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17/06/2024 | LUXEMBOURG | N°50560

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juin 2024, 50560


Tribunal administratif N° 50560 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50560 2e chambre Inscrit le 7 juin 2024 Audience publique du 17 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50560 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2024 par Maître Sanae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité...

Tribunal administratif N° 50560 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50560 2e chambre Inscrit le 7 juin 2024 Audience publique du 17 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50560 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2024 par Maître Sanae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 30 avril 2024 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 juin 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour.

Le 26 septembre 2023, Monsieur …, connu sous différents alias, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section …, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait préalablement introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 22 mai 2022 et en Suisse en date du 23 mai 2023.

Le 2 octobre 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 2 octobre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à …, jusqu’au 22 décembre 2023.

Suivant un rapport de la police grand-ducale, Commissariat …, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », du 13 octobre 2023, Monsieur … fut intercepté le jour même pour un vol à l’étalage dans un centre commercial.

Le 24 octobre 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues néerlandais en vue de la reprise en charge de l’intéressé sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui fut refusée par lesdites autorités néerlandaises en date du 2 novembre 2023, au motif que sa demande de protection internationale avait été refusée aux Pays-Bas, qu’après avoir disparu dudit pays, les autorités néerlandaises avaient eu une demande de reprise en charge de la part des autorités suisses, qu’après avoir accepté cette demande, l’intéressé avait disparu de la Suisse pour avoir ensuite été appréhendé par les autorités espagnoles en Espagne, lesquelles devraient le rapatrier dans son pays d’origine.

Par décision du 20 décembre 2023, notifiée par affichage public du même jour, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », clôtura provisoirement la demande de protection internationale de Monsieur …, à défaut pour ce dernier d’avoir sollicité la prolongation de son attestation de demandeur de protection internationale.

Le 22 janvier 2024, les autorités luxembourgeoises reçurent une demande de reprise en charge de Monsieur … de la part de leurs homologues belges sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, qu’elles acceptèrent le lendemain sur base de l’article 18 (1) c) du règlement Dublin III.

En date du 29 avril 2024, Monsieur … fut transféré de la Belgique vers le Luxembourg, devant être libéré, à cette fin, de l’établissement pénitentiaire de Lantin où il fut incarcéré depuis le 7 novembre 2023.

Toujours le 29 avril 2024, Monsieur … sollicita la réouverture de son dossier de demande de protection internationale.

Par arrêté du 30 avril 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question sur le fondement de l’article 22 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« […] Vu l’article 22 (2), point b), de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après la « Loi de 2015 ») ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu que l’intéressé a introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 26 septembre 2023 ;

Vu le rapport de police n° … du 13 octobre 2023 duquel il ressort que l’intéressé a été appréhendé dans un Centre commercial pour vol ;

Vu le résultat des recherches effectuées dans la base de données Eurodac duquel il ressort que l’intéressé a préalablement introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas (en mai 2022) et en Suisse (en mai 2023) ;

Vu que l’intéressé a fait l’objet d’une assignation à résidence et d’une obligation de quitter le territoire par les autorités françaises en date du 23 juillet 2023 ;

Vu que l’intéressé fait l’objet de deux signalements dans la base de données SIS par les autorités néerlandaises et françaises ;

Vu le refus des autorités néerlandaises de reprendre l’intéressé en charge conformément aux dispositions du règlement dit « Dublin III » en réponse à une demande leur adressée par le Luxembourg en date du 24 octobre 2023 ;

Vu la clôture provisoire de la demande de protection internationale conformément à l’article 23(2) de la Loi de 2015 au motif que l’intéressé n’est plus venu prolonger son attestation de demandeur de protection internationale depuis le 23 octobre 2023 ;

Vu que l’intéressé a disparu sans laisser d’adresse depuis le 5 novembre 2023 ;

Vu l’accord de reprise en charge du 23 janvier 2024 adressé par les autorités luxembourgeoises conformément au règlement dit « Dublin III » aux autorités belges leur adressée en date du 22 janvier 2024 ;

Vu que l’intéressé est connu des autorités belges pour avoir été emprisonné pour vol aggravé à compter du 9 novembre 2023 ;

Attendu que l’intéressé a été transféré au Luxembourg depuis la Belgique en date du 29 avril 2024 ;

Attendu que l’intéressé a sollicité la réouverture de son dossier conformément aux dispositions de l’article 23(3) de la Loi de 2015 ;

Attendu que le placement en rétention sur base des dispositions de la Loi de 2015 est nécessaire en vue de déterminer les éléments sur lesquels se fonde sa demande de protection internationale ;

Attendu que les mesures moins coercitives prévues à l’article 22 (3) de la Loi de 2015 ne peuvent être efficacement appliquées alors qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;

Par conséquent, la décision de placement en rétention s’avère nécessaire. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision, précitée, du 30 avril 2024 ordonnant son placement en rétention.

