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06/05/2024 | LUXEMBOURG | N°50317

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mai 2024, 50317


Tribunal administratif N° 50317 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50317 2e chambre Inscrit le 11 avril 2024 Audience publique du 6 mai 2024 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50317 du rôle et déposée le 11 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par la société à respon

sabilité limitée NCS AVOCATS SARL, établie et ayant son siège social à L-2430 Luxembour...

Tribunal administratif N° 50317 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50317 2e chambre Inscrit le 11 avril 2024 Audience publique du 6 mai 2024 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50317 du rôle et déposée le 11 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée NCS AVOCATS SARL, établie et ayant son siège social à L-2430 Luxembourg, 16, rue Michel Rodange, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B225706, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Aline Condrotte, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Madécoine du Nord), de nationalité macédonienne, et de sa compagne, Madame …, née le … à … (Serbie), de nationalité serbe, agissant en leur nom personnel ainsi qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, né le … à …, …, née le … à … et …, née le … à … (France), tous de nationalité serbe, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 27 mars 2024 de les transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de leurs demandes de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Pascale Millim en sa plaidoirie à l’audience publique du 29 avril 2024.

Le 5 décembre 2023, Monsieur … et Madame … introduisirent en leur nom personnel, ainsi qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-

après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section …, sur l’identité et l’itinéraire suivi par lui, sa compagne et leurs enfants pour venir au Luxembourg.

1 Une recherche effectuée à cette occasion par les autorités luxembourgeoises dans la base de données du système d’information Schengen (SIS) révéla que Monsieur … et Madame … font l’objet d’un signalement par les autorités françaises en relation avec une « Interdiction d’accès/séjour » dans ce pays. Il ressortit encore d’une recherche effectuée à cette même occasion dans la base de données EURODAC que les intéressés avaient introduit des demandes de protection internationale en France, en date du 7 mai 2019, respectivement du 14 octobre 2021, en Allemagne, en date du 27 juillet 2022, en Belgique, en date du 23 décembre 2022 et en Suisse, en date du 19 septembre 2023.

Le 11 décembre 2023, Monsieur … et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 21 décembre 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en vue de la reprise en charge de Monsieur …, de Madame … et de leurs enfants mineurs sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités le 4 janvier 2024.

Par décision du 27 mars 2024, notifiée aux intéressés par lettre recommandée expédiée le 29 mars 2024, le ministre informa Monsieur … et Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de ne pas examiner leurs demandes de protection internationale et de les transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 5 décembre 2023 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférés vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judicaire du 5 décembre 2023 et les rapports d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 11 décembre 2023.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale 2En date du 5 décembre 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

Madame, Monsieur, la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous, Madame, avez introduit une demande de protection internationale en France le 7 mai 2019 et vous, Monsieur, le 14 octobre 2021. Vous avez ensuite introduit tous les deux une demande en Allemagne en date du 27 juillet 2022, une demande en Belgique en date du 23 décembre 2022 et une demande en Suisse en date du 19 septembre 2023.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, des entretiens Dublin III ont été menés en date du 11 décembre 2023.

Sur cette base, des demandes de reprise en charge sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII ont été adressées aux autorités allemandes en date du 21 décembre 2023, demandes qui furent acceptées par lesdites autorités allemandes en date du 4 janvier 2024.

2.

Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la lai modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert 3Madame, Monsieur, il ressort en l'espèce des résultats du 5 décembre 2023 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous, Madame, avez introduit une demande de protection internationale en France le 7 mai 2019 et vous, Monsieur, le 14 octobre 2021. Vous avez ensuite introduit tous les deux une demande en Allemagne en date du 27 juillet 2022, une demande en Belgique en date du 23 décembre 2022 et une demande en Suisse en date du 19 septembre 2023.

