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01/07/2024 | LUXEMBOURG | N°49035

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 juillet 2024, 49035


Tribunal administratif N° 49035 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49035 2e chambre Inscrit le 13 juin 2023 Audience publique du 1er juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49035 du rôle et déposée le 13 juin 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître

Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au ...

Tribunal administratif N° 49035 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49035 2e chambre Inscrit le 13 juin 2023 Audience publique du 1er juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49035 du rôle et déposée le 13 juin 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, né le … à … (Biélorussie), de nationalité biélorusse, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 mai 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 août 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Madame le délégué du gouvernement Tara Desorbay en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 mars 2024.

Le 15 juin 2021, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section …, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion qu’un visa avait été délivré par les autorités polonaises à Monsieur …, dont la validité s’étendait du 21 mai au 3 octobre 2021.

Toujours le 15 juin 2021, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membrespar un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 21 juin 2021, Monsieur … fut assigné à résidence à … pour une durée de trois mois, assignation à résidence dont la mainlevée fut ordonnée par arrêté du 8 juillet 2021.

En date du 30 juin 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités polonaises aux fins de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 12 (2) du règlement Dublin III, ce que les autorités polonaises acceptèrent par courrier du 15 juillet 2021.

Par décision du 24 août 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Pologne, sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 12 (2) du règlement Dublin III.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2021, inscrite sous le numéro 46437 du rôle, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation de la prédite décision ministérielle du 24 août 2021, qui fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2021.

En date du 11 novembre 2021, Monsieur … fit introduire auprès du ministre une demande de sursis à l’éloignement pour motifs médicaux, qui fut refusée par décision ministérielle du 3 décembre 2021.

Les différents transferts prévus en date des 16 novembre 2021, 9 décembre 2021 et 10 mars 2022 furent annulés et le Luxembourg se déclara responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … en date du 14 avril 2022.

En date du 26 juillet 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 12 mai 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 15 juin 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Notons avant tout autre développement en cause que par décision du 24 août 2021, vous avez été informé que le Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et que vous seriez transféré en Pologne, pays responsable pour la traiter sur base du règlement « Dublin III » et qui avait accepté votre prise en charge le 15 juillet 2021.

Cette décision a été confirmée par jugement du Tribunal administratif du 4 octobre 2021 (n° 46437 du rôle). Votre transfert en Pologne prévu pour le 16 novembre 2021 a ensuite dû être annulé, après que vous avez déposé une demande de sursis à l’éloignement le 11 novembre 2021 pour motifs médicaux, demande refusée le 3 décembre 2021. Votre prochain transfert 2 prévu pour le 9 décembre 2021 a ensuite été annulé après que vous avez refusé de passer un test au Covid-19. Votre prochain transfert prévu pour le 10 mars 2022 a à nouveau été annulé après que la Pologne a décidé de ne plus accepter de transferts depuis le 28 février 2022 au vu de la situation en Ukraine. Le 14 avril 2022, vous avez été informé que le Luxembourg est devenu responsable de l’examen de votre demande de protection internationale après que votre transfert vers la Pologne n’a pas pu se faire dans les délais prévus par la loi.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 15 juin 2021, le rapport d’entretien « Dublin III » du 15 juin 2021 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 26 juillet 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous avez introduit une demande de protection internationale en Suède le 5 octobre 2016 et il ressort dans ce contexte du rapport « Eurodac » que cette demande a été rejetée et que vous avez quitté la Suède le 26 septembre 2019. Il en ressort en outre que vous avez fait l’objet d’un signalement par les autorités slovaques dans le cadre d’une interdiction d’accès ou de séjour dans l’espace Schengen, émise le 13 août 2020.

Vous prétendez avoir quitté la Biélorussie le 7 ou 8 juin 2021 en voiture en direction de la Russie, accompagné de votre épouse … qui a également introduit une demande de protection internationale au Luxembourg. En Russie, vous seriez montés à bord d’un camion qui vous aurait amenés au Luxembourg en deux ou trois jours. Vous pensez être arrivé au Luxembourg le 11 juin 2021. Un ami, également demandeur de protection internationale au Luxembourg, serait alors venu vous chercher pour vous amener vers un foyer d’accueil.

Concernant votre demande de protection internationale introduite en Suède, vous précisez avoir volontairement renoncé à celle-ci et avoir préféré retourner chez vous parce que vous auriez eu des soucis avec votre logement en Biélorussie.

Suite à un examen de votre portable, ont pu être trouvées des photos vous montrant avec votre épouse faire du tourisme en Pologne, datées au 9 et 10 juin 2021 ainsi qu’à une date ultérieure, une photo de votre passeport biélorusse émis le 31 août 2020 et des photos de votre demande d’un visa de longue durée adressée aux autorités polonaises le 3 mars 2021.