Etant donné que l’article 22 (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement au Centre de rétention, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus, tout en ajoutant qu’il se serait vu délivrer par les autorités luxembourgeoises une attestation d’introduction d’une demande de protection internationale lors du dépôt de sa demande de protection internationale en date du 26 septembre 2023. Suite à une déclaration de perte de sa part, une deuxième attestation d’introduction de demande de protection internationale lui aurait été délivrée en date du 23 octobre 2023. Enfin, une troisième attestation d’introduction d’une demande de protection internationale lui aurait été remise en date du 29 avril 2024, suite à sa demande de réouverture de son dossier en date du même jour.

Il s’avèrerait cependant qu’aucune de ces attestations n’aurait été communiquée à son premier mandataire lorsque ce dernier aurait reçu communication du dossier administratif. Son deuxième mandataire aurait, ensuite, formulé plusieurs demandes et relances téléphoniques en vue de l’obtention de l’entièreté du dossier administratif, communication qu’il aurait obtenue qu’en date du 5 juin 2024.

En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir violé tant l’article 11 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », que l’article 6 (1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». En effet, l’article 11 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 imposerait à l’administration l’obligation de communiquer à première demande l’intégralité du dossier administratif afin de permettre à « l’administré de décider en pleine connaissance de cause, au vu des éléments dont dispose l’administration et sur le fondement desquels a été prise sa décision, s’il est utile pour lui de saisir une juridiction », le demandeur faisant valoir qu’il serait de jurisprudence que la non-

communication de l’entièreté du dossier administratif serait de nature à affecter la légalité de la décision administrative dans l’hypothèse d’une violation vérifiée des droits de la défense.

L’article 6 (1) de la CEDH, quant à lui, retiendrait que le droit à un procès équitable occuperait une place éminente dans une société démocratique. Le demandeur se réfère, à ce sujet, à différentes jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH »), dont il ressortirait notamment que « le plaideur d[evrait] avoir accès […] aux documents utiles détenus par des autorités administratives ». Il reproche, à ce propos, à l’autorité ministérielle d’être restée en défaut de transmettre en temps utile toutes les pièces du dossier administratif à son mandataire, et ce alors même que la communication de l’attestation d’introduction d’une demande de protection internationale du 29 avril 2024 aurait été sollicitée par ce dernier à de multiples reprises tant par courrier électronique que par voie téléphonique.

Le demandeur estime qu’en agissant de la sorte, l’autorité ministérielle l’aurait empêché d’avoir connaissance de ce document. En l’espèce, la rétention des pièces sollicitées aurait « romp[u] l’équilibre de la procédure dans [son propre droit] à se défendre utilement devant la juridiction administrative ». Le ministre aurait, dès lors, par la retenue abusive desdites pièces, sans qu’un motif légitime ne puisse être constaté en l’occurrence, violé son droit à bénéficier d’un procès équitable tel que garanti par l’article 6 (1) de la CEDH.

Le demandeur se prévaut ensuite d’une violation de l’article 7 (1) de la loi du 18 décembre 2015 en vertu duquel un demandeur de protection internationale se verrait remettre une attestation d’introduction de demande de protection internationale par le ministère des Affaires étrangères, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministère », lui conférant ainsi un droit de rester sur le territoire et d’y circuler librement durant la procédure.

Or, en dépit de la possession d’une telle autorisation lui délivrée en date du 29 avril 2024, le ministre l’aurait placé au Centre de rétention à travers l’arrêté litigieux, pris le lendemain. En agissant de la sorte, le ministre aurait méconnu son droit de circuler librement sur le territoire du Grand-Duché.

Après avoir cité l’article 22 (2) de la loi du 18 décembre 2015, Monsieur … donne à considérer que la loi aurait prévu que le recours au placement d’un étranger au Centre de rétention devrait (i) être écarté en cas d’absence du risque de fuite du fait notamment de l’existence de garanties de représentation et (ii) rester une mesure exceptionnelle au regard de l’entrave qu’il impliquerait pour la liberté d’aller et venir de la personne concernée, liberté fondamentale garantie par la Constitution. Le « droit à la liberté » serait également prévu par l’article 5 (1) de la CEDH. Il existerait, d’ailleurs, des alternatives au placement au Centre de rétention, telle que la possibilité d’être assigné à résidence. Ainsi, après avoir cité l’article 22 (3) de la loi du 18 décembre 2015 définissant les mesures moins coercitives pouvant être ordonnées à la place d’une mesure de placement en rétention, le demandeur sollicite son « placement » à ….

