Tribunal administratif N° 50554 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50554 2e chambre Inscrit le 7 juin 2024 Audience publique du 17 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50554 du rôle et déposée le 7 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 30 mai 2024 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 2 juin 2024 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Philippe Stroesser s’étant excusé.
Après son arrivée au Luxembourg en tant que mineur non accompagné, Monsieur … se vit attribuer un administrateur ad hoc par ordonnance du juge aux Affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 5 décembre 2018.
Le 18 décembre 2018, Monsieur … introduisit, auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par ordonnance du 27 février 2019 le juge aux Affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de et à Diekirch désigna l’association … a.s.b.l. en tant qu’administrateur public de Monsieur … jusqu’à sa majorité.
Le 5 juillet 2019, le Comité d’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant décida qu’il était dans l’intérêt supérieur de Monsieur … de rester au Luxembourg jusqu’à ses 18 ans.
1Par décision du 11 juillet 2019, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … du refus de sa demande de protection internationale.
Par courrier de son administrateur ad hoc du 24 juillet 2019, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’un titre de séjour pour raisons privées. Par courrier du 6 août 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … qu’il serait disposé à lui délivrer, à titre exceptionnel, un titre de séjour pour raisons privées jusqu’à sa majorité, à savoir jusqu’au 27 juillet 2022. Ledit titre ne put toutefois lui être délivré, faute pour ce dernier d’avoir rempli toutes les formalités administratives y relatives dont notamment l’obtention d’un passeport de la part des autorités de son pays d’origine. Par courriers des 28 mai 2020 et 21 juin 2022, Monsieur … se vit néanmoins délivrer, par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, à titre exceptionnel, des titres de voyage pour étrangers d’une durée de validité d’un an en vue de débloquer sa situation administrative.
Il ressort du dossier administratif et plus particulièrement d’une demande du 14 janvier 2021 formulée par INTERPOL Berne que Monsieur … fut interpellé en Suisse pour vol, dommage à la propriété, violation de domicile et infractions sur la loi sur les étrangers et l’intégration.
Il ressort d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg, désigné ci-
après par le « CPL », du 5 août 2022, que Monsieur … fut placé en détention préventive le même jour pour des faits de vol qualifié.
Suivant un rapport de la police grand-ducale, Région …, Direction régionale, du 23 août 2022, dit « Fremdennotiz », portant la référence N° …, ainsi qu’un rapport de la police grand-
ducale, Service de police judiciaire, Répression du Grand Banditisme, du 31 août 2022, référencé sous le N° …, Monsieur … fut régulièrement interpellé par les forces de l’ordre depuis 2019 pour avoir commis une multitude d’infractions, dont notamment des vols avec violences, des vols simples, des vols à l’aide d’effraction, des vols à l’étalage, des vols aggravés, des vols en réunion, des coups et blessures volontaires et des destructions.
Par courrier du 20 septembre 2022, notifié à l’intéressé par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … de son intention de refuser le renouvellement de son titre de voyage pour étrangers, tel qu’accordé par le courrier, précité, du 21 juin 2022 et de ne plus délivrer un nouveau titre de séjour du type « vie privée – raison humanitaires » dans son chef au motif qu’il se trouverait en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et qu’il constituerait un danger grave pour l’ordre public et la sécurité publique, tout en l’informant de son intention de prendre une décision de retour à son égard par laquelle il sera obligé de quitter le territoire sans délai.
Par décision du 30 septembre 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 3 octobre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile refusa le renouvellement du titre de voyage pour étrangers de Monsieur …, ainsi que la délivrance d’un nouveau titre de séjour du type « vie privée – raison humanitaires », constata le séjour irrégulier de ce dernier sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter le territoire sans délai, dès sa libération du CPL, sous peine d’être éloigné par la contrainte, à destination du pays dont il a la nationalité, l’Algérie, soit à destination du pays lui ayant délivré un titre de voyage en cours de validité ou du pays dans lequel il serait autorisé à séjourner.
2Il ressort de relevés journaliers successifs du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, désigné ci-après par « le CPU », que Monsieur … fut placé en détention préventive pour des faits de vol qualifié en date du 7 février 2023, qu’il fut libéré le 23 mars 2023 et qu’il fut à nouveau placé en détention préventive sur base d’un mandat d’amener émis en date du 26 mai 2023, avant d’être libéré le 2 mai 2024.
