Tribunal administratif N° 50436 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50436 3e chambre Inscrit le 6 mai 2024 Audience publique du 14 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50436 du rôle et déposée le 6 mai 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Zohra BELESGAA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 15 avril 2024 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Zohra BELESGAA et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
Selon le rapport de police dit « Fremdennotiz », du 16 mars 2024 dressé par les agents de la police grand-ducale du Commissariat Ville-Haute, Région Capitale, référencé sous le numéro …, qu’à cette date, Monsieur … fut interpellé suite au signalement d'un vol. Il s'avéra à cette occasion que Monsieur … ne fut ni en possession d'une pièce d'identité ni d’un document de voyage valable et qu'il fit l’objet d’un signalement par les autorités françaises dans la base de données intitulée « Système d’information Schengen » à des fins de refus d'entrée sur le territoire.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de le quitter sans délai, tout en lui interdisant l’entrée sur ledit territoire pour une durée de cinq ans.
Par arrêté séparé pris toujours le même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
1 « […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport n°… du 16 mars 2024 établi par la Police grand-ducale ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant que l'intéressé a fait l’usage d’un faux document d’identité ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par arrêté du 15 avril 2024, notifié à l’intéressé en date du 16 avril 2024, le ministre prorogea la mesure de placement initiale au Centre de rétention de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois avec effet à partir de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 16 mars 2024, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 16 mars 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;
Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 15 avril 2024.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes relevés ci-avant.
2 Il fait ensuite valoir qu’une mesure de placement en rétention s'analyserait en une mesure administrative privative de liberté de mouvement et que le maintien en rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d'éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise.
Dans ce contexte, il précise que le ministre serait obligé d'entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l'éloignement dans les meilleurs délais.
Il soutient à cet égard que le ministre entendrait le renvoyer au Maroc, mais que les autorités marocaines ne l’auraient toutefois toujours pas identifié, de sorte que tout porterait à penser que l’éloignement ne pourrait être mené à son terme dans un délai raisonnable, de sorte que l’arrêté déféré devrait encourir la réformation.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de 3placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
En l’espèce, le tribunal constate qu’il est constant que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 16 mars 2024, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.
Etant donné qu’à cette dernière date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.
En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal constate que les autorités luxembourgeoises se sont adressées au Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège dès le 19 mars 2024 pour obtenir un laissez-passer en faveur de l’intéressé, tout en y joignant un jeu d’empreintes digitales, ainsi que deux photos d’identité. Il ressort encore du dossier administratif que par courrier électronique du 9 avril 2024, les autorités luxembourgeoises ont adressé un rappel à leurs homologues marocains en les priant de bien vouloir les renseigner sur l’état d’avancement du dossier. Sur base de ce rappel, le Consul Général du Royaume du Maroc à Liège a confirmé, par courrier du 15 avril 2024, avoir reçu la demande en obtention d’un laissez-passer dans le chef de Monsieur …, tout en assurant à ses homologues luxembourgeois de les tenir informés dès que les autorités marocaines compétentes lui auront transmis les éléments d’identification requis. Il ressort encore des éléments du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises ont relancé les autorités consulaires marocaines le 30 avril 2024 et que suite à cette relance, ces dernières ont, par 4courrier du 3 mai 2024, répété avoir procédé à la transmission de la demande d’identification aux autorités compétentes, tout en assurant à leurs homologues luxembourgeois qu’elles ne manqueront pas de les informer des suites de cette demande.
Au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères - étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes - le tribunal est amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise.
Finalement, il y a lieu de relever que c’est à tort que le demandeur affirme que son éloignement n’aurait pas de chances d’être mené à bien, alors que, même si la demande n’a, à ce jour, pas encore abouti, la procédure d’identification actuellement entamée ne saurait, à ce stade, être considérée comme étant d’ores et déjà vouée à l’échec, étant relevé à cet égard, qu’il ne s’agit que de la première prorogation du placement de Monsieur …, le législateur ayant expressément prévu la possibilité de proroger un placement en rétention pour un cinquième, voire un sixième mois, au cas où les autorités étrangères tardent à identifier un étranger en séjour irrégulier et à émettre le document de voyage requis.
Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mai 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original 5Luxembourg, le 14 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 6