Selon vos déclarations, Madame, Monsieur, vous auriez quitté la Serbie début 2021 pour la France munis de vos passeports serbe et macédonien pour introduire une demande de protection internationale. Vous y seriez restés pendant environ neuf mois à Clermont Ferrand, mais vous auriez quitté le pays parce que votre demande de protection internationale aurait été rejetée. Vous vous seriez ensuite rendus en Allemagne pour introduire une demande de protection internationale et seriez restés environ cinq mois à Bochum dans un foyer pour réfugiés. Votre demande ayant également été rejetée en Allemagne, vous auriez quitté l'Allemagne pour vous rendre en Belgique pour y introduire également une demande de protection internationale. En Belgique, vous auriez été en procédure Dublin et vous auriez été transférés vers l'Allemagne au bout de quatre mois.

Vous auriez ensuite séjourné dans différentes villes en Allemagne, en France et en Suisse. En Suisse, vous avez introduit une demande de protection internationale. Cependant, vous auriez quitté la Suisse sans attendre de réponse et auriez pris le train pour le Luxembourg, où vous seriez arrivés, selon vos dires, le 5 décembre 2023.

Madame, Monsieur, vous déclarez avoir quitté l'Allemagne parce que vous auriez été maltraités par des agents de sécurité.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 11 décembre 2023, Monsieur, vous avez mentionné que vous souffririez d'hépatite A et C et que vous auriez des problèmes avec votre colonne vertébrale et votre foie. Vous souffrirez également de problèmes psychiatriques.

Cependant, vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l'Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

4Par conséquent, l'Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence l'Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l'Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Madame, Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

5Pour l'exécution du transfert vers l'Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau aptes à être transférés. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2024, Monsieur … et Madame …, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’au nom et pour compte de leurs trois enfants mineurs, ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 27 mars 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent tout d’abord au ministre d’avoir refusé l’application de l’article 17 du règlement Dublin III, dont ils citent les dispositions, en faisant valoir que ce dernier n’aurait pas tenu compte de la situation particulière de Monsieur … qui serait caractérisée notamment par son état de santé puisqu’il souffrirait d’une hépatite A et C et de problèmes psychiatriques, de même qu’il aurait des problèmes avec sa colonne vertébrale et son foie. Ils font encore valoir qu’ils auraient quitté la Serbie en raison de leur situation économique extrêmement complexe dans ce pays qui les aurait empêchés de satisfaire à leurs besoins alimentaires, tout en retraçant le parcours qu’ils auraient suivi avant de venir au Luxembourg.

Ils soutiennent ensuite que l’application de l’article 17 du règlement Dublin III relèverait du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives et que ladite disposition conférerait un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres. Tout en se référant à la jurisprudence des juridictions administratives en la matière, les demandeurs font valoir que l’article 17 du règlement Dublin III trouverait application dans des situations particulières, notamment humanitaires, tel que ce serait le cas en l’espèce. A cet égard, ils insistent sur les problèmes de santé dont souffrirait le demandeur, ainsi que sur la minorité de leurs enfants dont ils affirment qu’ils ne pourront pas accéder à une scolarité normale en Allemagne.

Les demandeurs estiment qu’il serait également nécessaire de tenir compte de la réalité à laquelle ils se verraient confrontés en Allemagne suite au rejet de leurs demandes de protection internationale et plus particulièrement au risque d’une « expulsion du camp sans 6aide financière ni logement », respectivement de se retrouver dans une situation de dénuement total et sans assistance sociale.

Ils soutiennent enfin qu’en cas de transfert vers l’Allemagne, ils risqueraient que leurs demandes de protection internationale y soient à nouveau refusées ou rejetées et qu’en conséquence, ils soient renvoyés en Serbie ou en Macédoine.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la décision déférée serait à réformer.

