Tribunal administratif N° 49120 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49120 2e chambre Inscrit le 4 juillet 2023 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, sans adresse connue, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection temporaire et de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49120 du rôle et déposée le 4 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Aminatou Koné, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, sans adresse connue, ayant élu domicile en l’étude de Maître Aminatou Koné, préqualifiée, sise à L-1611 Luxembourg, 1, avenue de la Gare, tendant à l’annulation 1) d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er décembre 2022 portant refus de sa demande en obtention d’une protection temporaire, et 2) d’une décision du même ministre, datée du même jour, ayant constaté son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et lui ayant ordonné de quitter ledit territoire dans un délai de 30 jours ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 août 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Aminatou Koné et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 mars 2024.
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Le 24 novembre 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection temporaire au sens la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection subsidiaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », suite à la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, ci-après désignée par « la décision du Conseil du 4 mars 2022 ».
Ses déclarations sur son identité furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.
Toujours le même jour, il remplit un questionnaire en relation avec sa demande de protection temporaire.
Par décision du 1er décembre 2022, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … du rejet de sa demande de protection temporaire en les termes suivants :
« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection temporaire que vous avez introduite le 24 novembre 2022.
Le Conseil de l’Union européenne a décidé en date du 4 mars 2022 de déclencher le mécanisme de la protection temporaire afin de permettre aux ressortissants ukrainiens et aux personnes bénéficiant d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine ainsi qu’à leurs membres de famille de s’établir temporairement au sein de l’Union européenne en raison de l’invasion militaire russe en Ukraine. Les ressortissants de pays tiers qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine au 24 février 2022 sur base d’un titre de séjour permanent ou temporaire en cours de validité et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables peuvent également bénéficier d’une protection temporaire.
Je suis cependant dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
Il ressort des documents que vous m’avez remis le 24 novembre 2022 que vous avez quitté l’Ukraine pour la dernière fois le 27 février 2022. Il ressort également de vos documents que vous êtes en possession d’un titre de séjour temporaire en Ukraine expiré depuis le 30 juin 2022 lequel vous avez obtenu étant donné que votre épouse est de nationalité ukrainienne.
Par ailleurs, aucun élément de votre dossier ne permet de conclure que vous ne seriez pas en mesure de rentrer dans votre pays d’origine, en l’occurrence le Maroc, dans des conditions sûres et durables.
D’après les informations en ma possession, le Maroc n’est actuellement pas confronté à une situation de conflit armé ou de violence endémique et au risque grave de violation systématique ou généralisée des droits de l’Homme.
De plus, vous n’apportez aucune preuve permettant de conclure que vous présentez, au niveau individuel, un risque aggravé vous empêchant de retourner au Maroc dans des conditions sûres et durables.
En effet, vous n’avez pas quitté votre pays d’origine à cause de craintes respectivement problèmes individuels et personnels permettant d’établir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution, voire d’un risque de subir un traitement inhumain et dégradant dans votre pays d’origine mais pour poursuivre vos études en Ukraine. Monsieur, vous invoquez dans le questionnaire rempli le 24 novembre 2022 que vous ne pourriez pas retourner dans votre pays d’origine parce que vous auriez construit votre vie en Ukraine depuis 2016.
Or, des motifs de pure convenance personnelle ne sauraient justifier l’octroi d’une protection temporaire dans votre chef.
Compte tenu du fait que votre famille se trouve toujours au Maroc, vous disposez par ailleurs d’un point d’attache non négligeable en retournant dans votre pays d’origine.
2 Vous ne remplissez dès lors pas les conditions d’éligibilité relatives aux personnes auxquelles s’applique la protection temporaire telles que retenues par l’article 2 de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022. […] ».