Il affirme encore que l’article 15 (2) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115 », disposant que « Le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale. », n’aurait pas été transposé dans la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Le législateur ayant méconnu une norme européenne supranationale, cette disposition de la directive 2008/115, laquelle serait suffisamment claire et inconditionnelle, devrait avoir un effet direct et avoir comme conséquence sa remise en liberté immédiate.

En précisant encore qu’aucun risque de fuite ne serait établi dans son chef, alors qu’il aurait un comportement irréprochable et respectueux au Centre de rétention, le demandeur conclut que son maintien au Centre de rétention ne serait plus justifié, serait illégal et disproportionné au but recherché, en raison de l’existence de mesures moins coercitives.

Monsieur … précise encore que chaque étranger devrait être traité au regard de sa situation personnelle, tout en rappelant que le ministère lui aurait délivré une attestation d’introduction d’une demande de protection internationale lui octroyant le droit de circuler librement sur le territoire luxembourgeois, et ce, la veille de son placement en rétention. Or, suivant les principes figurant dans la loi du 18 décembre 2015 et dans la directive 2008/115, une mesure de placement au Centre de rétention ne serait « admise que si elle est absolument nécessaire au but légitime poursuivi, et ce dans la situation particulière en cause, si elle est proportionnée et entourée de garanties, plus précisément l’intervention d’un juge ». Au vu du fait que, dans son propre cas, son « placement » à … serait adapté à sa situation personnelle et constituerait une garantie de représentation suffisante, sa mesure de placement au Centre de rétention ne serait ni nécessaire ni proportionnée à son objectif.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours, tout en soulignant que la mesure de placement prise sur base de l’article 22 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015 serait justifiée par la circonstance que le demandeur aurait sollicité la réouverture de son dossier de demande de protection internationale. Il existerait, d’ailleurs, un risque de fuite dans le chef du demandeur en ce qu’il ressortirait du dossier administratif (i) qu’il serait connu dans divers pays sous divers alias, (ii) qu’il aurait fait l’objet d’un signalement SIS tant par les autorités néerlandaises que par les autorités françaises, valables jusqu’au 7 juillet 2028, respectivement 24 juillet 2028, (iii) qu’il aurait déjà disparu, par le passé, de plusieurs pays, dont le Luxembourg, (iv) qu’il ne disposerait pas d’adresse au Luxembourg, et (v) qu’il aurait été intercepté pour diverses infractions dans divers pays. Le délégué du gouvernement en déduit que le ministre aurait valablement pu conclure à l’existence d’un risque de fuite dans le chef du demandeur et ainsi le placer en rétention pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde sa demande de protection internationale au sens de l’article 22 (2) b), le demandeur ne remplissant aucune des conditions pour se voir appliquer une mesure moins coercitive.

En ce qui concerne tout d’abord la légalité externe de la décision déférée, critiquée par le demandeur au motif que la partie étatique l’aurait privé de l’accès à l’intégralité de son dossier administratif, et ce, malgré une demande afférente de son premier, respectivement de son deuxième mandataire, le tribunal est amené à relever que s’il est certes vrai que l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 impose à l’administration une obligation de communication à première demande de l’intégralité du dossier administratif, cette obligation de communication n’est cependant pas une fin en soi, mais elle a pour but de permettre à l’administré de décider en pleine connaissance de cause, au vu des éléments dont dispose l’administration et sur le fondement desquels a été prise sa décision, s’il est utile pour lui de saisir une juridiction. La non-communication de l’entier dossier administratif ne constitue ainsi pas nécessairement et automatiquement une cause d’annulation de la décision litigieuse, laquelle repose sur des motifs qui lui sont propres, et ne saurait affecter la légalité de la décision administrative que dans l’hypothèse d’une violation vérifiée des droits de la défense1.

En l’espèce, il ressort des pièces versées en cause qu’en date du 6 mai 2024, le premier mandataire du demandeur a sollicité la communication du dossier administratif, demande à laquelle le ministre a répondu, par courrier électronique du 8 mai 2024, tout en lui transmettant, suivant les termes dudit courrier, une copie du dossier.

Ensuite, par courrier électronique du 28 mai 2024, l’actuel litismandataire du demandeur a sollicité une copie de l’attestation d’introduction de sa demande de protection internationale laquelle « a été remis[e] à la même date » à Monsieur …, tel que le confirme le litismandataire dans ledit courrier électronique. A la suite de cette demande, une copie des attestations d’introduction d’une demande de protection internationale a été transmise, par courrier électronique du 5 juin 2024, au litismandataire de la part d’un agent du ministère.

