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13/05/2024 | LUXEMBOURG | N°50072

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mai 2024, 50072


Tribunal administratif N° 50072 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50072 2e chambre Inscrit le 22 février 2024 Audience publique du 13 mai 2024 Recours formé par la société anonyme “A” SA, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50072 du rôle et déposée le 22 février 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Lione

l Noguera, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 50072 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50072 2e chambre Inscrit le 22 février 2024 Audience publique du 13 mai 2024 Recours formé par la société anonyme “A” SA, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50072 du rôle et déposée le 22 février 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Lionel Noguera, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme “A” SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’annulation de la décision d’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes du 22 janvier 2024 portant la référence … lui demandant de fournir des renseignements dans le cadre d’une demande d’échange de renseignements en matière fiscale suivant l’article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 mars 2024 ;

Vu l’ordonnance du président de la deuxième chambre du tribunal administratif du 19 mars 2024 autorisant chacune des parties à déposer un mémoire supplémentaire suite à la communication par la partie étatique des raisons avancées par l’autorité étrangère pour justifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés ;

Vu le mémoire supplémentaire de Maître Lionel Noguera déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2024, au nom de la société anonyme “A” SA, préqualfiée ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Lionel Noguera et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 avril 2024.

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Par courrier du 22 janvier 2024, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la société anonyme “A” SA, ci-aprèsdésignée par « la société “A” », de lui fournir pour le 27 février 2024 au plus tard, certains renseignements concernant cette même société, ladite injonction étant libellée comme suit :

« […] En date du 18 décembre 2023, l'autorité compétente de l'administration fiscale française nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La finalité fiscale de la demande est de vérifier la situation fiscale de la société “A” S.A. ayant son siège social à ….

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 7 mai 2013 au 31 décembre 2022, les renseignements et documents suivants pour le 27 février 2024 au plus tard.

- Veuillez indiquer s'il existe un contrat entre “A” S.A. ayant une adresse à …, France et “A” S.A., ayant son siège social à …, L-…. Dans l'affirmative,:

o Veuillez fournir le nom des personnes ayant signé le(s) contrat(s).

o Veuillez indiquer s'il s'agit d'un contrat oral conclu par les parties ou d'un contrat écrit signé par les parties. S'il s'agit d'un contrat écrit, veuillez indiquer la date et la référence du contrat.

o Veuillez indiquer comment le(s) paiement(s) a (ont) été effectué(s) :

• Paiement en espèces.

• Virement bancaire et veuillez indiquer si disponible :

o Le nom de la banque à partir de laquelle/vers laquelle le(s) paiement(s) a/ont été effectué(s) (y compris le code BIC).

o Le numéro du compte bancaire à partir duquel/sur lequel le(s) paiement(s) ont été effectués (code IBAN).

o Le nom du détenteur du compte à partir duquel/vers lequel le(s) paiement(s) a/ont été effectué(s).

• Carte de crédit.

• Transfert d'argent en ligne (p.ex.: Paypal).

• Autres.

o Veuillez fournir le(s) nom(s) de la (des) personne(s) qui a (ont) réellement effectué le (les) paiement(s).

2 o Veuillez fournir le(s) nom(s) de la (des) personne(s) qui a (ont) autorisé le (les) paiement(s).

− Veuillez fournir des copies de tous les documents pertinents relatifs au tiret précédent, ainsi que les documents suivants:

o Les conventions de services et les contrats signés avec des sociétés françaises.

o Les factures pour les clients français.

o Les écritures comptables.

o Une copie des procès-verbaux des assemblées générales.

o Une copie des baux commerciaux.

o Une copie des grands livres clients et fournisseurs.

o Une copie des factures clients et fournisseurs.

o Une copie des contrats clients et fournisseurs. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 février 2024, la société “A” a fait introduire un recours tendant à l’annulation de ladite décision du 22 janvier 2024 prise par le directeur.

1) Quant à la recevabilité du recours Le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours.

Aux termes de l’article 6 de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après désignée par « la loi du 25 novembre 2014 », « (1) Contre la décision d’injonction visée à l’article 3 paragraphe 3, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur de renseignements. […] ».

Il y a lieu de relever que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors, étant donné que la partie gouvernementale est restée en défaut de préciser dans quelle mesure le recours ne serait pas recevable, le moyen d’irrecevabilité afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

Il s’ensuit que le recours en annulation est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit selon les formes et délai prévus par la loi.

2) Quant au fond Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, la société demanderesse explique que le 23 mars 2023, l’administration française aurait entamé un contrôle ayant pris la forme de plusieurs perquisitions, dont deux effectuées à l’adresse sise à …, F-… en France, en vue, entre autres, de rechercher l’existence dans son chef d’un établissement stable en France. Elle précise que, dans le cadre de ces recherches, l’administration française aurait trouvé « en tout et pour tout douze pages de « Documents juridiques “A” », qu’elle a numérotées 6690 à 6701 », ce qui apparaîtrait comme étant excessivement peu pour fonder une quelconque présence en France d’une société de droit luxembourgeois qui existerait déjà depuis plus de dix ans. Elle continue en expliquant que malgré cela, l’administration française aurait poursuivi son opération de vérification qu’elle lui aurait directement notifiée par courrier du 11 septembre 2023 au Luxembourg, de même qu’à l’adresse de son prétendu établissement stable en France.

Or, il apparaîtrait déjà à la lecture de l’avis de vérification que l’administration française ferait comme si cet établissement stable existait alors même que tel ne serait pas le cas et qu’elle n’aurait pas avancé « la moindre preuve ou présomption de fait supplémentaire malgré une procédure inquisitoire conduite de manière extensive ». La société demanderesse est d’avis que l’action de l’administration française, en ce qu’elle se baserait sur la pure supposition de l’existence d’un établissement stable dans son chef, apparaîtrait comme peu respectueuse du principe de bonne foi dans l’exécution des traités internationaux et, en premier lieu, de la Convention fiscale entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg du 1er avril 1958, puis du 20 mars 2018, ci-après désignée par « la Convention », mais également du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE »), pris notamment en ses articles 45 et 55.

