Tribunal administratif N° 49283 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49283 2e chambre Inscrit le 8 août 2023 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49283 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 août 2023 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Venezuela), et de Madame …, née le … à … (Venezuela), tous deux de nationalité vénézuélienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 juillet 2023 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et 2) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 octobre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav Perederiy en sa plaidoirie à l’audience publique du 25 mars 2024.
Le 27 octobre 2021, Monsieur … et sa compagne, Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Leurs déclarations sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.
En date des 28 mars et 2 mai 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Madame … fut entendue les 2 et 16 mai 2022 pour les mêmes raisons.
Par décision du 7 juillet 2023, notifiée aux intéressés par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », 1informa les consorts … que leurs demandes de protection internationale avaient été refusées comme étant non fondées, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites le 27 octobre 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos motifs de fuite En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 octobre 2021 et les rapports d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 28 mars, 2 mai et 16 mai 2022 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de vos demandes de protection internationale.
Vous déclarez être tous deux de nationalité vénézuélienne, de confession catholique, être en couple non marié depuis … ans et avoir vécu ensemble au Vénézuela respectivement à …, dans l’Etat d’… avec Madame, votre fille … et vos petits-enfants puis à …, dans l’Etat du … avec Madame, votre autre fille … et votre petite-fille jusqu’à votre départ du Vénézuela. Par ailleurs, vous mentionnez que votre fille … et vos deux petits-enfants vivraient au Luxembourg où le statut conféré par la protection subsidiaire leur a été octroyée le 21 juillet 2021.
Madame, en cas de retour au Vénézuela, vous affirmez premièrement craindre que les appels téléphoniques des personnes demandant des renseignements sur votre fille … ne cessent et que vous ne puissiez porter plainte auprès de la police car « cela ne sert à rien » (p.8/10, de votre rapport d’entretien, Madame).
Vous expliquez plus particulièrement que votre fille … aurait été obligée de quitter le Vénézuela suite à des problèmes rencontrés avec l’entreprise publique vénézuélienne …, S.A pour laquelle elle aurait travaillé à ….
Personnellement, vous auriez reçu les premiers appels téléphoniques deux jours après le départ de votre fille en septembre 2019, et sur conseil de cette dernière, vous auriez déménagé à … endéans le mois de son départ. Au total, vous auriez reçu entre cinq et dix appels de personnes qui auraient souhaité connaître l’endroit où se trouve votre fille puis auraient raccroché sans décliner leurs identités. L’école aurait aussi demandé des nouvelles de vos petits-enfants peu après votre déménagement. En dehors de ces appels, vous mentionnez avoir eu l’impression que quelqu’un vous aurait suivie en admettant toutefois ne pas en avoir la certitude.
Ainsi, vous affirmez ne pas avoir connu « la dimension du problème » (p.7/10, de votre rapport d’entretien, Madame) de votre fille mais que ces appels vous auraient fait peur et que vous vous seriez sentie harcelée au point de vouloir quitter votre pays d’origine.
Madame, vous affirmez deuxièmement craindre les « Russes au Vénézuela » (p.6/10, de 2votre rapport d’entretien, Madame) surtout suite à l’invasion de l’Ukraine, sans cependant donner plus d’explications.
En outre, vous craindriez de manière générale l’insécurité au Vénézuela, car « les rues sont prises par les gangs de délinquants. Les prisons sont pleines de monde » (p.6/10, de votre rapport d’entretien, Madame), des personnes mourraient autour de vous, et vous seriez convaincue que les autorités gouvernementales seraient toutes corrompues et de ce fait ne pourraient vous protéger.
A cela s’ajoute que, depuis le départ de votre fille …, laquelle aurait contribué aux dépenses quotidiennes, vous craindriez ne pas pouvoir subvenir à vos besoins économiques car le loyer que vous touchez pour votre local et la rente de votre compagnon ne suffiraient plus.
Monsieur, en cas de retour au Venezuela, vous affirmez premièrement craindre d’être emprisonné, voire d’être tué en raison des problèmes passés de votre belle-fille … avec l’entreprise publique vénézuélienne …, S.A pour laquelle elle aurait travaillé.
