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06/05/2024 | LUXEMBOURG | N°48565

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mai 2024, 48565


Tribunal administratif N° 48565 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48565 2e chambre Inscrit le 21 février 2023 Audience publique du 6 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection temporaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48565 du rôle et déposée le 21 février 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Sénégal)...

Tribunal administratif N° 48565 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48565 2e chambre Inscrit le 21 février 2023 Audience publique du 6 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection temporaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48565 du rôle et déposée le 21 février 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Sénégal), de nationalité sénégalaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 novembre 2022 prise sur recours gracieux, confirmant la décision du même ministre du 28 juin 2022 portant refus d’octroi d’une protection temporaire.

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Corinne Walch en sa plaidoirie à l’audience publique du 5 février 2024.

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Le 9 juin 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection temporaire au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », suite à la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, ci-après désignée par « la décision du Conseil du 4 mars 2022 ».

Ses déclarations sur son identité furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Toujours le 9 juin 2022, il remplit un questionnaire en relation avec sa demande de protection temporaire.

1Par décision du 28 juin 2022, notifiée à l’intéressé en mains propres le 30 juin 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … du rejet de sa demande de protection temporaire en les termes suivants :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection temporaire que vous avez introduite le 9 juin 2022.

Le Conseil de l'Union européenne a décidé en date du 4 mars 2022 de déclencher le mécanisme de la protection temporaire afin de permettre aux ressortissants ukrainiens et aux personnes bénéficiant d'une protection internationale ou d'une protection nationale équivalente en Ukraine ainsi qu'à leurs membres de famille de s'établir temporairement au sein de l'Union européenne en raison de l'invasion militaire russe en Ukraine.

Je suis cependant dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

Il ressort en effet des documents que vous nous avez remis le 9 juin 2022 qu'aucun élément de votre dossier ne permet de conclure que vous ne seriez pas en mesure de rentrer dans votre pays d'origine, en l'occurrence le Sénégal, dans des conditions sûres et durables.

D'après les informations en ma possession, le Sénégal n'est actuellement pas confronté à une situation de conflit armé ou de violence endémique et au risque grave de violation systématique ou généralisée des droits de l'homme.

De plus, vous n'apportez aucune preuve permettant de conclure que vous présentez, au niveau individuel, un risque aggravé vous empêchant de retourner au Sénégal dans des conditions sûres et durables. En effet, vous n'avez pas quitté votre pays d'origine à cause de craintes respectivement problèmes individuels et personnels permettant d'établir dans votre chef l'existence d'une crainte fondée de persécution, voire d'un risque de subir un traitement inhumain et dégradant dans votre pays d'origine. Au contraire, vous avez quitté votre pays d'origine pour entamer des études universitaires en Ukraine et pour y travailler.

Il ressort également de votre dossier administratif du 9 juin 2022 que vous ne souhaitez pas retourner au Sénégal, car vous auriez des problèmes familiaux dans votre pays d'origine et que votre petit-frère résiderait au Luxembourg. Or, des motifs de pure convenance personnelle ne sauraient pas justifier l'octroi d'une protection temporaire telle que définie par le Conseil de l'Union européenne.

De plus, le fait qu'une partie de votre famille, à savoir vos parents, vos oncles et votre frère se trouvent encore au Sénégal constitue un point d'attache non négligeable que vous avez dans votre pays d'origine.

Vous ne remplissez dès lors pas les conditions d'éligibilité relatives aux personnes auxquelles s'applique la protection temporaire telles que retenues par l'article 2 de la décision d'exécution 2022/382 du Conseil de l'Union européenne du 4 mars 2022. […] ».

Par courrier du 22 septembre 2022, réceptionné le 26 septembre 2022, Monsieur … fit introduire, par l’intermédiaire de son mandataire de l’époque, un recours gracieux contre la décision, précitée, qui fut confirmée par une décision du ministre du 18 novembre 2022, 2notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée en date du même jour à son mandataire de l’époque, en les termes suivants :

« […] J'accuse bonne réception du recours gracieux que vous avez introduit en date du 22 septembre 2022, par le biais de votre mandataire, contre mes décisions du 30 juin 2022 portant refus d'octroi d'une protection temporaire et ordre de quitter le territoire dans votre chef.

Je suis dans l'obligation de porter à votre connaissance que je n'entends pas réserver de suite favorable à votre requête alors qu'il apparaît que vous ne présentez aucun élément nouveau, susceptible d'engendrer une réévaluation de mes décisions.