Le même jour, le ministre prit encore à l’encontre de l’intéressé un arrêté sur base des articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », notifié à l’intéressé également en mains propres le 1er décembre 2022, pour déclarer son séjour irrégulier, tout en lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :
« […] Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la demande de protection temporaire de l’intéressé du 24 novembre 2022 ;
Vu le refus de la demande de protection temporaire de l’intéressé du 1er décembre 2022, lui notifié en mains propres le même jour ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;
Considérant que l’intéressé ne justifie pas l’objet et les conditions du séjour envisagé ;
Considérant que l’intéressé ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie ;
Considérant que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable, ni d’une autorisation de travail […] ».
Par deux courriers séparés datés du 28 février 2022 de son litismandataire, réceptionnés en date du 2 mars 2023 par le ministère, Monsieur … fit introduire un recours gracieux contre les décisions précitées.
Par décision du 4 avril 2023, notifiée par lettre recommandée envoyée au litismandataire de Monsieur … le même jour, le ministre confirma sa décision de refus de lui octroyer la protection temporaire et celle lui ordonnant de quitter le territoire.
Par requête déposée le 4 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre des décisions ministérielles susvisées du 1er décembre 2022.
Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond contre les décisions refusant l’octroi d’une protection temporaire ou celles ordonnant de quitter le territoire, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.
Le tribunal est, partant, compétent pour connaître du recours en annulation sous examen.
A titre liminaire, le tribunal est amené à préciser que, bien que les deux décisions ministérielles initiales du 1er décembre 2022 soient basées sur des législations distinctes, celle refusant l’octroi d’une protection temporaire sur la loi du 18 décembre 2015 et celle déclarant irrégulier le séjour du demandeur et lui ordonnant de quitter le territoire sur la loi du 29 août 2008, il a été admis que le demandeur peut attaquer par une même requête deux décisionsintimement liées entre elles1, ce qui est le cas en l’espèce, dans la mesure où le ministre déduit le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois de son refus de lui octroyer une protection temporaire.
Il échet dès lors de déclarer le recours en annulation recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
1) Quant au volet du recours visant le refus ministériel d’octroi d’une protection temporaire En fait, le demandeur explique avoir quitté son pays d’origine, le Maroc, pour l’Ukraine en décembre 2016 afin d’y effectuer ses études. Il se serait ensuite marié le … à Madame …, de nationalité ukrainienne. Il ajoute qu’il serait détenteur d’un permis de résidence temporaire qui lui aurait été délivré le 8 juillet 2021. Il aurait résidé avec son épouse en Ukraine jusqu’au 27 février 2022, date à laquelle il aurait dû fuir la guerre dans ledit pays. Il serait finalement arrivé au Luxembourg et y aurait introduit une demande de protection temporaire le 24 novembre 2022, tout en précisant que son épouse aurait également fui l’Ukraine par la suite pour venir au Luxembourg.
En droit, et après avoir cité l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, le demandeur estime, tout d’abord, qu’il remplirait la première condition dudit article, étant donné qu’il aurait disposé d’un permis de résidence temporaire ukrainien valable. Il précise, à ce propos, qu’il se serait trouvé sur le territoire ukrainien avant le début du conflit, qu’il l’aurait quitté le 27 février 2022 et qu’il lui aurait été impossible, depuis lors, de renouveler son permis de résidence expiré en juin 2022.
En ce qui concerne la deuxième condition posée au prédit article 2, le demandeur fait valoir qu’il ne serait pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables, alors qu’il n’y serait pas retourné depuis 2016 et que sa vie serait établie en Ukraine, où il aurait suivi ses études et où il se serait marié. Il estime que la décision litigieuse comporterait une erreur manifeste d’appréciation alors qu’elle ne tiendrait pas compte de la nationalité ukrainienne de son épouse, qui pourra, à la fin du conflit, retourner en Ukraine. Il donne encore à considérer que le ministre aurait erronément supposé qu’il pourrait être séparé de son épouse et soutient que sa décision serait contraire à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », protégeant le droit à une vie privée et familiale.
