Tribunal administratif Numéro 47579 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47579 1re chambre Inscrit le 21 juin 2022 Audience publique du 10 juin 2024 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47579 du rôle et déposée le 21 juin 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 décembre 2021 portant refus de sa demande de regroupement familial et de la décision confirmative du 21 mars 2022 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 décembre 2022 par Maître Pascale Petoud, au nom Madame …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 février 2024.
En date du 26 octobre 2017, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 4 juillet 2018, notifiée à l’intéressé en mains propres le 27 juillet 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda à 1 Monsieur … le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
Par courrier du 17 août 2018, le ministre informa Monsieur … qu’un titre de séjour, valable du 27 juillet 2018 au 3 juillet 2023, lui serait délivré en vertu de son statut de réfugié.
Par courrier daté du 6 septembre 2018, Monsieur … introduisit une demande de regroupement familial sur base des articles « 45 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection » et 69 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », dans le chef de son épouse, Madame ….
Par courrier du 12 octobre 2018, le ministre requit des pièces supplémentaires concernant Madame …, courrier auquel le litismandataire de Monsieur … répondit en date du 15 avril 2019.
En date du 12 juillet 2019, le ministre accorda à Madame … une autorisation de séjour temporaire au titre de membre de famille.
Le 13 septembre 2019, Madame … introduisit une demande de protection internationale.
En date du 29 janvier 2021, le ministre lui accorda le statut de réfugié.
Par courrier du 20 avril 2021, Madame … introduisit une demande de regroupement familial dans le chef de ses trois frères mineurs …, … et ….
Par courrier du 17 mai 2021, le ministre requit des pièces supplémentaires, qui lui furent transmises par courrier de Madame … du 30 août 2021.
Par courrier du 3 novembre 2021, le ministre sollicita encore des renseignements supplémentaires.
Madame … répondit par courrier du 16 novembre 2021.
Par décision du 13 décembre 2021, le ministre refusa de faire droit à la demande en obtention d’un regroupement familial dans le chef de la fratrie de Madame …. Ladite décision est libellée comme suit :
« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 23 novembre 2021.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
En effet, le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
Par conséquent, l'autorisation de séjour leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la foi du 29 août 2008 précitée.
2 La présente décision est susceptible de faire l'objet d'un recours devant le Tribunal administratif. La requête doit être déposée par un avocat à la Cour dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision.
Néanmoins, je suis disposé à considérer l'octroi d'une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l'article 78, paragraphe (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 précitée dans le chef des enfants …, … et … à condition de me faire parvenir les documents suivants :
• trois engagements de prise en charge en bonne et due forme souscrit en faveur des enfants …, … et … ainsi que les trois dernières fiches du garant ;
• une preuve que vous disposez d'un logement approprié au Luxembourg ainsi que l'accord écrit du propriétaire, accompagné d'une pièce d'identité, à y loger trois personnes supplémentaires ;
• la preuve que les enfants …, … et … disposent d'une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire luxembourgeois (assurance de voyage) ;
• l'exequatur par le Tribunal d'arrondissement à Luxembourg/Diekirch de la décision du Tribunal de la région Gash Barka du 23 février 2021 vous octroyant le droit de garde des enfants …, … et …, exequatur qui est à demander par un avocat à la Cour conformément à l'article 680 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Si les documents ne sont pas rédigés dans les langues allemande, française ou anglaise, une traduction certifiée conforme par un traducteur assermenté doit être jointe.
La décision à l'octroi éventuel d'une autorisation de séjour sera prise sur base de l'examen des documents produits, sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l'obtention d'une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la décision. (…) ».
Par courrier de son litismandataire du 11 mars 2022, Madame … introduisit un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 13 décembre 2021.
Par décision du 21 mars 2022, le ministre confirma sa décision de refus initiale, à défaut d’éléments pertinents nouveaux. Cette décision est libellée comme suit :
« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu par télécopie en date du 11 mars 2022.
Je suis au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 13 décembre 2021 dans son intégralité.