En effet, aucun des éléments transmis ne permet de conclure que vous ne seriez pas en mesure de rentrer dans votre pays d'origine, en l'occurrence le Sénégal, dans des conditions sûres et durables sachant que vous ne faites état d'aucune crainte respectivement d'aucun problème individuel et personnel dans votre pays d'origine. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2023, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation, à l’encontre de la décision ministérielle du 18 novembre 2022, confirmant la décision du 28 juin 2022, lui ayant refusé le bénéfice de la protection temporaire.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond contre la décision refusant l’octroi d’une protection temporaire, le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation introduit contre ladite décision.

Il est cependant compétent pour connaître du recours principal en annulation, qui est, en outre, à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Avant tout autre progrès en cause, il y a lieu de relever que si le recours est certes dirigé contre la seule décision confirmative de refus sur recours gracieux, il est néanmoins de jurisprudence qu’une décision, sur recours gracieux, purement confirmative d’une décision initiale, tire son existence de cette dernière et que les deux doivent, dès lors, être considérées comme formant un seul tout1, de sorte que le fait de diriger un recours contentieux contre la seule décision confirmative, prise sur recours gracieux, entraîne nécessairement que le recours est également dirigé contre la décision initiale2.

En fait, le demandeur expose qu’il serait arrivé en Ukraine le 13 octobre 2013 et qu’il y aurait exercé un emploi dans le secteur de la construction dans le cadre duquel il aurait 1 Trib. adm. 21 avril 1997, n° 9459 du rôle, conf. par Cour adm. 23 octobre 1997, n° 10040C du rôle, Pas. adm.

2023, V° Procédure contentieuse, n° 279 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 13 avril 2016, n° 35531 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 279 et les autres références y citées.

3bénéficié d’une autorisation de séjour qui aurait toujours été en cours de validité lorsqu’il aurait quitté l’Ukraine.

Il explique qu’il aurait été contraint de fuir l’Ukraine en raison de la guerre, sans avoir eu la possibilité de retourner à son domicile, de sorte qu’il n’aurait pas pu récupérer l’essentiel de ses documents administratifs, dont notamment son titre de séjour ukrainien.

En droit, et après avoir cité l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, le demandeur précise, tout d’abord, qu’il aurait disposé d’un titre de séjour valable en Ukraine, et ce, avant le 25 février 2022, mais qu’il n’aurait pas pu récupérer l’intégralité de ses documents administratifs en raison de la violence aveugle qui aurait visé toute la population.

Comme son objectif principal aurait été de sauver sa vie, la preuve de son titre de séjour n’aurait objectivement eu aucune importance pour lui à cet instant.

Le demandeur explique ensuite qu’il aurait séjourné en Ukraine pendant près de 9 neuf ans et qu’il lui serait, de ce fait, difficile de retrouver ses repères dans son pays d’origine, le Sénégal, alors qu’il ne serait, depuis son arrivée en Ukraine, jamais retourné dans ledit pays et qu’il n’aurait, par ailleurs, pas de nouvelles de sa famille en raison d’un conflit privé pour lequel ses parents le « maudi[raient] ». Il s’ensuivrait que le fait qu’une partie de sa famille, à savoir ses parents, son oncle et son frère, se trouverait encore au Sénégal ne signifierait pas automatiquement qu’il aurait un point d’attache non négligeable dans son pays d’origine. Le demandeur ajoute qu’en raison dudit conflit familial, il ne pourrait pas retourner au Sénégal (i) de peur que la « malédiction » s’abatte sur lui et (ii) en raison du fait qu’aucun membre de sa famille ne veuille l’accueillir, voire même par crainte que celle-ci s’en prenne à son intégrité physique, de sorte à n’avoir aucun lien avec le Sénégal, faute d’y disposer d’une attache ou d’un logement. Il estime encore qu’un retour dans son pays d’origine mettrait en péril la continuité de sa vie professionnelle en Ukraine, où il se serait construit une vie satisfaisante avec un emploi stable dans le secteur de la construction.

Après avoir relevé que le ministre indiquait disposer d’informations suivant lesquelles le Sénégal ne serait pas confronté à une situation de conflit armé ou de violence endémique ni au risque grave d’une violation systémique ou généralisée des droits de l’Homme, il resterait toutefois en défaut d’apporter la moindre précision quant à la source et à la nature desdites informations.

Le demandeur estime que le refus d’octroi d’une protection temporaire découlerait d’une méconnaissance de la situation sécuritaire qui prévaudrait dans son pays d’origine, tout en donnant à considérer que des amis à lui auraient été victimes d’une violation endémique au Sénégal, sans que les auteurs de ces actes de violence n’aient été identifiés et poursuivis, de sorte qu’un retour dans ledit pays l’exposerait en tout état de cause à une situation de violence généralisée de nature à mettre gravement sa vie en danger.