Il en conclut que la décision lui refusant l’octroi d’une protection temporaire serait, pour ces motifs, à annuler.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en tous ses moyens.
Le tribunal relève que la notion de « protection temporaire » est définie par l’article 2 r) de la loi du 18 décembre 2015 comme « […] une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif ou d’afflux massif imminent de personnes 1 Trib. adm., 15 décembre 2004, n° 18044 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Proc. contentieuse, n° 391 et les autres références y citées. déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire à ces personnes, notamment si le système d’asile risque également de ne pouvoir traiter cet afflux sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement, dans l’intérêt des personnes concernées et celui des autres personnes demandant une protection. […] ».
L’article 69 de la même loi dispose que « Le régime de protection temporaire est déclenché par une décision du Conseil de l’Union européenne prise dans les conditions définies par les articles 4 à 6 de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. » Il est constant en cause que dans sa décision d’exécution n° 2022/382 du 4 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne, après avoir constaté l’existence d’un afflux massif dans l’Union européenne de personnes déplacées qui ont dû quitter l’Ukraine en raison d’un conflit armé, a précisé les catégories de personnes pouvant bénéficier de la protection temporaire dans son deuxième article, dont les termes sont les suivants :
« […] 1. La présente décision s’applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d’Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l’invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date :
a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022;
b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui ont bénéficié d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022; et, c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b).
2. Les États membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l’égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables.
3. Conformément à l’article 7 de la directive 2001/55/CE, les États membres peuvent également appliquer la présente décision à d’autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables. […] ».
Il ressort de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, et plus particulièrement de son troisième paragraphe, que les Etats membres peuvent étendre l’octroi d’une protection temporaire aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers qui étaient en séjour régulier en Ukraine, sans y disposer d’un titre de séjour permanent en cours de validité, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables.
Tel qu’indiqué par le délégué du gouvernement dans ses écrits contentieux, le gouvernement luxembourgeois a pris, le 18 mars 2022, la décision d’appliquer l’article 2 (3) de la décision du Conseil du 4 mars 2022 aux demandeurs de protection temporaire ressortissants de pays tiers en séjour régulier en Ukraine.
Ainsi, il se dégage de ces développements que, pour bénéficier d’une protection temporaire, le ressortissant de pays tiers doit démontrer (i) qu’il était en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022, à titre permanent ou temporaire, et (ii) qu’il n’est pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables.
Or, force est au tribunal de constater qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le demandeur remplit la première condition, à savoir qu’il était en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022.
En ce qui concerne la deuxième condition, à savoir le fait que le demandeur ne soit pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables, il échet de relever que dans sa communication du 21 mars 2022 relative aux lignes directrices opérationnelles pour la mise en œuvre de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, n° 2022/C 126 I/01, ci-après désignée par « la communication de la Commission du 21 mars 2022 », la Commission européenne a précisé (i) que l’incapacité de « retourner dans des conditions sûres » devait se fonder sur la situation générale dans le pays ou la région d’origine de la personne concernée et que celle-ci devait être en mesure de prouver et/ou de fournir des éléments attestant à première vue, au niveau individuel, qu’elle n’est pas en mesure d’y retourner, notamment en démontrant, par exemple, l’existence d’un risque évident pour sa sécurité, de situations de conflit armé ou de violence endémique, ou de risques documentés de persécution ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, et (ii) qu’un retour « durable » supposait que la personne concernée puisse jouir dans son pays ou sa région d’origine de droits actifs lui offrant la perspective d’y voir ses besoins fondamentaux satisfaits, ainsi que la possibilité d’être réintégrée dans la société, et qu’il y avait lieu de savoir si elle avait toujours un lien significatif avec son pays d’origine, en prenant en considération, par exemple, le temps de résidence passé en Ukraine ou l’existence d’une famille dans son pays d’origine. Elle a également souligné qu’il convenait de tenir dûment compte des besoins particuliers des personnes vulnérables et des enfants, notamment les mineurs non accompagnés et les orphelins, sur la base du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Ainsi, il appartient au demandeur de démontrer qu’il ne peut pas retourner au Maroc dans des conditions sûres et durables telles que précisées ci-avant.