Vous expliquez plus particulièrement que des personnes que vous ne connaitriez pas, probablement des collègues de travail de votre belle-fille ou des enseignants de vos beaux-
petits-enfants, vous auraient accosté dans la rue pour vous demander pour quelles raisons ces derniers n’iraient pas à l’école tout en expliquant que comme vous les y emmeniez parfois, il aurait été su que vous auriez été leur grand-père.
Personnellement, vous affirmez Monsieur, ne pas avoir reçu d’appels téléphoniques étant donné que vous ne posséderiez pas de téléphone portable, mais vous déclarez que votre femme aurait reçu des télémessages sans cependant pouvoir donner des détails quant à leur contenu.
Vous poursuivez en expliquant avoir déménagé à … pour tenter d’échapper au prétendu harcèlement dont vous vous sentiriez personnellement victime. Une fois installé à …, des inconnus vous auraient à nouveau interpellé « plusieurs fois » (p.9/12, de votre rapport d’entretien, Monsieur) dans la rue pour vous demander où se trouverait votre belle-fille.
Monsieur, vous affirmez deuxièmement craindre d’être suivi continuellement voire d’être emprisonné ou tué en raison de votre passé militaire et pour avoir des opinions politiques différentes du parti du gouvernement en place. Ainsi, vous auriez rejoint l’armée en …, vous auriez été affecté au commandement régional n°… de la Garde nationale et y auriez occupé des fonctions administratives avec le titre de « … » (p.3/12, de votre rapport d’entretien, Monsieur) pendant … ans. Vous prétendez craindre d’être suivi continuellement ou emprisonné à cause de ce passé militaire, parce que vous connaitriez le fonctionnement interne de la Garde nationale, et que vous ne seriez pas en accord avec le parti du gouvernement.
Quant à vos prétendues opinions politiques, il ressort de vos dires que vous confirmez ne pas être membre d’aucun parti politique, mais que vous craindriez de vous faire emprisonner ou tuer parce que vous appartiendriez à l’opposition politique.
De manière générale, vous craindriez en cas de retour, de ne pas être en sécurité, alors que selon vous ces appels et interpellations dans la rue auraient été commandités par le gouvernement. Vous ne pourriez pas compter sur la protection des autorités vénézuéliennes.
3 Madame, Monsieur, vous expliquez que vous auriez quitté votre pays d’origine le 21 octobre 2021 en toute légalité, munis de vos passeports, en prenant un vol de Caracas vers Istanbul puis vers le Luxembourg en transitant par l’Espagne. Vous ne mentionnez aucun incident lors de votre trajet.
A l’appui de vos demandes, vous remettez les documents suivants :
- Vos passeports vénézuéliens respectifs, émis Monsieur, le 1 septembre 2021, et Madame, le 25 juin 2021, en cours de validité ;
- vos cartes d’identité vénézuéliennes respectives, en cours de validité.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils n’émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.
Madame, Monsieur, force est en premier lieu de constater que vos craintes de persécution ne sont pas liées à l’un des motifs de fond définis par la Convention de Genève respectivement par la Loi de 2015. En effet, il ressort de l’évaluation des motifs de persécution que vous avez présentés, que vous craindriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, de continuer à être harcelés par des appels téléphoniques demandant des renseignements sur votre fille …, d’être interpellés dans la rue, ou d’être pris en filature. Vos prétendues craintes ne sont donc pas basées sur votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social, tel que prévu par la Convention de Genève et la Loi de 2015.
Quand bien même ces craintes rentreraient dans le champ d’application de la 4Convention de Genève et de la Loi de 2015, ce qui reste contesté, toujours est-il que seuls des interpellations et appels téléphoniques ne revêtent pas un degré de gravité tel à pouvoir être qualifiés d’actes de persécution au sens des textes précités.
En effet, Madame, vous affirmez que ces appels auraient été réitérés fréquemment pourtant vous ne donnez qu’une vague fourchette de cinq à dix appels qui auraient été passés sur une durée de douze mois, et à aucun moment vous expliquez avoir été menacée ou insultée.