En droit, la société “A” conclut à l’annulation de la décision déférée en reprochant tout d’abord à l’autorité requise luxembourgeoise de ne pas avoir exercé à suffisance le contrôle lui imposé de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable des renseignements demandés par l’autorité requérante.

En effet, en l’espèce, l’absence de pertinence vraisemblable des renseignements demandés découlerait du libellé incompréhensible des différents renseignements demandés à travers la décision d’injonction déférée.

Après avoir cité les renseignements sollicités au premier tiret et relevé qu’il ne semblerait exister aucune société ou succursale du nom de « ”A” » immatriculée dans le département français de la …, de sorte qu’il y aurait lieu de présumer que l’administration ferait probablement référence à la société de droit luxembourgeois “A” SA, tout en « la visant aussi à … », la société demanderesse fait valoir que comme son siège social luxembourgeois ne serait pas contesté et même à supposer que l’établissement stable allégué par l’administration française existerait, celui-ci ferait alors partie intégrante de la société de droit luxembourgeois, sans constituer une personne morale distincte. Au vu de ces considérations, il serait difficilement concevable qu’elle puisse conclure un contrat avec elle-même, voire se faire des paiements à elle-même en ce qu’elle ne pourrait pas avoir d’obligations envers elle-même. La société demanderesse ajoute qu’au vu de la multitude d’autres personnes morales présentes ou recherchées par l’administration française à l’adresse sise à …, …, il lui serait impossible de déterminer par elle-même avec qui auraient été ou auraient dû être conclus le ou les contrats recherchés par l’administration française.

Comme il ne serait pas possible de comprendre le sens des renseignements demandés au premier tiret, il ne serait pas non plus possible de fournir les copies de tous les documents pertinents relatifs à celui-ci, tel que requis dans le deuxième tiret.

La société demanderesse continue en affirmant qu’à la lecture de la suite de la demande, il ne serait pas non plus clair si les documents à fournir, notamment les contrats et les factures, devaient être restreints à ceux conclus avec ou adressés à des cocontractants français, ou si tous les contrats et factures « clients et fournisseurs » seraient à communiquer.

Elle est, en tout état de cause, d’avis que l’exécution du contrôle de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable des renseignements demandés par l’autorité requérante auquel doit se livrer l’autorité requise impliquerait de pouvoir comprendre la nature des renseignements demandés sans se livrer à un exercice d’interprétation de formules juridiquement incorrectes ou contradictoires. Or, en l’espèce, les termes mêmes de la décision montreraient qu’un tel contrôle n’aurait pas été réalisé par l’administration, voire qu’il aurait été réalisé trop superficiellement.

La société demanderesse conclut par conséquent à l’annulation de la décision déférée en raison tant de son libellé obscur que du défaut de contrôle, par l’autorité requise, de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable que ledit libellé obscur révélerait par la même occasion.

En deuxième lieu, la société demanderesse invoque l’absence d’indice vraisemblable « de présence de “A” en France ».

Elle fait valoir que, sauf élément nouveau qui serait soulevé dans la demande de renseignements française, il devrait être admis que la décision d’injonction ne mentionnerait aucun fait, mis à part « l’affirmation gratuite d’une adresse en France démentie par les propres procès-verbaux de visite et de saisie de l’Administration française », permettant de supposer l’existence dans son chef d’un siège de direction effective, établissement stable ou autre ancrage fiscalement pertinent, voire d’une activité professionnelle de ses dirigeants en France.

Elle ajoute qu’il ne serait en outre ni établi ni même allégué par l’autorité française, voire par le directeur, que ses administrateurs auraient accompli de quelconques actes en France ni que quiconque l’aurait représentée en droit ou en fait sur le territoire français par l’effet d’une quelconque délégation de pouvoir. Il se dégagerait, au contraire, à suffisance des décisions et publications de leurs nominations que tous auraient été professionnellement actifs au Luxembourg tout au long de sa vie de société de droit luxembourgeois, sans avoir de lien particulier avec la … ou le … de la France.

Au vu de ces considérations, il devrait être retenu qu’aucun indice d’un siège de direction effective en France ni d’un établissement stable ou d’un agent dépendant ayant le pouvoir de conclure ne serait donné, la société demanderesse relevant, à cet égard, que la décision attaquée ne contiendrait d’ailleurs pas non plus de questions relatives au contrôle de ces points. Elle en conclut que si c’était effectivement elle-même qui était visée par la décision litigieuse, la pertinence vraisemblable des renseignements demandés, telle qu’exigée par la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, ci-après désignée par la « directive 2011/16 », manquerait totalement en fait puisque les renseignements demandés ne seraient pas de nature à établir ou à infirmer l’existence dans son chef d’un éventuel for fiscal en France.

La société demanderesse insiste sur le fait qu’il n’appartiendrait pas au destinataire de la décision d’injonction de suppléer aux carences de ses émetteurs. Elle ajoute que l’ancrage territorial qui sous-tendrait une éventuelle compétence d’imposition française ne pourrait résulter que de la satisfaction des conditions énoncées par la Convention, traité international bilatéral qui, par nature, viserait à être connu et interprété de façon uniforme par les autorités administratives et judiciaires des deux pays qu’il lie de façon égale. Elle souligne que les concepts de base de l’établissement stable, à savoir l’existence d’une installation fixe d’affaires ou d’un agent dépendant ayant le pouvoir de conclure, seraient réglés par la Convention et comme ces concepts seraient simples et bien délimités, le tribunal pourrait les appliquer aux fins de l’évaluation de l’existence d’un indice vraisemblable de sa présence en France, sans excéder le périmètre de contrôle limité qu’il est en droit d’exercer sur la demande de renseignements étrangère. Il s’agirait, en effet, de concepts essentiels à l’évaluation du lien effectif entre les renseignements demandés et le cas d’imposition individuel en cause.