Suite à une demande « Europol » adressée aux autorités polonaises, il a pu être confirmé que vous disposiez d’un visa de longue durée émis par la Pologne, valable du 21 mai 2021 au 3 octobre 2021 et vous identifiant comme …. A noter que la demande de visa de votre épouse « … » … a également été acceptée par les autorités polonaises et qu’un visa lui a été accordé du 11 février 2021 au 9 juillet 2021.

Il ressort du rapport d’entretien que vous signalez vous appeler … et non plus … depuis que vous auriez adopté le nom de famille de votre épouse suite à votre mariage le … à …. Vous seriez originaire de …, où vous auriez vécu avec votre épouse. Cela ferait longtemps que vous n’auriez plus travaillé étant donné que vous auriez besoin de béquilles en tant que porteur de deux jambes prothétiques. Vous prétendez être venu au Luxembourg parce que « Es hat sich 3 so ergeben » (p. 4 du rapport d’entretien). Vous auriez par le passé vécu pendant trois ans en Suède, avant que vous n’auriez renoncé à votre demande de protection internationale pour retourner volontairement en Biélorussie. Vous ne vous rappelleriez plus de vos motifs de fuite présentés aux autorités suédoises mais vous vous rappelez qu’« In dem Moment » (p. 5 du rapport d’entretien) vous n’auriez pas eu peur de retourner en Biélorussie. Vous niez ensuite catégoriquement avoir mis le pied sur le territoire belge et vous auriez été signalé par les autorités slovaques après que vous auriez sans succès tenté d’entrer dans le pays. Vous prétendez en outre avoir demandé un visa pour la Pologne afin de quitter la Biélorussie de manière légale ; un plan qui n’aurait pas fonctionné parce que vous auriez voulu quitter le pays ensemble avec votre épouse, qui comme toutes les personnes travaillant dans le secteur de la santé, aurait des problèmes à quitter le pays. Vous prétendez ensuite uniquement vous être trouvé pour un seul moment en Pologne, lorsque vous seriez sorti de votre camion pour prendre l’air et en profiter pour prendre un selfie. Vous n’auriez pas introduit de demande de protection internationale en Pologne parce les Biélorusses n’y seraient pas bien traités. Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg parce que vous n’auriez pas eu accès aux soins médicaux adéquats en Biélorussie et que vous craindriez de vous trouver dans le collimateur des autorités pour avoir participé à des manifestations dirigées contre le régime en place.

Vous commencez toutefois votre récit en prétendant que vos problèmes auraient commencé en 2019 lorsque vous seriez retourné de Suède et que votre maison qui aurait été construite par votre grand-père serait devenue propriété d’Etat. Vous expliquez qu’il y a cinquante ans, les maisons auraient été détenues par leurs bâtisseurs, mais que depuis, l’Etat aurait décidé « dass die Leute diese Wohnungen rauskaufen müssen » (p. 7 du rapport d’entretien), mais que vous n’auriez premièrement pas disposé de la somme nécessaire et qu’en plus vous auriez été absent. Vous précisez que votre mère aurait déjà à l’époque essayé de privatiser ladite maison mais qu’elle n’aurait pas réussi.

A cela s’ajouterait que vous seriez revenu de Suède alors que vous auriez encore dû y passer une opération. Or, lorsque vous vous seriez présenté dans un hôpital en Biélorussie on ne vous aurait pas pris en charge. En plus, en Suède, on vous aurait remis un document informant sur les médicaments que vous devriez prendre à cause de votre séropositivité. En présentant ce document en Biélorussie, on vous aurait dit de retourner vous faire soigner en Suède. Après vous être plaint auprès d’une instance supérieure, on vous aurait prescrit des médicaments qui seraient normalement administrés aux femmes enceintes. Vous prétendez en outre qu’un médecin n’aurait pas voulu vous prescrire les médicaments nécessaires sous prétexte que vous n’auriez jamais travaillé en Biélorussie.

Vous continuez votre récit en expliquant qu’en début 2021 vous auriez essayé de quitter la Biélorussie de manière officielle en entrant en Ukraine, après qu’un ami travaillant pour l’Etat vous aurait signalé en avril 2021 que vous seriez arrêté si vous ne quittez pas le territoire. Vous prétendez ensuite que vous auriez à ce moment-là tenté de quitter la Biélorussie parce que « Ich wollte es einfach nur probieren um zu sehen ob es klappt » (p. 8 du rapport d’entretien) pour voir si vous pouviez dans le futur faire sortir votre épouse de la même manière. Or, étant donné que le passeur n’aurait pas été compétent cela n’aurait pas marché.