Partant, vos appels ne peuvent pas être considérés comme intimidants et cherchant à vous nuire personnellement.
Il convient d’ajouter encore quant aux appels reçus de l’école demandant des renseignements au sujet de vos petits-enfants, qu’une obligation légale scolaire est en vigueur au Vénézuela, de sorte qu’il est tout à fait compréhensible que l’école cherche à s’informer au sujet de ces élèves absents, alors qu’à l’époque vos petits-enfants seraient partis subitement du Vénézuela avec votre fille.
Quoi qu’il en soit, ces prétendus appels ne vous concernent pas directement mais bien votre fille … et vos petits-enfants lesquels se trouvent à présent hors du pays. Or, il s’avère que vos craintes sont basées sur des faits non-personnels vécus par un autre membre de la famille et qu’ils sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 uniquement si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières, ce qui n’est clairement pas votre cas en l’espèce, alors que vous restez en défaut d’étayer un lien entre ces faits et des éléments liés à votre personne vous exposant à des actes similaires.
Au demeurant, vous concédez vous-même, que vous ne connaitriez pas « la dimension du problème » (p.7/10 de votre rapport d’entretien, Madame) de votre fille … et aucun élément de votre dossier laisse présumer que vous auriez été la cible des mêmes auteurs de persécution de votre fille. En effet, hormis les prétendus appels reçus, aucun incident vous impliquant personnellement ne fait partie de vos déclarations et ce même pendant plus d’un an après le départ de votre fille ….
Force est de constater que, vous ne présentez aucun indice permettant de conclure valablement à un risque de persécution dans vos chefs, en lien avec les prétendus incidents vécus par votre fille ….
Partant, la crainte de vous voire harceler en raison du passé de votre fille n’est pas fondée.
Quant à votre prétendue crainte d’être prise en filature Madame, il convient d’ajouter encore que vous admettez vous-même que cela aurait pu être de la « paranoïa » (p.7/10 de votre rapport d’entretien, Madame) et que de toute façon vous restez en défaut de faire part d’incidents concrets qui permettraient d’établir l’existence d’une telle filature.
Partant, votre crainte selon laquelle tous vos mouvements auraient été observés, doit dès lors être perçue comme étant totalement hypothétique et infondée.
Par ailleurs, il appert que vous n’auriez pas cherché à porter plainte au seul motif que vous êtes d’avis que tous les agents de l’Etat vénézuélien seraient corrompus. Vous ne faites 5donc pas état de votre crainte de contacter les autorités, mais vous basez votre inaction uniquement sur une seule supposition de corruption. Ainsi, vous avez nécessairement mis les autorités compétentes dans l’impossibilité d’accomplir leurs missions. Aucune défaillance ou inefficacité ne saurait dès lors leur être reprochée.
Madame, quant à vos prétendues craintes liées à la présence de ressortissants russes sur le territoire vénézuélien, surtout depuis l’invasion de l’Ukraine, il appert de noter tout d’abord que vous restez entièrement en défaut d’avancer des quelconques détails ou informations supplémentaires censés expliquer cette crainte. Il ressort des recherches ministérielles effectuées que même si le Vénézuela est effectivement un allié historique de la Russie, ce fait ne vous concerne pas personnellement et n’a aucun lien avec votre vie et vos prétendus soucis au Vénézuela. La seule présence de personnes d’origine russe au Vénézuela ne saurait de tout évidence pas suffire à justifier l’octroi du statut de réfugié dans votre chef, de sorte que vos craintes à cet égard doivent être définies comme étant totalement hypothétiques ou infondées.
Quant à votre crainte de manière générale de l’insécurité au Vénézuela, vous expliquez que « les rues sont prises par les gangs de délinquants » (p.6/10 de votre rapport d’entretien, Madame), et que vous êtes convaincue que les autorités gouvernementales sont toutes corrompues et ne peuvent vous protéger.
