Tribunal administratif Numéro 47957 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47957 3e chambre Inscrit le 20 septembre 2022 Audience publique du 14 mai 2024 Recours formé par Madame …, … (Chine), contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47957 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 septembre 2022 par Maître Cédric SCHIRRER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Chine), demeurant à … (Chine), ayant élu domicile à l’étude de Maître Cédric SCHIRRER préqualifié, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 juillet 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons privées, ainsi que d’un regroupement familial, sinon une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de son époux, Monsieur …, né le … à … (Chine), tous les deux de nationalité chinoise et demeurant à la même adresse ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en sa plaidoirie à l’audience publique du 7 mai 2024.
Par courrier de son litismandataire daté du 15 mars 2022, Madame …, de nationalité chinoise, sollicita une autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ». Par ce même courrier du 15 mars 2022, elle introduisit également dans le chef de son époux, Monsieur …, une demande de regroupement familial et une autorisation de séjour pour raisons privées, sur base des articles 69 et 78, paragraphe (1), point b) de la même loi.
Par décision du 25 juillet 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », refusa de faire droit à la demande d’autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de Madame … ainsi que d’un regroupement familial, sinon d’une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de son époux, ladite décision étant motivée comme suit :
« […] Je me réfère à votre courrier du 21 mars 2022 reprenant l’objet sous rubrique.
1 Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
Le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources conformément à l’article 78, paragraphe (1) point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Les ressources du demandeur sont évaluées par rapport à leur nature et leur régularité en application de l’article 7 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008 précitée.
En ce qui concerne les avoirs en banque de votre mandante de ….- CNY auprès de la « China Merchants Bank », je me permets d’attirer votre attention sur le fait que ces sommes sont placées en Chine et qu’il n’est donc pas prouvé qu’elles sont immédiatement accessibles et disponibles au Luxembourg.
Il est par ailleurs de notoriété publique que les standards en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme applicable en Chine diffèrent de ceux applicables au sein de l’Union européenne, de sorte que la légitimité de la provenance des fonds en question est, pour le moins, sujette à caution.
Votre mandante perçoit par ailleurs un loyer de propriété située en Chine. Ce revenu ne peut cependant ni être considéré comme disponible, voire immédiatement accessible étant donné qu’il est viré sur un compte bancaire à l’étranger. La régularité des ressources n’est ainsi pas garantie.
Par ailleurs, votre demande ne me permet pas non plus de conclure que votre mandante entretient un lien particulier avec le Luxembourg. Le motif de cette demande d’autorisation de séjour temporaire reste donc pour le moins, sujette à caution.
Au vu de ce qui précède et étant donné qu’il n’y a pas de regroupant disposant d’un titre de séjour permettant de demander le regroupement familial, je ne peux pas non plus donner de suite favorable à votre demande de regroupement familial dans le chef de Monsieur ….
À titre subsidiaire, il n’est pas prouvé que votre mandante ou son conjoint prouvent les conditions afin de bénéficier d’une autorisation de séjour à d’autres fins dont les différentes conditions sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août précitée.
Par conséquent l’autorisation de séjour est refusée à Madame … et à son conjoint, Monsieur … sur base de l’article 101, paragraphe (1) point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 septembre 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre du 25 juillet 2022.
Aucune disposition légale n’instaurant de recours au fond en matière d’autorisations de séjour et de regroupement familial, le tribunal est valablement saisi du recours en annulation introduit contre la décision précitée du ministre du 25 juillet 2022, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, Madame … indique être de nationalité chinoise et résider actuellement avec son époux en Chine, avant de reprendre les rétroactes tels que présentés ci-avant.
En droit, après avoir cité l’article 78, paragraphes (1), point a) et (2) de la loi du 29 août 2008, ainsi que l’article 7 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommé le « règlement grand-
ducal du 5 septembre 2008 », la demanderesse explique que le législateur aurait créé l’autorisation de séjour pour raisons privées dans le but d’attirer des fortunes étrangères. Elle ajoute que le pouvoir exécutif aurait fait preuve d’une volonté d’étendre le titre de séjour pour raisons privées en soumettant les personnes qui en feraient la demande à la seule condition financière qu’elles aient, comme ressources, au moins le salaire social minimum d’un travailleur non qualifié. Elle reproche, à cet égard, à l’administration d’avoir « machinalement » refusé toute demande d’autorisation de séjour pour raisons privées depuis avril 2020.