En s’appuyant sur le point 24 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, le demandeur invoque une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », ainsi que de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », en ce que le refus de lui octroyer une protection temporaire l’exposerait in fine à un retour forcé vers son pays d’origine où sa vie serait mise en danger.

4En réponse à l’affirmation du ministre reprise dans sa décision du 18 novembre 2022 et selon laquelle il n’aurait présenté aucun élément nouveau à l’appui de son recours gracieux, Monsieur … avance qu’il lui serait impossible de produire des éléments nouveaux, alors qu’il n’aurait aucun lien de rattachement avec le Sénégal qu’il aurait quitté il y a plus de 9 ans où il ne serait, depuis lors, jamais retourné.

Il conclut que la décision ministérielle litigieuse résulterait d’une appréciation erronée de sa situation individuelle et réelle et qu’elle aurait été prise en méconnaissance des instruments juridiques précités.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

Le tribunal relève que la notion de « protection temporaire » est définie par l’article 2, point r) de la loi du 18 décembre 2015 comme « […] une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif ou d’afflux massif imminent de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire à ces personnes, notamment si le système d’asile risque également de ne pouvoir traiter cet afflux sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement, dans l’intérêt des personnes concernées et celui des autres personnes demandant une protection.

[…] ».

L’article 69 de la même loi dispose que « Le régime de protection temporaire est déclenché par une décision du Conseil de l’Union européenne prise dans les conditions définies par les articles 4 à 6 de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. ».

Il est constant en cause que dans sa décision d’exécution n° 2022/382 du 4 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne, après avoir constaté l’existence d’un afflux massif dans l’Union européenne de personnes déplacées qui ont dû quitter l’Ukraine en raison d’un conflit armé, a précisé les catégories de personnes pouvant bénéficier de la protection temporaire dans son deuxième article, dont les termes sont les suivants :

« […] 1. La présente décision s’applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d’Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l’invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date :

a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022;

b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui ont bénéficié d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022; et, c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b).

2. Les Etats membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l’égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré 5conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables.

3. Conformément à l’article 7 de la directive 2001/55/CE, les Etats membres peuvent également appliquer la présente décision à d’autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables. […] ».

Il ressort de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, et plus particulièrement de son troisième paragraphe, que les Etats membres peuvent étendre l’octroi d’une protection temporaire aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers qui étaient en séjour régulier en Ukraine sans y disposer d’un titre de séjour permanent en cours de validité, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables.

Tel qu’indiqué par le délégué du gouvernement dans ses écrits contentieux, le gouvernement luxembourgeois a pris, le 18 mars 2022, la décision d’appliquer l’article 2, paragraphe (3) de la décision du Conseil du 4 mars 2022 aux demandeurs de protection temporaire ressortissants de pays tiers en séjour régulier en Ukraine.

Ainsi, il se dégage de ces développements que, pour bénéficier d’une protection temporaire, le ressortissant de pays tiers doit démontrer (i) qu’il était en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022, à titre permanent ou temporaire, et (ii) qu’il n’est pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables.

Or, force est au tribunal de constater qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le demandeur remplit la première condition, à savoir qu’il était en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022.

En ce qui concerne la deuxième condition, à savoir le fait que le demandeur ne soit pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables, il échet de relever que dans sa communication du 21 mars 2022 relative aux lignes directrices opérationnelles pour la mise en œuvre de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, n° 2022/C 126 I/01, ci-après désignée par « la communication de la Commission du 21 mars 2022 », la Commission européenne a précisé (i) que l’incapacité de « retourner dans des conditions sûres » devait se fonder sur la situation générale dans le pays ou la région d’origine de la personne concernée et que celle-ci devait être en mesure de prouver et/ou de fournir des éléments attestant à première vue, au niveau individuel, qu’elle n’est pas en mesure d’y retourner, notamment en démontrant, par exemple, l’existence d’un risque évident pour sa sécurité, de situations de conflit armé ou de violence endémique, ou de risques documentés de persécution ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, et (ii) qu’un retour « durable » supposait que la personne concernée puisse jouir dans son pays ou sa région d’origine de droits actifs lui offrant la perspective d’y voir ses besoins fondamentaux satisfaits, ainsi que la possibilité d’être réintégrée dans la société, et qu’il y avait lieu de savoir si elle avait toujours un lien significatif avec son pays d’origine, en prenant en considération, par exemple, le temps de résidence passé en Ukraine ou l’existence d’une famille dans son pays d’origine. Elle a également souligné qu’il convenait de tenir dûment compte des besoins 6particuliers des personnes vulnérables et des enfants, notamment les mineurs non accompagnés et les orphelins, sur la base du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ainsi, il appartient au demandeur de démontrer qu’il ne peut pas retourner au Sénégal dans des conditions sûres et durables telles que précisées ci-avant.