Néanmoins, je tiens à vous informer que notre proposition de considérer l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphe (1) c) reste maintenu sous conditions que votre mandante nous fait parvenir les documents nécessaires demandés en date du 13 décembre 2021 (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 juin 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision 3 ministérielle précitée du 13 décembre 2021 refusant de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de …, … et …, ainsi que de la décision ministérielle confirmative de refus du 21 mars 2022, intervenue sur recours gracieux.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de regroupement familial, respectivement d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Il est, en revanche, compétent pour connaître du recours en annulation introduit à titre subsidiaire, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse, après avoir repris les faits et rétroactes exposés ci-dessus, précise que depuis le décès de sa mère en date du 9 juin 2020, ses trois frères seraient des orphelins et qu’elle serait en vertu d’un jugement du 23 février 2021 le représentant légal de ces derniers. Ledit jugement serait assimilable à un jugement d’adoption au regard du « programme de regroupement des orphelins avec des personnes qui leur sont apparentés », la demanderesse se référant, à ce sujet, à un rapport du Conseil des droits de l’homme auprès de l’Assemblée générale des Nations Unies, publié le 26 novembre 2009, de sorte que ses frères devraient être considérés comme « enfant de moins de dix-huit ans du regroupant », au sens de l’article 70, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008.
Elle reproche ensuite au ministre d’avoir contrevenu à l’esprit de la directive 2003/86/CE du Conseil européen du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ci-après dénommée « la directive 2003/86/CE », et plus particulièrement au considérant 8 de ladite directive, alors qu’il y aurait lieu, suivant différentes jurisprudences citées de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après dénommée « la CJUE », de procéder à une appréciation individualisée, équilibrée et raisonnable de tous les intérêts en jeu lors de l’application de cette directive.
Elle reproche au ministre de ne pas avoir apprécié la demande de regroupement familial en considération de sa situation particulière en tenant compte du décès de sa mère intervenu le 9 juin 2020 et du fait qu’elle est, en vertu du jugement du 23 février 2021, « le seul parent référent, en sa qualité d’ainée de la fratrie ».
La demanderesse invoque ensuite une atteinte à sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et à l’intérêt supérieur des trois enfants mineurs au sens des articles 3, paragraphe (1) de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ci-
après désignée par « la CIDE », 24, paragraphe (2) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et 5 de la directive 2003/86/CE.
Elle soutient à cet égard que les décisions déférées n’auraient pas pris en compte la qualité de mineurs de ses frères, leur vulnérabilité en tant qu’orphelins, le fait que la fratrie aurait, avant son départ vers le Luxembourg, toujours vécu ensemble auprès de la mère et le fait qu’elle serait le représentant légal, qui serait équivalent au « parent référent » en vertu du jugement du 23 février 2021.
4 Quant à son moyen ayant trait à une violation de l’article 8 de la CEDH, la demanderesse se réfère à un arrêt de la Cour administrative du 21 avril 2022, inscrit sous le numéro 46806C du rôle.
La demanderesse fait finalement plaider que les décisions déférées contreviendraient au contenu de la protection internationale et plus particulièrement à l’article 56, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où elle ne saurait dans un avenir proche remplir les conditions de l’article 78, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 et que les décisions ministérielles litigieuses ne lui permettraient par conséquent pas d’exercer sa fonction de représentant légal de ses trois frères.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse précise que sa demande aurait été rejetée en raison du fait que l’article 70 de la loi du 29 août 2008 ne prévoirait pas le regroupement familial dans le chef de la fratrie tout en faisant abstraction du jugement du 23 février 2021 aux termes duquel elle aurait la garde de ses trois frères.
Elle soutient que l'argument de la partie étatique ayant trait à l'absence d'exequatur du jugement du 23 février 2021 ne saurait justifier le refus du regroupement familial alors qu'il ne s'agirait pas d'une condition expressément prévue par la loi et qu'elle pourrait introduire une demande d'exequatur à tout moment.
Elle insiste sur le fait que les trois enfants orphelins se trouveraient dans une situation de vulnérabilité et souligne que le fait que le jugement du 23 février 2021 soit intervenu après l'obtention par elle du statut de réfugié serait sans pertinence quant à la question du regroupement familial alors que cette condition ne serait pas expressément prévue par la loi.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens. Il insiste sur le fait que les trois frères de Madame … ne pourraient être considérés comme enfants célibataires de moins de dix-huit ans de cette dernière et que dès lors, ils ne pourraient se prévaloir de l’article 70, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008. Tout en se référant à la jurisprudence de la CJUE, il explique, dans ce contexte, que la décision de justice érythréenne du 23 février 2021 ne serait pas assimilable à un jugement d’adoption, mais, au vu de son intitulé « Vollmacht für Vormundschaft », tout au plus à un jugement de tutelle.
