Tribunal administratif N° 48198 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48198 1re chambre Inscrit le 21 novembre 2022 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48198 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2022 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Colombie), de double nationalité vénézuélienne et colombienne, demeurant actuellement à L-
…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 octobre 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 février 2024.
Le 25 juin 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 23 mai et 22 juin 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 17 octobre 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non 1fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :
« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite en date du 25 juin 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-
après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 25 juin 2020, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 23 mai et 22 juin 2022, sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous êtes de double-
nationalité vénézuélienne et colombienne et que vous êtes venu au Luxembourg en provenance de la Colombie, pays que vous avez quitté le 20 janvier 2020. Vous seriez venu au Luxembourg dans le but de rendre visite à votre sœur … afin d'être à ses côtés pendant sa grossesse. Vous auriez prévu rentrer en Colombie en avril 2020, mais suite à la pandémie du Covid-19, votre vol aurait été annulé. Vous précisez ne pas avoir de famille en Colombie et n'y avoir résidé que pendant quelques mois. Vous ne voudriez pas retourner au Venezuela parce que vous et votre fils y auriez été menacés. Dans ce contexte, vous précisez avoir laissé votre fils auprès de votre mère, à votre adresse à Santa Barbara de Barinas (Venezuela).
Vous signalez auprès de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes être originaire de … en Colombie, être divorcé depuis avril 2021 et avoir vécu entre 1994 et janvier 2020 à Santa Barbara de Barinas au Venezuela avec votre fils et votre mère et y avoir travaillé comme mécanicien. Vous précisez dans ce contexte avoir deux enfants mineurs, de nationalité vénézuélienne, dont un que vous auriez reconnu, nommé …, qui habiterait actuellement chez votre mère à Santa Barinas, à l'adresse où vous auriez vécu avant votre départ, ainsi qu'un fils non reconnu, …, qui vivrait avec ses grands-parents à Seboruco. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous craindriez d'être tué par un paramilitaire.
Le 31 août 2019, un paramilitaire serait entré dans votre garage. Après avoir examiné sa voiture, vous lui auriez expliqué qu'il faudrait attendre une semaine pour recevoir une pièce de remplacement. Vous auriez bien réparé la voiture dans les délais, mais après deux semaines, le paramilitaire ne serait toujours pas revenu pour la récupérer. La police aurait toutefois effectué un contrôle dans votre garage pour voir s'il y avait des voitures volées et aurait découvert que ladite voiture aurait été déclarée volée. La police vous aurait alors demandé de pouvoir prendre la prendre avec eux, ce à quoi vous ne vous seriez pas opposé.
Quatre jours plus tard, le paramilitaire serait réapparu, aurait sorti son arme et vous aurait menacé de mort si vous ne récupériez pas sa voiture. Trois jours plus tard, il serait revenu pour vous dire que vous devriez vous informer auprès de la police concernant la voiture.
Après lui avoir expliqué que vous ne pourriez pas faire cela étant donné que la voiture ne 2vous appartiendrait pas, il aurait commencé à vous harceler et menacer, aurait donné des coups dans les voitures garées dans le garage et aurait jeté vos outils par terre. Vous affirmez qu'il serait revenu tous les jours pour vous menacer et qu'en le croisant dans la rue, il vous aurait expliqué que vous auriez une dette envers lui et un compte à régler. Le 9 janvier 2020, il aurait pointé une arme sur vous et aurait tiré à côté de votre pied, tout en vous expliquant qu'il ne viserait plus le pied mais bien votre front la prochaine fois. Etant donné que les voisins, votre mère et votre fils auraient été témoins de cet incident, ils vous auraient tous conseillé de partir. En outre, tout le monde vous aurait conseillé de porter plainte contre cette personne, mais vous prétendez que vous n'auriez pas pu le faire, parce qu'il ne serait pas possible de porter plainte en Colombie si le plaignant ne connaît pas l'identité des personnes qui lui auraient causé du tort, une information qui vous aurait été confirmé par un policier.
Vous auriez du coup appelé votre sœur au Luxembourg pour la mettre au courant de ce qui vous serait arrivé et elle se serait mise en contact avec une connaissance à Bogota qui pourrait vous héberger jusqu'à ce qu'elle vous achète les billets d'avion pour venir en Europe.