Renseignements pris, il s’avère que, si le taux de criminalité est effectivement très élevé au Vénézuela, la police ne reste pas inactive face aux agissements de ces gangs. Dans ce contexte, votre seule allégation selon laquelle vous n’auriez pas porté plainte au motif que tous les agents de l’Etat vénézuélien seraient corrompus, ne saurait pas suffire pour justifier votre totale inaction dans ce domaine. La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et la Loi de 2015. Or, vous restez en défaut de préciser en quoi la situation sécuritaire au Vénézuela liée à la présence de gangs, risquerait de vous faire subir personnellement des actes de persécution au sens desdits textes. En effet, vous n’évoquez aucun incident vous impliquant personnellement hormis la mention d’éléments vagues sans lien avec votre situation personnelle alors que vous déclarez avoir vu « des personnes mourir » (p.6/10 de votre rapport d’entretien, Madame) autour de vous sans fournir la moindre explication supplémentaire, ni préciser le contexte, le lieu ou donner une date de survenue d’un événement concret. Par ailleurs, vous n’invoquez pas non plus avoir été vous-même victime, même collatérale, d’un gang de délinquants, ou d’avoir été emprisonnée ou ne serait-ce qu’arrêtée et placée en garde à vue.
Partant vos seules craintes liées à la prétendue dégradation de la situation sécuritaire générale au Vénézuela ne sauraient pas suffire pour établir dans votre chef une crainte fondée de persécution au sens desdits textes.
Enfin, Madame, quant à vos préoccupations économiques en lien avec le départ de votre fille …, laquelle aurait contribué aux dépenses quotidiennes et craintes de ne pas pouvoir subvenir à vos besoins car le loyer que vous toucheriez pour la location de votre bien, et la rente de votre compagnon ne suffiraient plus, il convient de rappeler que des motifs économiques et de convenance personnelle ne sauraient pas justifier l’octroi du statut de réfugié, alors qu’ils ne rentrent nullement dans le champ d’application de la Convention et de 6la Loi de 2015.
Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous craindriez, en cas de retour dans votre pays d’origine d’être emprisonné, voire d’être tué en raison des problèmes passés de votre belle-fille … avec l’entreprise pour laquelle elle aurait travaillé. Vous justifiez cette crainte en évoquant le fait que des personnes que vous ne connaitriez pas, probablement des collègues de travail de votre belle-fille ou des enseignants de vos beaux-petits-enfants, vous auraient accosté dans la rue et demandé pour quelles raisons ces derniers n’iraient pas à l’école. Vous expliquez aussi qu’une fois avoir déménagé à …, des inconnus vous auraient interpellés « plusieurs fois » (p.9/12 de votre rapport d’entretien, Monsieur), dans la rue pour vous demander où votre belle-fille se serait trouvée.
Force est de constater que, vous tentez fort contestablement de lier les craintes passées de votre belle-fille aux vôtres alors que, d’une part, vous confessez vous-même ignorer les raisons pour lesquelles votre belle-fille a quitté le Vénézuela, d’autre part vous n’apportez aucun élément personnel autre que les échanges verbaux anodins, pouvant liées vos craintes à l’un des motifs prévus par la Convention et par la Loi de 2015.
Eu égard à ce qui précède, il s’avère que vos craintes sont basées sur des faits non-
personnels vécus par un autre membre de la famille et qu’ils sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 uniquement si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières, ce qui n’est clairement pas votre cas en l’espèce, alors que vous restez en défaut d’étayer un lien entre ces faits et des éléments liés à votre personne vous exposant à des actes similaires. Par ailleurs, les faits invoqués à la base de ces craintes ne revêtent pas un degré de gravité tel à pouvoir être qualifiés d’actes de persécution au sens des textes précités.
Au surplus, vous restez en défaut d’énumérer combien de fois l’on vous aurait interpellé dans la rue, et surtout vous prétendez craindre des personnes qui n’ont pas proféré des menaces ou injures à votre encontre ou votre famille mais seulement, d’après vos propres dires, demandé où se trouve actuellement votre belle-fille. Vous expliquez aussi que ces personnes seraient de parfaits inconnus, alors que vous concédez, qu’il pourrait s’agir d’anciens collègues de travail de votre fille ou d’enseignants de vos petits-enfants à ….