Vous prétendez alors que vos problèmes auraient commencé en 2021, après que vous auriez rencontré votre épouse Anna qui aurait été politiquement active, aurait participé à des manifestations et aurait été arrêtée en 2020. Vous prétendez dans ce contexte avoir également participé à des manifestations « als die Unruhen anfingen » (p. 5 du rapport d’entretien), respectivement, « Sobald ich aus der Ukraine zurückkahm » et que vous auriez alors une fois 4 été arrêté et placé pendant deux jours dans un garage avec une cinquantaine d’autres manifestants. A une autre reprise vous auriez discuté avec des amis dans la ville de ….

Lorsqu’un ami aurait insulté le Président Lukaschenko, vous auriez immédiatement été arrêtés par des hommes qui seraient passés ce moment-là. Vous auriez tous été libérés à part votre ami qui aurait proféré l’insulte, qui aurait été condamné à une peine de prison en mai 2021.

Vous prétendez dans ce contexte être actif sur des plateformes digitales sociales qui seraient perçues comme étant extrémistes ou terroristes par les autorités biélorusses et dont la simple adhésion vous risquerait de vous faire condamner à une peine de prison, comme Chartia 79, Belsat, Cyber Partisane, Schwarze Buch Weissrusslands, Nexta et Spiegel Nachrichten. Enfin, vous prétendez avoir été condamné à plusieurs peines de prison durant l’époque 1995-2004 et que « Danach zählt man nicht mehr als normaler Bürger in unserem Land » (p. 6 du rapport d’entretien). Dans ce contexte vous portez à l’attention de l’agent chargé de votre entretien un rapport de l’ONU de juin 2022 qui informerait sur une détérioration du respect des Droits de l’Homme en Biélorussie.

En juin 2021, vous auriez quitté la Biélorussie. En cas d’un retour en Biélorussie vous craindriez d’être menotté à la frontière même, surtout si les autorités découvraient que vous seriez revenu en Biélorussie depuis l’étranger. A cela s’ajouterait qu’en la personne de votre épouse, vous auriez emmené un « travailleur médical » hors de la Biélorussie, ce qui ne serait pas permis. Vous seriez d’avis qu’il existerait une loi sur ce sujet.

Concernant votre épouse, vous précisez qu’elle souffrirait de diabète et qu’elle aurait travaillé comme …. A cause de sa participation à des manifestations, elle aurait été forcée à quitter son travail et n’aurait par la suite plus réussi à en trouver à un autre à cause de cet activisme politique. Elle aurait quitté la Biélorussie pour pouvoir vivre en tant que personne libre et pouvoir travailler en tant qu’….

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous versez des photos et vidéos qui monteraient votre participation et celle de votre épouse à des manifestations en Biélorussie. Le 8 septembre 2022 vous avez versé votre acte de mariage qui aurait été conclu le ….

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Il y a lieu de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’évaluation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Force est toutefois de constater que vos motifs de fuite doivent être réfutés alors qu’il est établi que vos réponses données à l’agent chargé de votre entretien ne sont pas sincères.

En effet, dès le début de votre entretien il est établi que vous ne répondez pas honnêtement aux 5 questions vous posées en prétendant notamment avoir pris le choix de renoncer à votre demande de protection internationale introduite en Suède et de retourner volontairement en Biélorussie, où vous vous seriez trouvé jusqu’à votre départ pour le Luxembourg le 7 juin 2021.

Ensuite, vous prétendez avoir quitté la Biélorussie via la Russie et avoir rejoint le Luxembourg endéans deux ou trois jours cachés à bord d’un camion. Or, à part le fait que vos empreintes ont été enregistrées en Slovaquie en août 2020, il s’agit surtout de soulever que l’examen de votre portable a permis de démontrer que votre récit ne colle aucunement à la réalité.

Ainsi, il est établi qu’avant de venir au Luxembourg, vous ainsi que votre épouse étiez détenteurs de visas de longue durée émis par la Pologne, tout comme il est établi que vous n’avez manifestement pas passé la Pologne en un jour cachés dans un camion, en tentant de justifier les photos retrouvées sur vous par le fait que vous auriez fait une petite pause de quelques minutes en Pologne et que vous en auriez alors profité pour prendre quelques photos.

En effet, au vu des photos retrouvées, datant de plusieurs jours différents, il est établi que vous avez fait du tourisme en Pologne, notamment à Varsovie, avant de vous décider de venir introduire des demandes de protection internationale au Luxembourg. Sur base de ces constats et de votre non sincérité sur ce sujet, il doit être retenu que vous vous trouviez en fait en Pologne pendant beaucoup plus de temps que vous l’avez prétendu de sorte que votre récit tournant autour de votre prétendu vécu précédant votre prétendue « fuite » de la Biélorussie doit évidemment être réfuté.

