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08/07/2024 | LUXEMBOURG | N°47521

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juillet 2024, 47521


Tribunal administratif N° 47521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47521 2e chambre Inscrit le 7 juin 2022 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée “A” SARL et consorts, …, contre le règlement grand-ducal du 25 février 2022 portant déclaration d’obligation générale de l’accord interprofessionnel en matière de formation professionnelle continue pour le secteur immobilier, en présence des syndicats LCGB et OGBL en matière d’acte à caractère réglementaire

JUGEMENT

Vu la requête insc

rite sous le numéro 47521 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2...

Tribunal administratif N° 47521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47521 2e chambre Inscrit le 7 juin 2022 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée “A” SARL et consorts, …, contre le règlement grand-ducal du 25 février 2022 portant déclaration d’obligation générale de l’accord interprofessionnel en matière de formation professionnelle continue pour le secteur immobilier, en présence des syndicats LCGB et OGBL en matière d’acte à caractère réglementaire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47521 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2022 par la société à responsabilité limitée PwC Legal SARL, établie et ayant son siège social à L-2182 Luxembourg, 2, rue Gerhard Mercator, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B169476, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Serge Hoffmann, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1) la société à responsabilité limitée “A” SARL, établie et ayant son siège social à L- …, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son ou ses gérants actuellement en fonctions ;

2) la société anonyme “B” SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions ;

3) la société anonyme “C” SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

4) la société anonyme “D” SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

5) la société anonyme “E” SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son administrateur unique actuellement en fonctions ;

6) la société à responsabilité limitée “F” SARL, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son ou ses gérants actuellement en fonctions ;

7) la société à responsabilité limitée “G” SARL, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son ou ses gérants actuellement en fonctions ;

tendant à l’annulation du « règlement grand-ducal du 25 février 2022 portant déclaration d’obligation générale de l’accord interprofessionnel en matière de formation professionnelle continue pour le secteur immobilier conclu le 28 octobre 2021 entre la “H”, d’une part et les syndicats OGBL et LCGB, d’autre part » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre Biel du 15 juin 2022 portant signification du prédit recours 1) à l’association sans but lucratif “H” ASBL, établie et ayant son siège social à L-…, enregistrée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, 2) à la Confédération Luxembourgeoise des Syndicats Chrétiens (« Lëtzebuerger Chrëschtleche Gewerkschaftsbond », en abrégé « LCGB »), établie à L-1351 Luxembourg, 11, rue du Commerce, représentée par son comité directeur actuellement en fonctions et 3) à la Confédération Syndicale Indépendante du Luxembourg (« Onofhängege Gewerkschaftsbond Lëtzebuerg », en abrégé « OGBL »), établie et ayant son siège social à L-4170 Esch-sur-Alzette, 60, Boulevard J.F. Kennedy, représentée par son président national actuellement en fonctions, sinon par son congrès national, sinon par son comité national, sinon par son comité exécutif, sinon par son bureau exécutif, sinon encore par tout autre organe dûment habilité à la représenter ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2022 par Maître Clément Scuvée, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour compte du LCGB, préqualifié ;

Vu le mémoire en réponse de Maître Clément Scuvée, déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2022 pour compte du LCGB, préqualifié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le règlement grand-ducal attaqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Serge Hoffmann et Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 mai 2024, Maître Clément Scuvée s’étant dûment excusé et rapporté à ses écrits.

En date du 25 février 2022 fut pris un règlement grand-ducal portant déclaration d’obligation générale de l’accord interprofessionnel en matière de formation professionnelle continue pour le secteur immobilier conclu le 28 octobre 2021 entre la “H”, ci-après désignée par « la Chambre immobilière », d’une part, et les syndicats OGBL et LCGB, d’autre part, ci-

après désigné par « le règlement grand-ducal du 25 février 2022 ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2022, la société à responsabilité limitée “A” SARL, la société anonyme “B” SA, la société anonyme “C” SA, la société anonyme “D” SA, la société anonyme “E” SA, la société à responsabilité limitée “F” SARL et la société à responsabilité limitée “G” SARL, ci-après désignées ensemble par « les parties demanderesses », ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de ce règlement grand-ducal.

Il convient à titre liminaire de relever que le syndicat OGBL n’a pas fourni de mémoire en réponse dans le délai légal bien que la requête introductive d’instance lui ait été signifiée par acte d’huissier de justice en date du 15 juin 2022. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire, même si une des parties tierces intéressées n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.

I.

Quant à la compétence du tribunal Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère réglementaire.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en annulation introduit à l’encontre du règlement grand-ducal déféré.

II.

Quant à la recevabilité du recours Le syndicat LCGB invoque plusieurs moyens d’irrecevabilité à l’encontre du recours en annulation sous analyse, à savoir le fait (i) qu’il serait « mal dirigé » en ce que ledit syndicat serait dépourvu de personnalité juridique, (ii) qu’il serait entaché d’une nullité de fond pour indiquer être dirigé contre le syndicat LCGB « représentée par son comité directeur actuellement en fonctions » et (iii) que les parties demanderesses n’auraient pas d’intérêt à agir.

1. Quant au moyen d’irrecevabilité du recours pour être « mal dirigé » Arguments des parties En premier lieu, le syndicat LCGB fait valoir que comme il serait dépourvu d’une personnalité juridique propre, il ne pourrait pas ester en justice. Etant donné qu’il serait inapte à se défendre en justice, « la requête à l’encontre du syndicat LCGB [serait] mal dirigée » et le recours serait, en conséquence, à déclarer irrecevable.

