Tribunal administratif N° 47547du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47547 2e chambre Inscrit le 10 juin 2022 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, sans adresse connue, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47547 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2022 par Maître Mariame Yazback, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (…), de nationalité indéterminée, sans adresse connue, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 mai 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mariame Yazback et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 décembre 2023.
Vu l’avis du tribunal administratif du 28 février 2024 prononçant la rupture du délibéré ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Mariame Yazback et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe Lorenzo en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 avril 2024, à laquelle l’affaire avait été fixée pour continuation des débats.
Le 17 juillet 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg par un agent de la police grand-ducale, section ….
En date des 14 juin, 2, 4 et 6 août 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 6 mai 2022, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le 10 mai 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur … et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle la décision sera devenue définitive.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 6 mai 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 6 mai 2022, prise dans son double volet, telle que déférée.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours en réformation au motif que Monsieur … n’aurait plus d’adresse au Luxembourg et qu’il se trouverait en Belgique, où il aurait déposé une demande de protection internationale le 16 mai 2022. Suite à ce dépôt, les autorités belges auraient adressé le 28 juillet 2023 une demande de prise en charge sur base du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après dénommé « le règlement Dublin III », qui aurait été acceptée par les autorités luxembourgeoises. Comme le transfert n’aurait pas été exécuté dans les délais et que les autorités belges auraient envoyé une demande de renseignements sur base de l’article 34 du prédit règlement, la Belgique serait responsable du traitement de la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours dirigé contre la décision ministérielle du 6 mai 2022 serait devenu sans objet.
Sur question afférente du tribunal à l’audience des plaidoiries du 22 avril 2024, le litismandataire du demandeur a indiqué que la date d’acceptation de reprise en charge de son mandant ne serait pas connue, ce à quoi le délégué du gouvernement a répondu que la reprise en charge avait été acceptée par les autorités luxembourgeoises le 15 juillet 2022, que dans la mesure où aucune disparition de Monsieur … n’avait été signalée par les autorités belges, elles étaient tenues d’effectuer son transfert vers le Luxembourg dans un délai de six mois à partir de l’acceptation de la prise en charge, que celui-ci n’avait pas été réalisé dans ledit délai, de sorte que les autorités belges étaient responsables de l’examen de sa demande de protection internationale. Le litismandataire, face à ces explications, s’est rapporté à prudence de justice.
Dans ce contexte, le tribunal est amené à rappeler que la recevabilité d’un recours est conditionnée en principe par l’existence et la subsistance d’un objet, qui s’apprécie du moment de l’introduction du recours jusqu’au prononcé du jugement. L’exigence de la subsistance de l’objet du recours est en général liée à l’exigence du maintien de l’intérêt à agir, et plus particulièrement de l’intérêt à voir sanctionner l’acte faisant l’objet du recours, étant précisé que l’existence d’un tel intérêt à agir présuppose que la censure de l’acte querellé soit de nature à procurer au demandeur une satisfaction personnelle et certaine1.
Une décision ne déployant plus aucun effet à la date d’introduction dudit recours contentieux ne peut a priori plus léser à cette date un intérêt personnel et légitime de la partie demanderesse et, dans ces conditions, il incombe à cette dernière d’établir que cette décision continue néanmoins à affecter négativement sa situation en fait ou en droit et qu’elle pourrait toujours retirer de son annulation éventuelle une satisfaction certaine et personnelle2.
Or, le tribunal constate qu’il se dégage des éléments du dossier administratif que Monsieur … a déposé une demande de protection internationale en Belgique en date du 16 mai 2022, soit 6 jours après la notification de la décision ministérielle lui refusant l’octroi d’une protection internationale et lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois. Force est encore de relever que les autorités belges se sont adressées le 14 juillet 2022 à leurs homologues luxembourgeois pour la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, que cette demande a été acceptée en date du 15 juillet 2022, que le transfert n’a pas été exécuté dans le délai de six mois après cette acceptation et que les autorités belges ont finalement requis de leurs homologues luxembourgeois « a copy of the entire asylum file » sur base de l’article 34 du règlement Dublin III en date du 28 juillet 2023, à laquelle ces derniers ont répondu le 9 août 2023.
Au vu de ces considérations, le tribunal est amené à retenir que la Belgique s’est reconnue responsable du traitement de la demande de protection internationale de Monsieur … en ne procédant pas à son transfert dans les délais et en requérant, par la suite et plus d’une année après leur requête de prise en charge, des informations sur sa demande de protection internationale au Luxembourg, de sorte qu’une nouvelle décision y relative revient aux autorités belges. Ainsi, il n’est pas établi que Monsieur … pourrait encore tirer une quelconque satisfaction d’une éventuelle réformation de la décision ministérielle déférée portant refus d’octroi d’une protection internationale et de celle lui ordonnant de quitter le territoire.
Dans ces circonstances, le tribunal arrive à la conclusion que le recours sous examen est à rejeter pour défaut d’objet.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 6 mai 2022 portant refus d’une protection internationale et ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours ;
1 Trib. adm., 20 octobre 2010, n° 26758 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 33 (2e volet) et les autres références y citées.
2 Cour adm., 30 avril 2013, nos 30628C et 30647C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n°33 (3e volet) et les autres références y citées.
le déclare sans objet, partant le rejette ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre la décision du ministre déférée du 6 mai 2022, prise dans ses deux volets ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 8 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 4