La société demanderesse en conclut que l’absence d’un tel indice vraisemblable de sa présence en France serait justement « de nature à ébranler le contenu de la demande de renseignements étrangère en des volets essentiels de la situation à la base de la demande d’échange de renseignements et qui revien[draient] à affecter sérieusement la vraisemblance de la pertinence des informations sollicitées ». De ce fait, tant la demande française que la décision directoriale attaquée seraient à qualifier de « pêche aux renseignements », impliquant que la décision litigieuse serait à annuler dans cette mesure.

En troisième lieu, la société demanderesse fait valoir que la rédaction incohérente des premier et second tirets de la décision directoriale ferait obstacle à la compréhension de la finalité fiscale recherchée à travers le contrôle. Elle ajoute que la désignation des contribuables visés serait tout aussi lacunaire, tout en précisant que, par courrier du 22 janvier 2024, elle aurait également reçu une « seconde décision de la Direction des Contributions Directes – Division échange de renseignements, sous la référence … » à travers laquelle il lui serait demandé « des renseignements concernant M. …, qui en est l’actionnaire et le bénéficiaire économique depuis l’origine », renseignements auxquels elle serait en mesure de répondre « en pure opportunité et sans reconnaissance préjudiciable aucune », eu égard au fait que les questions y libellées seraient bien délimitées, claires et de portée restreinte.

Après avoir relevé (i) que l’épouse de Monsieur …, Madame …, serait imposée en commun avec son mari sur toute la période du contrôle, (ii) que les deux époux, de nationalité espagnole et résidents fiscaux français, exploiteraient des hôtels et résidences de montagne dans les stations de ski de …, … et … à travers plusieurs sociétés françaises dans lesquelles ils se répartiraient les tâches et responsabilités et (iii) qu’au cours de la longue période visée dans la décision attaquée, ils auraient également eu des associés investisseurs-tiers dans certaines des sociétés françaises, la société demanderesse fait valoir qu’il serait, au vu de ces considérations, possible que Madame … soit tout aussi concernée que son époux par la décision attaquée, par l’éventuel contrôle fiscal qui pourrait viser son époux en France, ainsi que par toutes les suites possibles d’une telle procédure. Or, tandis que Monsieur … ne serait pas mentionné dans la décision actuellement litigieuse, son épouse ne serait, quant à elle, mentionnée dans aucune des deux décisions lui adressées par le directeur, de même qu’il n’y aurait pas non plus de définition d’un groupe de contribuables conforme au vœu de l’article 6bis, alinéa (3) de la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-après désignée par « la loi du 29 mars 2013 », portant transposition de la directive 2011/16.

La société demanderesse est, en tout état de cause, d’avis que compte tenu (i) de l’existence d’une demande de renseignements incompréhensible, respectivement contradictoire, (ii) de l’absence d’un indice factuel susceptible de fonder une compétence d’imposition française et (iii) d’une identification lacunaire des contribuables concernés par la demande française et la décision litigieuse, il serait manifestement impossible de relier logiquement les demandes de renseignements formulées à travers la décision attaquée et le descriptif de la finalité fiscale poursuivie contenu dans la demande française, ainsi que dans la décision directoriale. A fortiori, il serait impossible de vérifier si ladite finalité fiscale permet de justifier l’appréciation par l’autorité française de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement reprend, tout d’abord, les informations factuelles fournies par les autorités fiscales françaises se trouvant à la base de la décision litigieuse du 22 janvier 2024 en précisant que le cas d’imposition visé par lesdites autorités porterait sur un contribuable déterminé, à savoir la société de droit luxembourgeois “A”, et non pas sur d’autres contribuables, personnes physiques, tel qu’affirmé par la société demanderesse.

Il précise que les autorités françaises auraient indiqué avoir mis en évidence un faisceau d’indices sérieux et concordants permettant de considérer que la société demanderesse disposerait en France d’un siège de direction effective, tandis que cette dernière se contenterait de contester l’existence de tels indices sans toutefois fournir un quelconque élément concret de nature à remettre en cause le contenu de la demande française en des volets essentiels de la situation factuelle ou juridique à la base de la demande et partant de nature à affecter la vraisemblance de la pertinence des renseignements demandés.

Le délégué du gouvernement souligne que les informations sollicitées présenteraient toutes un lien avec le cas d’imposition visé puisqu’elles concerneraient la société demanderesse et qu’elles permettraient de confirmer que celle-ci n’exerce aucune activité au Luxembourg. Il existerait de ce fait une possibilité raisonnable que les renseignements recherchés se révéleront pertinents pour la vérification fiscale menée par les autorités fiscales françaises. Tout en admettant que la formulation individuelle de certaines questions libellées dans la décision litigieuse était large, de sorte à potentiellement fournir à l’autorité requérante des informations concernant d’autres personnes que le contribuable visé, il n’en resterait pas moins qu’elles présenteraient toutes un lien avec la finalité fiscale poursuivie.

Au vu de ces considérations, il devrait être admis que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité compétente étrangère portant sur des informations n’apparaissant pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, à l’identité de la personne visée par la demande et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie.

Dans son mémoire supplémentaire, la société demanderesse maintient ses reproches tenant au libellé obscur de la décision d’injonction en insistant, d’un côté, sur l’obligation pesant sur l’administration des Contributions directes de diligenter, au vœu de l’article 6 de la loi du 29 mars 2013, une enquête administrative afin d’obtenir les informations demandées lorsqu’elle n’en dispose pas déjà et, de l’autre côté, sur l’obligation de ladite administration de coopérer positivement à la conformité et à la clarté de la demande de renseignements étrangère en notifiant notamment à l’autorité requérante les éventuelles lacunes constatées dans la demande, ainsi que, le cas échéant, la nécessité de fournir d’autres renseignements decaractère général. Elle souligne qu’en tant qu’autorité requise l’administration des Contributions directes serait soumise à la fois aux garanties procédurales de droit commun servant à la sécurité publique des contribuables et des tiers, et à une obligation positive de coopération envers l’autorité compétente.