Le constat que vous ne jouez manifestement pas franc jeu avec les autorités desquelles vous souhaitez vous faire accorder une protection internationale se trouve davantage confirmé par de nombreuses autres incohérences ou contradictions ressortant de vos dires. Ainsi, il échet notamment de constater que vous vous contredisez à de nombreuses reprises quant aux prétendues manifestations auxquelles vous auriez participé. D’un côté, vous prétendez avoir pris le choix de partir en direction de l’Ukraine après que vous auriez participé en béquilles à des manifestations et que vous auriez été averti par votre ami en avril 2021 que vous risqueriez désormais d’être arrêté. De l’autre côté vous prétendez toutefois que vous n’auriez commencé à participer aux manifestations qu’après votre prétendu retour d’Ukraine. Vous vous contredisez davantage en prétendant avoir commencé à participer aux manifestations, à l’instar de votre épouse, « als die Unruhen anfingen ». Les manifestations ont toutefois commencé à secouer la Biélorussie en mai 2020.

Concernant ce prétendu départ vers l’Ukraine, on peut encore soulever que vous vous contredisez à nouveau quant à la raison de ce voyage, alors que vous prétendez donc avoir pris ce choix après avoir été averti que vous risqueriez une arrestation pour votre participation à des manifestations, mais que vous précisez tout aussi clairement que vous auriez entrepris ce voyage sans raison urgente : « Ich wollte es einfach nur probieren um zu sehen ob es klappt », dans le but de voir si vous pouviez dans le futur faire sortir du pays votre épouse de la même manière. Concernant le départ de votre épouse on peut dans ce contexte encore ajouter qu’il ne fait pas de sens non plus de prétendre d’un côté qu’elle aurait été licenciée de son travail d’… et qu’elle ne pourrait plus jamais travailler dans cette branche en Biélorussie, mais de l’autre côté, qu’elle aurait connu comme toutes les personnes travaillant dans le secteur de la santé des problèmes à quitter le pays, dans le sens que les autorités voudraient les retenir parce qu’elles en auraient besoin. Pour être complet sur ce sujet, notons aussi que si vous prétendiez que votre épouse aurait perdu son travail à cause de sa participation à des manifestations, cela ne ressort pas de ses dires alors qu’elle précise avoir quitté son travail parce qu’elle n’aurait plus été apte à travailler.

6 Enfin pour ce qui est de votre propre prétendue participation à des manifestations, soulevons que contrairement à vos dires, les pièces versées ne témoignent nullement d’un tel fait. En effet, ni les photos versées, ni les vidéos non datées ne permettent de retenir que vous ayez participé ne serait-ce qu’à une seule manifestation. Il est d’autant plus établi que vous n’auriez jamais participé à des manifestations qu’à part vos soucis physiques qui rendraient une telle tâche compliquée, il ne fait aucun sens que votre épouse, qui comme vous le précisez aurait tenu le portable pour filmer, aurait étonnement complètement oublié de vous prendre en photo ou de vous filmer tout en prenant en photo ou en filmant des totaux inconnus ou des amis. A cela s’ajoute qu’à part les vidéos ou photos qui auraient été prises avec le portable de votre épouse, les autres photos et vidéos ne vous concernent pas mais constituent des pièces que vous vous seriez procurées de manière inconnue et représentant des scènes dans un lieu et à une date inconnue. Trois quarts de ces photos et vidéos versées sous forme d’un fichier sur clé USB ont d’ailleurs été modifiées le 16 juin 2021, le jour suivant l’introduction de votre demande de protection internationale tandis que les fichiers restants auraient été modifiés en juillet 2022, juste avant votre entretien concernant vos motifs de fuite. Concernant ce manque total de preuves quant à un quelconque activisme en Biélorussie, notons aussi que vous êtes resté en défaut de verser une quelconque pièce qui permettrait de corroborer vos dires en relation avec vos prétendues activités sur des plateformes digitales ou réseaux sociaux qui seraient perçues comme étant extrémistes en Biélorussie.

Force est en outre de constater que d’autres incohérences définissent votre récit, tel lorsque vous commencez à parler de vos motifs de fuite en précisant que vos problèmes auraient commencé en 2019, seulement pour préciser tout aussi clairement quelques lignes plus loin que vos problèmes auraient commencé en 2021.