Par ailleurs, après avoir déménagé à …, vous expliquez que les personnes qui vous y auraient abordé ne pourraient être logiquement que des agents du gouvernement puisque celles-ci vous connaîtraient ainsi que votre belle-fille alors qu’elles vous seraient inconnues.
Force est cependant de constater, qu’il ressort de votre dossier, que vous-même avez vécu de nombreuses années à …, où vous avez d’ailleurs rencontré votre compagne laquelle aurait avec votre belle-mère tenu un restaurant de quartier pendant des années. Ainsi, l’on peut s’attendre à ce que vous soyez connu du voisinage ainsi que votre belle-fille, puisque vous déclarez « dans la maison où la petite a grandi » (p.8/12 de votre rapport d’entretien, Monsieur).
A cela s’ajoute que vous déclarez que votre femme aurait reçu des télémessages, cependant à aucun moment lors de ses entretiens, votre compagne ne mentionne avoir reçu des messages sous forme écrite. Pourtant, si tel avait été le cas, il aurait été dans vos intérêts de montrer ces messages comme élément de preuve supplémentaire à votre dossier. A supposer que de tels messages auraient été envoyés à votre compagne, vous déclarez ne pas pouvoir 7donner des détails quant à leur contenu et vous déclarez seulement « j’imagine que c’était la même chose que moi » (p.8/12 de votre rapport d’entretien, Monsieur). Or, si la nature de ces messages aurait eu pour effet de vous faire peur, l’on aurait pu s’attendre à ce que vous en discutiez avec votre compagne respectivement à ce que vous puissiez en décrire du moins un peu le contenu.
Il échet d’en conclure que, non seulement, les faits que vous invoquez ne caractérisent pas objectivement un danger ou un risque encouru pouvant conclure à une crainte fondée, mais même votre crainte subjective, votre peur des « inconnus » » (p.9/12 de votre rapport d’entretien, Monsieur), et votre peur d’être « harcelé » » (p.7/12 de votre rapport d’entretien, Monsieur), doivent être remises en question.
Partant, les craintes d’être emprisonné, voire d’être tué en raison des problèmes passés de votre belle-fille au Vénézuela ne sont pas fondées.
Monsieur, quant à vos craintes, d’être suivi continuellement voire d’être emprisonné ou tué en raison de votre passé militaire et pour avoir des opinions politiques différentes du parti du gouvernement en place, il appert que vous concédez vous-même n’être membre d’aucun parti politique et vous restez en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles vous seriez considéré comme opposant politique au régime. Vous restez également en défaut d’expliquer en quoi votre passé militaire risquerait de vous causer dans le futur des ennuis au Vénézuela et les recherches ministérielles n’ont pas non plus permis de trouver un risque de mauvais traitement auquel des militaires retraités seraient exposés au Vénézuela.
Quant à votre allégation supplémentaire selon laquelle vous auriez été mis en pré-
retraite en raison de votre soutien à l’opposition politique, il s’avère difficilement crédible d’associer votre pré-retraite à une mesure de représailles du gouvernement en raison de votre prétendu soutien à l’opposition politique.
En effet, il échet tout d’abord de rappeler que vous déclarez vous-même avoir fait votre carrière militaire dans la Garde nationale dont 9 ans sous le président Hugo Chavez, et le « MVR » (Mouvement Cinquième République) ainsi que le « PSUV » (Parti socialiste unifié du Venezuela), encore à ce jour parti du gouvernement en place.
Quand bien même vous auriez été envoyé en pré-retraite au bout de 27 ans de service en tant que sanction, vous indiquez avoir touché 99% de la pension due en cas de départ en retraite au bout de 30 ans en plus des bénéfices d’alimentation et ce pendant les quinze dernières années.
D’ailleurs, non seulement vous auriez touché votre pension pendant les quinze dernières années, mais en plus vous ne rapportez aucun incident pendant ces années, tel une arrestation voire même un échange verbal menaçant en raison de votre prétendue opposition politique ou votre passé militaire, de sorte que vous ne sauriez faire valoir un quelconque mauvais traitement auquel vous auriez été exposé.