La société demanderesse est, en tout état de cause, d’avis qu’en l’espèce, l’autorité requérante n’aurait pas fourni à l’autorité requise de manière intelligible « la spécification des informations nécessaires à l’administration ou à l’application de son droit national », sans que l’administration luxembourgeoise ne soit revenue vers ladite autorité pour demander des éclaircissements.

Elle estime qu’il faudrait se poser la question de savoir jusqu’où le détenteur des renseignements devrait aller pour tenter de comprendre « un libellé perclus de flottements sémantiques », tout en insistant sur le fait que lorsque l’administration des Contributions directes ne jugeait pas utile de s’acquitter de ses obligations procédurales lors de l’examen de la demande d’entraide, ni même de les réparer en cours de procédure, il n’appartiendrait pas au juge de l’annulation « de prendre la suite du contribuable dans un effort interprétatif ».

Pour toutes ces raisons, la décision d’injonction encourrait l’annulation.

Ensuite, la société demanderesse conteste qu’il puisse être affirmé que l’administration française dispose d’un faisceau d’indices sérieux et concordants permettant de considérer qu’elle dispose en France d’un siège de direction effective où se localisent principalement ses organes de direction, d’administration et de contrôle. Elle se réfère, à cet égard, aux opérations de visite et de saisie effectuées par l’administration française lesquelles n’auraient pas permis davantage de faire apparaître des indices « sérieux et concordants » en ce sens. A cela s’ajouterait que l’allégation suivant laquelle la société “A” serait une société domiciliée, sans salariés, serait inopérante étant donné que précisément « une activité de gestion de marque, comme une activité holding que “A” a par ailleurs également exercée durant la période sous examen » n’exigerait pas la mobilisation d’une force de travail nombreuse. Elle insiste encore sur le fait que Monsieur … n’aurait notamment jamais disposé d’un quelconque pouvoir ni même d’une autorisation de consultation sur ses comptes bancaires, tout en énumérant le nom des administrateurs qui auraient été valablement nommés et qui seraient seuls investis de ces pouvoirs aux termes de la documentation des comptes bancaires ouverts auprès de deux établissements bancaires luxembourgeois agréés par la Commission de surveillance du secteur financier. Elle précise, à cet égard, qu’elle percevrait tous les produits de son activité sur ses comptes ouverts au Luxembourg et qu’elle ne disposerait d’aucun compte bancaire en France.

Enfin, la société demanderesse réfute toute abstention fautive de communication de la part de son avocat des documents comptables ou commerciaux en faisant valoir que la position ainsi adoptée serait logique dans la mesure où elle n’admettrait pas la simple affirmation, par l’administration fiscale française, de son établissement en France et que ladite administration semblerait demander en un bloc indifférencié la totalité de ses pièces et écritures comptables, qu’elles aient ou non un lien avec le contrôle de l’existence d’un hypothétique établissement stable en France.

Dans son mémoire supplémentaire, la partie étatique réfute toute violation par l’administration des Contributions directes des principes de l’enquête administrative, voire le libellé obscur de la décision d’injonction litigieuse en affirmant que la régularité formelle de la demande étrangère aurait bien été vérifiée et que cette vérification aurait permis d’exclure,préalablement à la notification de la décision d’injonction, l’absence manifeste de pertinence vraisemblable.

Elle précise que les informations sollicitées dans la décision d’injonction présenteraient toutes un lien avec le cas d’imposition visé en ce qu’elles permettraient de confirmer que la société demanderesse n’exercerait aucune activité au Luxembourg. Les informations en cause seraient, par ailleurs, identifiables et délimitées en ce qui concerne la période et la personne visées, permettant ainsi à la société demanderesse de fournir les renseignements demandés s’ils sont disponibles.

Tout en concédant qu’il se dégage des procès-verbaux de visite et de saisie versés en cause que les autorités françaises n’avaient pas pu découvrir de documents relatifs à la fraude présumée de la société demanderesse dans divers locaux visités en France, la partie étatique est d’avis que ce constat ne permettrait pas de sérieusement ébranler le contenu de la demande française, mais confirmerait, au contraire, que les autorités françaises auraient épuisé leurs moyens de contrôle en France préalablement à l’envoi de la demande d’échange de renseignements.

Pour ce qui est des contestations en relation avec l’activité de la gestion de marque de la société demanderesse et des pouvoirs de l’actionnaire unique, notamment en termes d’accès sur les comptes bancaires de celle-ci, il s’agirait-là de contestations du volet procédural et au fond du cas d’imposition qui devraient être invoquées devant les autorités françaises compétentes pour connaître d’un recours contre une imposition défavorable fixée par l’autorité fiscale française. En tout état de cause, la société demanderesse resterait en défaut de fournir des éléments concrets de nature à remettre en cause le contenu de la demande française en des volets essentiels de la situation factuelle ou juridique à la base de la demande et donc de nature à affecter la vraisemblance de la pertinence des informations sollicitées.

Analyse du tribunal A titre liminaire, le tribunal constate que la demande d’échange de renseignements des autorités françaises ayant donné lieu à la décision d’injonction litigieuse est basée sur la directive 2011/16, tandis que la décision d’injonction du 22 janvier 2024, est, quant à elle, fondée sur la loi du 25 novembre 2014.

Dans la mesure où la Convention n’a pas été invoquée comme base légale et où dans les relations entre Etat membres de l’Union européenne, la directive 2011/16 prime les conventions préventives de doubles impositions conclues par deux d’entre eux, c’est la directive précitée, ensemble avec la loi du 29 mars 2013 ayant transposé son contenu en droit interne, qui constitue le cadre légal de référence par rapport à la décision d’injonction litigieuse.