En deuxième lieu, les demandeurs reprochent au ministre une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III en donnant plus particulièrement à considérer que compte tenu de la situation individuelle de Monsieur …, caractérisée plus particulièrement par ses problèmes de santé graves qui risqueraient de s’aggraver de manière irréversible en cas de transfert, ainsi que des conditions d’accueil et de la complexité de la procédure des demandes de protection internationale en Allemagne, leur transfert vers ce pays constituerait une violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« Charte »), ce d’autant plus que non seulement il existerait des doutes quant aux capacités des autorités allemandes à les accueillir et à fournir les soins nécessaires au demandeur, mais que, par ailleurs, leur transfert vers l’Allemagne accroîtrait les risques qu’ils soient reconduits vers la Serbie ou la Macédoine.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il y a lieu de relever que l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour reprendre en charge les demandeurs, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Il suit de cette disposition que l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale est obligé de reprendre en charge le suivi de cette demande dans 7l’hypothèse où le ressortissant de pays tiers ou l’apatride concerné a vu rejeter sa demande de protection internationale et a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer les demandeurs vers l’Allemagne et de ne pas examiner leurs demandes de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale serait l’Allemagne où les intéressés ont, tel que soutenu par eux-mêmes, infructueusement déposé des demandes de protection internationale et que les autorités allemandes ont accepté leur reprise en charge le 4 janvier 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de les transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner leurs demandes de protection internationale.

D’ailleurs, le tribunal relève que les demandeurs ne contestent pas la compétence de principe de l’Allemagne, ni, par conséquent, l’incompétence des autorités luxembourgeoises, mais qu’ils considèrent que leur transfert en Allemagne les exposerait, notamment en raison de l’état de santé de Monsieur … et de leur qualité de demandeurs de protection internationale déboutés, à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants dans ce pays, et qu’ils invoquent, à cet effet et en substance, une violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le tribunal relève ensuite que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Il convient, à cet égard, de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les demandeurs, mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit :

« Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection 8internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - corollaire de l’article 3 de la CEDH -, une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre1.

A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (« la Convention de Genève ») et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable –que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.

Dans un arrêt du 16 février 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 92.

2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

3 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

9l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.

Quant à la preuve à rapporter, en l’espèce, par les demandeurs, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.

En l’espèce, les demandeurs estiment que les défaillances systémiques graves en Allemagne résulteraient des « conditions d’accueil et [de] la complexité de la procédure des demandes de protection internationale » dans ledit pays, les intéressés exprimant plus particulièrement des doutes quant à la capacité de l’Allemagne de les accueillir et de fournir les soins nécessaires à Monsieur ….

Le tribunal se doit, à cet égard, de constater (i) que les demandeurs n’ayant plus la qualité de demandeurs de protection internationale depuis le refus définitif de leurs demandes de protection internationale en Allemagne, ils ne sauraient se prévaloir de l’existence de prétendues défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil desdits demandeurs de protection internationale dans ce pays pour contester leur transfert vers celui-ci et (ii) que de toute façon, lors de leurs entretiens Dublin III, ils n’ont fait état ni d’agissements qu’ils auraient personnellement subis de la part des autorités allemandes lors du traitement de leurs demandes de protection internationale et qui permettraient d’appuyer leur argumentation fondée sur l’existence dans ledit pays de défaillances systémiques, ni d’un 6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591 du rôle, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10 Ibid., pt. 92.

11 Ibid., pt. 93.

10traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte. Si les intéressés ont déclaré que la demanderesse aurait été frappée par un agent de sécurité en Allemagne alors qu’elle aurait été enceinte, ce fait isolé, certes condamnable, ne saurait toutefois s’analyser en un traitement inhumain ou dégradant au sens des dispositions conventionnelles prévisées.

S’agissant ensuite de la crainte alléguée des demandeurs de se retrouver, en cas de transfert vers l’Allemagne, sans aucune aide financière ou sociale, force est de constater que cette crainte n’est sous-tendue par aucun élément tangible. En effet, les demandeurs n’ont pas pris position par rapport aux conditions de vie minimales auxquelles ils pourraient prétendre en tant que demandeurs de protection internationale déboutés repris en charge par les autorités allemandes sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ni fourni d’indices concordants permettant de retenir qu’en cas de transfert en Allemagne, ils risqueraient d’être confrontés à des difficultés d’accueil atteignant un degré de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, tels qu’interprétés à la lumière de la jurisprudence de la CJUE.

