La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/07/2024 | LUXEMBOURG | N°49164

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juillet 2024, 49164


Tribunal administratif N° 49164 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49164 2e chambre Inscrit le 13 juillet 2023 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49164 du rôle et déposée le 13 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal

El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif N° 49164 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49164 2e chambre Inscrit le 13 juillet 2023 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49164 du rôle et déposée le 13 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Afghanistan) et être de nationalité afghane, connu sous différents alias, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1) d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 juin 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et 2) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en sa plaidoirie à l’audience publique du 18 mars 2024.

Le 14 février 2022, Monsieur …, connu sous différents alias, introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion qu’il était irrégulièrement entré sur le territoire italien en date du 27 décembre 2021.

Le 22 février 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membrespar un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 24 février 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues italiens en vue de la reprise en charge de Monsieur …, demande à laquelle ceux-ci refusèrent de faire droit en date du 21 avril 2022 au motif qu’il aurait été mineur.

En date du 11 octobre 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 6 juin 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 12 juin 2023, le ministre informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 14 février 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 février 2022 ainsi que le rapport d’entretien « Dublin III » du 14 février 2022, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 11 octobre 2022 sur les motifs sous-

tendant votre demande de protection internationale ainsi qu’une copie de votre carte d’identité (tazkira) afghane versée à l’appui de votre demande de protection internationale.

Il ressort des informations reçues de la part des autorités italiennes, qu’après avoir fait l’objet d’une entrée illégale à Syracuse en date du 27 décembre 2021, vous avez été enregistré en Italie sous trois différentes identités à savoir …, né le …, …, né le … et …, né le ….

Au Luxembourg, vous déclarez être célibataire, de nationalité afghane, d’ethnie Hazara et de confession musulmane chiite. Vous indiquez avoir vécu dans le quartier … qui se trouve dans le district … de la province de …. Vous y auriez vécu ensemble avec vos parents et votre fratrie avant de quitter l’Afghanistan en juillet 2021. Vous expliquez que vous auriez perdu tout contact avec ces derniers après avoir été séparés par les passeurs lors de votre déplacement du Pakistan vers l’Iran.

Concernant vos craintes en cas de retour dans votre pays d’origine, vous indiquez que vous craigniez d’être arrêté par les Taliban en raison de l’emploi de votre père auprès de l’ancien Etat afghan. Les Taliban percevraient ces personnes comme des mécréants et des traitres devant être punis.

2 En ce qui concerne les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous expliquez qu’après la prise de pouvoir par les Taliban, votre vie aurait été en danger étant donné que ces derniers auraient considéré votre père comme étant un traître travaillant pour le compte de l’« Etat des mécréants » (p.6/13 de votre rapport d’entretien). Les Taliban vous aurait menacé vous et votre famille sachant que d’après eux, tous ceux qui travailleraient pour l’Etat afghan seraient indirectement engagés par les occidentaux. Vous ajoutez que votre père aurait travaillé depuis longtemps pour l’Etat afghan et qu’il aurait été le responsable de l’approvisionnement en armes et en aliments aux soldats. D’après vos propos, les Taliban auraient demandé à votre père de les rejoindre et de ce fait vous seriez aussi en danger d’être contraint à vous joindre à leurs rangs. Un mois avant la prise de pouvoir par les Taliban, votre père aurait même reçu une lettre de menace de la part des imams de votre quartier dans laquelle les Taliban auraient averti votre père que ceux qui auraient travaillé pour le compte de l’ancien Etat afghan seraient punis et que les fils de ces personnes seraient obligés à les rejoindre. Vous n’auriez cependant pas vu personnellement cette lettre, votre père vous aurait informé de son contenu.

Finalement, vous expliquez que les Taliban tueraient les chiites et les Hazara et ne les laisseraient pas pratiquer les mœurs et coutumes liés à leur croyance.

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous remettez une copie de votre carte d’identité (tazkira) afghane.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale • Quant à la crédibilité de votre récit Avant tout autre développement en cause, il convient de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’un cumul de propos manifestement inventés de toutes pièces ne font pas état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.