A cet effet, Monsieur … fait valoir le fait (i) qu’il ne serait pas retourné au Maroc depuis 2016 et qu’il aurait construit sa vie en Ukraine et (ii) qu’il serait amené, en cas de retour dans son pays d’origine, à être séparé de son épouse ukrainienne, ce qui entraînerait une violation de l’article 8 de la CEDH.
Concernant le fait que le demandeur ne serait pas retourné dans son pays d’origine depuis 2016, force est de constater que cet élément, non autrement étayé, n’est pas suffisant à lui seul pour démontrer qu’il ne pourrait pas retourner au Maroc en raison de l’existence d’un risque évident pour sa sécurité, voire de l’existence dans ledit pays d’une situation de conflitarmé ou de violence endémique ou d’un risque général d’y subir des persécutions ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH.
A cela s’ajoute que le demandeur a indiqué, dans le questionnaire rempli au moment du dépôt de sa demande de protection temporaire, que s’il souhaitait une telle protection au Luxembourg, et donc ne pas retourner au Maroc, ce serait pour y avoir sa chance, notamment pour y commencer sa vie, finir ses études et y travailler. Il en ressort, dès lors, que les motifs de Monsieur … à l’appui de sa demande de protection temporaire sont exclusivement de nature économique et de convenance personnelle.
Il y a, partant, lieu de retenir que Monsieur … n’invoque aucun élément démontrant (i) l’absence de perspective de voir ses besoins fondamentaux satisfaits au Maroc, - pays dans lequel il a passé l’essentiel de sa vie -, (ii) qu’il ne pourrait plus être réintégré dans la société marocaine et (iii) qu’il n’aurait plus aucun lien significatif avec son pays d’origine, le tribunal étant, à cet égard, amené à relever que le demandeur a précisé que ses parents et son frère, avec lesquels il vivait avant son départ du Maroc, y résident toujours.
Au vu de ces considérations, le tribunal est amené à constater que le demandeur n’apporte aucune preuve ou élément permettant de retenir qu’il ne peut pas retourner au Maroc dans des conditions sûres et durables.
La deuxième condition cumulative pour l’obtention d’une protection temporaire n’étant pas remplie, le moyen du demandeur y afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’invocation de l’article 8 de la CEDH, la Cour administrative ayant, en effet, été amenée à retenir que le juge administratif, dans le cadre de sa compétence attribuée par la loi du 18 décembre 2015 en ce qui concerne les demandes de protection internationale, était appelé à se prononcer exclusivement sur l’existence, dans le chef d’un étranger, de raisons de craindre d’être persécuté dans son pays d’origine ou sur l’existence de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, cette personne encourrait un risque réel de subir des atteintes graves visées à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il n’était pas habilité à se prononcer, dans ce contexte, sur la question d’une éventuelle violation du droit au respect de la vie privée et familiale, tel que garanti par l’article 8 de la CEDH, étant donné que cette question ne relevait ni du champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ni de celui de la loi du 18 décembre 20152.
Par extension, le tribunal est amené à retenir qu’il est également appelé, en matière de demande de protection temporaire, uniquement à vérifier si le demandeur remplit les conditions liées à l’octroi d’une protection temporaire et qu’il n’est pas habilité à se prononcer sur la question d’une éventuelle violation de l’article 8 de la CEDH par la décision ministérielle refusant une protection temporaire à Monsieur ….