A cet effet, Monsieur … fait valoir (i) la situation de violence endémique qui règnerait au Sénégal et dont des amis à lui auraient été victimes, sans que les auteurs de ces violences n’auraient été identifiés et poursuivis et (ii) un conflit familial en raison duquel aucun membre de sa famille ne serait prêt à l’accueillir et en raison duquel il craindrait que celle-ci s’en prenne à son intégrité physique, voire que la « malédiction » s’abatte sur lui, de sorte à ne plus avoir de lien avec son pays d’origine. Il ajoute encore craindre qu’un retour dans son pays d’origine mettrait en péril la continuité de sa vie professionnelle en Ukraine.

Concernant la crainte de Monsieur … de voir sa vie en danger en cas de retour au Sénégal, il y a lieu de relever que les affirmations, non autrement étayées ni sous-tendues par la moindre pièce, tels que des rapports internationaux, selon lesquelles un « retour […] au Sénégal l’exposera[it] en tout état de cause à une situation de violence généralisée de nature à mettre gravement sa vie en danger » alors que « des amis à lui [auraient] été victimes de cette violence endémique dans son pays d’origine sans que ces actes de violence [n’aient été] identifiés et poursuivis » ne sont, à défaut d’éléments concrets notamment quant aux auteurs et à la nature desdites violences, à elles seules pas suffisantes pour permettre au tribunal de conclure qu’il existerait dans son pays d’origine un risque évident pour sa sécurité, une situation de conflit armé ou de violence endémique, voire un risque général d’y subir des persécutions ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Par ailleurs, la Commission européenne a encore précisé, dans sa communication précitée, que « Lorsqu’une personne ne peut pas présenter les documents pertinents et que les États membres ne sont pas en mesure de déterminer rapidement si la personne concernée a droit à la protection temporaire ou à une protection adéquate en vertu du droit national, la Commission suggère de réorienter la personne vers la procédure d’asile. De même, les personnes qui déclarent ne pas pouvoir retourner en toute sécurité dans leur pays ou région d’origine, mais dont la procédure visant à déterminer le droit à la protection temporaire ou à une protection adéquate en vertu du droit national devient trop complexe, devraient en tout état de cause être réorientées vers la procédure d’asile »3.

Le tribunal est encore amené à constater que le demandeur ne démontre pas non plus (i) l’absence de perspective de voir ses besoins fondamentaux satisfaits au Sénégal - pays dans lequel il a vécu la majeure partie de sa vie - (ii) qu’il ne pourrait plus être réintégré dans la société sénégalaise et (iii) qu’il n’aurait plus aucun lien significatif avec son pays d’origine, le tribunal étant, à cet égard, amené à relever qu’un conflit familial et la crainte hypothétique de représailles de la part de sa famille, voire d’une « malédiction » dans son chef en raison dudit conflit sont, en tout état de cause et à défaut de toute autre précision, insuffisants pour retenir le contraire.

3 Commission européenne, communication du 21 mars 2022 relative aux lignes directrices opérationnelles pour la mise en œuvre de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, n° 2022/C 126 I/01, page 3.

7Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à constater que le demandeur n’apporte aucune preuve ou élément permettant de retenir qu’il ne peut pas retourner au Sénégal dans des conditions sûres et durables.

La deuxième condition cumulative pour l’obtention d’une protection temporaire n’étant pas remplie, le moyen du demandeur y afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à l’affirmation suivant laquelle la décision litigieuse l’« expose[rait] in fine […] à un retour forcé vers son pays d’origine alors que sa vie y sera mise en danger » et ce, en violation des articles 3 CEDH et 4 de la Charte, force est au tribunal de relever que si le demandeur a entendu invoquer une violation du principe de non-refoulement, il s’agit-là de considérations concernant l’exécution d’une éventuelle décision de retour dont il n’est pas saisi dans le cadre du recours sous analyse. Le moyen afférent encourt, dès lors, le rejet.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le ministre pouvait refuser, à bon droit, l’octroi d’une protection temporaire au demandeur, de sorte que le recours en annulation contre la décision ministérielle du 18 novembre 2022, confirmant la décision du 18 juin 2022, lui refusant ladite protection encourt le rejet pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

reçoit en la forme le recours principal en annulation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 6 mai 2024 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48565
Date de la décision : 06/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-05-06;48565 ?

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