Par conséquent Monsieur, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes :

3 Premièrement, force est de constater que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises, alors que vous semblez cacher la vérité non seulement sur les raisons pour lesquelles vous ne pouvez pas vous réinstaller dans votre pays d’origine mais aussi en mentant sur votre âge et votre identité réels. En effet, lors de votre arrivée au Luxembourg et selon le rapport de Police judiciaire du 14 février 2022, vous avez prétendu avoir … ou … ans. Dans ce même rapport, vous relatez que vous auriez menti sur votre âge en Italie sachant que vous auriez espéré avoir de meilleures chances de solliciter le regroupement familial en tant que mineur. « Ich war ungefähr 25 Tage in Italien in einem Camp, ich habe angegeben 17 Jahre zu sein. Ich kam dann in ein Camp für Minderjährige. Ich habe angegeben Minderjährig zu sein, da man mir auf dem Boot gesagt hat, dass man viele Vorteile hat, und es besser ist als Minderjähriger registriert zu sein.

(…) Ich habe angegeben ich sei minderjährig in der Hoffnung eine Familienzusammenführung für meine Eltern zu beantragen." (p.2/3 de votre rapport du Service de Police Judiciaire).

Ensuite, dans ce même rapport, il est mentionné que vous avez prétendu ne pas avoir de profil sur Facebook alors que l’agent de police a trouvé un profil sous votre nom et avec votre photo. Encore une fois, vous avez essayé de dissimuler la vérité pour des raisons qui vous sont propres en insistant sur le fait que le profil aurait certainement dû être créé par une tierce personne sans que vous n’en soyez au courant. Finalement, vous avez fini par avouer qu’il s’agirait effectivement de votre propre compte Facebook et que la photo y figurant et publiée le 21 juin 2021 aurait été prise en Turquie. Encore une fois empêtré dans vos propres mensonges, vous ne vous êtes pas rendu compte que cette date ne concordait pas avec votre date de départ de votre pays d’origine sachant que vous avez expliqué avoir quitté l’Afghanistan en décembre 2021. Après avoir été prié par les agents de de Police Judiciaire vous interrogeant d’arrêter de mentir et de ne vous tenir qu’à la vérité, vous avez répliqué :

« Wenn ich die Wahrheit sage, bekomme ich kein Asyl in Luxemburg ». (p.3/3 de votre rapport du Service de Police Judiciaire). Par rapport à la copie de votre Tazkira sur laquelle il est mentionné qu’en … vous auriez été âgé de … ans, vous vous perdez de nouveau dans vos déclarations en expliquant d’abord que votre Tazkira serait authentique mais que l’âge y indiqué serait faux pour ensuite insinuer que votre Tazkira serait authentique mais que vous ne connaîtriez pas votre âge.

Vos propos débordants d’incohérences, de contradictions et de mensonges flagrants ne s’arrêtent cependant pas là. En effet, lors de votre entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale du 11 octobre 2022, vous décidez soudainement de changer de nouveau de version par rapport à votre âge en insistant sur le fait que vous auriez eu … ans à votre arrivée et … ans au moment de votre entretien. Vous insinuez avoir été mis sous pression par les agents de la Direction de l’immigration et d’avoir de ce fait avoué avoir dix-huit ou dix-neuf ans. Lors de ce même entretien, vous décidez également soudainement de ne plus vous souvenir de vos propres propos recensés lors de votre entretien avec la Police Judiciaire. Confronté par exemple à la question au fait que vous avez avoué avoir prétendu être mineur pour pouvoir bénéficier du regroupement familial, vous avez répondu simplement en rigolant : « Non, je n’ai pas dit cela. » (p.2/13 de votre rapport d’entretien) Par rapport aux différentes dates de naissances fournies aux autorités italiennes, vous répliquez : « Je n’ai pas donné la date du 01.10.2003 en Italie. » (p.2/13 de votre rapport d’entretien). Concernant votre profil sur Facebook, vous changez de nouveau de version lors de votre entretien sous-

tendant vos motifs de demande de protection internationale : « Non, j’ai dit que ce n’était pas mon profil. Je n’ai jamais dit que cette photo a été prise en Turquie. Non ce n’est pas moi mais 4 le garçon me ressemble. Je n’ai pas des habits comme ça. C’est peut-être du Photoshop. » (p.10/13 de votre rapport entretien).

Il y a de ce fait lieu de constater que vous n’avez pas été en mesure de prouver votre identité. En effet, il ressort de votre rapport d’entretien que vous n’auriez jamais été en possession d’un passeport et que vous ne sauriez pas où se trouverait votre carte d’identité.