Les parties demanderesses n’ont pas pris position par rapport à ce moyen, faute d’avoir déposé un mémoire en réplique.

Analyse du tribunal Le tribunal se doit de relever que le moyen sous analyse est fondé sur la prémisse que le présent recours aurait été dirigé « à l’encontre du syndicat LCGB ».

Force est toutefois de constater que le recours dont a à connaître le tribunal vise à obtenir l’annulation d’un acte administratif à caractère réglementaire, à savoir le règlement grand-

ducal du 25 février 2022 qui a été pris sur le fondement de l’article L. 164-8 du Code du travail afin de déclarer d’obligation générale, pour tout le secteur immobilier, l’accord interprofessionnel en matière de formation professionnelle continue conclu entre, d’une part, la Chambre immobilière et, d’autre part, les syndicats OGBL et LCGB. Au vu de l’objet du recours sous analyse, la partie défenderesse à la présente instance n’est pas le syndicat LCGB, mais l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, le recours en question n’ayant, en effet, été signifié au syndicat LCGB qu’en sa qualité de partie intéressée par la solution du litige, qui, en tant que telle, a lui-même choisi de se faire représenter à la présente instance par un avocat à la Cour qu’il a mandaté pour déposer un mémoire en réponse en son nom et pour son compte.

Le moyen d’irrecevabilité, tel que soulevé, est dès lors à écarter pour être fondé sur une prémisse erronée.

2. Quant au moyen d’irrecevabilité tiré de « la nullité de fond affectant la requête introductive d’instance » Arguments des parties Le syndicat LCGB conclut encore à l’irrecevabilité du recours au motif qu’il serait indiqué dans la requête introductive d’instance que les parties demanderesses ont « dirigé leur action contre le LCGB « représentée par son comité directeur actuellement en fonctions » ».

Or, suivant ses statuts, le syndicat LCGB ne possèderait pas de comité directeur parmi ses organes et encore moins parmi ses organes représentatifs. Il serait, en effet, représenté, d’après ses statuts, soit par son président national soit par son comité central. Faute d’indiquer son représentant légitime, la requête serait affectée d’une nullité de fond.

Les parties demanderesses n’ont pas pris position par rapport à ce moyen d’irrecevabilité.

Analyse du tribunal Tout d’abord et tel que retenu ci-avant, le recours sous analyse ne saurait s’analyser comme ayant été « dirigé contre » le syndicat LCGB, qui n’est pas à considérer comme partie défenderesse dans le cadre de la présente procédure. Ensuite et même à admettre que la signification de la requête introductive d’instance au syndicat LCGB en sa qualité de partie tierce intéressée comportait un vice éventuel au regard de l’organe représentatif dudit syndicat visé par l’exploit, il n’en reste pas moins que ledit syndicat a su valablement prendre position dans le cadre de la présente procédure en chargeant, suite à cette signification, un avocat à la Cour de produire, par le biais du dépôt d’un mémoire en réponse, ses moyens et arguments en appui de l’acte réglementaire déféré au tribunal.

Or, aux termes de l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 précitée « [l]’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense », l’intention du législateur formulée par l’auteur de la proposition de loi numéro 4326 ayant abouti à la loi du 21 juin 1999 ayant été exprimée en ce sens que la disposition devenue l’article 29, qualifiée « d’importante », « constitue le reflet de l’article 173, alinéa 2 du code de procédure civile. Sa formulation s’entend plus large que celle du code de procédure civile, qui a conduit à des résultats très insatisfaisants en jurisprudence judiciaire, même après la réforme du texte en question par une loi du 7 février 1974. Les juges ne s’abstiendront de prononcer l’irrecevabilité des demandes que si l’omission ou l’irrégularité a effectivement porté atteinte aux droits de la défense. Sont visées, d’une manière générale, les irrégularités affectant la rédaction des mémoires, même des irrégularités qualifiées par les juridictions judiciaires comme étant des nullités de fond, comme les indications erronées ou lacuneuses concernant p. ex. les organes représentant des personnes morales. En tout cas la notion de nullité de fond est à interpréter très restrictivement et ne doit entrer en ligne de compte que s’il y a lésion des droits de la défense1. Le non-respect des délais prévus pour l’échange des mémoires et les délais pour exercer les voies de recours, emportant déchéance, est bien entendu excepté. Par ailleurs, l’absence de sanction d’un tel non-respect porterait atteinte aux droits - acquis à ce moment - de la partie adverse. » 2.

Cette position a encore été corroborée par le Conseil d’Etat dans son avis retenant qu’il « ne saurait que soutenir toute initiative tendant à proscrire dans la mesure du possible le recours à des moyens de procédure pour rejeter des prétentions de justiciables. Il ne faut en effet pas perdre de vue que cette approche procédurière à outrance a pour résultat l’incompréhension des justiciables. […] Le Conseil d’Etat rend toutefois attentif au fait qu’il s’agit en l’espèce également d’une question d’approche des magistrats à l’égard de ces problèmes. Le problème, dit de la violation des principes de l’organisation judiciaire (ou administrative), des nullités de fond, irrecevabilités de fond, des fins de non-recevoir et des forclusions, restera entier tant qu’aucun texte n’interdira aux juridictions de prononcer une nullité, irrecevabilité ou forclusion, sauf si un texte déterminé le prévoit expressément »3.