En renvoyant à un arrêt de la Cour administrative du 16 décembre 2021, inscrit sous le numéro 46467C du rôle, Madame … fait plaider que la Cour aurait clarifié les conditions pour l’obtention d’une autorisation de séjour pour raisons privées en retenant que ces conditions seraient purement financières, sans qu’il ne soit nécessaire de prouver des attaches ou des liens forts avec le Luxembourg, que l’administration aurait une obligation de collaboration active avec l’administré en vue de clarifier les doutes, que toute ressource financière devrait être prise en compte par l’administration, y compris celle se trouvant à l’étranger et qu’il n’existerait pas de « présomption d’opération de blanchiment » du seul fait de l’existence de fonds sur un compte bancaire se trouvant en Chine. Elle en conclut que lorsqu’un demandeur prouverait qu’il dispose de ressources financières suffisantes pour ne pas devenir une charge pour l’Etat luxembourgeois, il devrait se voir octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées.
Elle estime d’ailleurs que la véritable raison du refus d’octroyer une telle autorisation se trouverait dans le fait que l’administration ne souhaiterait plus accueillir « ce type » d’immigration, s’étant rendue compte qu’un nombre important de personnes serait susceptible de remplir les conditions prévues par l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008, ce qui se reflèterait à travers le projet de loi n° 7954 déposé le 19 janvier 2022 visant à modifier ledit article en rendant plus restrictives les conditions d’octroi d’autorisations de séjour pour raisons privées, qui seraient désormais limitées aux personnes pouvant vivre de leurs ressources, à condition que celles-ci proviennent d’une activité professionnelle exercée dans un autre pays de l’Union européenne ou de l’espace Schengen ou si elles perçoivent une pension du Luxembourg ou de l’un de ces prédits pays. Ce projet de loi conforterait ainsi le fait que le ministre aurait procédé, par le biais de la décision litigieuse, à un détournement de pouvoir en la matière.
Pour appuyer ses dires selon lesquels l’administration refuserait de prendre en compte toutes les preuves de ressources « possibles et imaginables », la demanderesse se réfère à d’autres affaires qui seraient pendantes devant le tribunal administratif.
En ce qui concerne sa situation personnelle, elle explique avoir remis des documents qui prouveraient qu’elle est propriétaire d’un immeuble en Chine qui serait donné en location et qui lui rapporterait un revenu locatif mensuel de … RMB, ce qui équivaudrait à environ … EUR et des extraits bancaires qui démontreraient qu’elle disposerait d’avoirs bancaires à hauteur de … RMB, ce qui équivaudrait à … EUR. La demanderesse en conclut qu’elle aurait non seulement apporté la preuve qu’elle percevrait un revenu supérieur au montant mensuel du salaire social minimum d’un travailleur non qualifié au Luxembourg, mais également celle qu’elle disposerait de réserves conséquentes lui permettant largement de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Elle conteste encore que ses ressources « ne seraient pas disponibles et immédiatement accessibles », rappelant que la Cour administrative, dans son arrêt prémentionné du 16 décembre 2021, aurait retenu que le fait que le capital invoqué ne se trouverait pas sur un compte bancaire luxembourgeois, mais à l’étranger, ne saurait constituer un motif de rejet de la source de revenus en question. En outre, même à supposer que ses fonds se trouveraient actuellement bloqués, cette circonstance ne permettrait en tout état de cause pas à l’administration de refuser de tenir compte de telles ressources financières.
Enfin, en ce qui concerne le questionnement du ministre quant à la légitimité de la provenance des fonds dont elle dispose et des standards chinois en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme, outre le caractère insultant envers la Chine et à son égard, ces allégations ministérielles seraient contestées et infondées alors qu’elles ne seraient basées sur aucun élément sérieux et ne sauraient servir de justification pour lui refuser une autorisation de séjour pour raisons privées.
Dans la mesure où elle disposerait dès lors de ressources financières suffisantes, la demanderesse conclut à l’annulation de la décision de refus de l’octroi d’un titre de séjour pour raisons privées dans son chef.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant1, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.
Le tribunal relève ensuite que, dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée, dans les hypothèses où l’auteur de la décision dispose 1 Trib. adm., 31 mai 2006, n° 21060 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.
d’une telle marge d’appréciation, étant relevé que le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité2 appelant le juge administratif à opérer une balance valable et équilibrée des éléments en cause et à vérifier plus particulièrement si l’acte posé est proportionné à son but3.