Vous avez cependant été en mesure de remettre une copie de votre carte d’identité que vous auriez imprimée en Turquie sur base d’une photo du document que vous auriez eue sur votre téléphone évidemment perdu en cour de route. Il est toujours surprenant qu’une copie d’un document puisse être fournie sans toutefois savoir où se trouve l’original. Inutile de vous expliquer que la vérification de l’authenticité d’un document ne peut être établie sur base d’une simple copie. De ce fait, ni votre identité, ni votre origine afghane, ni appartenance à une quelconque ethnie ne peuvent être formellement établies et il est irréfutable que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises pour des raisons qui vous sont propres.

Ensuite et contrairement à vos déclarations faites à votre arrivée lors desquelles vous avez prétendu avoir quitté votre pays d’origine en décembre 2021, vous déclarez avoir quitté l’Afghanistan en août 2021 pour ensuite traverser le Pakistan, l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France, sans toutefois y introduire de demande de protection internationale, avant d’arriver au Luxembourg. Vous affirmez ne pas avoir introduit de demande de protection internationale en Italie, où vos empreintes ont été recensées, parce que « En Italie on a pris mes empreintes de force à côté de la mer. Ils m’ont forcé donc je ne suis pas resté. J’ai vu ceux qui refusaient de donner leurs empreintes se faire frapper. » (p.6/13 de votre rapport d’entretien). Vous ajoutez que des Afghans que vous auriez croisés sur votre chemin vous aurait conseillé de vous rendre au Luxembourg.

Or, il est évident que tel n’est pas le comportement d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée ou de devenir victime d’atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d’une protection internationale. En effet, alors qu’on peut attendre d’une telle personne qu’elle introduise sa demande de protection dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, vous avez choisi de traverser plusieurs pays en passant notamment par la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France. Ensuite, sur un simple conseil hasardeux reçu de la part de personnes inconnues jamais rencontrées auparavant, vous auriez fortuitement décidé de vous rendre au Luxembourg. Force est de constater que vous n’avez pas recherché une forme quelconque de protection dans cette multitude de pays sûrs rencontrés et que cette idée ne vous est venue qu’après votre arrivée au Luxembourg.

Un tel comportement ne correspond clairement pas à celui d’une personne qui aurait été forcée à quitter son pays d’origine à la recherche d’une protection internationale et qui aurait été reconnaissante de se voir offrir une protection dans les pays sûrs visités. Il convient en effet de souligner que les critères d’octroi de la protection internationale en Grèce, en Italie ou en France sont strictement identiques à ceux appliqués au Luxembourg, alors qu’ils découlent de la Convention de Genève ainsi que des directives européennes transposées dans ces trois pays que vous avez traversés avant votre arrivée au Luxembourg.

Deuxièmement, il ressort de la lecture de votre rapport d’entretien que votre famille serait menacée par les Taliban à cause du fait que votre père aurait travaillé pour l’ancien Etat à la province de …. Vous racontez qu’il aurait reçu de la part des Taliban une lettre de menace dans laquelle il aurait été demandé à les rejoindre. Dans cette même lettre, il aurait 5 été clairement indiqué que ceux qui auraient travaillé pour l’Etat afghan seraient punis et que leurs fils devraient rejoindre les Taliban.

Or, force est de constater qu’encore une fois vos propos contiennent des passages tout à fait contradictoires et compromettantes pour la crédibilité générale de votre récit. Il paraît évident que vous tentez manifestement d’aggraver votre situation en Afghanistan en vous perdant toutefois de nouveau dans des propos confus.

En effet, il y a lieu de noter que vous insinuez d’abord que votre père aurait reçu la lettre de menace de la part des imams du quartier dans lequel vous auriez vécu. Vous ajoutez que les Taliban auraient ordonné aux barbes blanches et à l’imam de la mosquée de contacter votre père afin de le pousser à les rejoindre. Un peu plus tard lors de ce même entretien vous racontez que vous ne sauriez pas de quelle manière votre père aurait reçu cette fameuse lettre pour ensuite ajouter qu’une photo de cette lettre aurait été publiée sur YouTube. Encore une fois interrogé sur la publication de la photo de la lettre de menace sur YouTube, vous faites part de vos doutes quant à sa publication et ajoutez que vous ne seriez plus certain quant à sa publication sur YouTube.