Le délégué du gouvernement donne encore à considérer que l’authenticité de ladite décision érythréenne ne pourrait être vérifiée et qu’il aurait incombé à la demanderesse de demander l’exequatur dudit jugement afin qu’il puisse produire ses effets au Luxembourg.
En ce qui concerne le reproche de la demanderesse suivant lequel le ministre aurait contrevenu à l’esprit de la directive 2003/86/CE, le délégué du gouvernement fait valoir qu’en proposant au demandeur l’octroi d’une autorisation de séjour pour des raisons privées sur le fondement de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008, disposition qui constituerait la transposition l’article 10, paragraphe (2) de la directive en question, le ministre aurait respecté l’esprit de ladite directive.
5 Quant au moyen ayant trait à une violation de l’intérêt supérieur de l’enfant, le délégué du gouvernement soutient que la demanderesse aurait quitté son pays d’origine sans ses frères en septembre 2019 pour rejoindre son conjoint au Luxembourg. Après le décès de la mère des enfants, leur voisine les aurait pris en charge, de sorte qu’il ne saurait être affirmé qu’ils seraient vulnérables, étant donné qu’il existerait une personne « très proche de la famille », qui se serait occupée d’eux.
Concernant le moyen relatif à la violation de l’article 8 de la CEDH, le délégué du gouvernement soutient que le ministre, après avoir constaté que les conditions relatives au regroupement familial ne seraient pas remplies, aurait proposé d’accorder aux frères de la demanderesse une autorisation de séjour sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008, offrant ainsi à la demanderesse une possibilité de regroupement avec ses frères.
Le délégué du gouvernement soutient ensuite que la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », considérerait que les rapports familiaux entretenus par des adultes avec leurs parents ou avec leurs frères ou sœurs bénéficieraient d’une protection moindre à moins que ne fût démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux, éléments dont la preuve la demanderesse resterait en défaut de rapporter.
A titre liminaire, il échet de rappeler que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.
Force est encore de relever que le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent2.
S’agissant ensuite du moyen ayant trait à une violation de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, il échet de rappeler que le regroupement familial, tel qu’il est défini à l’article 68, point c) de la loi du 29 août 2008, a pour objectif de « maintenir l’unité familiale » entre le regroupant et les membres de sa famille.
Aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008 « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :
1 Cour adm., 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 39 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.
6 1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;
2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;
3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. (…) (3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».
L’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, dispose que : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :
a) le conjoint du regroupant ;
b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;
c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.
(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.
(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.
(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.
(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :
a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;
7 b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;
c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. ».
Les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 règlent dès lors les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci. L’article 69 concerne les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, tandis que l’article 70 définit les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membre de famille, susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.
Il ressort encore de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 que lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille, tel que défini à l’article 70 de la même loi, dans un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale, il ne doit pas remplir les conditions du premier paragraphe de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. Dans le cas contraire, il doit remplir cumulativement les conditions visées au premier paragraphe de l’article 69 précité.
Dans la mesure où il n’est pas contesté que Madame … a introduit la demande de regroupement familial dans les six mois de l’obtention de son statut de protection internationale, il échet de constater qu’elle ne doit pas remplir les conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 pour demander le regroupement familial avec les membres de sa famille.
En ce qui concerne les conditions à remplir par les trois frères de Madame …, le tribunal constate qu’indépendamment de la question de l’authenticité de la décision de justice érythréenne du 23 février 2021, les discussions des parties tournent principalement autour de la question de savoir si ladite décision de justice a créé un lien de filiation tel qu’il permettrait l’application de l’article 70, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 visant les enfants célibataires de moins de dix-huit ans.
Force est de constater à la lecture dudit article que celui-ci vise exclusivement les enfants, soit les descendants directs, et non pas la fratrie, même placée sous la garde du regroupant, au titre des membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec le regroupant installé au Luxembourg.