En l’espèce, il convient de relever, tout d’abord, qu’à travers la décision litigieuse, le ministre a refusé l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées à Madame … sur base de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008, l’octroi de la même autorisation de séjour à son époux, ainsi que leur regroupement familial et il a constaté qu’ils ne rempliraient pas, en outre, les conditions pour l’obtention d’une autorisation de séjour sur base de l’article 38 de la même loi.
Dans ce contexte, dans la mesure où la demanderesse n’a formulé aucun moyen par rapport à l’affirmation du ministre selon laquelle aucune condition lui permettant, ainsi qu’à son époux, de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont énumérées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 n’est remplie en l’espèce, ce volet de la décision n’a pas à être examiné par le tribunal.
Par ailleurs, si Madame … a initialement introduit, au nom et pour compte de son époux, une demande de regroupement familial sur base de l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point b) de la même loi, force est de constater qu’aucun moyen n’a été développé en ce qui concerne ces deux dispositions.
En effet, il échet de relever, concernant le regroupement familial, qu’aucune mention n’en est faite dans le recours sous objet, de sorte que le tribunal est amené à retenir qu’il n’est pas saisi du volet de la décision ministérielle ayant trait à cette demande.
Quant à l’autorisation de séjour pour raisons privées introduite pour compte de Monsieur …, force est de constater que seuls les éléments liés à la situation personnelle de Madame … sont fournis dans la requête introductive d’instance pour tenter de justifier qu’elle remplirait les conditions de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008 et qu’aucun argumentaire n’a été fourni concernant l’autorisation de séjour pour raisons privées pour son époux. De ce fait, la simple mention à la première page de la requête introductive d’instance d’une demande qui a été introduite pour l’époux de la demanderesse sur base de l’article 78, paragraphe (1), point b) de la loi du 29 août 2008 n’est pas suffisante pour pouvoir être considérée comme étant un moyen en droit valablement soutenu, de sorte que, même à supposer que le recours puisse être considéré comme visant également le refus opposé à la demande d’autorisation de séjour pour raisons privées dans son chef, il est, sur ce point, à rejeter pour être dénué de fondement, étant rappelé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.
2 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 56 et les autres références y citées.
3 Cour adm., 12 janvier 2021, n° 44684C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 32 et les autres références y citées.
En ce qui concerne, ensuite, l’argumentation de la demanderesse selon laquelle la décision litigieuse en ce qu’elle refuse de lui délivrer une autorisation de séjour serait à annuler pour détournement de pouvoir par le ministre qui refuserait d’octroyer systématiquement de telles autorisations, le tribunal est amené à constater que Madame … n’apporte aucun élément tangible à l’appui de son argumentaire. En effet, la simple référence à des dossiers dans lesquels le ministre aurait refusé d’octroyer une autorisation de séjour n’est pas suffisante pour permettre au tribunal de retenir que celui-ci n’aurait pas analysé de manière objective le présent dossier et qu’il se serait uniquement basé sur des éléments subjectifs pour refuser l’octroi de l’autorisation de séjour requise par la demanderesse. Ces affirmations restant à l’état d’allégations, le moyen afférent encourt le rejet pour ne pas être fondé.
Quant à l’article 78 de la loi du 29 août 2008, disposition qui serait, selon la demanderesse, violée dans la décision litigieuse, celui-ci dispose que « (1) A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées :
a) au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources ;
b) aux membres de la famille visés à l’article 76 ;
c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus ;
(2) Les personnes visées au paragraphe (1) qui précède doivent justifier disposer de ressources suffisantes telles que définies par règlement grand-ducal […] ».
Il ressort de la disposition légale précitée qu’afin de pouvoir prétendre à une autorisation de séjour pour raisons privées, un demandeur doit tout d’abord remplir les conditions énumérées de manière générale au premier et deuxième paragraphe de celle-ci, à savoir (i) ne pas constituer de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, disposer de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, et (ii) disposer de ressources suffisantes.
Il y a tout d’abord lieu de constater qu’il n’est pas contesté que Madame … remplit la condition de ne pas constituer de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, ainsi que de disposer d’une assurance maladie, seules les conditions tenant à un logement approprié ainsi qu’à des ressources suffisantes étant litigieuses, en l’espèce, au vu des explications complémentaires fournies par la partie étatique dans son mémoire en réponse, étant précisé qu’il est de jurisprudence constante que l’administration peut utilement produire ou compléter les motifs postérieurement à la décision prise et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse4.