L’article 29 sous revue emporte dès lors pour la juridiction saisie une analyse consistant à examiner, au-delà du caractère vérifié d’une inobservation alléguée d’une règle de procédure, tel qu’en l’espèce l’indication prétendument erronée de l’organe représentatif du syndicat LCGB dans l’exploit de l’huissier de justice, si celle-ci a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ; en l’absence de pareille atteinte, l’inobservation de la règle de procédure, quelle qu’en soit par ailleurs la qualification, ne saurait entraîner l’irrecevabilité de la demande, étant donné que ce n’est que dans l’hypothèse où l’inobservation vérifiée d’une règle de procédure a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense qu’une analyse supplémentaire s’impose à la juridiction saisie pour déterminer dans ce cas de figure précis dans quelle mesure cette inobservation doit entraîner l’irrecevabilité de la demande4.

En l’occurrence, devant le fait avéré qu’en l’espèce, la partie tierce intéressée a pu prendre position de façon valable et complète par rapport au recours sous analyse, l’inobservation des règles de procédure invoquée plus particulièrement au niveau de l’indication prétendument erronée de son organe représentatif dans l’exploit de l’huissier de justice, n’a pu entraîner une quelconque irrecevabilité de la demande.

Le moyen afférent est dès lors à rejeter.

3. Quant au moyen d’irrecevabilité tiré de l’absence d’intérêt à agir dans le chef des parties demanderesses Arguments des parties Pour justifier leur intérêt à agir, les parties demanderesses expliquent être toutes des professionnels du secteur immobilier et qu’en tant que tels, elles seraient directement affectées 1 Souligné par le tribunal.

2 Doc. parl. 4326, commentaire des articles, ad. article 26 (devenu l’article 29 de la loi) p.19.

3 Doc. parl. 4326², avis du Conseil d’Etat p.7.

4 Cour adm., 14 juillet 2009, n° 25414C, disponible sous www.jurad.etat.lu.

par la déclaration d’obligation générale de l’accord interprofessionnel en cause qui étendrait celui-ci à toutes les entreprises et à tous les salariés du secteur de l’immobilier. En effet, comme ledit accord introduirait une nouvelle cotisation obligatoire pour les entreprises des secteurs concernés, de même qu’il prévoirait une formation professionnelle continue et qu’il ferait état d’un transfert de données personnelles en dehors de toute base légale, sa déclaration d’obligation générale à travers le règlement grand-ducal litigieux serait susceptible de produire un effet direct sur leurs intérêts.

La partie tierce intéressée dénie, quant à elle, tout intérêt à agir dans le chef des parties demanderesses en soutenant qu’il ne suffirait pas que celles-ci affirment être des professionnels du secteur de l’immobilier pour justifier d’un intérêt à agir mais qu’il leur appartiendrait de prouver leur intérêt à agir en versant des autorisations d’établissement valables et tombant dans le champ d’application de l’accord interprofessionnel en cause. A cela s’ajouterait que le préjudice allégué par les parties demanderesses serait purement hypothétique puisqu’aucun document ne viendrait prouver leur théorie selon laquelle des données personnelles auraient été communiquées par la Chambre de commerce à des entités non immatriculées, ce d’autant plus que leurs adresses postales seraient publiques et que le fait qu’elles agiraient et feraient affaire dans le secteur de l’immobilier serait également public.

Analyse du tribunal Aux termes de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996, « (1) Le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent. (2) Ce recours n’est ouvert qu’aux personnes justifiant d’une lésion ou d’un intérêt personnel, direct, actuel et certain. […] ».

Un demandeur doit justifier d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt général pour pouvoir introduire un recours contre un acte administratif à caractère règlementaire. Par ailleurs, concernant le caractère direct de l’intérêt à agir, pour qu’il puisse être reçu à agir contre un acte administratif à caractère règlementaire, il ne suffit pas qu’un demandeur fasse état d’une affectation de sa situation, mais il doit établir l’existence d’un lien suffisamment direct entre l’acte querellé et sa situation personnelle. Finalement, la condition relative au caractère né et actuel, c’est-à-dire au caractère suffisamment certain, d’un intérêt invoqué implique qu’un intérêt simplement éventuel ne suffit pas pour que le recours contre un acte administratif à caractère règlementaire soit déclaré recevable5. Ainsi, le recours contentieux contre un acte administratif à caractère règlementaire n’est recevable que si l’annulation est susceptible de profiter personnellement et directement au demandeur en ce sens que sa situation, de fait ou de droit, doit s’en trouver améliorée.

Il y a encore lieu de relever que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés6.

5 Trib. adm., 15 mai 2002, n° 14420 du rôle, confirmé par Cour adm., 22 janvier 2004, n° 16628C du rôle, Pas.

adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 39 et les autres références y citées.

6 Trib. adm. prés., 27 septembre 2002, n° 15373 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y visées.

Le tribunal précise ensuite que dans le souci de réaliser des économies de procédure, il a été jugé qu’il est sans intérêt pour le juge saisi d’une requête collective à l’égard d’une même décision administrative de rechercher si tous les demandeurs justifient d’une qualité leur donnant intérêt à agir pour l’hypothèse où plusieurs, voire un demandeur ont intérêt et qualité pour agir7. Cette solution est transposable à la situation de l’espèce où le tribunal est saisi d’une requête collective à l’égard d’un même règlement grand-ducal. En effet, par le fait pour les parties demanderesses de grouper leurs recours dans une seule et même requête, tout en formulant à l’encontre du règlement grand-ducal attaqué les mêmes moyens juridiques, la requête collective rejoint des considérations de bonne administration de la justice en procédant par tir groupé plutôt que de multiplier les procédures par des recours séparés et néanmoins parallèles, inutilement coûteux et inflationnistes8.