En outre, au Vénézuela vous n’avez pas eu de difficulté à déménager et vous avez pu même quitter le pays, ce qui encore une fois, démontre que vous n’êtes pas considéré comme un opposant politique par le gouvernement puisque vous êtes tout à fait libre de vos mouvements aussi bien en interne qu’à l’international.
8Au vu de ce qui précède, il est évident que vous vous présentez comme opposant politique sans fondement et que vos craintes de persécution liées ne sont par conséquent pas fondées. Force est de conclure que la dimension politique de vos déclarations a été limpidement ajoutée pour augmenter vos chances d’obtenir une protection internationale, alors que vous restez en défaut de mentionner une quelconque difficulté en relation avec une prétendue qualité d’opposant politique.
Madame, Monsieur, à toutes fins utiles, il appert encore de relever que vous possédez tous les deux des passeports récents, émis en juin 2021 respectivement en septembre 2021 et toujours en cours de validité, ainsi que vous avez quitté le Vénézuela en toute légalité en octobre 2021, ce qui est un élément de plus prouvant que vos craintes respectives des autorités vénézuéliennes ne sont pas fondées, puisque celles-ci ne vous ont manifestement pas dans leur collimateur.
Ce constat vaut d’autant plus que vos familles habiteraient encore au Vénézuela, et plus particulièrement votre autre fille … et petite-fille ainsi que l’une de vos sœur, Madame, continueraient en ce moment même, à vivre respectivement dans votre appartement à … et dans votre maison à …, sans que vous ne fassiez état de persécutions qu’elles auraient subis ou ne serait-ce que d’incidents concrets dans lesquels elles auraient été impliquées.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.
L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Madame, Monsieur, il y a lieu de souligner qu’à l’appui de vos demandes de protection subsidiaire respectives, vous invoquez en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de vos demandes de reconnaissance du statut de réfugié.
Au vu des conclusions ci-dessus, il y a de même, lieu de retenir qu’il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs 9sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015.
En effet, vous rester en défaut d’établir qu’en cas de retour au Vénézuela, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou vôtre personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Vos demandes en obtention d’une protection internationale sont dès lors rejetées comme non fondées.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Vénézuela ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2023, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une part, de la décision ministérielle du 7 juillet 2023 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 7 juillet 2023, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être tous deux de nationalité vénézuélienne, de confession catholique et être en couple non marié depuis … ans. Ils auraient d’abord vécu ensemble dans la localité de … dans l’Etat d’… au Venezuela avec leur fille … et leurs petits-enfants, puis dans la localité de … située dans l’Etat du … avec leur fille … et leur petite fille jusqu’à leur départ de leur pays d’origine. Ils précisent que leur fille … et leurs deux petits-enfants résideraient actuellement au Luxembourg où ils auraient bénéficié du statut conféré par la protection subsidiaire par décision ministérielle du 21 juillet 2021.
Concernant les motifs sous-tendant leurs demandes de protection internationale, Madame … aurait introduit une telle demande au Luxembourg en raison des persécutions qu’elle aurait subies dans son pays d’origine de la part d’inconnus qui auraient été à la recherche de sa fille …. Celle-ci aurait quitté le Venezuela en septembre 2019 à la suite de différends qu’elle aurait eus avec l’entreprise publique pétrolière dont elle aurait été salariée.
Deux jours après le départ de sa fille, la demanderesse aurait commencé à recevoir plusieurs appels téléphoniques de personnes inconnues qui auraient requis des renseignements sur le lieu de séjour de sa fille. Ainsi, sur conseil de cette dernière, les demandeurs auraient déménagé dans la localité de …. Suite au déménagement, l’école qu’auraient fréquentée ses petits-enfants 10les aurait aussi contactés pour demander de leurs nouvelles. Par ailleurs, la demanderesse aurait eu le sentiment d’être régulièrement suivie. Hormis la peur que les appels réguliers de personnes inconnues auraient suscitée en elle, elle aurait également eu le sentiment de subir un harcèlement, ce qui l’aurait poussée à quitter son pays d’origine. En outre, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, elle craindrait les ressortissants russes installés au Venezuela. Elle aurait également peur de l’insécurité grandissante dans ledit pays. Monsieur … fait valoir, quant à lui, qu’il redouterait d’être emprisonné sinon d’être tué en cas de retour au Venezuela en raison des problèmes que sa belle-fille aurait eus avec l’entreprise publique du pétrole, ainsi que de son passé militaire et de ses opinions politiques.