Le 10 janvier 2020, vous auriez quitté le Venezuela grâce à un ami qui serait venu vous chercher en voiture pour vous amener jusqu'à la frontière avec la Colombie, frontière que vous auriez passée en canoé dans le région d'Arauca. Entre le 10 et le 15 janvier 2020, vous auriez voyagé en bus pendant la nuit et vous auriez passé vos journées dans des hôtels. Le 15 janvier 2020, vous vous seriez installé chez ledit ami à Bogota, où vous seriez resté jusqu'à prendre votre vol pour le Luxembourg le 20 janvier 2020.
Vous ajoutez qu'en date du 28 ou 29 mars 2021, des paramilitaires armés avec des couteaux auraient agressé votre père en lui demandant des informations vous concernant.
Comme il n'aurait rien voulu leur dire, ils lui auraient volé 30 millions de pesos. Vous prétendez de plus, que le paramilitaire en question passerait toujours chez votre mère pour frapper au portail et la questionner sur vous ; elle et votre fils seraient ainsi toujours menacés.
Vous ne vous seriez pas installé en Colombie après votre départ du Venezuela parce que vous auriez voulu partir le plus loin possible. Vous n'y auriez d'ailleurs pas cherché de protection et n'auriez pas voulu y rester parce que ce serait un pays « avec le plus demandes d'asile politique » (p. 7 du rapport d'entretien) et que vous auriez du coup craint que « c'était comme avoir l'ennemi à côté » (p. 7 du rapport d'entretien). En cas de retour en Colombie, vous craindriez être tué par « ceux qui me cherchent dans mon garage ou ceux qui ont agresser (sic) mon père » (p. 9 du rapport d'entretien).
Convié à expliquer pourquoi vous aviez expliqué auprès de la Police Judiciaire avoir quitté le Venezuela après y avoir été menacé et suivi pour avoir participé à une « protestation », vous répondez que parfois en 2018 ou 2019, dans votre village, il y aurait des manifestations auxquelles vous auriez participé. Vous auriez alors été averti par des personnes armées roulant en moto, de ne plus participer à ces manifestations, ce que vous auriez fait. Convié à expliquer pourquoi vous aviez raconté à la Police Judiciaire avoir connu ces problèmes parce que vous vous seriez trouvé par hasard devant une telle manifestation, vous répondez que pour rentrer chez vous, vous auriez été obligé de passer par ladite manifestation et qu'on vous aurait par conséquent confondu avec un manifestant.
A l'appui de votre demande, vous présentez les documents suivants :
3- Votre passeport colombien émis en novembre 2017, une copie de votre passeport vénézuélien, une copie de votre carte d'identité vénézuélienne, une copie de votre acte de naissance, ainsi qu'une copie de votre permis de conduire vénézuélien.
A noter que vous avez au cours de votre entretien concernant vos motifs de fuite également montré une copie de votre jugement de divorce du 16 avril 2021, ainsi qu'une série de photos d'un homme qui présente des cicatrices, censé être votre père après avoir été victime de ladite agression. Force est toutefois de constater que vous n'avez jamais fait parvenir ces pièces à la Direction de l'immigration.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Monsieur, soulevons avant tout autre développement que des doutes évidents doivent être formulés par rapport à la réelle gravité de votre situation au Venezuela, respectivement, à la réalité de vos craintes et aux motifs qui vous auraient poussé à introduire une demande de protection internationale.
En effet, il ressort de vos propres dires, qu'au moment de votre départ d'Amérique du Sud, en janvier 2020, vous n'auriez eu nullement l'intention de fuir, voire, de rechercher une protection en Europe, mais vous précisez avoir uniquement voulu passer du temps avec votre sœur au Luxembourg, alors qu'elle aurait été enceinte et que vous auriez voulu être là pour elle. Vous confirmez en outre avoir prévu de rentrer en Colombie en avril 2020, mais que ces plans auraient été contrecarrés par la pandémie du Covid-19. Il est dès lors évident qu'au 4moment de votre départ d'Amérique du Sud et pendant votre séjour au Luxembourg, vous n'avez éprouvé aucun besoin de protection, alors qu'on peut attendre d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée et qui ressent vraiment un besoin de protection, ne songe pas à retourner volontairement dans le pays, respectivement, dans la région, où elle craindrait justement être victime de persécutions.