Il suffit donc que l’une des parties demanderesses justifie de l’intérêt requis pour que la requête collective sous analyse soit déclarée recevable9.

En l’espèce, il se dégage des développements de la partie tierce intéressée elle-même que, mis à part la société anonyme “B” SA, les parties demanderesses disposent toutes d’autorisations d’établissement les habilitant chacune à exercer des activités professionnelles dans au moins un des « trois domaines de l’immobilier » couverts par l’accord interprofessionnel en cause, à savoir « syndic, vente, promotion », de sorte à avoir un intérêt personnel et direct suffisant à voir vérifier la légalité du règlement grand-ducal déclarant d’obligation générale pour le secteur de l’immobilier l’accord interprofessionnel du 28 octobre 2021 qui vient entre autres introduire une nouvelle cotisation obligatoire pour les entreprises des domaines concernés.

Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité sous analyse est à rejeter sans qu’il y ait besoin de vérifier l’existence d’un intérêt à agir suffisant dans le chef de la société anonyme “B” SA, le tribunal venant, en effet, de retenir qu’en présence d’une requête collective, telle que celle introduite en l’espèce, il suffit que l’une des parties demanderesses justifie de l’intérêt requis pour que la requête collective soit déclarée recevable.

4. Quant à la recevabilité du recours quant à la forme et quant au délai A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, le tribunal est amené à conclure que le recours en annulation sous analyse est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été déposé dans les formes et délai de la loi.

III.

Quant au fond A l’appui de leur recours, les parties demanderesses se rapportent tout d’abord à prudence de justice quant aux causes d’illégalité externe qui seraient susceptibles d’affecter l’acte déféré. Il y a, à cet égard, lieu de relever qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal administratif de suppléer à la carence des 7 Cour adm., 13 janvier 2009, n° 24501C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 26.

8 Trib. adm., 8 décembre 2014, n° 33918 du rôle, c. par Cour adm., 12 mai 2015, n° 35739C du rôle, Pas. adm.

2023, V° Procédure contentieuse, n° 489 et les autres références y citées.

9 R. Ergec et F. Delaporte, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, Pas. adm. 2023, n° 123bis, p.

79.

parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions. Dès lors, étant donné que les parties demanderesses restent en défaut de préciser dans quelle mesure l’acte attaqué serait affecté d’illégalités externes, le moyen afférent ainsi soulevé encourt le rejet.

Pour ce qui est ensuite de la légalité interne de l’acte attaqué, les parties demanderesses concluent à son annulation pour violation de la loi, détournement de pouvoir et excès de pouvoir.

1. Quant au reproche tenant à une violation de la loi Les parties demanderesses invoquent quatre causes d’illégalité qui devraient conduire à l’annulation du règlement grand-ducal attaqué.

Le tribunal relève à titre liminaire qu’il n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les parties demanderesses, mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

1.1. Quant à l’absence alléguée de base légale correcte Arguments des parties Les parties demanderesses font valoir que le règlement grand-ducal litigieux aurait été pris sur le fondement d’une base légale incorrecte, en l’occurrence l’article L. 164-8 du Code du travail, lequel serait relatif aux seules conventions collectives et accords collectifs, alors que, selon elles, il aurait dû être pris sur le fondement de l’article L. 165-1 (2) et (5) du même code qui régirait, quant à lui, la procédure à suivre pour voir déclarer d’obligation générale les accords interprofessionnels. S’il s’agissait certes de deux procédures similaires, elles ne seraient pas pour autant identiques.

Comme il devrait être admis que le règlement grand-ducal attaqué trouverait sa seule base légale dans une disposition incorrecte, il serait à considérer comme étant dépourvu de base légale et devrait encourir l’annulation de ce chef.

Les parties défenderesse et tierce intéressée concluent au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.

Analyse du tribunal Le tribunal se doit de relever que l’accord interprofessionnel signé entre, d’une part, la Chambre immobilière et, d’autre part, les syndicats OGBL et LCGB en matière de formation professionnelle continue pour le secteur de l’immobilier, ci-après désigné par « l’accord interprofessionnel », a été conclu, suivant ce qui est indiqué dans ledit accord « [c]onformément aux dispositions de l’article 165-1 du Code du travail ».

Ledit article se trouve inséré dans le Code du travail au Titre VI, intitulé « Rapports collectifs du travail », sous le chapitre V, intitulé « Les accords en matière de dialogue social interprofessionnel » et dispose comme suit :

« (1) Les organisations syndicales bénéficiant de la reconnaissance de la représentativité nationale générale et les organisations d’employeurs respectivement nationales, sectorielles, ou représentant une ou plusieurs branches, professions, types d’activités ou déclarant s’associer aux fins du présent article, peuvent conclure des accords nationaux ou interprofessionnels portant sur les sujets suivants :

- transposition des conventions collectives adoptées par les partenaires sociaux au niveau européen conformément aux dispositions du Traité sur l’Union européenne ;

- transposition des directives européennes prévoyant la possibilité d’une transposition au niveau national moyennant accord entre partenaires sociaux nationaux, et notamment les directives basant sur l’accord des partenaires sociaux au niveau européen ;

- accords nationaux ou interprofessionnels portant sur des sujets sur lesquels lesdits partenaires se sont mis d’accord, et qui peuvent être, notamment, l’organisation et la réduction du temps de travail, la formation professionnelle continue y compris les questions de l’accès et du congé individuel de formation, les formes dites atypiques de travail, les mesures de mise en œuvre du principe de non-

discrimination, les mesures à prendre contre le harcèlement moral et sexuel au travail, le traitement du stress au travail.