En droit, concernant le refus de leur octroyer le statut de réfugié, après avoir rappelé les conditions d’obtention dudit statut, les demandeurs soutiennent qu’ils risqueraient de subir des persécutions en raison des différends que leur fille aurait eus avec une entreprise publique pétrolière, ainsi que de la situation politique et sécuritaire régnant dans leur pays d’origine. Ils expliquent que les persécutions craintes par eux seraient en lien avec leurs opinions politiques, étant donné que le fait de refuser d’indiquer aux inconnus le lieu de résidence de leur fille ainsi que le fait de fuir le Venezuela devraient, selon eux, être considérés comme une forme d’expression de leurs opinions politiques dans le contexte qui prévaudrait actuellement dans leur pays d’origine. Ils s’emparent à cet égard du guide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour faire valoir que le sort subi par des parents, des amis ou par d’autres membres du même groupe racial ou social pourrait attester que la crainte du demandeur d’être lui-même tôt ou tard victime de persécutions serait fondée.
Par rapport à la situation générale régnant au Venezuela, les demandeurs se prévalent d’une note publiée sur le site du HCR en janvier 2023 dont il se dégagerait que la détérioration des droits fondamentaux ainsi que de la situation politique et socio-économique pousserait un nombre croissant de Vénézuéliens à partir vers les pays voisins et au-delà. Dans un article du 21 mai 2019, intitulé « Les menaces de mort et les maladies poussent davantage de Vénézuéliens à fuir », le HCR aurait demandé aux Etats de permettre aux réfugiés et aux migrants du Venezuela d’accéder à la sécurité, alors que les conditions sécuritaires et la situation humanitaire s’aggraveraient dans leur pays.
Les demandeurs en concluent qu’ils auraient établi dans leur chef l’existence d’une crainte d’être persécutés en cas de retour au Venezuela, que les faits mentionnés seraient suffisamment graves au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ayant été persécutés dans le passé, l’article 37 (3) de la même loi trouverait à s’appliquer, étant donné que le ministre n’établirait pas qu’il existerait de bonnes raisons de penser que de nouvelles persécutions ne se reproduiraient pas à leur encontre en cas de retour au Venezuela.
S’agissant du refus de leur octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, les demandeurs se basent sur l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, sur l’interprétation de la portée de la protection subsidiaire au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), sur l’analyse de l’Agence de l’Union européenne pour l’Asile (AUEA) concernant la protection subsidiaire, ainsi que sur l’arrêt Sufi et Elmi contre Royaume-
Uni de la Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH) du 28 juin 2011, nos 8319/07 et 11449/07, interdisant l’exécution d’une mesure d’éloignement en raison de mauvaises conditions humanitaires qui seraient contraires à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), pour faire valoir que, face au contexte humanitaire prévalant actuellement au Venezuela, ils courraient en cas de retour dans 11le prédit pays un risque réel et élevé d’être victimes d’atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 ou de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] » tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, […] et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou 12b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
13Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’asile qu’à celle de protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal est tout d’abord amené à rappeler qu’en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, il doit examiner, en plus de la situation générale du pays d’origine, la situation particulière du demandeur de protection internationale et vérifier, concrètement, si sa situation subjective a été telle qu’elle laissait supposer un danger pour sa personne.
En l’espèce, le tribunal relève que les demandeurs déclarent avoir quitté le Venezuela au motif qu’ils s’y seraient sentis persécutés en raison (i) des différends de leur fille avec une entreprise publique pétrolière, qui auraient amené des inconnus à les contacter pour connaître le lieu de résidence de cette dernière, (ii) de l’impression d’avoir été suivis, (iii) des craintes de la demanderesse vis-à-vis des ressortissants russes vivant au Venezuela suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, (iv) de l’insécurité générale dans leur pays d’origine et (v) du passé militaire du demandeur et de ses opinions politiques.