Quant à la notion de pertinence vraisemblable, il échet de relever que l’article 6 de la loi du 29 mars 2013 dispose comme suit :

« A la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise luxembourgeoise lui communique les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne de l’Etat membre requérant relative aux taxes et impôts visés à l’article 1er, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives ».

La loi du 16 mai 2023 relative à l’échange automatique et obligatoire des informations déclarées par les Opérateurs de Plateforme, ci-après désignée par « la loi du 16 mai 2023 », a cependant ajouté à la loi du 29 mars 2013 un article 6bis libellé comme suit dans ses paragraphes (1) et (2) :

« (1) Aux fins d’une demande visée aux articles 5 et 6, les informations demandées sont vraisemblablement pertinentes lorsque, au moment où la demande est formulée, l’autorité requérante estime que, conformément à son droit national, il existe une possibilité raisonnable que les informations demandées soient pertinentes pour les affaires fiscales d’un ou plusieurs contribuables, identifiés par leur nom ou autrement, et justifiées aux fins de l’enquête.

(2) Dans le but de démontrer la pertinence vraisemblable des informations demandées, l’autorité requérante fournit au moins les informations suivantes à l’autorité requise :

a) la finalité fiscale des informations demandées ; et b) la spécification des informations nécessaires à l’administration ou à l’application de son droit national. […] ».

Cette disposition, introduite par ladite loi du 16 mai 2023 et entrée en vigueur le 1er juin 2023, constitue la transposition de l’article 1er, point 2) de la directive (UE) 2021/514 du Conseil du 22 mars 2021 modifiant la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-après désignée par « la directive 2021/514/UE », ayant notamment introduit l’échange automatique et obligatoire des informations détenues et déclarées par les Opérateurs de Plateforme, désignée communément comme « la directive DAC7 », ledit article 1er, point 2) ayant inséré dans la directive 2011/16 un article 5bis présentant exactement le même libellé dans ses paragraphes (1) et (2) que celui de l’article 6bis, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 mars 2013.

Au vœu du considérant n° (3) de la directive 2021/514/UE, cette disposition a été introduite dans la finalité suivante : « Afin d’assurer l’efficacité des échanges d’informations et de prévenir les refus injustifiés de demandes, tout en garantissant la sécurité juridique à la fois pour les administrations fiscales et les contribuables, il y a lieu de définir précisément et de codifier la norme de pertinence vraisemblable convenue au niveau international ».

Dans la mesure où la légalité de la décision d’injonction déférée doit être examinée, conformément aux développements ci-avant, sous l’empire de la directive 2011/16 et où la ladite décision a été prise par le directeur le 22 janvier 2024, soit après l’entrée en vigueur de l’article 6bis de la loi du 29 mars 2013, la question du respect de la condition de la pertinence vraisemblable des renseignements requis dans la décision d’injonction attaquée doit être examinée par rapport à cette nouvelle définition de ladite condition.

L’article 3 de la loi du 25 novembre 2014 dispose encore que : « (1) L’administration fiscale compétente vérifie la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements.

La demande d’échange de renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de la base juridique et de l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les Conventions et lois.

L’administration fiscale compétente s’assure que les renseignements demandés ne sont pas dépourvus de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité de la personne visée par 10 la demande d’échange de renseignements et à celle du détenteur des renseignements ainsi qu’aux besoins de la procédure fiscale en cause. […] ».

Il résulte des dispositions précitées que l’administration fiscale compétente doit, d’une part, vérifier la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements et, d’autre part, s’assurer que les renseignements demandés ne sont pas dépourvus de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et à celle du détenteur des renseignements, ainsi qu’aux besoins de la procédure fiscale en cause.

Concernant la notion de la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités par l’autorité étrangère et plus particulièrement la nouvelle définition du critère de la pertinence vraisemblable telle que découlant de l’article 6bis, paragraphe (1) de la loi du 29 mars 2013, la Cour administrative a eu l’occasion de retenir dans un arrêt récent1 que si le libellé de l’article 6bis, paragraphe (1) de la loi du 29 mars 2013 pouvait a priori être lu en ce sens que la pertinence vraisemblable des renseignements dépendrait de la seule appréciation de l’autorité requérante et de sa seule affirmation d’une possibilité raisonnable de l’existence de la pertinence de ces renseignements, il ne faudrait pas perdre de vue que conformément aux enseignements de la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE »), découlant de ses arrêts des 16 mai 20172 et 6 octobre 20203, ce critère de la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités doit être qualifié de condition de validité d’une demande d’échange de renseignements et de la décision d’injonction émise à sa suite. La Cour administrative a, dans ce contexte, rappelé que la CJUE avait également jugé que le détenteur de renseignements destinataire d’une décision d’injonction doit, dans l’exercice utile de son droit découlant de la protection contre des interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique dans sa sphère privée, se voir reconnaître, conformément à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le droit d’invoquer devant un juge l’absence de conformité d’une décision d’injonction qui en résulte. Elle a encore relevé que, tout en reconnaissant que l’autorité requérante détient une marge d’appréciation pour évaluer la pertinence vraisemblable des informations demandées à l’autorité requise, si bien que l’étendue du contrôle de cette dernière en serait d’autant limitée, la CJUE avait néanmoins exigé que l’autorité compétente de l’Etat requis et, à sa suite, le juge saisi d’un recours dans l’Etat requis devraient vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaîtraient pas, de manière manifeste, être dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie.

Sur base de ces considérations, la Cour administrative a déduit de cette nouvelle définition du critère de la pertinence vraisemblable et des exigences découlant du respect des droits fondamentaux que le juge luxembourgeois doit vérifier si le descriptif de la finalité fiscale poursuivie, tel que fourni par l’autorité requérante d’un autre Etat membre, est suffisant pour justifier que son appréciation quant à l’existence d’une possibilité raisonnable de pertinence des renseignements sollicités et spécifiés dans la demande par rapport à l’objet fiscal de l’enquête en cours à l’égard d’un ou de plusieurs contribuables identifiés ne soit pas 1 Cour adm., 13 février 2024, n° 49865C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

2 CJUE (grande chambre), 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund SA c. directeur de l’administration des Contributions directes, C-682/15.