(2) Les accords visés au paragraphe (1) peuvent être déclarés d’obligation générale pour l’ensemble des entreprises légalement établies sur le territoire national et les salariés y employés.

(3) La demande de déclaration d’obligation générale est adressée au ministre conjointement par les syndicats justifiant de la représentativité nationale générale et par les fédérations d’employeurs ayant signé l’accord national.

(4) Au cas où le président de l’Office national de conciliation, conjointement avec les assesseurs, estime que la convention collective ou l’accord intervenu devant l’Office national de conciliation qui sont susceptibles de faire l’objet d’une déclaration d’obligation générale contiennent des dispositions qui diffèrent par rapport à des dispositions légales, ils analysent la conformité du texte sous l’aspect du principe général du droit du travail selon lequel il est possible de stipuler par convention dans un sens plus favorable au salarié. Le cas échéant, ils proposent la déclaration d’obligation générale au ministre. Le ministre de sa part sollicite l’avis de l’Inspection du travail et des mines.

(5) La déclaration d’obligation générale se fait par règlement grand-ducal, sur base d’une proposition unanime des membres des deux groupes de la commission paritaire, les chambres professionnelles demandées en leur avis. Celles-ci doivent se prononcer dans le délai d’un mois à compter de la demande de déclaration d’obligation générale.

La proposition visée à l’alinéa qui précède peut être émise après consultation écrite.

Le président de l’Office national de conciliation doit toutefois convoquer les membres pour une réunion de la commission paritaire, soit sur demande de trois de ses membres, soit sur demande d’un syndicat ayant la représentative nationale générale ou d’une fédération nationale d’employeurs. ».

Il convient ensuite de relever que le règlement grand-ducal attaqué indique qu’il a été pris sur le fondement de l’article L. 164-8 du Code du travail lequel se trouve également dans le Code du travail au Titre VI, intitulé « Rapports collectifs du travail », mais sous le chapitre IV, intitulé « Procédures », et dans celui-ci sous la section 2, intitulée « Procédures en cas de déclaration d’obligation générale ».

L’article L. 164-8 du Code du travail dispose, pour sa part, comme suit :

« (1) Toute convention collective ainsi que tout accord collectif conformes aux dispositions du présent titre peuvent être déclarés d’obligation générale pour l’ensemble des employeurs et des salariés de la profession, de l’activité, de la branche ou du secteur économique concernés. La déclaration d’obligation générale détermine avec précision son champ d’application.

(2) La demande de déclaration d’obligation générale est adressée au ministre, soit par l’organisation professionnelle des employeurs du secteur concerné, soit par un syndicat bénéficiant de la représentativité nationale générale ou un syndicat bénéficiant de la représentativité dans un secteur particulièrement important de l’économie luxembourgeoise, si ce secteur est concerné par la demande de déclaration d’obligation générale.

(3) La déclaration d’obligation générale se fait par règlement grand-ducal, sur base d’une proposition conjointe des deux groupes d’assesseurs de la commission partiaire, les chambres professionnelles demandées en leur avis. Celles-ci doivent se prononcer dans le délai d’un mois à compter de la demande d’avis.

La proposition visée à l’alinéa qui précède peut être émise après consultation écrite.

Le président de l’Office national de conciliation doit toutefois convoquer les assesseurs pour une réunion de la commission paritaire, sur demande de trois des assesseurs.

(4) Au cas où le président de l’Office national de conciliation, conjointement avec les assesseurs, estime que la convention collective ou l’accord intervenu devant l’Office national de conciliation qui sont susceptibles de faire l’objet d’une déclaration d’obligation générale contiennent des dispositions qui diffèrent par rapport à des dispositions légales, ils analysent la conformité du texte sous l’aspect du principe général du droit du travail selon lequel il est possible de stipuler par convention dans un sens plus favorable au salarié. Le cas échéant, ils proposent la déclaration d’obligation générale au ministre. Le ministre de sa part sollicite l’avis de l’Inspection du travail et des mines.

(5) Le règlement grand-ducal portant déclaration d’obligation générale peut avoir effet à partir de la date d’entrée en vigueur de la convention collective.

(6) Le règlement grand-ducal d’obligation générale cesse ses effets au même moment que la convention collective ou l’accord conclu conformément au chapitre V du présent titre qu’il déclare d’obligation générale. ».

Il se dégage de la lecture de l’article L. 164-8 du Code du travail que celui-ci réglemente les « [p]rocédures en cas de déclaration d’obligation générale » non seulement des conventions collectives de travail, mais également de « tout accord collectif conform[e] aux dispositions du [Titre VI] » et donc nécessairement également des « accords en matière de dialogue social interprofessionnel » qui sont réglementés dans le même titre à l’article L. 165-1.

Les dispositions précitées sont encore à lire en ce sens que l’article L. 165-1 du Code du travail trouve à s’appliquer lorsqu’il s’agit de déclarer d’obligation générale un accord interprofessionnel « pour l’ensemble des entreprises légalement établies sur le territoire national et les salariés y employés », tandis que l’article L. 164-8 du même code a vocation à s’appliquer lorsqu’il s’agit de déclarer d’obligation générale un tel accord « pour l’ensemble des employeurs et des salariés de la profession, de l’activité, de la branche ou du secteur économique concernés ».