Il ressort d’ailleurs de la directive 2003/86/CE, et plus particulièrement de son article 4, que seuls les membres de la famille nucléaire, c’est-à-dire le conjoint et les enfants mineurs biologiques ou adoptés du regroupant ou du conjoint, - à condition que le regroupant ou son 8 conjoint, respectivement, ait le droit de garde et en ait la charge -, ont droit au regroupement familial sans que les Etats membres puissent exercer leur marge d’appréciation.
Si la demanderesse estime, dans ce contexte, que ses trois frères devraient être considérés comme étant ses enfants mineurs, dans la mesure où la « Vollmacht für Vormundschaft » du tribunal de la région Gash Barka Barentu serait assimilable à un jugement d’adoption, force est de constater que ledit document se limite à acter le transfert de la « Vormundschaft » exercée depuis le décès de la mère de Madame … par Madame A à la demanderessese et à à accorder un pouvoir de représentation à Madame … à l’égard de ses trois frères (« Hiermit ermächtige ich durch meine Unterschrift als Vollmachtgeber meinen Vormund an den Vollmachtnehmer meine volle Vollmacht zu übertragen Diese kann dann gesetzlich legitimiert als Vormundin bei den Behörden Registrierungen durchführen, als gesetzlicher Vertreter fungieren oder einen Passport beziehungsweise Visa und behördliche Angelegenheiten beantragen. Im weiteren kann die Vormundin sich um die Belange des alltäglichen Lebens, sowie der Schule und oder diese auch ins Ausland mitnehmen »).
Or, une procuration pour effectuer les démarches administratives, les formalités ayant trait aux documents de voyage ou à la scolarité de ses trois frères, ne permettent pas d’établir l’existence d’un lien de filiation adoptif entre la demanderesse et ses frères, de sorte que le ministre pouvait a priori refuser de faire droit à la demande de regroupement familial litigieuse sans violer les dispositions de l’article 70 de la loi du 29 août 2008.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la décision de justice érythréenne du 23 février 2021 serait assimilable à un jugement d’adoption au regard du « programme de regroupement des orphelins avec des personnes qui leur sont apparentées », ayant créé un lien de filiation tel qu’il permettrait l’application de l’article 70, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 visant les enfants célibataires de moins de dix-huit ans.
En effet, force est de constater à la lecture dudit article que celui-ci vise exclusivement les enfants, soit les descendants directs, et non pas les frères et sœurs, même placés sous la garde du regroupant, au titre des membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec le regroupant installé au Luxembourg.
Le tribunal est cependant amené à préciser que si la fratrie d’un ressortissant de pays tiers, disposant d’une protection internationale, n’est certes pas visée par l’article 70 précité de la loi du 29 août 2008, en vue de pouvoir bénéficier d’un regroupement familial, le refus d’un tel regroupement est toutefois susceptible de violer l’article 8 de la CEDH, dont les termes sont les suivants : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
9 A cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative - telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH - est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne. Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale3/4.
Partant, si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH5.
Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale en application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois6.
Incidemment, il y a lieu de souligner que « l’importance fondamentale »7 de l’article 8 de la CEDH en matière de regroupement familial est par ailleurs consacrée en droit de l’Union européenne et notamment par la directive 2003/86/CE, prémentionnée, transposée par la loi du 29 août 2008, et dont le préambule dispose, en son deuxième alinéa, que « Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. ».
Il échet de conclure de ce qui précède qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives nationales éventuellement contraires. En ce sens également, une lacune de la loi nationale ne saurait valablement être invoquée pour justifier de déroger à une convention internationale.
En ce qui concerne les faits de l’espèce, il échet de rappeler qu’il est de jurisprudence que l’argumentation étatique consistant à soutenir que le « parent collatéral » serait d’emblée exclu de la protection de l’article 8 de la CEDH est erronée. En effet, s’il est vrai que la notion 3 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 80 et les autres références y citées.
4 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 477 et les autres références y citées.
5 Voir par exemple en ce sens CourEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, n° 1948/04, § 135 ; Trib.
adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 476 et les autres références y citées.
6 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 477 et les autres références y citées.
7 Voir « Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial », COM/99/0638 final -
CNS 99/0258, 1er décembre 1999, point 3.5.