4 Cour adm., 20 décembre 2007, n° 22976C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse n° 97 et les autres références y citées.
En ce qui concerne ces conditions litigieuses, il échet de constater, au vu des pièces versées en cause, dont notamment le contrat de bail conclu le 15 décembre 2021, et des explications fournies dans le cadre de la requête introductive d’instance, que Madame … appert ne pas avoir d’attache familiale ou privée ni d’ailleurs d’autres au Luxembourg, qu’elle ne projette pas l’exercice d’une activité professionnelle ou autre au Luxembourg, mais entend s’y installer, au moins dans un deuxième temps, ensemble avec son époux dans une partie d’une maison louée par elle, en l’occurrence composée d’une chambre, avec salle de bains et accès à la cuisine commune de la maison, pour une période de seulement trois mois5, certes renouvelable, en vivant des revenus qu’elle déclare tirer d’un loyer perçu en Chine, lequel s’élèverait à … euros, ainsi que de ses réserves financières, les raisons concrètes à la base de sa demande de permis de séjour et du projet d’installation de sa famille au Luxembourg n’apparaissant de la sorte guère - spécialement au regard du projet de logement intrinsèquement précaire- comme étant concrètement perceptibles.
A cet égard, le tribunal relève que, dans une affaire similaire, dont les faits étaient presque identiques aux faits d’espèce, la Cour administrative6 a, après avoir noté « qu’au-
delà des conditions expressément posées, le législateur, par l’emploi du verbe pouvoir (« le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées : (…) ») dans les différents cas de figure ensuite visés et énumérés sous les points a) à d) dudit article 78, paragraphe (1), confère un libre pouvoir d’appréciation au ministre, lequel, dans l’exercice de ce pouvoir, a le choix de la décision qu’il va prendre en opportunité » et que « l’analyse des tenants et aboutissants du projet d’immigration, dont sa motivation, qui se trouvent à la base d’une demande en obtention d’un permis de séjour pour raisons privées constituent des considérations auxquelles l’autorité ministérielle appert parfaitement pouvoir avoir égard dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation », retenu qu’« au regard de pareil état des choses, non autrement élucidé, […]le ministre a pu user de la faculté lui reconnue légalement de ne pas octroyer le permis de séjour pour raisons privées sollicité par […], non pas seulement pour elle-même, mais en définitive aussi pour son époux et leur enfant commun, sa décision relevant du cadre tracé par les dispositions de l’article 78 de la loi du 29 août 2008 et n’apparaissant pas viciée par une erreur d’appréciation, considérée en termes de dépassement de la marge d’appréciation lui laissée, cette conclusion s’imposant au-delà de toutes considérations concernant par ailleurs la suffisance per se des ressources financières invoquées, tant en ce qui concerne leur montant que leur nature et régularité. ».
Ainsi, il ressort des enseignements de la Cour administrative que, confronté à une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons privées, dont les raisons sont non autrement étayées et ne sont pas perceptibles notamment en raison d’un logement intrinsèquement précaire, tel que c’est le cas en l’espèce, le ministre peut, sans dépasser sa marge d’appréciation en la matière, de ce seul chef refuser d’octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées, basée sur l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008, de sorte que le recours en annulation, en ce qui concerne le refus d’une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de la demanderesse, encourt le rejet pour ne pas être fondé, sans qu’il n’ait lieu de statuer plus en avant.
5 Article 2 du contrat de bail.
6 Arrêt du 5 décembre 2023, inscrit sous le numéro 49319C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu Au vu de l’issue du litige, il y a également lieu de rejeter la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.500 euros telle que formulée par la demanderesse sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Quant à la demande de distraction des frais au profit du mandataire du demandeur, il convient de rappeler qu’il ne saurait être donné suite à la demande en distraction des frais posés par le mandataire d’une partie, pareille façon de procéder n’étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative7.
Enfin, la demande tendant à voir ordonner l’exécution provisoire du présent jugement est également à rejeter, étant donné que le législateur n’a pas conféré au tribunal administratif le pouvoir d’ordonner l’exécution provisoire de ses jugements8.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.500 EUR telle que formulée par la demanderesse ;
rejette la demande en distraction des frais formulée par le mandataire de la demanderesse ;
rejette la demande tendant à voir ordonner l’exécution provisoire du jugement ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mai 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 7 Trib. adm., 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1317 et les autres références y citées.
8 Trib. adm., 12 mai 1998, n° 10266 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.