Par arrêté du 2 mai 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier et ci-après désigné par « le ministre », prononça à l’encontre de Monsieur … une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à partir de la sortie de l’espace Schengen.
Par arrêté séparé du même jour, également notifié à l’intéressé en mains propres le 2 mai 2024, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification du prédit arrêté, sur base des motifs et considérations suivants :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu la décision de retour du 30 septembre 2022 ;
Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;
Considérant que l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public ;
Considérant que l’intéressé s’est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par jugement du tribunal administratif du 29 mai 2024, inscrit sous le numéro 50467 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit le 21 mai 2024 à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 2 mai 2024 ayant ordonné son placement en rétention.
Par arrêté du 30 mai 2024, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea la mesure de placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois avec effet au 2 juin 2024, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 2 mai 2024, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 2 mai 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l'éloignement de l'intéressé ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;
3Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 30 mai 2024.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, Monsieur …, après avoir exposé les faits et rétroactes à la base de la décision déférée et après avoir cité l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, souligne, de manière générale, que le placement au Centre de rétention devrait être considéré comme un ultime remède et ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre et non pas une obligation systématique. Cette faculté accordée au ministre devrait se baser sur des motifs sérieux et être proportionnée par rapport à la situation donnée, alors que le placement en rétention d’une personne constituerait une atteinte à la liberté de mouvement qui devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en espèce.
Il indique également qu’en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et exécuté avec toute la diligence nécessaire, impliquant que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter son éloignement dans les meilleurs délais. Après avoir souligné que les démarches entreprises en l’espèce par le ministre n’auraient pas encore abouti, le demandeur conteste toute perspective d’éloignement vers son pays d’origine ou vers les pays où il aurait toutes ses attaches familiales, de sorte à remettre en question que son éloignement puisse être réalisé dans un délai raisonnable.
Le demandeur fait encore valoir que le maintien au Centre de rétention constituerait une mesure privative de liberté dont la durée devrait être réduite au strict minimum et qu’il ne devrait pas être retenu au Centre de rétention en attendant l’exécution de la mesure d’éloignement.
Il soutient être arrivé au Luxembourg en tant que mineur non accompagné et avoir été pris en charge par plusieurs foyers, tout en affirmant que pendant son incarcération, il aurait pris conscience de ses erreurs et aurait développé une forte volonté et motivation de changer et de reprendre sa vie en mains, le demandeur souhaitant trouver un travail. Or, son placement immédiat en rétention, à sa libération du CPU, en date du 2 mai 2024, l’aurait privé de la possibilité de démontrer son engagement en ce sens.
Enfin, le demandeur estime que son placement au Centre de rétention serait disproportionné au regard des circonstances de l’espèce et de son comportement et que le ministre aurait dû appliquer, conformément à l’article 125 de la loi du 29 août 2008, des mesures moins coercitives en l’assignant à résidence dans un lieu à déterminer, avec 4l’obligation de se présenter régulièrement à des intervalles à fixer auprès de ses services ou de toute autre autorité désignée.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d’une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.
S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève que dans la mesure où aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision -
le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au fond, le tribunal relève que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l'éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l'étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d'autres mesures moins coercitives telles que prévues à l'article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l'étranger en particulier s'il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d'éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu'aussi longtemps que le dispositif d'éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure 5d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis, pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
En l’espèce, et tel que cela avait déjà été retenu par le tribunal dans son jugement du 29 mai 2024, prémentionné, il est constant que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’il a fait l’objet d’une décision de retour en date du 30 septembre 2022 et qu’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans a été prise à son encontre le 2 mai 2024, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, et qu’il ne dispose ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.
Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant encore précisé, à cet égard, que, parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévu au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
Tel que le tribunal l’a déjà retenu dans son jugement du 29 mai 2024, prémentionné, il aurait, par conséquent, appartenu au demandeur de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, ce qu’il reste toujours en défaut de faire.
Au contraire, le risque de fuite est corroboré par son affirmation selon laquelle il souhaiterait se maintenir au Luxembourg afin d’y trouver un travail et y reconstruire sa vie, 6alors qu’une telle affirmation est de nature à conforter le risque de fuite présumé dans son chef, en ce qu’il en découle que le demandeur n’entend pas retourner volontairement dans son pays d’origine, le risque de fuite visé à l’article 120 de la loi du 29 août 2008 n’étant, en effet, pas à considérer comme le risque qu’un étranger quitte le territoire luxembourgeois pour un autre pays, mais comme le risque de se soustraire à son éloignement1, tel que relevé ci-avant .
