024 a dû être annulé ;
Attendu que les mesures moins coercitives prévues à l'article 22, (3), ne peuvent être efficacement appliquées ;
Par conséquent la décision de placement s'avère nécessaire ;
Considérant qu'il convient de déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale, alors qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé ;
Considérant qu'il existe des motifs raisonnables de penser que l'intéressé a présenté sa demande de protection internationale à la seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 avril 2024, inscrite sous le numéro 50334 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 7 mars 2024 ayant pour objet son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de l’introduction de la demande de protection internationale.
Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative prise en vertu de cette loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et après avoir rappelé en fait quelques rétroactes passés en revue ci-avant, le demandeur se rapporte, quant à la légalité externe de la décision déférée, à prudence de justice quant à la compétence du ministre de l’Immigration et de l’Asile pour prendre l’arrêté litigieux.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, le demandeur conclut à une violation de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 en contestant qu’il existerait dans son chef, un risque de fuite. Il fait valoir à cet égard que les éléments sur lesquels se fonde sa demande de protection internationale pourraient être obtenus sans placement en rétention. Il conteste ensuite avoir introduit sa demande de protection internationale avec la seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour et estime que ce serait encore à tort que le ministre l’aurait placé en rétention sans avoir eu recours aux mesures moins coercitives, notamment l’obligation de se présenter régulièrement à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité, le demandeur expliquant encore, dans ce contexte, avoir introduit sa demande de protection internationale en raison de sa crainte d’être persécuté ou de faire l’objet de traitements dégradants et inhumains dans son pays d’origine dus au fait qu’il appartiendrait au groupe dit « Biafra ».
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre pour prendre une mesure de placement au Centre de rétention – qui est d’ailleurs le ministre des Affaires intérieures et non pas le ministre de l’Immigration et de l’Asile, tel qu’indiqué erronément dans la requête introductive d’instance –, étant donné qu’en vertu de l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le ministre ayant l’asile dans ses attributions, soit conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement, tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.
Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au fond, force est au tribunal de constater qu’aux termes de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, telle que modifiée par la loi du 20 juillet 2023, portant modification de la loi du 18 décembre 2015, envisageant les conditions dans lesquelles un demandeur de protection internationale peut être placé au Centre de rétention, « (…) Un demandeur ne peut être placé en rétention que : (…) b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur;
(…) e) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour en vertu de l’article 120 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration pour préparer le retour et procéder à l’éloignement et lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à la seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour alors qu’il avait déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile; dans ce cas, la durée de placement en vertu de la présente loi court à partir du jour du dépôt de la demande de protection internationale. ».
L’article 22, paragraphe (2), point b) de la loi du 18 décembre 2015 permet dès lors de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative afin de déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite.
L’article 22, paragraphe (2), point e) de la loi du 18 décembre 2015, quant à lui, permet de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative, toujours pour une durée maximale de trois mois, à condition (i) que ledit demandeur soit visé par une mesure d’éloignement au sens de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 consécutive à une décision de retour et (ii) qu’il existe des motifs raisonnables de penser que ledit demandeur a présenté une demande de protection internationale à la seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de ladite décision de retour, alors qu’il avait déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile.
Le paragraphe (3) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.
On entend par mesures moins coercitives:
a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite;
l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la 5 dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire.
Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. » Le paragraphe (4) de l’article 22 de la même loi ajoute que : « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. ».
En vertu de l’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne puissent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le placement ne doit pas se prolonger au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, précité, subsistent, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Il y a encore lieu de relever que dans la mesure où les cas de figure énoncés aux points a) à e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 sont envisagés de manière alternative et non cumulative, il suffit que l’une des hypothèses y visées – en l’espèce l’une des hypothèses visées aux points b) ou e) – se trouve vérifiée en l’espèce pour que le placement en rétention du demandeur soit justifié.
En ce qui concerne plus particulièrement l’application par le ministre du point e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal relève, d’une part, qu’il est constant en cause qu’en date du 17 janvier 2024, le demandeur a été placé en rétention administrative sur le fondement de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, placement qui a été par la suite prorogé en date du 15 février 2024.
Il s’ensuit que la première condition prévue au point e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 et tenant à ce que l’intéressé avait été placé au Centre de rétention dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 se trouve vérifiée en l’espèce.
D’autre part, il est encore constant que le demandeur a présenté une demande de protection internationale pendant son placement en rétention, à savoir en date du 7 mars 2024.