3 CJUE (grande chambre), 6 octobre 2020, Etat luxembourgeois c. B et Etat luxembourgeois c. B. e. a., affaires jointes C-245/19 et C-246/19, considérant n° 116.manifestement infondée. Elle en a encore conclu qu’une décision d’injonction était dès lors à qualifier de « pêche aux renseignements » si elle est fondée sur une demande d’échange de renseignements dont le descriptif de la finalité fiscale poursuivie ne permet manifestement pas de justifier l’appréciation de l’autorité requérante quant à l’existence d’une possibilité raisonnable de pertinence des renseignements concrètement sollicités par rapport à l’objet de l’enquête et à l’identité du ou des contribuables visés.

Au vu des considérations qui précèdent, il doit être admis qu’en ce qui concerne le rôle du tribunal saisi d’un recours en annulation contre une injonction de communiquer des renseignements, celui-ci est circonscrit par une triple limitation, à savoir, premièrement, celle découlant de sa compétence limitée de juge de l’annulation, deuxièmement, celle découlant du fait que la décision directoriale repose à la base sur la décision d’une autorité étrangère, dont la légalité, le bien-fondé et l’opportunité échappent au contrôle du juge luxembourgeois et, troisièmement, celle du critère s’imposant tant au directeur qu’au juge administratif, à savoir celui de la « pertinence vraisemblable ». En ce qui concerne ce dernier critère, il y a lieu de relever que si le juge de l’annulation est communément appelé à examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ce contrôle doit, en la présente matière, être considéré comme plus limité, puisque le juge doit, tel que relevé ci-avant, se limiter à vérifier si le descriptif de la finalité fiscale poursuivie, tel que fourni par l’autorité requérante d’un autre Etat membre, est suffisant pour justifier que l’appréciation de ladite autorité quant à l’existence d’une possibilité raisonnable de pertinence des renseignements sollicités et spécifiés dans la demande par rapport à l’objet fiscal de l’enquête en cours à l’égard d’un ou de plusieurs contribuables identifiés ne soit pas manifestement infondée. Comme la CJUE a rappelé, à cet égard, que l’autorité requise ne possède en général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l’Etat requérant et qu’il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance4, un demandeur ne saurait être admis à apporter la preuve, au cours de la phase contentieuse, que les explications soumises par l’Etat requérant reposent sur des faits inexacts, puisque cette faculté imposerait, en effet, au tribunal de se livrer à un contrôle de la matérialité des faits à la base de la demande de renseignements de l’autorité étrangère. Or, ce débat doit être porté devant les autorités compétentes de l’Etat requérant. Il n’appartient pas non plus au directeur, et corrélativement au tribunal, d’examiner, d’après le droit de l’Etat requérant, la situation fiscale du contribuable visé dans l’Etat requérant, cette compétence et les contestations afférentes relevant des seules autorités de l’Etat requérant.

Il n’est fait exception à cette limitation du rôle du juge luxembourgeois que dans les hypothèses où la personne ayant recouru contre une décision directoriale d’injonction de fournir des renseignements soumet en cause des éléments circonstanciés qui sont de nature à ébranler le contenu de la demande de renseignements étrangère en des volets essentiels de la situation à la base de la demande d’échange de renseignements et qui reviennent ainsi à affecter sérieusement la vraisemblance de la pertinence des informations sollicitées ou d’autres conditions posées à un échange de renseignements, dont celle relative à l’épuisement des sources d’informations internes5.

En l’espèce, le tribunal constate que tant dans la décision d’injonction du 22 janvier 2024 que dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, les informations concernant l’identité du contribuable visé, à savoir la société demanderesse, nommément désignée, et concernant la finalité fiscale des renseignements demandés, à savoir la vérification de la situation fiscale de celle-ci - l’objectif de la demande d’échange de renseignements 4 Arrêt Berlioz, considérant n° 77.

5 Cour adm., 27 mai 2014, n° 34291C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1529 et les autres références y citées. litigieuse étant de voir confirmer les soupçons de l’autorité requérante que le contribuable visé n’exerce aucune activité au Luxembourg mais qu’il dispose, en France, d’un siège de direction effective -, ont été fournies. La demande renseigne, par ailleurs, que l’autorité française a épuisé, dans son pays, toutes les sources habituelles de renseignements à sa disposition pour obtenir les renseignements requis.

D’un point de vue formel, il y a dès lors lieu d’admettre que la demande de renseignements répond aux exigences légales.

En ce qui concerne l’existence d’une possibilité raisonnable que les renseignements recherchés à travers la demande étrangère se révèleront pertinents pour la vérification fiscale menée par les autorités fiscales françaises, il y a lieu de constater que lesdites autorités ont précisé dans leur demande d’échange de renseignements que suite à une procédure du droit de visite et de saisie effectuée en France, elles seraient en train de procéder à la vérification de la comptabilité du contribuable visé, en l’occurrence, la société demanderesse, sur la période allant du 7 mai 2013 au 31 décembre 2022. La demande renseigne, à cet égard, que la société “A”, qui déclarerait être une société de droit luxembourgeois, a été constituée le 7 mai 2013, que son siège social est situé à … auprès d’une société de domiciliation et que son actionnaire unique est Monsieur …, résident en … et fiscalement domicilié en France. La demande des autorités françaises procède ensuite à une description de l’affaire, en expliquant que les documents obtenus dans le cadre de la procédure du droit de visite et de saisie en France mettraient en évidence un faisceau d’indices sérieux et concordants permettant de considérer que la société “A” disposerait en France d’un siège de direction effective où se localisent principalement les organes de direction, d’administration et de contrôle de la société. Elle renseigne encore que la société en question ne dispose d’aucun salarié sur la période soumise au contrôle, que ses administrateurs sont des salariés de la fiducie et qu’elle ne dispose pas non plus d’un numéro de téléphone ou d’une adresse électronique. Elle indique également que l’enquête menée en France avait permis de constater que certains documents administratifs avaient été signés en France par l’associé unique et que le suivi de l’activité semblait être réalisé depuis la France. Enfin, il est indiqué dans la demande qu’à ce jour, la société “A”, représentée par un avocat, ne communiquerait aucun document comptable ou commercial et que l’associé unique de celle-ci n’avait pas pu être questionné par le service compétent.