De plus, notons qu’il n’est pas cohérent non plus qu’une personne qui serait réellement persécutée ou qui craindrait d’être persécutée dans son pays d’origine et qui serait véritablement à la recherche d’une protection internationale, quitte son pays de façon officielle en choisissant pour cela de traverser un pays en guerre, l’Ukraine, seulement pour décider de retourner volontairement en Biélorussie une fois qu’elle aurait atteint l’Union européenne par la Slovaquie. Une telle personne aurait évidemment été reconnaissante d’avoir atteint un pays sûr et y aurait introduit sa demande de protection internationale.

Il est pareillement incohérent que vous voulez faire croire aux autorités luxembourgeoises que vous ne vous rappelleriez tout simplement plus de vos motifs de fuite racontés aux autorités suédoises, respectivement, que la raison vous échapperait pourquoi vous auriez déjà senti le besoin de quitter la Biélorussie en 2016 pour aller demander une protection internationale en Europe. Ce constat vaut d’autant plus que vous vous rappelez étonnement très bien qu’« In dem Moment » (p. 5 du rapport d’entretien) vos problèmes n’auraient en tout cas pas été aussi graves à vous empêcher de retourner prétendument volontairement chez vous pour vous occuper d’un souci avec votre logement.

Votre décision de prétendument retourner volontairement en Biélorussie après pourtant avoir demandé une protection internationale en Europe prouve en tout cas à suffisance le non-sérieux de vos démarches, si un simple souci avec un logement était déjà suffisant pour vous pousser à retourner volontairement dans le pays dans lequel vous craindriez d’être persécuté.

Au vu de tout ce qui précède, il doit en tout cas être conclu qu’après avoir reçu vos visas, vous et votre épouse avez quitté votre pays de manière officielle, pour aller vous installer 7 pendant un temps en Pologne et que vous avez par la suite décidé de faire part d’un récit inventé de toutes pièces et de vous défaire de vos passeports, respectivement de les cacher, dans le cadre de vos demandes de protection internationale introduites au Luxembourg.

Que vous ne craignez rien en Biélorussie est davantage confirmé par votre nouveau passeport qui vous a forcément été émis après votre mariage en …, alors qu’il contient le nom de famille que vous avez adopté de votre épouse. Force est toutefois de rappeler que les prétendues « Unruhen » auxquelles vous faites allusion et dans le cadre desquelles vous et votre épouse auriez commencé à participer à des manifestations, ont déjà commencé en mai 2020, tout comme les arrestations de votre épouse qui auraient eu lieu en 2020. Or, étant donné que les autorités biélorusses vous ont encore remis ce passeport après février 2021, elles ne vous avaient donc manifestement pas dans leur collimateur alors que des personnes recherchées ou visées par des procédures pénales ou poursuites civiles n’ont pas le droit de quitter le pays et ne se voient donc logiquement pas non plus émettre de titre de voyage.

Votre vécu précédant votre arrivée au Luxembourg ne correspondant en tout cas pas à vos dires, il est évident qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée à vos déclarations supplémentaires concernant vos prétendus motifs à la base de votre demande.

Ajoutons pour être complet sur ce sujet qu’il paraît dès lors établi que seuls des motifs d’ordre médical ou de convenance personnelle fondent votre demande de protection internationale, demande que vous étoffez avec un récit tournant autour d’un prétendu activisme politique dans le but évident de rendre votre histoire plus dramatique et d’augmenter les probabilités de vous faire octroyer une protection internationale. Ce constat vaut d’autant plus que vous semblez déjà avoir profité de soins médicaux dans le cadre de votre demande de protection internationale introduite en Suède et qu’hormis les motifs médicaux mentionnés, il ressort encore de votre refus de vous faire transférer en Pologne, respectivement, de vos demandes d’un sursis à l’éloignement pour motifs médicaux que vous voudriez rester au Luxembourg pour soigner votre sida, hépatite C ou encore vos nécroses des têtes fémorales suite auxquelles vous vous êtes fait poser deux hanches artificielles au Luxembourg en juillet et octobre 2021. Vous vous êtes en effet délibérément opposé à un transfert vers la Pologne, Etat compétent pour le traitement de votre demande de protection internationale, comportement caractéristique d’un abus des procédures prévues en matière d’asile. En effet, on peut supposer qu’une personne réellement persécutée ne tente pas de saboter par tous les moyens un tel transfert et d’ainsi inutilement prolonger les délais d’analyse de sa demande de protection internationale.

Partant, votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Biélorussie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 12 mai 2023portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 12 mai 2023, prise dans son double volet, telle que déférée, ledit recours, étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur indique être de nationalité biélorusse et de confession orthodoxe. Il explique que sa vie serait devenue impossible dans son pays d’origine où il risquerait des persécutions en raison de sa participation à différentes manifestations d’opposition au régime en place, ensemble avec son épouse …, qui aurait également introduit une demande de protection internationale fondée sur les mêmes raisons.