S’agissant de la question de savoir si cette demande a été introduite dans l’unique but de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour, il y a lieu de relever qu’alors même qu’il est constant en cause que le demandeur a été placé en rétention le 17 janvier 2024, à sa sortie du CPL, en vue de l’organisation de son éloignement en exécution de la décision de retour prise à son encontre le 15 janvier 2024, il n’a déposé sa demande de protection internationale que le 7 mars 2024 – soit douze jours avant la date fixée pour son éloignement vers le Nigéria, prévu pour le 19 mars 2024 –, après avoir fait l’objet (i) d’une nouvelle décision de retour du 15 février 2024, ayant rapportée la décision du 15 janvier 2024, (ii) assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans et (iii) d’une prorogation de son placement initial en rétention prononcé par arrêté du 15 février 2024.
Dans ce contexte, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal ou des explications fournies dans la requête introductive d’instance du demandeur que celui-
ci n’ait auparavant pas eu la possibilité d’accéder une nouvelle fois à la procédure d’asile.
Ce constat s’impose d’autant plus qu’il ressort du dossier administratif qu’il se trouve à nouveau sur le territoire luxembourgeois depuis 2022, le demandeur ayant, d’ailleurs, déjà déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en 2014. Enfin, le tribunal se doit de constater que l’argumentaire du litismandataire du demandeur pour justifier le dépôt de sa demande de protection internationale, à savoir « en raison de sa crainte d’être persécuté et de faire l’objet de traitements dégradants et inhumains en cas de retour dans son pays natal dû à son appartenance au groupe Biafra », respectivement qu’il « risque également d’être incarcéré et torturé au Nigéria car il est recherché par les forces de l’ordre nigérianes en raison de son appartenance au groupe Biafra », manque de pertinence dans le cadre de la présente analyse étant donné que le certificat d’adhésion audit groupe versé en cause date du 22 avril 2019.
Il s’ensuit que le ministre pouvait valablement conclure à l’existence de motifs raisonnables laissant penser que le demandeur n’a présenté sa demande de protection internationale qu’à la seule fin de retarder ou d’empêcher son éloignement prévu pour le 19 mars 2024 en exécution de la décision de retour dont il fait l’objet - en l’espèce la décision du 15 février 2024 -, et ainsi se baser sur le point e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 pour justifier le placement du demandeur en sa qualité de demandeur d’une protection internationale.
Au regard du caractère alternatif des cas de figure énoncés aux points a) à e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 et au regard de la circonstance que le ministre pouvait a priori valablement se baser sur le point e) dudit article, l’analyse de la légalité et du bien-fondé du recours ministériel au point b) du paragraphe (2) de l’article 22, précité, également invoqué pour justifier le placement au Centre de rétention du demandeur, devient surabondante.
S’agissant de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû appliquer des mesures moins coercitives, il y a lieu de relever que l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, cité ci-dessus, prévoit que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) - à savoir, (i) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité, (ii) l’assignation à résidence, assortie, le cas échéant, d’une mesure de surveillance électronique, et, (iii) le dépôt d’une garantie financière d’un montant de cinq mille euros - ne peut être efficacement appliquée.
Or, le demandeur reste en défaut de fournir le moindre élément lui permettant de remettre en cause le constat du ministre selon lequel les mesures moins coercitives prévues par l’article 22, paragraphe (3), points a), b) et c) de la loi du 18 décembre 2015 ne pouvaient être appliquées efficacement en l’espèce.
En ce qui concerne plus précisément les mesures moins coercitives prévues aux points a) et c) de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, si le demandeur affirme disposer d’un passeport nigérian et d’autres documents hongrois qu’il aurait pu remettre en échange d’un récépissé valant justification de son identité et comme garantie qu’il se présenterait auprès des services du ministre ou d’autres autorités désignées par lui, tel que prévu au point a) dudit article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, force est de constater, à l’instar de la partie étatique, que le demandeur est resté en défaut de fournir des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, lequel est d’ailleurs corroboré par son comportement antérieur tel qu’il ressort du dossier administratif, caractérisé par une disparition systématique des pays dans lesquels il a déposé une demande de protection internationale, d’autant plus qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe ni d’attaches quelconques au Luxembourg, de sorte qu’une assignation à résidence ne saurait pas non plus être efficacement appliquée, étant encore relevé que le demandeur ne propose pas le paiement d’une garantie financière.
Il suit dès lors des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 22, paragraphe (3), points a), b) et c) de la loi du 18 décembre 2015 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.
En ce qui concerne, finalement, les diligences accomplies pour écourter au maximum sa privation de liberté, d’ailleurs non contestées par le demandeur, le tribunal n’entrevoit pas, à travers les éléments du dossier à sa disposition un manque de diligences dans le chef du ministre, ce d’autant plus que son éloignement était déjà prévu pour le 19 mars 2024 et qu’il n’a pu être exécuté qu’à cause du seul dépôt d’une demande de protection internationale par Monsieur … douze jours avant son départ.
Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 24 avril 2024, à 15.00 heures par :
Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 avril 2024 Le greffier du tribunal administratif 9