Ce constat vaut d'autant plus qu'on peut également attendre d'une telle personne, qu'une fois arrivée dans un pays sûr, elle introduise sa demande de protection internationale dans les plus brefs délais. Or, ce n'est qu'en juin 2020, cinq mois après votre arrivée au Luxembourg et deux mois après que votre vol de retour aurait été annulé, que vous vous êtes finalement décidé à introduire cette demande de protection internationale. Il paraît dès lors évident que vous avez introduit cette demande sur base de considérations de pure convenance personnelle et que votre situation en Amérique du Sud n'a manifestement pas été si grave ou urgente. Dans ce contexte, il s'agit aussi de rappeler que, bien que vous craindriez donc également pour la vie de votre fils qui aurait également été menacé, vous auriez tout de même jugé bon de le laisser au Venezuela, de surcroit avec votre mère à la même adresse à laquelle vous auriez été menacé.
Quoi qu'il en soit, quand bien même vos craintes et motifs de fuite seraient à percevoir comme étant sincères, ce qui reste contesté, aucune suite positive à votre demande de protection internationale ne saurait être envisagée pour les motifs étayés ci-dessous.
En premier lieu il s'agirait de noter qu'une demande de protection internationale s'analyse par rapport au(x) pays d'origine du demandeur, respectivement, par rapport au(x) pays dont il possède la nationalité, et qui sont dans votre cas le Venezuela et la Colombie.
Concernant vos prétendus problèmes rencontrés au Venezuela, force est tout d'abord de constater que ceux-ci ne rentrent nullement dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, textes qui prévoient une protection à toute personne persécutée ou à risque d'être persécutée à cause de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social. En effet, il résulte clairement de vos explications que vous auriez été menacé par un paramilitaire parce que sa voiture, déclarée comme volée, aurait été confisquée par la police pendant qu'elle aurait été garée dans votre garage et qu'il aurait été d'avis qu'il vous reviendrait de contacter la police dans le but de tenter de la récupérer. Votre prétendu problème avec un paramilitaire non autrement défini n'est donc manifestement pas lié au textes précités.
Par ailleurs, des menaces proférées par une personne inconnue ne revêtent pas un degré de gravité tel à pouvoir être définies comme actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015. Le fait que vous ajoutez qu'en mars 2021, votre père aurait été agressé par des « paramilitaires » qui seraient à votre recherche, ne saurait pas ébranler ce constat. En effet, à part le fait que vos dires dans ce contexte se résument à de simples allégations non prouvées par une pièce quelconque, il faudrait aussi soulever que vous restez manifestement trop vague et superficiel dans vos déclarations quant à cette agression et ses auteurs, pour pouvoir relier ce prétendu événement à vos problèmes allégués avec un paramilitaire inconnu. Comme susmentionné, le constat que vous avez jugé opportun de laisser votre fils mineur derrière vous, tout en le laissant vivre à la même adresse à laquelle ledit paramilitaire passerait toujours pour frapper au portail, ne fait d'ailleurs que confirmer que vous ne prendriez vous-même pas au sérieux vos craintes, respectivement, que la réelle gravité de votre situation au Venezuela doit manifestement être relativisée.
5 Il échet en outre de souligner que s'agissant d'actes perpétrés par des personnes privées, sans lien avec l'Etat vénézuélien, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous confirmez ne jamais avoir dénoncé ces faits ou recherché l'aide et la protection des autorités vénézuéliennes, de sorte qu'il n'est donc clairement pas établi que celles-ci n'auraient pas pu ou pas voulu vous venir en aide. Précisons dans ce contexte qu'il n'est clairement pas crédible que vous n'ayez pas pu déposer plainte contre ledit paramilitaire parce qu'il serait impossible de déposer plainte contre une personne inconnue. Il est d'autant moins établi que la police n'aurait pas ou voulu vous aider, alors qu'elle aurait donc elle-
même procédé la confiscation de ladite voiture déclarée volée, de sorte qu'elle aurait certainement aussi été intéressée à la personne qui l'aurait volée.
Il s'ensuit que vos prétendus problèmes que vous affirmez avoir eus au Venezuela ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié dans votre chef.