Or, en l’espèce, il se dégage sans conteste du règlement grand-ducal attaqué qu’il déclare l’accord interprofessionnel d’obligation générale uniquement pour un secteur d’activité déterminé, à savoir le secteur de l’immobilier, de sorte que l’article L. 165-1 du Code du travail ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, le moyen tendant à voir annuler le règlement grand-ducal attaqué pour avoir été pris sur une base légale incorrecte est à rejeter pour ne pas être fondé.

1.2. Quant au reproche tenant à l’absence d’avis de la Chambre des métiers endéans le délai imparti par la loi Arguments des parties Les parties demanderesses relèvent qu’alors même que le règlement grand-ducal attaqué du 25 février 2022 indiquerait avoir été pris sur le fondement de l’article L. 164-8 du Code du travail, lequel prévoirait que la déclaration d’obligation générale se fait par règlement grand-ducal et qu’entre autres, les chambres professionnelles seraient à demander en leurs avis et devraient se prononcer dans le délai d’un mois à compter de la date de la demande d’avis, l’avis de la Chambre des métiers aurait été demandé par courrier daté du 7 décembre 2021 et ladite chambre se serait prononcée par courrier du 25 janvier 2022, donc plus d’un mois après la demande. Au vu de ces considérations, le règlement grand-ducal attaqué du 25 février 2022 serait à annuler pour violation de l’article L. 164-8 (3) du Code du travail.

Les parties défenderesse et tierce intéressée concluent au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.

Analyse du tribunal Tel que relevé ci-avant, aux termes de l’article L. 164-8 (3) du Code du travail, tel qu’invoqué par les parties demanderesses : « (3) La déclaration d’obligation générale se fait par règlement grand-ducal, sur base d’une proposition conjointe des deux groupes d’assesseurs de la commission partiaire, les chambres professionnelles demandées en leur avis. Celles-ci doivent se prononcer dans le délai d’un mois à compter de la demande d’avis.

[…] ».

En l’espèce, il se dégage du dossier administratif, ainsi que des explications de la partie étatique que les chambres professionnelles, dont la Chambre des métiers, ont été demandées en leur avis par le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, ci-

après désigné par « le ministre », en date du 7 décembre 2021. S’il est vrai que la Chambre des métiers n’a fait parvenir son avis que par courrier du 25 janvier 2022, il convient cependant de relever que l’article L. 164-8 du Code du travail ne prévoit aucune sanction en cas de non-

respect du délai d’un mois imposé aux chambres professionnelles pour donner leur avis après avoir été saisies d’une demande afférente par le ministre compétent. Dans ce contexte, il y a lieu de relever que la Cour administrative a opéré une distinction entre le délai d’ordre et le délai de rigueur en retenant dans un arrêt du 1er juillet 2010 inscrit sous le numéro 26747C du rôle que : « Le délai d’ordre est celui auquel l’administration ne doit pas nécessairement obéir puisqu’il s’agit d’un délai indicatif qui a pour objectif d’accélérer l’action administrative, sans pour autant, en principe, priver, par son expiration, l’administration de sa compétence rationae temporis. A côté du délai facultatif que constitue le délai d’ordre, on retrouve le délai impératif qu’est le délai de rigueur dont le dépassement est, lui, sanctionné. Le fondement à cette distinction réside dans le caractère facultatif ou obligatoire de l’exercice de la compétence par l’administration. Ainsi, dans le cas où l’exercice de la compétence est facultatif, le délai prescrit doit être considéré comme de rigueur; sans cela, pareil délai n’aurait aucune portée. A l’inverse, le délai qui assortit une compétence dont l’exercice est obligatoire ne peut être qu’un délai d’ordre. […] ».

Comme les chambres professionnelles sont dans l’obligation de se prononcer dans le délai d’un mois à compter de la demande d’avis, le délai prévu à l’article L. 164-8 (3) du Code du travail est, en application du principe ainsi dégagé par la Cour administrative, à qualifier de délai d’ordre. Ainsi, il suffit, mais il faut que les chambres professionnelles aient statué dans un délai raisonnable, ce qui a été le cas en l’espèce. En effet, comme la Chambre des métiers a rendu son avis le 25 janvier 2022, le délai s’étant écoulé entre l’expiration du délai prévu à l’article L. 164-8 (3), précité. et la communication de l’avis en cause ne peut être qualifié d’excessif.

Le moyen visant à obtenir l’annulation du règlement grand-ducal attaqué pour violation de l’article L. 164-8 (3) du Code du travail est dès lors également à rejeter pour manquer de fondement.

1.3. Quant à l’absence alléguée de demande d’avis de la Chambre des salariés et de l’Inspection du Travail et des Mines (« ITM ») Arguments des parties Les parties demanderesses considèrent que le règlement grand-ducal attaqué serait encore vicié en raison de l’absence de demande d’avis des chambres professionnelles concernées par le projet de règlement grand-ducal en cause. Ainsi, les avis de toutes les chambres professionnelles et plus particulièrement celui de la Chambre des salariés auraient dû obligatoirement être demandés avant la signature de l’acte en question. Si, suivant les visas du règlement grand-ducal en cause, les avis de la Chambre de commerce, de la Chambre des salariés et de la Chambre des métiers auraient apparemment été délivrés, il n’en resterait pas moins que le site de la Chambre des salariés ne contiendrait pas d’avis en ce sens. Les parties demanderesses contestent dès lors que l’avis obligatoire de la Chambre des salariés ait été demandé et sollicitent, en raison de ce manquement, l’annulation du règlement grand-ducal attaqué. A cela s’ajouterait que conformément à l’article L. 164-8 (4) du Code du travail, le ministre compétent devrait demander l’avis de l’ITM. Or, les parties demanderesses contestent également que cet avis obligatoire aurait été demandé.