A titre superfétatoire, force est de relever qu’il ressort du passeport de l’épouse du demandeur qu’elle a quitté son pays d’origine pour entrer en Pologne le 12 décembre 2022, soit près de dix mois après le départ de Monsieur …, qu’elle a déposé une demande de protection temporaire au Luxembourg le 22 décembre 2022 et qu’il ressort des explications de 2 Cour adm., 29 avril 2021, n° 45659C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 221 et les autres références y citées.la partie étatique - non remises en cause par le demandeur - qu’après avoir été interrogée sur son époux, elle a décidé de renoncer à ladite demande et ne s’est plus manifestée, de sorte que la partie étatique en a conclu qu’elle ne se trouvait plus sur le territoire luxembourgeois, supposition qui n’a pas non plus été contestée par Monsieur …. De ce fait, il échet de constater que le demandeur n’apporte de toute façon pas la preuve d’un lien réel et suffisamment étroit entre son épouse et lui-même dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi eux, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national, autres qu’un certificat de mariage, de sorte à ne pas remplir les conditions pour bénéficier de la protection fournie par l’article 8 de la CEDH.
Le moyen tendant à l’annulation de la décision litigieuse pour violation de l’article 8 de la CEDH encourt, dès lors, le rejet pour être non fondé.
Au vu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le ministre pouvait refuser, à bon droit, l’octroi d’une protection temporaire à Monsieur …, de sorte que le recours en annulation contre la décision lui refusant ladite protection encourt le rejet pour être non fondé.
2) Quant au volet du recours visant la décision de retour et l’ordre de quitter le territoire A l’appui de son recours, le demandeur conclut, à titre principal, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son égard en conséquence de l’annulation de la décision ministérielle du 1er décembre 2022 lui refusant l’octroi d’une protection temporaire.
A titre subsidiaire, il estime que ledit ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 8 de la CEDH, dans la mesure où un retour dans son pays d’origine impliquerait qu’il serait séparé de son épouse ukrainienne, et qu’un retour en Ukraine lui serait impossible en raison de la guerre.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève que l’article 100 (1) de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au moment de la prise des décisions litigieuses, prévoyant les conditions dans lesquelles une décision de retour peut être prise, dispose que :
« […] Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour, la présence d’un ressortissant de pays tiers:
a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34;
b) qui se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire;
c) qui n’est pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail si cette dernière est requise;
d) qui relève de l’article 117. […] ».
Force est au tribunal de constater que ledit article 100 prévoit des critères alternatifs permettant de conclure au caractère irrégulier du séjour d’un étranger, de sorte qu’il suffit que le ressortissant de pays tiers en question tombe dans l’une des hypothèses visées auxdits points a), b), c) et d), pour que le ministre puisse déclarer irrégulier son séjour.
Aux termes de l’article 34 de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au moment de la prise des décisions litigieuses, « (1) Pour entrer sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et pour le quitter, le ressortissant de pays tiers doit être muni d’un document de voyage valable et le cas échéant du visa requis, tels que prévus par les conventions internationales et la réglementation communautaire.
(2) Il a le droit d’entrer sur le territoire et d’y séjourner pour une période allant jusqu’à trois mois sur une période de six mois, s’il remplit les conditions suivantes:
1. être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis;
2. ne pas faire l’objet d’un signalement aux fins de non-admission sur base de l’article 96 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 et être signalé à cette fin dans le Système d’Information Schengen (SIS);
3. ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire;
4. ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales du Grand-Duché de Luxembourg ou de l’un des Etats parties à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant le Grand-Duché de Luxembourg ;
5. justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé, et justifier de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, ou justifier de la possibilité d’acquérir légalement ces moyens et disposer d’une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire. Un règlement grand-
ducal définit les ressources exigées et précise les conditions et les modalités selon lesquelles la preuve peut être rapportée.
(3) Si le ressortissant de pays tiers déclare vouloir séjourner sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois dans le cadre d’une visite familiale ou privée, la preuve du caractère suffisant des ressources personnelles peut être rapportée par la production d’une attestation de prise en charge ou par des lettres de garantie émises par un institut bancaire. ».