Or, force est au tribunal de constater que les demandeurs n’invoquent aucun fait concret qui pourrait être considéré comme étant une persécution au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, à savoir des actes suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’Homme, ni un incident correspondant à une atteinte grave au sens de l’article 48 de la même loi, c’est-à-
dire qui pourrait entraîner l’application de la peine de mort, l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou même des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international dans leur pays d’origine.
14En effet, il ne ressort nullement de leurs déclarations qu’ils auraient fait l’objet d’une quelconque menace ou d’un acte malveillant, les demandeurs se bornant à indiquer que des inconnus leur auraient téléphoné afin de connaître le lieu de séjour de leur fille, qu’ils auraient eu l’impression d’être suivis, qu’ils craindraient les ressortissants russes demeurant au Venezuela sans autre raison que celle de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et que l’insécurité générale dans leur pays d’origine les empêcherait de vivre sereinement. Quant aux faits relatés par Monsieur …, force est de constater que le fait d’avoir été mis à la retraite anticipée en 2007 en raison de ses opinions politiques alléguées tout en percevant 99 % du montant de sa pension ne peut être considéré comme étant suffisamment grave pour pouvoir être qualifié d’acte de persécution ou d’atteinte grave suivant les articles 42 et 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Ainsi, il échet de constater que les faits présentés à la base des demandes de protection internationale des consorts … tournent principalement autour de suppositions et d’un sentiment général d’insécurité des demandeurs.
A ce propos, concernant la situation sécuritaire en général dans leur pays d’origine, il échet de relever que la Cour administrative a retenu, dans ce contexte, que si, certes, il ne peut être nié que le Venezuela connaît une situation sécuritaire problématique, notamment en raison de la violence criminelle de droit commun qui y est très répandue, il n’en reste pas moins qu’il ne se dégage pas des éléments du dossier que cette situation serait telle que tout ressortissant vénézuélien a une crainte fondée de subir des actes de persécution du seul fait de sa présence sur le territoire1, avant qu’elle conclue que le demandeur ne pouvait se prévaloir ni du statut de réfugié ni d’une protection subsidiaire sur cette base.
Le tribunal est ainsi, au vu des éléments du dossier, également amené à retenir que les demandeurs restent en défaut de démontrer craindre des persécutions ou des atteintes graves en raison de la situation sécuritaire prévalant au Venezuela.
Dans ces circonstances, le tribunal retient que les faits sous analyse ne sont pas de nature à établir l’existence, dans le chef des demandeurs, ni d’une crainte fondée de persécutions ni d’un risque réel de subir des atteintes graves, en cas de retour dans leur pays d’origine, de sorte à ne pas justifier l’octroi, aux consorts …, d’un statut de protection internationale.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit aux demandes de protection internationale des consorts …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet pour être non fondé.
2) Quant au recours visant la décision portant ordre de quitter le territoire Les demandeurs concluent à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, en invoquant une violation de l’article 3 de la CEDH, et des articles 4 et 19 (2) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », tout en se référant à la jurisprudence de la CourEDH, ainsi qu’au principe de non-
refoulement. Ils estiment que, même en l’absence d’octroi d’une protection internationale dans leur chef, ils devraient bénéficier en tout état de cause de la protection contre l’éloignement vers le Venezuela où ils encourraient un risque réel et suffisamment grave d’atteintes pour leur vie, leur intégrité physique et morale ou d’autres formes de traitements inhumains et 1 Cour adm., 21 décembre 2023, n° 49592C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
15dégradants.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.
Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour des demandeurs dans leur pays d’origine ne les expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il convient ensuite de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, ainsi que son corollaire l’article 4 de la Charte, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus par les demandeurs en cas de retour au Venezuela, le tribunal a conclu ci-avant que les intéressés 16n’avaient pas fait état d’une crainte fondée de subir des persécutions ou d’être exposés à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH2, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs au Venezuela soit, dans ces circonstances, incompatible avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ni avec l’article 19 (2) de la Charte consacrant le principe de non-
refoulement.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 7 juillet 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 7 juillet 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne les demandeurs aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 8 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 2 CourEDH, arrêt du 4 février 2004, Lorsé et autres c/ Pays-Bas.