Le ministre pouvait dès lors a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention et maintenir son placement afin d’organiser son éloignement.
S’agissant, ensuite, de l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait dû bénéficier de mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment d’une assignation à résidence, le tribunal relève que cette disposition légale prévoit ce qui suit : « Dans les cas prévus à l'article 120, le ministre peut également prendre la décision d'appliquer une autre mesure moins coercitive à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n'est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l'article 111, paragraphe (3).
On entend par mesures moins coercitives :
a) l'obligation pour l'étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d'une autre autorité désignée par lui, après remise de l'original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d'un récépissé valant justification de l'identité ;
b) l'assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l'assignation peut être assortie, si nécessaire, d'une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l'étranger l'interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l'exécution de la mesure est assuré au moyen d'un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l'absence de l'étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l'étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en oeuvre doit garantir le respect de la dignité, de l'intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l'obligation pour l'étranger de déposer une garantie financière d'un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l'Etat. Cette somme est acquise à l'Etat en cas de fuite ou d'éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d'y procéder en cas de retour volontaire.
1 Cour adm., 7 septembre 2022, n° 47876C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 951.
7Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L 'article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes2.
En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le demandeur reste toujours en défaut de soumettre au tribunal des éléments de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite existant dans son chef. A cet égard, il convient de relever que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg ni d’une quelconque autre attache. Il n’a, par ailleurs, présenté aucun élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.
Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et plus particulièrement celles visées aux points a) et b), telles que préconisées par le demandeur, ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce. L’arrêté ministériel de prorogation de la mesure de placement initial, tel que déféré, ne saurait, dès lors, être considéré comme étant disproportionné par rapport au but recherché et les contestations afférentes du demandeur sont à écarter.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argument non autrement développé du demandeur tiré de sa qualité de mineur non accompagné au moment de son arrivée au Luxembourg et de son passage par plusieurs structures d’hébergement pour mineurs.
S’agissant, ensuite, des contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal a constaté dans son jugement, précité, du 29 mai 2024 que, jusqu’à cette date, le dispositif d’éloignement était toujours en cours et poursuivi avec la diligence légalement requise.
Quant aux démarches accomplies depuis lors, respectivement depuis la notification de l’arrêté de prorogation actuellement litigieux, il se dégage du dossier administratif qu’en date du 23 mai 2024, les autorités algériennes ont informé les autorités luxembourgeoises qu’elles seraient disposées à délivrer un laissez-passer au nom du demandeur, tout en sollicitant des informations concernant la date et les coordonnées du vol prévu pour son éloignement. Il 2 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.
8ressort ensuite des éléments du dossier administratif qu’en date du même jour le ministre a demandé à l’Unité de Garde et d’Appui opérationnel, Service de Garde et de Protection, d’organiser le départ du demandeur vers l’Algérie, unité qui lui a transmis le 29 mai 2024 un plan de vol fixant la date de l’éloignement de Monsieur … à destination de l’Algérie au 19 juin 2024, et qu’en date du 30 mai 2024, le ministre a contacté une agence de voyage en vue de l’émission d’un billet d’avion Bruxelles-Alger au nom du demandeur.
Au vu des diligences ainsi déployées par les autorités ministérielles luxembourgeoises, du fait desquelles le rapatriement du demandeur est actuellement prévu à une date précise, en l’occurrence le 19 juin 2024, tel que relevé ci-avant, le tribunal conclut que c’est à tort que Monsieur … reproche au ministre de ne pas avoir accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement, de sorte que ses contestations afférentes sont à rejeter pour ne pas être fondées.
Il en est de même en ce qui concerne l’argumentation du demandeur ayant trait à l’absence de perspective d’éloignement, étant donné qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient d’ores et déjà vouées à l’échec, alors qu’il ressort au contraire, tel que relevé ci-avant, du dossier administratif, et plus précisément du plan de vol émis le 29 mai 2024, que l’éloignement de Monsieur … doit avoir lieu le 19 juin 2024, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien.
Le moyen afférent est par conséquent également à rejeter.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que contrairement à l’argumentation du demandeur, la mesure de placement en rétention litigieuse n’est pas disproportionnée et qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, en ce compris les moyens à soulever d’office, il ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 17 juin 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
9s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 10