Monsieur, force est de constater que votre récit contient des incohérences flagrantes manifestement inventées qui compromettent indéniablement la crédibilité de vos propos. Il est évident que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises et que votre récit est rempli de faits improvisés. De plus, toutes vos déclarations restent à l’état de simples propos non confortés par le moindre élément de preuve tangible qui serait pourtant facile à présenter si votre récit ne serait qu’un peu sincère. A cela s’ajoute que vous n’apportez aucune preuve en lien avec l’ancienne activité professionnelle de votre père qui serait la source de vos problèmes avec les Taliban. De plus toutes vos déclarations relatives aux détails des activités professionnelles de votre père restent extrêmement approximatives et floues. Considérant vos propos contradictoires tout au long de votre entretien, rien ne permet de vous accorder le bénéfice du doute par rapport à ce point crucial de votre récit.

Votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous sera accordée.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la Loi de 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une part, de la décision du ministre du 6 juin 2023 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître durecours principal en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 6 juin 2023, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur indique qu’il serait né dans le district de …, dans la province de …, serait de confession musulmane chiite et appartiendrait à l’ethnie hazara. Il aurait grandi et vécu ensemble avec ses parents et sa fratrie de cinq personnes dans le quartier … jusqu’à son départ d’Afghanistan en juillet 2021. Il serait élève et n’aurait appris aucune profession. Il aurait été séparé de ses parents et de sa fratrie lors de leur trajet entre le Pakistan et l’Iran, et aurait perdu contact avec eux. Sur les motifs sous-tendant sa demande de protection internationale, le demandeur fait valoir sa crainte d’être exposé à des persécutions, en cas de retour en Afghanistan, car depuis la prise de pouvoir par les talibans en août 2021, son père aurait été systématiquement menacé par ces derniers pour avoir été un employé de l’ancien gouvernement afghan dans le district de …. Il craindrait également de faire l’objet d’un recrutement forcé par les talibans qui lui auraient demandé de rejoindre leurs forces armées. Il ajoute qu’il n’aurait pas porté plainte auprès des autorités de son pays d’origine qu’il redouterait. Par ailleurs, il ne disposerait d’aucune possibilité de fuite ou de réinstallation interne en Afghanistan alors que les talibans se trouveraient partout dans le pays. Il donne également à considérer qu’en cas de retour dans ledit pays, il risquerait d’être emmené ou tué par les talibans sans pouvoir recourir à une quelconque protection effective et efficace, ces derniers étant les autorités au pouvoir.

En droit, le demandeur s’appuie sur plusieurs publications du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et de l’Agence de l’Union européenne de l’asile (AUEA), sur un jugement du tribunal administratif du 29 juin 2017, inscrit sous le numéro 38159 du rôle, ainsi que sur des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », pour soutenir qu’il aurait dû se voir appliquer le principe du bénéfice du doute. Après avoir relevé les arguments ministériels mettant en cause la crédibilité de son récit, Monsieur … explique que le ministre se serait basé sur son âge, son profil Facebook, son identité, ainsi que son comportement depuis son arrivée sur le territoire européen, éléments qui seraient accessoires, minimes et non pertinents pour évaluer son éligibilité à une protection internationale, alors que ses déclarations concernant ses craintes de persécutions ou d’atteintes graves du fait qu’il serait le fils d’un employé civil de l’ancien gouvernement afghan et qu’il refuserait de rejoindre les rangs des talibans seraient, quant à elles, plausibles.

Concernant le refus d’octroi du statut de réfugié, le demandeur, après avoir cité l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, fait valoir que ses motifs de persécution seraient liés à sa religion, à son appartenance à un certain groupe social et à son appartenance ethnique, en raison des menaces dont son père aurait été victime de la part des talibans pour avoir travaillé pour l’ancien gouvernement afghan, ainsi que de son refus de rejoindre les forces armées des talibans. Il fait valoir, en s’appuyant sur une publication du HCR, que même s’il n’a pas été personnellement ni directement menacé, le sort subi par son père serait suffisant pour attester que sa crainte d’être victime de persécutions serait fondée. En renvoyant à des notes d’orientations publiées par l’AUEA en avril 2022 et janvier 2023, ainsi qu’à un rapport de la même agence du 16 août 2022, intitulé « Afghanistan - Ciblage d’individus », il donne àconsidérer qu’en tant que membre de la famille d’une personne affiliée à l’ancien gouvernement afghan, ainsi qu’en tant que jeune adulte risquant de faire l’objet d’un recrutement forcé, il craindrait de subir des persécutions du fait d’une opinion politique qui lui serait imputée par les talibans et conclut qu’il devrait se voir octroyer le statut de réfugié.