10 de famille restreinte, limitée aux parents et aux enfants mineurs, est à la base de la protection accordée par ladite convention, il n’en reste pas moins qu’une famille existe, au-delà de cette cellule fondamentale, chaque fois qu’il y a des liens de consanguinité suffisamment étroits8.
Le tribunal observe, de la même manière, qu’il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que si la notion de « vie familiale » se limite normalement au noyau familial, la Cour a également reconnu l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la CEDH, entre autres, entre frères et sœurs adultes9, et entre parents et enfants adultes10.
Il échet, par ailleurs, de rappeler à ce stade-ci des développements que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national11. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays12, à savoir, en l’occurrence, leur pays d’origine, l’Erythrée, pays que Madame … a quitté, d’abord, dans le cadre d’une demande de regroupement familial sollicité par son époux et, ensuite, pour solliciter une protection internationale au Luxembourg dans son propre chef.
De plus, il y a lieu de constater que cette conception de la notion de famille, étendue au-
delà du noyau familial, pour prendre en compte l’existence d’éléments de dépendance supplémentaires entre parents proches, est cohérente avec les dispositions - certes non applicables à l’espèce - de l’article 56, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, concernant le contenu de la protection internationale, qui prévoit la possibilité pour le ministre d’étendre le bénéfice des droits découlant du statut de bénéficiaire de protection internationale aux membres de la famille du bénéficiaire, sur base d’une définition élargie de la notion de membre de famille. L’article 56, paragraphe (1) de ladite loi dispose, en effet, que « Le ministre veille à ce que l’unité familiale puisse être maintenue. Il peut décider que les dispositions du présent article s’appliquent aux autres parents proches qui vivaient au sein de la famille du bénéficiaire à la date du départ du pays d’origine et qui étaient alors entièrement ou principalement à sa charge. ».
Cependant, il ressort de la jurisprudence relative à l’article 8 de la CEDH qu’un regroupant ne peut invoquer l’existence d’une vie familiale à propos d’une personne ne faisant pas partie du noyau familial strict qu’à condition qu’il démontre qu’elle est à sa charge et qu’un lien de dépendance autre que les liens affectifs normaux est établi.
Il ressort également de la jurisprudence de la CourEDH, et notamment de l’arrêt du 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, qu’à chaque fois qu’un mineur est 8 Trib. adm., 18 février 1999, n° 10687 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 524 et les autres références y citées.
9 Voir en ce sens CourEDH, 24 avril 1996, Boughanemi c. France, n° 22070/93, § 35.
10 Voir CourEDH, 9 octobre 2003, Slivenko c. Lettonie, n° 48321/99, §§ 94 et 97.
11 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 (2e volet) et les autres références y citées.
12 Trib. adm., 8 mars 2012, n° 27556 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 479 (3e volet) et autres références y citées.
11 concerné, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale et que l’Etat refusant le regroupement familial doit ménager un juste équilibre entre les intérêts des demandeurs d’une part, et son propre intérêt à contrôler l’immigration, d’autre part. La CourEDH y a encore indiqué que, pour mettre en balance ces différents intérêts, elle tenait compte de l’âge des enfants concernés, de leur situation dans leur pays d’origine et de leur degré de dépendance vis-à-vis de leurs parents. Elle y a également précisé qu’elle avait précédemment rejeté des affaires dans lesquelles les enfants concernés par le regroupement familial avaient atteint un âge où ils n’avaient vraisemblablement pas autant besoin de soins que de jeunes enfants et où ils étaient de plus en plus capables de se débrouiller seuls13.
Ainsi, dans le cadre de la demande de regroupement familial avec un mineur, il est nécessaire de prendre en compte l’âge de l’enfant concerné, sa situation dans son pays d’origine et son degré de dépendance vis-à-vis du regroupant, puis de vérifier la réalité de l’entrave à la vie familiale, notamment l’étendue des liens des personnes concernées avec le Luxembourg, s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine de l’une de ces personnes et s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion, tout en considérant l’intérêt supérieur de l’enfant.
