Tribunal administratif N° 50543 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50543 1re chambre Inscrit le 5 juin 2024 Audience publique du 17 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière d’assignation à résidence (art. 22., L. 18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50543 du rôle et déposée le 5 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathieu Gibello, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Cameroun) et être de nationalité camerounaise, actuellement sans adresse connu, mais élisant domicile en l’étude de son litismandataire, préqualifié, sise à L-1229 Luxembourg, 1, rue Bender, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 7 mars 2024 l’assignant à résidence à la SHUK pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mathieu Gibello et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 juin 2024.
En date du 18 septembre 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les recherches effectuées dans la base de données EURODAC à la même date révélèrent que l’intéressé avait précédemment été appréhendé en Italie en date du 13 août 2023.
Toujours le 18 septembre 2023, les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile prit à l’égard de Monsieur … une mesure d’assignation à résidence au sein de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de 3 mois à partir de la notification de l’arrêté.
En date du 6 novembre 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Par arrêté du 19 décembre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », prorogea la mesure d’assignation à résidence à l’égard de Monsieur … au sein de la SHUK à partir de la notification de l’arrêté jusqu’au 8 mars 2024.
Le 8 janvier 2024, le ministre informa les autorités italiennes qu’il considérerait la demande de prise en charge comme ayant été tacitement acceptée en raison du fait que les autorités italiennes n’avaient pas fourni de réponse avant le 7 janvier 2024.
Par arrêté du 7 mars 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre prorogea l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :
« (…) Vu l’article 22 (2) d) et 22 (3) a), b), c) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, (3), point b) peut être efficacement appliquée ;
Vu l’arrêté du 19 décembre 2023, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une assignation à résidence ;
Attendu que les motifs à la base de l’assignation à résidence du 19 décembre 2023, subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Arrête :
Art. 1.- L’assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg sise à 11, rue Carlo Hemmer, L-1734 Luxembourg de la personne déclarant se nommer …, prétendant être née le … à … (Cameroun) et être de nationalité camerounaise, est prorogée à partir de la notification jusqu’au 7 juin 2024. La personne susvisée a l’obligation de se présenter durant cette période quotidiennement au plus tard à 23h00 du soir ainsi qu’à 08h00 du matin au personnel de la structure prémentionnée.
Art. 2.- La personne susvisée est informée qu’en cas de défaut de respect de l’obligation imposée ou en cas de risque de fuite, la mesure pourra être révoquée et le placement en rétention pourra être ordonné comme prévu à l’article 22, paragraphe (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 précitée. (…) ».
Par arrêté du 5 juin 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre prorogea pour une nouvelle durée de 3 mois la mesure d’assignation à résidence à la SHUK.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 7 mars 2024 l’assignant à résidence à la SHUK pour une durée de trois mois à compter de la notification de la décision en question.
Par arrêté du 6 juin 2024, le ministre rapporta l’arrêté d’assignation à résidence à la SHUK du 5 juin 2024.
Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision ordonnant une mesure moins coercitive que le placement en rétention, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit par Monsieur …, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai prévus par la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement a souligné, d’un côté, que l’arrêté ministériel déféré du 7 mars 2024 portant prorogation de l’assignation à résidence de l’intéressé jusqu’au 7 juin 2024 n’est plus en vigueur à ce jour et qu’un nouvel arrêté d’assignation à résidence a été pris en date du 5 juin 2024, et, d’un autre côté, que ce dernier arrêté ministériel a lui-même été rapporté par arrêté du ministre du 6 juin 2024, de sorte que Monsieur … ne ferait actuellement plus l’objet d’une assignation à résidence et que le recours n’aurait, dès lors, plus d’objet.
Force est au tribunal de constater que Monsieur … ne fait plus l’objet d’une assignation à résidence à la SHUK sur base de la décision déférée, laquelle a cessé ses effets à l’heure actuelle et que la mesure ayant été prise à la suite a été rapportée par le ministre, de sorte que le recours introduit par le demandeur est à considérer comme étant actuellement sans objet1.
En effet, le tribunal saisi d’un recours en réformation est appelé à statuer au jour des présentes, de sorte à ne plus pouvoir utilement faire droit à la demande lui adressée par rapport à laquelle il est appelé à statuer.
Si, dans une matière où un recours en réformation est prévu, le demandeur peut certes limiter son recours en demandant au tribunal de ne pas épuiser son pouvoir de réformation, mais de restreindre son contrôle aux seules questions de légalité d’une décision litigieuse et d’annuler une décision déterminée, encore faut-il que cette demande soit présentée en bonne et due forme et que l’intérêt à agir du demandeur reste vérifié par rapport à cette demande.
Or, force est de constater qu’en l’espèce, le litismandataire du demandeur s’est contenté de renvoyer à sa requête introductive d’instance sans toutefois formuler une demande afférente au tribunal et de préciser en quoi consisterait l’intérêt du demandeur à maintenir son recours limité aux seules questions de légalité par rapport à une décision qui a cessé de produire tout effet deux jours après l’introduction du recours sous analyse et avant l’audience des plaidoiries.
1 En ce sens également : trib. adm., 25 septembre 2023, n° 49435 du rôle ; trib adm., 25 octobre 2023, n° 49568 du rôle, disponibles sur le site www.jurad.etat.lu.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal constate que le recours est dépourvu d’objet, de sorte qu’il est à rejeter.
Monsieur … sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui, au vu de l’issue du litige, est toutefois à abjuger.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours principal en réformation sans objet, partant le rejette ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, telle que formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et lu à l’audience publique du 17 juin 2024 par :
Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 4