Quant au refus de la protection subsidiaire, Monsieur … explique que le besoin de protection du demandeur de protection internationale serait le principal critère qui devrait guider les autorités nationales compétentes ou les juridictions saisies et qu’il devrait, à tout le moins, bénéficier d’une protection subsidiaire au titre de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 en raison de l’existence d’une menace sur sa personne. En effet, la peine de mort serait prévue par le droit islamique. Il indique, en renvoyant à la note d’orientation de l’AUEA de janvier 2023, qu’avant leur prise de pouvoir, les talibans auraient imposé, dans les régions sous leur contrôle, des châtiments par l’intermédiaire d’un système judiciaire parallèle fondé sur une stricte interprétation de la charia et qu’ils auraient procédé à des exécutions publiques par lapidation et par balles. Etant donné qu’il risquerait d’être arrêté par les talibans à son retour dans son pays d’origine, il estime qu’il devrait obtenir une protection subsidiaire sur base de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015. En s’appuyant sur une note de l’AUEA de novembre 2021 sur l’Afghanistan, le demandeur estime encore qu’il ferait l’objet de traitements inhumains et dégradants s’il venait à être arrêté par les talibans et qu’il devrait, en conséquence, bénéficier d’une protection subsidiaire sur base de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement réitère en substance les développements contenus dans la décision ministérielle entreprise. Il insiste sur le fait que le principe du bénéfice du doute ne pourrait pas être applicable au demandeur, dans la mesure où les déclarations de celui-ci ne seraient pas cohérentes, que sa crédibilité générale n’aurait pas pu être établie, que le ministre aurait réfuté les différents éléments de son récit et que le demandeur n’aurait ni pris position quant aux incohérences soulevées ni versé un élément concret qui permettrait de déterminer son identité ou son vécu.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou 9 b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il convient ensuite de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’analyse du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui deleur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.

Il se dégage, à ce propos, de la décision litigieuse que le ministre a remis en cause l’intégralité de la crédibilité du récit du demandeur.

Il échet encore de préciser que s’il ne peut certes être attendu d’un demandeur de protection internationale qu’il se rappelle du moindre détail de son récit, ce dernier doit tout de même présenter un témoignage qui soit suffisamment précis et cohérent, tout au moins en ce qui concerne les faits les plus significatifs de sa demande, et qui ne soit pas contredit par des éléments matériels.

Or, le tribunal est amené à relever, tout d’abord, que les déclarations du demandeur fluctuent au fur et à mesure de ses entretiens. En effet, il affirme dans un premier temps lors de son entretien avec la police luxembourgeoise avoir menti aux autorités italiennes en leur indiquant qu’il serait mineur pour pouvoir bénéficier des avantages liés à la minorité des demandeurs de protection internationale, notamment pour obtenir plus facilement un regroupement familial, tel que cela lui avait été suggéré par les passeurs sur le bateau le transportant vers l’Italie. Il précise encore qu’il serait, à son avis, âgé de … ans2. Ensuite, devant l’agent chargé de son entretien dans le cadre de sa demande de protection internationale, il prétend ne jamais avoir tenu de tels propos et assure être mineur d’âge, ce qui serait prouvé par la copie de sa carte d’identité. Dans le cadre de sa requête introductive d’instance, il ne prend pas position sur ce point.

Ensuite, concernant le compte Facebook « … »3, après avoir affirmé devant la police ne pas avoir de compte Facebook, puis que ledit compte ne serait pas le sien et qu’il aurait été créé à son insu, il a cependant finalement avoué « […] dass es sein Profil sei, und dass das Foto in der Türkei aufgenommen wurde. »4. Pourtant, devant l’agent du ministère, il a de nouveau prétendu que ce compte ne serait pas le sien en affirmant que « Non ce n’est pas moi mais le garçon me ressemble. Je n’ai pas des habits comme ça. C’est peut-être du Photoshop. »5, explications qui n’emportent pas la conviction du tribunal dans la mesure où (i) le compte en question porte un prénom et un nom similaire au sien (ii) Monsieur … reconnaît que l’individu sur la photo de profil dudit compte lui ressemble et (iii) qu’il a avoué dans un premier temps que c’était bien son compte.