En l’espèce, il convient d’abord de relever que la demanderesse se borne à affirmer dans sa demande de regroupement familial avoir cohabité avec sa mère et ses trois frères jusqu’à son départ de l’Erythrée en 2018 afin de rejoindre son époux dans le cadre de sa demande de regroupement familial en septembre 2019 et qu’elle aurait aidé sa mère dans l’éducation de sa fratrie. Les développements de la demanderesse en ce sens, non appuyés par une quelconque pièce, sont vagues et ne permettent pas au tribunal de connaître la nature de la relation ayant existé entre elle-même et sa fratrie, de sorte qu’ils sont à rejeter.
Ensuite, il échet de relever que la demande de regroupement familial a été introduite alors que les frères de la demanderesse étaient âgés à l’époque respectivement de plus de 16 ans, presque 14 et 11 ans et que la demanderesse avait quitté son pays d’origine - et ne s’était dès lors plus occupée de ces derniers - depuis 2018, soit depuis plus de trois années avant la demande de regroupement familial. Force est encore de constater que les frères de la demanderesse avaient été pris en charge par leur voisine, qui, tel qu’il ressort du courrier de Madame … du 20 avril 202114, a renoncé à la garde de ces derniers en vue de la demande de regroupement familial formulée par la demanderesse.
Ainsi, au vu du raisonnement développé dans l’arrêt de la CourEDH précité consistant à prendre en compte l’âge du mineur, sa situation dans son pays d’origine et le degré de dépendance avec les personnes demandant le regroupement familial, et compte tenu des développements qui précèdent, il y a dès lors lieu de constater qu’il n’est pas établi que ses frères de la demanderesse étaient à sa charge au cours des 3 ans précédant la demande de 13 CourEDH, 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, §§ 44 et 49.
14 « On 9th June 2020 my mother died after a long sickness. My siblings suddenly became orphans and a neighbour took care of them. This neighbour, Mrs A has helped our family a lot but taking care of my three siblings on top of her for own children has been very difficult for her. I explained all this during the interview in the Ministry and the immigration agent told me that it would be possible for my siblings to be reunited with me if I had custody over them. On 23rd February 2021 Mrs A gave up custody over my siblings in my favour. » 12 regroupement familial, qu’ils dépendent de cette dernière et qu’ils sont dépourvus de soutien en Erythrée.
Si la demanderesse a entendu faire valoir l’existence de liens de dépendance particuliers entre elle et ses trois frères, au sens de l’article 8 de la CEDH, en versant le « jugement du 23 février 2021 », il y a lieu de rappeler, tel que retenu ci-avant, que l’affirmation de la demanderesse selon laquelle cette décision de justice serait assimilable à une adoption reste à l’état de pure allégation. Il en va de même concernant sa prétendue qualité de tuteur légal de ses frères, en ce que le transfert de ladite « Vormundschaft » par la voisine est intervenue bien après le départ de Madame … de son pays d’origine en 2018 et dans le but précis d’accroître les chances de succès de la demande de regroupement familial.
Il échet, dès lors, de conclure que la demanderesse reste en défaut d’établir l’existence de liens de dépendance autres que des liens affectifs normaux, de sorte qu’elle ne saurait pas non plus utilement se prévaloir des dispositions de l’article 8 de la CEDH, sans qu’une violation de l’intérêt supérieur des enfants ne puisse être retenue en ce que la demanderesse est restée en défaut d’établir qu’elle aurait formé une cellule familiale avec eux en Erythrée, qu’ils auraient été à sa charge et qu’ils seraient dépourvus de tout soutien familial en Erythrée, de sorte que l’ensemble des développements relatifs à une prétendue violation de l’intérêt supérieur de l’enfant sont également à rejeter.
S’agissant finalement du moyen de la demanderesse tiré d’une violation de l’article 56, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « [l]e ministre veille à ce que l’unité familiale puisse être maintenue. Il peut décider que les dispositions du présent article s’appliquent aux autres parents proches qui vivaient au sein de la famille du bénéficiaire à la date du départ du pays d’origine et qui étaient alors entièrement ou principalement à sa charge. », ledit moyen encourt le rejet, étant donné que le tribunal vient de retenir ci-avant que la demanderesse est restée en défaut de d’établir l’existence de liens de dépendance autres que des liens affectifs normaux.
C’est partant à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de regroupement familial de Madame … avec ses trois frères.
Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.
13 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juin 2024 par :
Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 14