Cette participation à des manifestations aurait débuté dès le début des émeutes, respectivement dès son retour d’Ukraine, pays dans lequel il se serait rendu, dans un premier temps, afin d’évaluer la faisabilité d’un exode commun avec son épouse. Cet activisme politique aurait conduit à son arrestation, ensemble avec 50 autres manifestants, et à son placement pendant deux jours dans un garage avant d’être libéré. Il précise encore que son opposition au régime en place se serait aussi exprimée au travers de son activité sur les plateformes digitales sociales, qui seraient perçues par les autorités biélorusses comme relevant du terrorisme. Il craindrait de ce fait, en cas de retour dans son pays d’origine, d’être arrêté et emprisonné à l’instar de nombreuses personnes qui, comme lui, auraient fait l’objet de « lourdes condamnations du seul fait de leur participation à des manifestations revendiquant leur opposition au pouvoir en place » et de ne bénéficier d’aucune protection. Ce risque serait d’autant plus grave dans son chef, puisqu’il souffrirait du sida, d’une hépatite C et de nécroses des têtes fémorales, pathologies qui seraient incompatibles avec une incarcération. Il ajoute encore que sa santé mentale serait altérée au point qu’il aurait été admis en psychiatrie du … au ….

En droit, le demandeur rappelle les termes de l’article 37 (3) a) de la loi du 18 décembre 2015 et donne à considérer que tant sa situation individuelle que la situation générale en Biélorussie devraient être prises en considération dans le cadre de l’appréciation de la crédibilité de son récit. Il se prévaut, à ce sujet, de divers rapports et articles de presse desquels il déduit que de graves violations des droits de l’Homme, notamment par une répression violente des opposants au régime en place, seraient commises en Biélorussie.

Quant à la crédibilité de son récit, le demandeur s’empare de l’article 37 (5) e) de la loi du 18 décembre 2015 pour soutenir que le doute devrait profiter au demandeur de protection internationale, si son récit général pouvait être considéré comme crédible.

En ce qui concerne la durée de séjour en Pologne, le demandeur admet dans un premier temps avoir menti au sujet de celle-ci par crainte de se voir reprocher de ne pas être directement arrivé au Luxembourg depuis son pays d’origine ou d’avoir séjourné pendant une trop longue période dans un autre pays, avant d’expliquer que les dates des photos prises en Pologne accréditeraient sa version des faits selon laquelle il aurait quitté son pays d’origine le 7 juin2021 et que la Pologne n’aurait été qu’un pays de transit au vu du court séjour durant lequel sa présence y serait documentée.

Concernant le début de sa participation aux manifestations en Biélorussie, le demandeur explique s’être trompé sur l’année de son voyage en Ukraine. Il aurait commencé à participer aux manifestations dans son pays d’origine vers avril/mai 2020 et il se serait rendu en Ukraine en juin/juillet 2020, et non pas en 2021.

Le fait qu’il n’ait pas considéré son départ vers l’Ukraine avec urgence s’expliquerait par cette erreur concernant l’année de son voyage vers ce pays, le demandeur affirmant qu’en juin/juillet 2020, la situation dans son pays d’origine n’aurait pas été aussi grave qu’elle le serait devenue par la suite.

Quant à l’absence de preuves de son activisme politique, Monsieur … indique qu’il aurait été particulièrement imprudent de conserver de telles preuves, au vu de la répression qui aurait été exercée par le régime à l’égard de ceux qui manifesteraient publiquement une attitude d’opposition. De ce fait, il aurait volontairement fait en sorte de ne pas apparaître sur les photos versées en cause des manifestations auxquelles il aurait participé. Il précise encore que sa participation sur les plateformes digitales aurait été anonymisée, de sorte à rendre son origine indécelable.

En ce qui concerne le début de ses problèmes en 2019 ou 2021, le demandeur fait valoir qu’une confusion existerait dans son esprit, alors qu’il aurait visé l’année 2019 comme celle correspondant aux problèmes portant sur la privatisation de sa maison, tandis que l’année 2021 correspondrait aux problèmes à l’origine de sa demande de protection internationale, à savoir son activisme politique.

Concernant sa présence en Slovaquie au mois d’août 2020, il précise que cette présence s’inscrirait dans le cadre de l’initiative qu’il aurait prise au courant du mois de juin/juillet 2020 de traverser l’Ukraine afin d’évaluer la possibilité de réaliser ensuite l’exode avec son épouse.