Il y a, dès lors, lieu de relever qu’en substance, les autorités fiscales françaises justifient la demande de renseignements par l’affirmation qu’un contrôle fiscal opéré en France, non contesté par la société demanderesse, avait permis de découvrir des indices sérieux et concordants de nature à soupçonner que la société demanderesse disposerait en réalité d’un siège de direction effective en France, et sur base de ce constat, elles demandent outre des renseignements fiscaux généraux, des informations en relation avec les transactions commerciales réalisées par ladite société au Luxembourg, le tout afin de déterminer si, au cours de la période visée, elle a réellement exercé des activités au Luxembourg.

Au vu des considérations qui précèdent, un premier constat s’impose, à savoir que les renseignements demandés à travers la décision déférée au tribunal visent de manière incontestable à vérifier la situation fiscale de la société “A” et non pas celle d’autres contribuables, personnes physiques, de sorte que le reproche suivant lequel « la désignation des contribuables visés [serait] […] lacunaire », respectivement que ladite demande concernerait en réalité également l’actionnaire unique, Monsieur …, « voire un groupe potentiellement plus large de contribuables que l’Administration françaises ne s’est pas donné 13 la peine de définir, se cantonnant à la seule mention de “A” », est d’ores et déjà à rejeter pour manquer de fondement.

Par ailleurs, au vu de la formulation de la demande d’échange de renseignements litigieuse, et plus particulièrement du descriptif de la finalité fiscale poursuivie, ainsi que des renseignements demandés par rapport à l’objet de l’enquête menée, c’est également à tort que la société demanderesse critique le fait que l’administration des Contributions directes n’aurait pas été mise en mesure de comprendre la nature des renseignements demandés « sans se livrer à un exercice d’interprétation de formules juridiquement incorrectes ou contradictoires », de sorte à concrètement lui reprocher de ne pas avoir pu correctement vérifier, sur base des seules informations mises à sa disposition par l’autorité requérante, l’absence manifeste de pertinence vraisemblable des renseignements demandés et d’avoir a fortiori pris une décision pêchant par son libellé obscur.

Il est à cet égard rappelé que « […] compte tenu du mécanisme de coopération entre autorités fiscales établi par la directive 2011/16, lequel, ainsi qu’il ressort des considérants 2, 6 et 8 de la directive 2011/16, repose sur des règles destinées à instaurer la confiance entre les États membres, permettant une coopération efficace et rapide, l’autorité requise doit en principe faire confiance à l’autorité requérante et présumer que la demande d’informations qui lui est soumise est à la fois conforme au droit national de l’autorité requérante et nécessaire aux besoins de son enquête. L’autorité requise ne possède en général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l’État requérant, et il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance (voir, en ce sens, arrêt du 13 avril 2000, W.N., C‑420/98, EU:C:2000:209, point 18). En tout état de cause, l’autorité requise ne saurait substituer sa propre appréciation de l’utilité éventuelle des informations demandées à celle de l’autorité requérante. […] »6.

De son côté, la société demanderesse reste en défaut de fournir des éléments concrets de nature à remettre en cause le descriptif de la finalité fiscale poursuivie par l’autorité requérante française en des volets essentiels de la situation factuelle ou juridique à la base de la demande étrangère.

En effet, pour ce qui est des affirmations de la société demanderesse suivant lesquelles la gestion de sa marque n’exigerait pas la mobilisation d’une force de travail nombreuse, que ses administrateurs auraient tous été professionnellement actifs au Luxembourg, voire que son actionnaire unique n’aurait pas eu accès à ses comptes bancaires, contrairement à d’autres administrateurs, ou encore que Monsieur … n’aurait pas fait l’objet d’une demande de renseignements ou de convocation pour une audition en France, celles-ci ont trait à des considérations factuelles, voire au bien-fondé de la procédure fiscale en France. Or, un tel examen de la situation fiscale du contribuable visé dans l’Etat requérant excèderait le rôle et les pouvoirs du tribunal dans le cadre du présent recours en annulation, tel qu’il a été décrit ci-

avant. En effet, l’application et l’interprétation de la législation fiscale française relèvent de la seule compétence de l’autorité requérante française, de sorte qu’il n’appartient pas au tribunal de remettre en question les constatations effectuées par l’autorité requérante conformément à son droit interne. Par ailleurs, et en tout état de cause, le rôle du tribunal saisi d’un recours en la présente matière est, tel que décrit ci-dessus, circonscrit notamment par la limitation que la décision directoriale repose à la base sur la décision d’une autorité étrangère, dont la légalité, le bien-fondé et l’opportunité échappent au contrôle du juge luxembourgeois. Il n’appartient 6 CJUE, 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund SA c. directeur de l’administration des Contributions directes, C-

682/15, point 77.dès lors pas à l’autorité luxembourgeoise et, de ce fait, au juge luxembourgeois de contrôler la légalité de la décision à la base de la décision faisant l’objet du présent recours, respectivement de vérifier la conformité au droit interne français des opérations fiscales et enquêtes menées en France, tel que le suggère la société demanderesse, ceci étant une question de droit relevant de la compétence de l’administration fiscale française, ainsi que des juridictions françaises.

Au vu des considérations qui précèdent, les contestations en relation avec le caractère insuffisant du descriptif de la finalité fiscale poursuivie par l’autorité requérante et des informations nécessaires à cette fin sont dès lors à rejeter in globo pour manquer de fondement.