Concernant ensuite vos prétendues craintes en lien avec la Colombie, force est de constater que ces craintes sont purement hypothétiques alors qu'absolument rien ne vous y est arrivé. En effet, vous vous limitez à expliquer auprès de la Police Judiciaire ne pas vouloir retourner vivre en Colombie parce que vous n'y auriez pas de famille, voire, parce que vous n'y auriez vécu que pendant quelques mois. Vous prétendez ensuite dans le cadre de votre entretien concernant vos motifs de fuite craindre que vous seriez tué en Colombie par « ceux » qui vous rechercheraient parce que ce serait un pays « avec le plus demandes d'asile politique ». Que vous n'y avez rien à craindre ressort par ailleurs du fait que vous auriez donc initialement envisagé retourner en Colombie après votre séjour au Luxembourg.
Or, hormis le fait que des motifs de pure convenance personnelle ne sauraient donc pas justifier l'octroi du statut de réfugié, il s'agit de soulever que vos craintes d'être tué en Colombie par des paramilitaires vénézuéliens doit être perçue comme étant totalement hypothétique, voire, infondée. A cela s'ajoute que ces craintes seraient à nouveau dépourvues de tout lien avec l'un des cinq critères susmentionnés de la Convention de Genève et il n'est de surcroit aucunement établi que les autorités colombiennes auraient été dans l'incapacité de vous aider, respectivement, n'auraient pas voulu vous venir en aide ou vous offrir une protection si jamais vous deviez faire face à des problèmes impliquant des paramilitaires vénézuéliens.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
6L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.
L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il y a lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour en Colombie ou au Venezuela, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015.
En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour au Venezuela ou en Colombie, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou vous personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Votre seule allégation totalement vague que vous craindriez d'être tué au Venezuela et en Colombie, par un paramilitaire vénézuélien non autrement défini, ne permet pas de se départir de ce constat.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Venezuela, de la Colombie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une part, de la décision ministérielle du 17 octobre 2022 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 17 octobre 2022 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 17 octobre 2022, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
7 A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations, telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère.
Concernant le refus de lui octroyer le statut de réfugié, après avoir cité l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur soutient qu’il aurait déjà été persécuté par un paramilitaire. Ainsi, ayant été personnellement victime de violence physique et mentale de la part d’un paramilitaire, il pourrait se prévaloir d'une crainte de persécution en cas de retour au Venezuela ou en Colombie, telle que prévue à l'article 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015.
S’agissant du refus de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur se base sur l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 en soutenant qu’il serait de notoriété publique qu’au Venezuela et en Colombie, les milices paramilitaires constitueraient une menace réelle pour les populations.
Il en conclut qu’il courrait en cas de retour au Venezuela ou en Colombie, un risque réel et élevé d'être victime d'atteintes graves au sens de l'article 48, point (b) de la loi du 18 décembre 2015 ou d’actes prohibés par l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
8 Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays 9d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal relève de prime abord que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
En l’espèce, il échet de constater que le demandeur n’a pas pris position par rapport aux doutes émis par le ministre quant à la réelle gravité de sa situation au Venezuela, 10respectivement à la réalité de ses craintes l’ayant poussé à introduire une demande de protection internationale. Par ailleurs, l’examen des faits et motifs invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social susceptible de lui ouvrir droit au statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et de la loi du 18 décembre 2015, respectivement de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015.
Le tribunal est, dans ce contexte, amené à constater que le demandeur motive sa demande de protection internationale par sa crainte de faire l’objet de persécutions, respectivement d’atteintes graves, de la part d’un « paramilitaire », personne qu’il définit comme étant une « personne(…) qui f[ai]t de l’extorsion, il(…) vien[t] demander un pot-de-
vin pour nous protéger »1 et qui serait venu le menacer à plusieurs reprises dans son garage où le demandeur aurait réparé sa voiture, qui aurait dans la suite été confisquée par les forces de l’ordre vénézuéliennes, étant donné qu’elle aurait été déclarée volée. Cette confiscation aurait valu au demandeur de se retrouver dans le collimateur de ce même « paramilitaire », qui aurait lors d’un passage au garage tiré à côté de son pied et menacé son fils. Ladite personne aurait, par ailleurs, attaqué le père du demandeur avec un couteau et lui aurait extorqué 30 millions de pesos et continuerait de frapper au portail de sa mère en tirant en l’air.