Après avoir traversé ledit pays, il serait entré « très légèrement » sur le sol slovaque, sans avoir eu l’intention d’y déposer une demande de protection internationale, mais dans l’idée de retourner chercher son épouse pour s’enfuir avec elle.

Le demandeur avance ensuite ses problèmes de santé mentale pour justifier l’impossibilité pour lui de se souvenir des motifs invoqués à la base de sa demande de protection internationale en Suède. Il fait d’ailleurs valoir que les autorités luxembourgeoises auraient pu interroger leurs homologues suédois à ce propos, mais qu’aucun accord en ce sens ne lui aurait été demandé.

Concernant son retour volontaire dans son pays d’origine en 2019, Monsieur … soutient qu’à ce moment, les persécutions des autorités biélorusses à l’égard des opposants politiques n’auraient pas encore été d’actualité et que le risque pour lui d’y être confronté aurait été limité.

A propos de son passeport délivré par les autorités biélorusses en 2021, il donne à considérer qu’aucune poursuite pénale ou civile n’aurait été diligentée à son encontre et que le contraire n’aurait d’ailleurs pas été soutenu par lui, de sorte que les autorités biélorusses n’auraient pas eu d’autres possibilités que de lui délivrer un passeport.

Quant au reproche du ministre relatif à l’absence d’éléments de preuve venant corroborer son récit, le demandeur, en se référant à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 22 novembre 2012, M.M. contre Minister for Justice, Equality and Law Reform, C-277/11, soutient que s’il est de principe que la charge de la preuve incombe au demandeur de protection internationale, l’Etat membre en charge de l’examen de la demande de protection internationale devrait néanmoins activement coopérer avec le demandeur de protection internationale pour permettre la réunion de l’ensemble des éléments de nature à étayer sa demande. A ce sujet, la CJUE renverrait à l’article 8 (2) b) de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, selon lequel les Etats membres devraient veiller à ce que des informations précises et actualisées soient obtenues sur la situation générale existante dans les pays d’origine des demandeurs de protection internationale et dans les pays par lesquels ils auraient transité, le tout dans un souci de préserver le principe de l’égalité des armes, les droits de la défense et le droit à une protection effective.

Il faudrait également tenir compte de la vulnérabilité du demandeur de protection internationale et des difficultés pratiques et psychologiques auxquelles il pourrait être confronté lorsqu’il s’agit d’établir un risque et de réunir des preuves. Or, dans ce contexte, la vulnérabilité inhérente au statut de demandeur de protection internationale aurait été mise en exergue par la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après dénommée « la CourEDH », dans deux arrêts relatifs à l’accès effectif des demandeurs de protection internationale aux procédures de détermination, à savoir les affaires M.S.S. c/ Belgique ou encore l’arrêt Hirsi c/ Italie.

De toutes ces explications le demandeur déduit que son récit devrait être considéré comme étant globalement crédible, dans la mesure où les confusions sinon les mensonges porteraient sur des points marginaux. Cette conclusion se trouverait renforcée par le fait que la situation en Biélorussie se caractériserait par une persécution aigüe à l’égard des opposants participant à des manifestations.

Il se réfère finalement à un jugement du tribunal administratif du 17 septembre 2019, portant le numéro 41029 du rôle, pour soutenir que la décision déférée, par laquelle le ministre a rejeté sa demande de protection internationale sans procéder à une analyse au fond des conditions d’octroi d’une protection internationale, heurterait l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015 et devrait encourir l’annulation dans le cadre du recours en réformation ainsi formé.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis quecelle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de loi du 18 décembre 2015 les énumère sous ses points a), b) et c), comme étant respectivement « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » Aux termes de l’article 40 de la même loi « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou 12 b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la même loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation générale, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.

1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.Or, le tribunal partage les doutes du ministre et du délégué du gouvernement quant à la crédibilité du récit du demandeur concernant son engagement politique, étant relevé que dans le recours sous analyse, il confirme que seuls les problèmes liés à son activisme politique seraient à l’origine de sa demande de protection internationale au Luxembourg.

En effet, force est, tout d’abord, de constater que le demandeur ne sait plus le nombre de manifestations auxquelles il aurait pris part2 en Biélorussie et qu’il ne fournit aucun détail sur celles-ci.

Ensuite, le demandeur affirme avoir des preuves de sa participation aux différentes démonstrations contre le régime biélorusse, notamment des vidéos et des photos, sur lesquelles il n’apparaît cependant pas. Face à la remise en question de ces prétendues preuves, la seule argumentation du demandeur tendant à affirmer qu’il aurait sciemment fait en sorte de ne pas apparaître sur lesdits documents en raison de la répression qu’ils auraient pu occasionner à son encontre laisse de convaincre le tribunal, dans la mesure où, tel que le relève la partie étatique, son épouse s’est pourtant elle-même filmée pendant les manifestations, ainsi que les personnes se trouvant dans son entourage sans qu’il ne figure sur les images.

