Tribunal administratif N° 50503 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50503 2e chambre Inscrit le 24 mai 2024 Audience publique du 3 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50503 du rôle et déposée le 24 mai 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Zohra Belesgaa, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 8 mai 2024 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en sa plaidoirie à l’audience publique du 3 juin 2024, Maître Zohra Belesgaa s’étant excusée.
Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », portant le numéro …, daté du 10 avril 2024, émanant de l’unité de la police de l’aéroport, Groupe …, que Monsieur … fit, en date du même jour, l’objet d’un contrôle par des agents de police alors qu’il s’apprêtait à embarquer dans un avion en direction de Dublin (Irlande), présentant une fausse carte d’identité française.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de le quitter sans délai, tout en lui interdisant l’entrée sur ledit territoire pour une durée de cinq ans.
Toujours par arrêté séparé du même jour, notifié le jour même, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 1sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport n° … du 10 avril 2024 établi par la Police grand-ducale ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;
Considérant que l'intéressé a fait usage d'une carte d'identité française falsifiée ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé alors qu'il ne dispose pas d'une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par arrêté du 8 mai 2024, notifié à l’intéressé le 10 mai 2024, le ministre prorogea le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 10 avril 2024, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 10 avril 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;
Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mai 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 8 mai 2024.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes relevés ci-avant.
Il fait ensuite valoir qu’une mesure de placement en rétention s’analyserait en une mesure administrative privative de la liberté de mouvement, de sorte que sa durée devrait être limitée au stricte nécessaire pour permettre l’exécution d’une mesure d’éloignement et que le 2maintien en rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise.
Dans ce contexte, il précise que le ministre serait obligé, conformément aux paragraphes (1) et (3) de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Il explique, à cet égard, qu’il ressortirait du dossier administratif, communiqué à son litismandataire le 25 avril 2024, que les autorités ministérielles auraient saisi, en date du 12 avril 2024, le Consulat d’Algérie en vue de l’obtention d’un laissez-passer dans son chef, en fournissant un jeu de ses empreintes digitales, quatre photos d’identité ainsi qu’une copie de son passeport. Son litismandataire aurait, en date du 15 mai 2024, sollicité une copie actualisée de son dossier administratif lequel lui aurait été transmis mais qui aurait uniquement contenu l’arrêté ministériel du 8 mai 2024 ordonnant la prorogation de son placement en rétention.
Comme il devrait dès lors être admis qu’aucune diligence supplémentaire, ni relance n’auraient été effectuées auprès des autorités consulaires algériennes après le 12 avril 2024 il serait établi que les autorités ministérielles n’entreprendraient, en l’espèce, pas les démarches nécessaires pour préparer son éloignement, le demandeur critiquant encore le fait d’être tenu dans l’ignorance concernant la destination de son éloignement. Il précise enfin qu’il ne saurait être « question de célérité » en l’espèce alors qu’il serait privé de liberté depuis le 10 avril 2024.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour 3ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
En l’espèce, le tribunal constate qu’il est constant que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 10 avril 2024, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg. Etant donné qu’à cette dernière date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
A défaut pour le demandeur de soumettre au tribunal des éléments de nature à renverser cette présomption, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.
S’agissant, ensuite, de l’argumentation du demandeur selon laquelle les diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement le plus rapidement possible seraient insuffisantes, il ressort du dossier administratif qu’en date du 12 avril 2024, les autorités luxembourgeoises se sont, par courrier postal et par courriel électronique, adressées aux autorités consulaires algériennes à Bruxelles en vue de l’identification du demandeur et de la délivrance d’un laissez-passer dans le chef de l’intéressé, tout en y joignant un jeu d’empreintes digitales et quatre photos d’identité, ainsi qu’une copie de son passeport.
4 Il se dégage encore du dossier administratif qu’en date des 3 et 17 mai 2024, l’agent ministériel en charge du dossier s’est renseigné auprès des autorités consulaires algériennes sur l’état d’avancement du dossier, demande à laquelle ces dernières ont répondu, en date du 17 mai 2024, que ledit dossier était toujours en cours de traitement.
Force est ainsi de relever, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères - étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes - que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de préparer son éloignement rapide du territoire luxembourgeois. Les démarches concrètement entreprises en l’espèce par l’autorité ministérielle doivent au contraire être considérées comme étant à ce stade suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 3 juin 2024 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 5