Les parties défenderesse et tierce intéressée concluent, quant à elles, au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.

Analyse du tribunal Il se dégage du dossier administratif, ainsi que des explications non autrement énervées du délégué du gouvernement que l’avis de la Chambre des salariés, de même que d’ailleurs celui des autres chambres professionnelles, a été demandé en date du 7 décembre 2021 et que la Chambre des salariés a rendu son avis le 13 décembre 2021, de sorte que le reproche tenant à une absence de demande d’avis de la part de ladite chambre professionnelle manque en fait.

Pour ce qui est du reproche suivant lequel l’ITM n’aurait pas été demandée en son avis, contrairement à ce qui serait requis à l’article L. 164-8 (4) du Code du travail, aux termes duquel, tel que relevé ci-avant : « (4) Au cas où le président de l’Office national de conciliation, conjointement avec les assesseurs, estime que la convention collective ou l’accord intervenu devant l’Office national de conciliation qui sont susceptibles de faire l’objet d’une déclaration d’obligation générale contiennent des dispositions qui diffèrent par rapport à des dispositions légales, ils analysent la conformité du texte sous l’aspect du principe général du droit du travail selon lequel il est possible de stipuler par convention dans un sens plus favorable au salarié. Le cas échéant, ils proposent la déclaration d’obligation générale au ministre. Le ministre de sa part sollicite l’avis de l’Inspection du travail et des mines. ».

Il s’ensuit que l’avis de l’ITM n’est à solliciter par le ministre que lorsque le président de l’Office national de conciliation, conjointement avec les assesseurs, estime que la convention collective ou l’accord intervenu devant ledit office qui sont susceptibles de faire l’objet d’une déclaration d’obligation générale contiennent des dispositions qui diffèrent par rapport à des dispositions légales. Dans la mesure où il n’est pas contesté qu’en l’espèce, l’accord interprofessionnel ne contient pas « des dispositions qui diffèrent par rapport à des dispositions légales », l’avis de l’ITM n’avait pas à être sollicité et le reproche afférent est également à écarter.

Au vu des considérations qui précèdent, le moyen sous analyse, pris en ses deux branches, est à rejeter.

1.4. Quant à l’absence d’avis du Conseil d’Etat Arguments des parties Les parties demanderesses sollicitent encore l’annulation du règlement grand-ducal en cause au motif que l’article 83bis de la Constitution, dans sa version applicable en l’espèce, et l’article 1er, paragraphe (1), alinéa (3) de la loi modifiée du 16 juin 2017 sur l’organisation du Conseil d’Etat, ci-après désignée par « la loi du 16 juin 2017 », auraient été violés en ce que le règlement grand-ducal attaqué du 25 février 2022 n’aurait jamais été soumis pour avis au Conseil d’Etat alors même qu’il n’aurait existé, en l’espèce, aucune urgence ayant pu justifier la décision du pouvoir exécutif de ne pas soumettre le projet dudit règlement grand-ducal à cet avis.

Ce serait, en tout état de cause, à tort que le règlement grand-ducal litigieux aurait été soumis à la procédure d’urgence avec comme conséquence que l’avis du Conseil d’Etat n’aurait pas été sollicité.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, explique que ce serait pour rétablir dans un bref délai des conditions de travail uniformes pour le secteur concerné qu’il aurait été indispensable d’avoir recours à la procédure d’urgence.

La partie tierce intéressée conclut, quant à elle, au rejet du moyen sous analyse en soutenant que « les articles 83bis de la Constitution et 1er de la loi du 26 juin 2017 sur l’organisation du Conseil d’Etat, invoqués par les parties Requérantes, vise[raient] le cas de projets/propositions de lois et amendements, respectivement des règlements d’exécution des lois et de traités qui nécessitent l’avis du Conseil d’Etat, sauf urgence ». Or, comme le règlement grand-ducal attaqué viserait non pas à exécuter une loi ou un traité, mais à déclarer d’obligation générale un accord interprofessionnel, l’article 1er, paragraphe (1), alinéa (3) de la loi du 16 juin 2017 ne trouverait pas à s’appliquer. Comme il s’agirait, par ailleurs, d’un règlement grand-ducal et non d’une norme hiérarchiquement supérieure, l’article 83bis de la Constitution ne serait pas non plus applicable.

Analyse du tribunal L’article 83bis de la Constitution, dans sa version applicable en l’espèce, dispose comme suit : « Le Conseil d’Etat est appelé à donner son avis sur les projets et propositions de loi et les amendements qui pourraient y être proposés, ainsi que sur toutes autres questions qui lui seront déférées par le Gouvernement ou par les lois. Sur les articles votés par la Chambre conformément à l’article 65, il émet son avis dans le délai fixé par la loi. ».

L’article 1er, paragraphe (1), alinéa (3) de la loi du 16 juin 2017 a, quant à lui, la teneur suivante : « Sauf le cas d’urgence à apprécier par le Grand-Duc si la loi n’en dispose pas autrement, aucun règlement pour l’exécution des lois et des traités ne peut être pris par le Grand-Duc qu’après que le Conseil d’Etat a été entendu en son avis. ».