En tout état de cause, au regard du descriptif de la demande formulée par les autorités fiscales françaises et de la finalité étayée des informations qu’elles souhaitent collecter par le biais des autorités luxembourgeoises, à savoir déterminer si la société demanderesse n’a en réalité exercé, au cours de la période visée par son enquête, aucune activité au Luxembourg, le tribunal est amené à retenir qu’il existe une possibilité raisonnable que les informations sollicitées par l’autorité requérante française se révèleront pertinentes pour la vérification fiscale menée par elle.

En effet, il y a lieu de relever que la notion conventionnelle de siège de direction effective vise le lieu où l’assemblée générale de la société se tient, où se réunissent ses conseils d’administration, où sa comptabilité est tenue et où la politique est mise en œuvre7. Les commentaires de l’Organisation de coopération et de développement économiques offrent encore un certain nombre de lignes directrices en retenant comme critère pour résoudre un conflit de résidence notamment les lieux de réunion des organes de gestion, l’endroit où est basé le président directeur général ou l’administrateur-délégué de la société, où sont situés les principaux bureaux, le pays de constitution, le lieu de tenue de la comptabilité et l’endroit où la plupart des décisions de gestion sont prises8. Force est encore au tribunal de relever que la question de résidence des sociétés est intimement liée à celle de leur substance. En effet, faute de substance suffisante, une société risque de ne pas être reconnue comme véritablement résidente de son Etat de résidence et la constitution de cette société pourra être jugée abusive9.

Or, l’ensemble des questions posées dans la décision d’injonction présentent un lien avec le cas d’imposition visé dans la mesure où elles permettent de déterminer si le contribuable visé a une substance suffisante au Luxembourg, respectivement à clarifier l’existence ou non d’une activité réelle dans ce même pays par référence plus particulièrement à la détermination géographique du lieu de gestion journalière et/ou de l’endroit où sont prises les décisions stratégiques et où la comptabilité est tenue. Ces mêmes questions, même si elles ne désignent pas individuellement les documents requis, sont identifiables et délimitées en ce qui concerne l’identité du contribuable visé par l’enquête à l’origine de la demande étrangère, la période couverte par cette enquête, l’identité de la personne qui est détentrice des informations concernant des contrats, facturations et des paiements conclus, émis, reçus ou effectués pendant cette période, ainsi que la condition d’un lien avec le contribuable en cause10, de sorte à permettre d’en tirer des conclusions sur la substance du contribuable visé au Luxembourg. Il n’est, à cet égard, plus particulièrement pas requis que l’autorité requérante française fournisse plus de preuves de l’existence d’un siège de direction effective en France. Il suffit, en effet, qu’il existe, sur base d’informations vérifiables, un indice vraisemblable en ce sens. Au regard 7 En ce sens Jean Schaffner, Droit fiscal international, Promoculture-Larcier, n°61, p.105.

8 Ibid., n°62, p.107 9 Ibid., n°63, p.108.

10 Cour adm., 12 janvier 2021, n° 41486Ca du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1519.des explications fournies en l’espèce, le tribunal est amené à retenir l’existence d’indices suffisants à cet égard. Ce constat n’est pas ébranlé par la circonstance que, suivant les procès-

verbaux de visite et de saisie, versés en cause par la société demanderesse, les autorités françaises n’ont pas pu découvrir de documents relatifs à la fraude présumée de ladite société dans les différents locaux visités en France, ce constat, confirmant, au contraire, tel que le relève la partie étatique, que les autorités françaises ont bien épuisé leurs moyens de contrôle en France avant de s’adresser à leurs homologues luxembourgeois.

La conclusion suivant laquelle il existe une possibilité raisonnable que les informations sollicitées par l’autorité requérante française se révèleront pertinentes pour la vérification fiscale menée par les autorités françaises n’est pas ébranlée par la circonstance que les questions contenues dans la décision d’injonction sont formulées de manière large dans la mesure où, tel que retenu ci-avant, elles présentent toutes un lien avec la finalité fiscale poursuivie. Il en va de même des contestations de la société demanderesse dirigées concrètement contre les renseignements sollicités au premier tiret. En effet, il est clairement indiqué sous le premier tiret de la décision d’injonction que ce n’est qu’en cas d’existence d’un « contrat entre “A” S.A. ayant une adresse à …, France et “A” S.A., ayant son siège social à … », donc sous réserve de disponibilité d’un tel contrat, que les renseignements et informations demandés sous ce tiret sont à fournir. Pour ce qui est des renseignements demandés dans le second tiret, s’ils visent à identifier, d’un côté, de manière générale les transactions commerciales effectuées par le contribuable visé pendant la période en cause et, de l’autre côté, plus spécifiquement les relations commerciales avec des clients français, il ne saurait être déduit une contradiction de nature à ébranler le caractère pertinent des renseignements demandés pour la vérification fiscale en cause puisque tous ces renseignements s’inscrivent dans la finalité fiscale de déterminer si le contribuable visé a réellement exercé, au cours de la période visée, une activité au Luxembourg.

Au vu des considérations qui précèdent, il existe une possibilité raisonnable que les renseignements recherchés se révéleront pertinents pour la vérification fiscale menée par les autorités fiscales françaises, de sorte que la demande d’échange de renseignements française répond à l’exigence du caractère vraisemblablement pertinent des renseignements demandés par rapport à l’identité du contribuable visé et l’objet de l’enquête en cours en France. La décision d’injonction se fonde dès lors sur une demande suffisamment motivée de l’autorité compétente française.

Le recours sous analyse est par conséquent à rejeter comme étant non fondé.

Compte tenu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la société demanderesse tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000.-

euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure telle que sollicitée par la société anonyme “A” SA ;

condamne la société anonyme “A” SA aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 13 mai 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50072
Date de la décision : 13/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-05-13;50072 ?

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