Au vu des éléments soumis à son appréciation, le tribunal est amené à relever, d’un côté, que les problèmes rencontrés au Venezuela, aussi condamnables qu’ils soient, ne revêtent pas un degré de gravité tel à pouvoir être définis comme actes de persécutions ou d’atteintes graves, et d’un autre côté, que la crainte du demandeur d’être encore dans le collimateur de cette personne en cas de retour au Venezuela ou en Colombie doit s’analyser davantage en un sentiment général d’insécurité que comme une crainte fondée de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi.
Cette analyse se trouve confortée par le fait qu’alors même que le demandeur a expliqué que depuis le 31 août 2019, le « paramilitaire » se serait présenté dans son garage deux à trois fois par semaine et ce pendant quatre mois afin de le menacer et de le harceler, le demandeur ne s’est lui-même pas inquiété outre mesure pour sa sécurité et celle de sa famille. En effet, le demandeur a laissé son fils auprès de sa mère, de sorte qu’il doit être retenu qu’il ne prend pas au sérieux les menaces dont il déclare avoir été victime. Par ailleurs, si le demandeur s’était réellement senti menacé, il aurait déposé une plainte contre ladite personne. Il se borne à répéter à cet égard qu’il n’aurait pas pu déposer de plainte, étant donné qu’il n’aurait pas connu le nom du « paramilitaire » et qu’au Venezuela, afin de pouvoir compter sur l’aide des forces de l’ordre, il faudrait disposer du nom de l’auteur présumé des faits2, alors qu’au vu de la fréquence des visites du « paramilitaire », le demandeur aurait parfaitement pu avertir les forces de l’ordre de son passage afin qu’ils procèdent à son arrestation. Or, le demandeur a choisi, sur conseil de ses voisins, de quitter le Venezuela via la Colombie sans faire une quelconque démarche auprès des autorités dans son pays d’origine.
1 Rapport d’audition, p. 8.
2 Rapport d’audition, p. 9.
11Dans la mesure où il se dégage clairement du récit du demandeur que l’ensemble des problèmes qu’il a rencontrés avec le « paramilitaire » était uniquement en lien avec son activité de garagiste, le demandeur ayant déclaré qu’avant les incidents précités, il n’aurait jamais eu le moindre problème au Venezuela3, le tribunal se doit de relever qu’il reste en défaut de démontrer la moindre raison pour laquelle il estime que sa crainte serait à l’heure actuelle toujours fondée et ce, alors même qu’il n’a plus eu d’activité depuis quatre ans.
Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur a expliqué lors de son audition auprès de la police judiciaire avoir quitté son pays d’origine afin de rendre visite à sa sœur, qui était enceinte, en date du 20 janvier 2020 et qu’il aurait voulu rentrer en Colombie en avril 2020, vol qui aurait cependant été annulé en raison de la pandémie du Covid-19.
Le caractère hypothétique des craintes avancées par le demandeur est encore confirmé par le comportement que celui-ci a affiché après avoir quitté son pays d’origine. En effet, il n’est pas contesté qu’il n’a introduit sa demande de protection internationale qu’en juin 2020, sans toutefois ressentir le besoin de déposer une demande de protection internationale plus tôt.
Or, il est raisonnable d’attendre d’une personne qui se sent réellement persécutée dans son pays d’origine, respectivement y ressent une crainte fondée de subir des atteintes graves, qu’elle dépose une demande de protection internationale dans un délai rapproché de son arrivée sans attendre six mois.
Pour ce qui est ensuite de la situation sécuritaire générale au Venezuela, il y a lieu de relever qu’à défaut de prise de position circonstanciée du demandeur, ce dernier n’a pas mis le tribunal en mesure de pouvoir procéder à l’examen de la situation sécuritaire au Venezuela afin d’apprécier si celle-ci répond le cas échéant aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, disposition d’ailleurs non invoquée par le demandeur.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et des éléments à sa disposition, le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas fait état d’un élément concret de nature à justifier dans son chef l’octroi du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire par rapport au Venezuela, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée sa demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet quant à ce pays.