En ce qui concerne le moment du départ du demandeur de son pays d’origine, il a affirmé le 14 février 2022 devant la police luxembourgeoise « […] letztes Jahr habe ich Afghanistan illegal in den Pakistan verlassen. Dies bevor die Taliban an die Macht kamen.

[…]. Ich war nur einige Tage im Iran […]. Dann ging ich zu Fuss über die Grenze in die Türkei. Dort blieb ich bleib 6-7 Monate dort. »6, de sorte qu’il se serait trouvé en Turquie en août-septembre 2021 et l’aurait quittée pour aller en Italie, 6-7 mois après, soit en février-mars 2022. Puis, il a indiqué, toujours devant la police, qu’il aurait quitté l’Afghanistan trois mois auparavant, soit en novembre 20217. Par la suite, il a affirmé devant l’agent du ministère avoir 1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.

2 Page 2 du rapport de police.

3 Page 3 du rapport de police.

4 Ibidem.

5 Page 10 du rapport d’audition.

6 Page 2 du rapport de police.

7 Page 4 du rapport de police.quitté l’Afghanistan « quelques jours avant la prise de pouvoir des talibans qui a eu lieu le 15 août 2021 »8. Or, cette date de départ d’Afghanistan, soit août 2021, ne coïncide nullement avec la photo publiée le 21 juin 2021 sur son compte Facebook sur laquelle il a indiqué se trouver en Turquie. Sa date d’arrivée en Italie ne correspond pas non plus à ses dires, étant donné que ses empreintes y ont été enregistrées le 27 décembre 2021, et non pas en février-mars 2022.

A cela s’ajoute que le demandeur a reconnu, face aux contradictions dans ses déclarations soulevées par la police et après avoir été prié de dire la vérité, que « wenn ich die Wahrheit sage bekommen ich kein Asyl in Luxemburg »9, confirmant ainsi le fait qu’il déformait la réalité pour accroître ses chances d’obtenir une protection internationale au Luxembourg.

Au vu de ces constatations et en l’absence d’explications plausibles de la part du demandeur que ce soit dans le cadre de son entretien devant l’agent du ministère concernant sa demande de protection internationale ou dans le cadre de sa requête introductive d’instance, le tribunal est amené à retenir que les conditions visées à l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir que le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, qu’il a livré tous les éléments dont il disposait et que ses déclarations sont cohérentes, ne sont pas remplies, de sorte que son récit doit être considéré comme n’étant pas crédible dans son intégralité.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a conclu que le demandeur n’a pas fait état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 ou des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la même loi en relation avec son vécu personnel, tel qu’invoqué à la base de sa demande de protection internationale.

Ainsi, à défaut de faits avérés permettant de vérifier le bien-fondé des motifs mis en avant à la base de la demande de protection internationale soumise à l’analyse du tribunal, le recours dirigé tant contre le refus du statut de réfugié que contre le refus de lui octroyer une protection subsidiaire sur le fondement des points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, seuls invoqués par le demandeur dans son recours, encourt le rejet pour être non fondé.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur conclut à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, en invoquant une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et des articles 4 et 19 (2) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », tout en se référant à la jurisprudence de la CourEDH, ainsi que du principe de non-refoulement. Il estime qu’il ferait l’objet de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine dans la mesure où il serait à considérer comme étant une cible potentielle de persécutions ou de traitements inhumains et dégradants de la part des talibans.

8 Page 6 du rapport d’audition.

9 Page 4 du rapport de police.Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours, dans la mesure où l’ordre de quitter le territoire découlerait directement de la décision rejetant l’octroi d’une protection internationale.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour du demandeur dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il convient ensuite de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, ainsi que son corollaire l’article 4 de la Charte, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Afghanistan, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de crédibilité de son récit lié à son vécu personnel, ainsi qu’à l’absence de craintes de persécutionset de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens notamment de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-

ci de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH10, le tribunal n’estime pas, au vu des éléments lui soumis, qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit incompatible avec l’article 3 de la CEDH ou l’article 4 de la Charte, ni avec le principe de non-refoulement consacré à l’article 19 (2) de la Charte, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet pour être non fondé.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour être également non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 6 juin 2023 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 6 juin 2023 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 8 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 10 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49164
Date de la décision : 08/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-08;49164 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award