Si le demandeur affirme certes avoir subi une lésion de ses droits de la défense en raison de la non-communication du dossier administratif complet et notamment de l’attestation d’introduction de sa demande de protection internationale du 29 avril 2024, précitée, le tribunal doit constater (i) que le demandeur lui-même disposait de cette attestation dès le 29 avril 2024, tel que cela ressort du courrier électronique du litismandataire du 28 mai 2024, et (ii) qu’il reste en défaut de préciser dans quelle mesure il aurait concrètement été empêché de faire valoir ses droits, et ce plus précisément au regard du fait que cette attestation litigieuse a été communiquée à son litismandataire en date du 5 juin 2024, soit avant le dépôt du recours sous analyse. Il s’ensuit qu’au moment de préparer et de déposer son recours, Monsieur … disposait du dossier administratif dans son intégralité et a pu développer des moyens par rapport à tous les éléments, de sorte qu’aucune violation de ses droits de la défense ne peut être constatée.

Pour ce qui est de la violation alléguée du droit à un procès équitable, tel qu’inscrit à l’article 6 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes du paragraphe (1) de cet article, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle […] ». Le tribunal constate non seulement qu’il se dégage de la jurisprudence établie que si la disposition en question impose certes des obligations à respecter en matière de procès équitable, les garanties afférentes n’ont néanmoins pas pour autant vocation à s’appliquer au niveau d’une procédure purement 1 En ce sens : Cour adm., 2 février 2016, n° 37452C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

administrative, en ce qu’elles n’entrent en ligne de compte qu’à un stade ultérieur, au niveau de l’instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l’aboutissement de ladite procédure2, mais encore qu’au vu du fait que l’intégralité du dossier administratif – et partant également l’attestation d’introduction d’une demande de protection internationale du 29 avril 2024 – a été transmise au litismandataire avant le dépôt du recours sous analyse, il n’apparaît pas dans quelle mesure son droit à un procès équitable aurait été violé, le demandeur ayant pu introduire un recours contentieux et valablement défendre sa cause.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation des articles 11 (1) du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 et 6 (1) de la CEDH est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, aux termes de l’article 22 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015, telle que modifiée par la loi du 20 juillet 2023 portant modification de la loi du 18 décembre 2015, sur lequel le ministre a fondé sa décision de placer Monsieur … au Centre de rétention :

« […] Un demandeur ne peut être placé en rétention que : […] b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur; […] ».

L’article 22 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015 permet, dès lors, de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative afin de déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite.

Le paragraphe (3) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que :

« La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite;

l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La 2 Trib. adm., 9 décembre 2013, n° 29910 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Droits de l’homme et libertés fondamentales, n° 29 et les autres références y citées.

mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire.

Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

En vertu de l’article 22 (3) de la loi du 18 décembre 2015, le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) – à savoir, (i) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, (ii) l’assignation à résidence, assortie, le cas échéant, d’une mesure de surveillance électronique, et (iii) le dépôt d’une garantie financière d’un montant de cinq mille euros – ne peut être efficacement appliquée.

Le paragraphe (4) de l’article 22 de la même loi ajoute que :

« La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois.

Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. ».

Ledit article précise, ainsi, que le maintien de la mesure de placement en rétention est conditionné par le fait que la procédure administrative liée aux motifs de rétention, à savoir en l’espèce, les diligences dans le cadre de l’instruction de la demande de protection internationale déposée par le demandeur, soit en cours et exécutée avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Quant aux conditions d’application de l’article 22 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015, force est de constater (i) que le demandeur a déjà passé un entretien auprès d’un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale et (ii) que par décision du 3 juin 2024, notifiée à Monsieur … par courrier recommandé envoyé en date du 4 juin 2024 et réceptionné le 5 juin 2024, le ministre a statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et l’a refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Comme le ministre a, dès lors, manifestement pu d’ores et déjà déterminer les éléments sur lesquels Monsieur … fonde sa demande de protection internationale, le maintien de la mesure de placement sur le fondement de l’article 22 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015 ne se justifie plus.

Au vu de ce qui précède, c’est en l’occurrence à tort que le ministre entend se baser sur le point b) de l’article 22 (2) de la loi du 18 décembre 2015 pour justifier le maintien en rétention du demandeur.

Comme au moment où le tribunal est amené à statuer, la mesure de placement déférée ne se trouve plus justifiée sur base de l’article 22 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il s’agit de la seule base légale sur laquelle le ministre a fondé la décision litigieuse, le recours est à déclarer fondé, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant sur les autres moyens invoqués, et la libération immédiate du demandeur du Centre de rétention est à ordonner.

Le demandeur sollicite encore l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Cette demande est cependant à rejeter, étant donné que le demandeur n’a pas établi en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant, par réformation de la décision déférée du 30 avril 2024, ordonne la libération immédiate de Monsieur … ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par le demandeur ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 17 juin 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50560
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-06-17;50560 ?

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