En outre, le moment auquel il a commencé à participer aux protestations contre le régime biélorusse n’est pas clair : le demandeur affirme y avoir participé « als die Unruhen anfingen »3, soit en mai 2020, ce qu’il confirme dans sa requête introductive d’instance en précisant que ce serait en avril/mai 2020 et qu’il serait allé en Ukraine en juin/juillet 2020, et indique ensuite qu’il aurait commencé à prendre part aux contestations « Sobald ich aus der Ukraine zurückkam »4.

L’absence de participation à ces manifestations se trouve encore confortée par le fait que le demandeur affirme ne plus pouvoir travailler depuis plusieurs années en raison de sa condition physique, à savoir le fait qu’il se déplace en béquilles.

A cela s’ajoute que les doutes ministériels concernant son activisme politique sur les plateformes digitales ne sont pas dissipés par les explications de Monsieur … selon lesquelles il aurait agi de manière anonyme pour ne pas être retrouvé. En effet, tel que soutenu par la partie étatique, en tant que titulaire des comptes anonymes qu’il aurait utilisés pour s’exprimer sur les réseaux, il pouvait avoir accès à ses publications et en présenter des extraits, ce qu’il reste en défaut de faire.

Le manque de crédibilité du récit du demandeur concernant ses craintes de persécutions en relation avec son prétendu activisme politique se trouve encore conforté par le fait qu’il se soit rendu illégalement en Slovaquie en août 2020 et qu’il a décidé de retourner volontairement en Biélorussie pour y rester jusqu’en juin 2021, avant de requérir un visa touristique pour la Pologne afin de sortir légalement de son pays d’origine, - ce qu’il a d’ailleurs pu faire -, comportement qui est difficilement compatible avec celui d’une personne qui s’estime persécutée depuis avril/mai 2020 ou qui craindrait d’être persécutée dans son pays d’origine par les autorités en place.

2 « Sicherlich 8 Mal, ob er mehr war, weiß ich nicht mehr. Von weitem gesehen, kann es 15 Mal gewesen sein. », page 9 du rapport d’audition.

3 Page 5 du rapport d’audition.

4 Page 9 du rapport d’audition.Partant, il ressort de ces considérations que la crédibilité de l’élément essentiel du récit du demandeur sur lequel il base sa demande de protection internationale, à savoir son engagement politique, est compromise.

Eu égard à ces constatations, le tribunal est amené à retenir que les conditions visées à l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015 pour pouvoir se prévaloir du bénéfice du doute sans avoir à étayer ses dires par des preuves probantes, à savoir que le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, qu’il a livré tous les éléments dont il disposait et que ses déclarations sont cohérentes, ne sont pas remplies, de sorte que son récit doit être considéré comme n’étant pas crédible dans son intégralité, sans qu’il ne soit nécessaire de prendre position sur les autres points soulevés par le ministre. En effet, les incohérences de son récit ne portent pas sur des points marginaux, tel que le demandeur le soutient, et ne peuvent pas non plus s’expliquer en raison de sa prétendue vulnérabilité ou de difficultés pratiques ou psychologiques.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal retient que le récit du demandeur en relation avec son prétendu vécu en Biélorussie, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre, l’intéressé apparaissant, au contraire, comme tentant d’ajouter des éléments pour augmenter la probabilité d’obtenir une protection internationale. Il ressort, en effet, tant de la fiche des motifs remplie lors de l’introduction de la demande de protection internationale que de ses déclarations faites lors de ses auditions que Monsieur … souhaite obtenir une protection internationale au Luxembourg pour y être soigné. Or, de tels motifs d’ordre médical ne sauraient manifestement justifier l’octroi ni du statut de réfugié, pour ne pas être fondés sur un des critères visés par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ni de celui conféré par la protection subsidiaire pour ne pas entrer dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a refusé d’octroyer une protection internationale au demandeur, de sorte que le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle lui refusant ladite protection encourt le rejet pour être non fondé.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur estime que ce volet de la décision ministérielle encourrait la réformation en conséquence de la réformation du premier volet de la décision portant refus de l’octroi d’une protection internationale dans son chef.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, dans la mesure où l’ordre de quitter le territoire découlerait directement de la décision rejetant l’octroi d’une protection internationale.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, il a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour être également non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 12 mai 2023 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 12 mai 2023 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 1er juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49035
Date de la décision : 01/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-01;49035 ?

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