Or, étant donné (i) que le ministre a décidé de ne pas octroyer la protection temporaire à Monsieur … et qu’il est arrivé à la conclusion, notamment de ce fait, que le demandeur était en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et (ii) que le demandeur ne conteste pas qu’il ne remplit pas les conditions de l’article 34 de la loi du 29 août 2008, le tribunal est amené à retenir que le ministre pouvait a priori valablement déclarer irrégulier le séjour du demandeur et prononcer à son encontre un ordre de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter de la notification de l’arrêté en question, conformément à l’article 111 de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au moment de la prise des décisions litigieuses, prévoyant que :
« (1) Les décisions de refus visées aux articles 100, 101 et 102, déclarant illégal le séjour d’un étranger, sont assorties d’une obligation de quitter le territoire pour l’étranger qui s’y trouve, comportant l’indication du délai imparti pour quitter volontairement le territoire, ainsi que le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
(2) Sauf en cas d’urgence dûment motivée, l’étranger dispose d’un délai de trente jours à compter de la notification de la décision de retour pour satisfaire volontairement à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire et il peut solliciter à cet effet un dispositif 9 d’aide au retour. Si nécessaire, le ministre peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours en tenant compte des circonstances. […] ».
Il ressort de cette disposition que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique de la prise d’une décision déclarant irrégulier le séjour d’un ressortissant de pays tiers sur le territoire luxembourgeois, sans que le ministre ne dispose à cet égard d’un pouvoir d’appréciation, celui-ci étant ainsi investi d’une compétence liée.
Etant donné que le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré irrégulier le séjour du demandeur sur le territoire luxembourgeois, il a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Concernant le moyen du demandeur relatif à une atteinte disproportionnée au droit à sa vie privée et familiale, vie familiale qu’il aurait avec son épouse ukrainienne, force est de relever qu’aux termes de l’article 8 de la CEDH :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, les Etats qui ont ratifié la CEDH ont tout de même accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de cette même convention. Dans ce contexte, l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.
Il convient dans ce contexte de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. Il faut au contraire que l’intéressé puisse invoquer l’existence d’une vie familiale, qui ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l’entrée sur le territoire national3.
Or, la Cour européenne des droits de l’Homme a précisé que « les rapports entre adultes […] ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l’article 8 sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux. »4.
3 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 et les autres références y citées.
4 Commission EDH, 10 décembre 1984, S. et S. c. Royaume-Uni, n° 10375/83, Décisions et rapports 40, p. 196.
En ce sens, voir également par exemple CourEDH, 2 juin 2015, K.M. c. Suisse, n° 6009/10, point 59, CourEDH, 30 juin 2015, A.S. c. Suisse, n° 39350/13, § 49, et CourEDH, 13 février 2001, Ezzouhdi c. France, n° 47160/99, § 34.
A cet égard, le demandeur fait simplement valoir un certificat de mariage et le fait qu’il aurait habité avec son épouse en Ukraine jusqu’au 27 février 2022. Or, le tribunal a été amené à relever dans les développements qui précèdent que le demandeur avait quitté l’Ukraine près de 10 mois avant son épouse, que cette dernière a déposé une demande de protection temporaire au Luxembourg en date du 22 décembre 2022 pour finalement y renoncer le même jour et qu’elle a ensuite disparu, de sorte qu’elle doit être considérée comme n’étant pas présente sur le territoire luxembourgeois, impliquant qu’aucune vie privée et familiale qu’il y aurait lieu de protéger au titre de l’article 8 de la CEDH ne saurait être valablement invoquée. Le moyen tiré d’une violation dudit article est dès lors à rejeter pour être non fondé.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, le recours en annulation visant la décision de retour et l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation contre la décision ministérielle du 1er décembre 2022 portant refus d’une protection temporaire en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
reçoit le recours en annulation contre la décision ministérielle du 1er décembre 2022 portant ordre de quitter le territoire en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 8 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 11