S’agissant des craintes exposées par le demandeur par rapport à la Colombie, il échet de constater que le demandeur se borne à affirmer qu’il craindrait que « ceux qui [le] cherchent dans [s]on garage ou ceux qui ont agresser [s]on père [l]e tuent. »4. A défaut par le demandeur d’avoir précisé concrètement comment le « paramilitaire » serait susceptible de le retrouver en Colombie après quatre ans d’absence, le tribunal conclut que les craintes exposées par ce dernier dans ce contexte sont exclusivement hypothétiques et ne sauraient justifier la reconnaissance du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet quant à la Colombie.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, à défaut d’autres moyens, que c’est à bon droit et sans violer l’article 3 de la CEDH que le ministre a refusé de faire droit à la 3 « Est-ce qu’il y a d’autres raisons pour lesquelles vous avez quitté le Venezuela ? Non, jamais j’avais pensé émigré. », Rapport d’audition, p. 9.
4 Rapport d’audition, p. 9.
12demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.
2) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 17 octobre 2022 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de ce volet de son recours, le demandeur soutient que la décision du ministre lui enjoignant de quitter le territoire devrait encourir la réformation pour violation des articles 3 de la CEDH, ainsi que 4 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », en ce qu’elle serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation de sa situation individuelle eu égard à la situation générale régnant au Venezuela et en Colombie. En effet, contrairement à l’appréciation ministérielle, il y aurait lieu de retenir qu’en cas de retour au Venezuela ou en Colombie, il encourrait un risque sérieux d’être persécuté et de subir des traitements inhumains et dégradants.
Il se réfère, à cet égard, plus particulièrement à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 11 janvier 2007 dans une affaire Salah Sheekh c. Pays-Bas dans le cadre duquel il aurait été retenu que l’expulsion d’un étranger par un Etat contractant pourrait soulever un problème au regard de l’article 3 de la CEDH, et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause au titre de ladite convention, lorsqu’il y aurait des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, s’il était expulsé vers le pays de destination, y courrait un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH. En pareil cas, cette disposition impliquerait l’obligation de ne pas expulser la personne concernée vers ce pays. Dans ce même arrêt, la CourEDH aurait encore retenu qu’il faudrait apprécier la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de l’article 3 de la CEDH, ce qui impliquerait que, pour apprécier la réalité dans le chef d’étrangers menacés d’expulsion ou d’extradition d’un risque allégué de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, il serait nécessaire de se livrer à un examen complet et ex nunc de la situation régnant dans le pays de destination, cette situation pouvant changer au fil du temps.
Il expose encore que la protection offerte par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte serait rendue illusoire s’il était éloigné à destination du Venezuela ou de la Colombie.
A cela s’ajouterait que son renvoi vers son pays d’origine emporterait également une violation de l’article 19 de la Charte qui interdiraient le refoulement des demandeurs de protection internationale déboutés vers leur pays d’origine, le demandeur faisant valoir que même s’il ne devait pas se voir accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale, il devrait néanmoins pouvoir bénéficier de la protection contre l’expulsion vers un pays dans lequel il risquerait de subir des atteintes contre sa vie et son intégrité physique et morale, le demandeur s’appuyant, à cet égard, sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 18 décembre 2014, dans une affaire Abdida, C-562/13 ainsi que sur un arrêt 13de la CourEDH du 15 novembre 2011, dans une affaire Al Hanchi c. Bosnie-Herzégovine, n° 48205/09.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné que le tribunal vient de retenir ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’invocation d’une violation, par la décision déférée, du principe de non-refoulement, de même que des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
En effet, il y a lieu de rappeler, en ce qui concerne précisément les risques encourus par le demandeur en cas de retour au Venezuela, respectivement en Colombie, que le tribunal a conclu ci-avant que l’intéressé n’a pas fait état d’une crainte fondée de subir des persécutions ou d’être exposé à des atteintes graves au sens de la loi, de sorte qu’il ne saurait prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale. Le tribunal ne saurait dès lors actuellement se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH5, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur au Venezuela, voire en Colombie, soit dans ces circonstances incompatible avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, voire avec le principe de non-refoulement.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 17 octobre 2022 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
5 CourEDH, arrêt du 4 février 2004, Lorsé et autres c/ Pays-Bas.
14 dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 17 octobre 2022 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 juillet 2024 par :
Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 15