A cet égard, il convient encore de préciser que la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), ci-après dénommée « la directive Accueil », prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs »12. L’article 20 de cette directive prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « a) abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue » ou encore « c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE », c’est-

à-dire une nouvelle demande de protection internationale « présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1 ».

De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III prévoit explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive Accueil.

Tel que relevé ci-avant, il est constant en cause que les demandeurs ont été déboutés de leurs demandes de protection internationale en Allemagne, cet Etat membre ayant accepté leur reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précité.

En cas de transfert vers l’Allemagne, ils devront, dans ces conditions, soit y être considérés comme des migrants en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en leur qualité de demandeurs d’asile déboutés 12 Considérant 25.

11comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeurs ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.

Le tribunal relève encore que la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, législation régissant les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au Luxembourg, s’applique à tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise, de sorte à exclure les demandeurs ayant formulé une « demande ultérieure », tandis que l’article 22 de la même loi permet au directeur de l’Office national de l’Accueil de limiter ou de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsque le demandeur a notamment déjà introduit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg.

Dès lors, le fait même de limiter ou de restreindre totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des migrants ayant quitté sans autorisation leur lieu d’hébergement ou ayant introduit une demande ultérieure après avoir essuyé un premier refus définitif à leur demande de protection internationale est autorisé tant par la législation européenne que, à titre de mise en perspective, par la législation nationale luxembourgeoise.

Ainsi, même à admettre que l’Allemagne ait adopté une politique visant à restreindre l’accès au système d’accueil à certaines catégories de personnes et notamment à celles y ayant déjà été définitivement déboutées de leur demande de protection internationale, une telle politique ne saurait s’analyser per se en un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Le tribunal relève encore qu’outre de ne pas fournir de précisions quant à la situation des personnes transférées en Allemagne dans le cadre du règlement Dublin III, les demandeurs n’invoquent pas non plus une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») relative à une suspension générale des transferts vers l’Allemagne, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« UNHCR »). Ils ne font pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant du UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Allemagne de ressortissants macédoniens ou serbes dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile allemande qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Les demandeurs restent, en tout état de cause, en défaut de rapporter la preuve que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en Allemagne ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient en Allemagne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que l’Allemagne est signataire de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions. Les demandeurs restent, par ailleurs, en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités allemandes n’auraient pas analysé correctement leurs demandes de protection internationale avant de les en débouter ou qu’en tant que demandeurs 12de protection internationale déboutés, ils n’auraient pas eu, respectivement n’auraient pas accès à la justice allemande pour, le cas échéant, faire valoir leurs droits.

A cela s’ajoute que, même à admettre que les demandeurs ne puissent pas accéder au système d’aide allemand - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents allemands -, il leur appartiendrait de faire valoir leurs droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates.

Pour ce qui est plus particulièrement des problèmes de santé du demandeur, le tribunal se doit de relever qu’outre le fait que les demandeurs n’expliquent pas de quels soins Monsieur … aurait concrètement besoin, ils n’établissent pas non plus que son état de santé, qui n’est documenté par aucune pièce, serait d’une gravité telle que son transfert vers l’Allemagne aurait des conséquences significatives et irrémédiables sur celui-ci. Ils ne font, à cet égard, qu’alléguer, sans fournir un quelconque élément concret, que le transfert « pourrait engendrer un risque irréversible pour sa santé, voire mettre sa vie en danger ».

A cet égard, le tribunal relève que dans son arrêt du 16 février 201713, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable, que les Etats membres liés par la directive Accueil sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats […] ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […]14 ». Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend 13 Affaire C-578/16.

14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.

13pas apte à un tel transfert […] »15.

Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée16.

Or, si le demandeur affirme être atteint d’une hépatite A et C, ainsi que souffrir de problèmes psychiatriques et de problèmes au dos et au foie, aucun élément soumis au tribunal ne permet de conclure à une gravité particulière de son état de santé faisant de lui une personne à risque, voire à des conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, et dont le ministre aurait dû avoir égard au moment de la prise de la décision.