En l’espèce, le règlement grand-ducal attaqué du 25 février 2022 a été pris en exécution de la loi du 31 juillet 2016 portant introduction d’un Code du travail et plus particulièrement de l’article L. 164-8 du Code du travail, de sorte à tomber dans le champ d’application de l’article 1er, paragraphe (1), alinéa (3) de la loi du 16 juin 2017, contrairement à ce qu’affirme la partie tierce intéressée.

Or, suivant la jurisprudence des juridictions administratives en relation avec l’article 2, paragraphe (1), alinéa (1) de la loi du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat, dont la teneur était similaire à celle de l’article 1er, paragraphe (1), alinéa (3) de la loi du 16 juin 2017, il leur appartient de vérifier si, dans le cadre de l’élaboration d’un règlement grand-ducal, le cas d’urgence peut être invoqué légalement. La soumission d’un projet de règlement grand-

ducal au Conseil d’Etat vise, en effet, essentiellement à en assurer l’insertion conforme à la loi et aux normes supérieures dans l’ordonnancement juridique existant et, en dernière analyse, à assurer également tant la protection des droits et libertés des citoyens que leurs obligations, tels que découlant notamment de la Constitution. C’est ainsi qu’en l’absence d’éléments de motivation soumis au Grand-Duc à l’appui de l’urgence invoquée et à défaut de tout élément sous-tendant utilement le cas d’urgence produit durant la procédure contentieuse, l’urgence invoquée à la base de la non-transmission au Conseil d’Etat d’un projet de règlement grand-

ducal est dénuée de tout élément de justification vérifiable10.

Il est constant en cause que le règlement grand-ducal attaqué du 25 février 2022 n’a pas été soumis à l’avis du Conseil d’Etat au motif qu’il y aurait urgence conformément à l’article 1er, paragraphe (1) de la loi du 16 juin 2017.

Le tribunal se doit de relever que l’accord interprofessionnel ne contient lui-même pas d’indications de nature à sous-tendre l’urgence ni une quelconque intention des parties signataires de rendre les termes dudit accord applicables à tout le secteur concerné dans les plus brefs délais, puisqu’il indique uniquement viser la mise en place d’un « système de formation professionnelle continue sectoriel cohérent et structuré, s’inscrivant dans le Cadre européen des certifications (CEC) et en accord avec la législation luxembourgeoise en matière de formation professionnelle continue », en créant un Centre de compétences autonome du secteur de l’immobilier et en fixant les modalités de financement de ce système à travers une cotisation obligatoire, le tout afin notamment de tenir compte de l’importance grandissante de la formation professionnelle continue en termes de maintien dans l’emploi et de développement des compétences dans les entreprises concernées, mais également en tant qu’outil pour l’amélioration de la productivité des entreprises par une optimisation des compétences et une amélioration de la qualité de travail.

S’il ressort du document intitulé « Exposé des motifs et note motivant l’urgence », versé en cause par le délégué du gouvernement, que le ministre compétent a motivé l’urgence qui serait de nature à justifier la dispense de prendre l’avis du Conseil d’Etat par le fait qu’il aurait été indispensable « de rétablir des conditions de travail uniformes pour tout le secteur dans un bref délai », cette justification plus que lacunaire ne permet en aucune façon de conclure à une quelconque urgence de déclarer l’accord interprofessionnel en cause d’obligation générale pour tout le secteur de l’immobilier à travers le règlement grand-ducal attaqué sans soumettre le projet de celui-ci au Conseil d’Etat. Ainsi et plus particulièrement, il ne se dégage ni de cette note, ni d’ailleurs des explications apportées au cours de la procédure contentieuse, quelles sont exactement les conditions de travail uniformes qu’il s’agit de rétablir dans un bref délai dans tout le secteur concerné, ni surtout en quoi consiste l’urgence à procéder à « ce rétablissement ». Il ne se dégage, en tout état de cause, pas des éléments soumis au tribunal pour quelles raisons impérieuses clairement déterminées il était indispensable de déclarer l’accord interprofessionnel d’obligation générale pour tout le secteur de l’immobilier sans entendre le Conseil d’Etat en son avis.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que l’urgence ne se trouve pas vérifiée à suffisance de droit à partir de l’ensemble des éléments soumis au tribunal.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu d’annuler le règlement grand-ducal du 25 février 2022, sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport aux autres moyens et arguments développés en cause dont l’analyse devient surabondante.

IV.

Quant aux demandes en allocation d’une indemnité de procédure Les parties demanderesses sollicitent l’allocation d’une indemnité de procédure de 10.000.- euros sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999. Cette demande encourt 10 Trib. adm., 12 octobre 2016, nos 37202 à 37214, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 150 (4e volet).

toutefois le rejet, étant donné que les conditions légales ne sont pas remplies en cause, du fait notamment que ladite demande omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qu’elle ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à leur charge.

Eu égard à l’issue, il y a encore lieu de rejeter la demande de la partie tierce intéressée à voir condamner les parties demanderesses solidairement, sinon in solidum au paiement d’une indemnité de procédure de 3.500.- euros sur base du même fondement légal.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule le règlement grand-ducal du 25 février 2022 portant déclaration d’obligation générale de l’accord interprofessionnel en matière de formation professionnelle continue pour le secteur de l’immobilier conclu le 28 octobre 2021 entre la “H”, d’une part et les syndicats OGBL et LCGB, d’autre part ;

ordonne la publication du présent jugement conformément aux dispositions de l’article 7, paragraphe (3) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ;

rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées de part et d’autre ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 8 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47521
Date de la décision : 08/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-08;47521 ?

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