D’autre part, même à admettre que son état de santé atteigne le niveau de gravité requis par la jurisprudence précitée, il ne se dégage d’aucun élément concret du dossier que le demandeur ne puisse pas bénéficier en Allemagne, en sa qualité de demandeur de protection internationale débouté, du traitement médicamenteux dont il pourrait avoir besoin. Par ailleurs, même à supposer qu’il ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale débouté, au système de santé allemand, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droits internes, voire devant les instances européennes adéquates.

En ce qui concerne enfin la crainte d’un refoulement indirect vers la Macédoine ou la Serbie, force est au tribunal de constater que les demandeurs restent en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un tel risque, ces derniers ne fournissant, en effet, pas d’éléments susceptibles de démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en les renvoyant dans un pays où leur vie, leur intégrité physique ou leur liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’ils risqueraient d’être forcés de se rendre dans un tel pays.

Dans ce contexte, le tribunal souligne que la décision déférée n’implique pas un retour au pays d’origine, mais désigne a priori uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement des demandes de protection internationale des intéressés, respectivement de ses suites, soit en l’espèce l’Allemagne, ce pays ayant, comme relevé ci-dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge les demandeurs.

Il convient ensuite de rappeler que l’Allemagne respecte a priori - les demandeurs ne fournissant aucun indice tangible permettant au tribunal d’en douter - en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions les droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que, plus 15 Ibidem, points 76 à 85 et point 96.

16 Ibidem, point 83.

14particulièrement, le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et que l’Allemagne dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés, le règlement Dublin III qualifiant d’ailleurs explicitement, en son considérant 3, les Etats membres comme pays sûrs respectant le principe de non-refoulement (« À cet égard, et sans affecter les critères de responsabilité posés par le présent règlement, les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement, sont considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de pays tiers ») : partant, les demandeurs pouvaient et pourraient encore le cas échéant se prévaloir des risques prétendument encourus dans leurs pays d’origine respectifs devant la justice allemande afin d’éviter leur éloignement.

Par ailleurs, il n’appert pas non plus que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant, tel que relevé ci-dessus, précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only ») : le règlement Dublin III cherchant en effet à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.

A cela s’ajoute que, si par impossible les autorités allemandes devaient quand même décider de rapatrier les demandeurs dans l’un de leurs pays d’origine en violation du principe de non-refoulement, il leur appartiendrait de faire valoir leurs droits directement auprès des autorités allemandes compétentes en usant des voies de droit adéquates17. Par ailleurs, même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait possible aux demandeurs de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités allemandes de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Au vu de tout ce qui précède et compte tenu des éléments soumis au tribunal, il échet de conclure que les demandeurs n’ont pas démontré que leur transfert vers l’Allemagne serait contraire aux articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, 3 de la CEDH et 4 de la Charte, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le moyen fondé sur l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », il y a lieu de préciser que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201718.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté 17 Voir article 26 de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte).

18CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

15qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge19, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration20.

En l’espèce, les demandeurs affirment que leur situation serait particulière et relèverait d’un cas humanitaire en raison (i) des problèmes de santé du demandeur, (ii) du risque de se trouver, suite au rejet de leurs demandes de protection internationale par les autorités allemandes, dans une situation de dénuement matériel total, sans aucune aide financière ou sociale et (iii) du risque d’être éloignés par lesdites autorités vers la Macédoine, respectivement la Serbie.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant que cet argumentaire ne permettait pas de conclure que leur transfert vers l’Allemagne était contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte et que d’autres considérations n’ont pas été mises en avant par les demandeurs sous cet aspect pour infirmer le constat afférent du tribunal, celui-ci conclut qu’il n’est pas non plus établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal retient que les motifs invoqués par les demandeurs ne sauraient s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférant encourt le rejet.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

19 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 (2e volet) et les autres références y citées.

20 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.

16Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Benoît Hupperich, juge, et lu à l’audience publique du 6 mai 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50317
Date de la décision : 06/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-05-06;50317 ?

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