Tribunal administratif Numéro 50666 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50666 2e chambre Inscrit le 1er juillet 2024 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50666 du rôle et déposée le 1er juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Brésil), de nationalité brésilienne, actuellement retenue au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 24 juin 2024 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 30 juin 2024 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juillet 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marcel Marigo et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, …, dit « Fremdennotiz », du 31 mai 2024, que Madame … fut appréhendée le même jour par les forces de l’ordre dans un établissement de débit de boissons lors d’un contrôle initié par l’Inspection du Travail et des Mines. Lors de cette interpellation, Madame … ne put présenter de documents d’identité, mis à part un passeport brésilien expiré.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressée le jour-même, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Madame … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai, tout en lui interdisant l’entrée sur le même territoire pendant une durée de trois ans.
Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressée le même jour, le ministre ordonna le placement de Madame … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
1Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport du 31 mai 2024 établi par la Police grand-ducale, unité Région Capitale …;
Vu ma décision de retour du 31 mai 2024 lui notifiée le même jour assortie d'une interdiction d'entrée de 3 ans;
Considérant que l'intéressée est démunie de tout document d'identité et de voyage valable ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressée, alors qu'elle ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant que l'intéressée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d'éloignement ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches; […] ».
Par jugement du tribunal administratif du 18 juin 2024, portant le numéro 50570 du rôle, Madame … fut déboutée de son recours contentieux introduit en date du 10 juin 2024 à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 31 mai 2024.
Par arrêté ministériel du 24 juin 2024, notifié à l’intéressée le 28 juin 2024, ladite mesure de placement en rétention fut prorogée pour une durée d’un mois avec effet au 30 juin 2024, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 31 mai 2024, lui notifiée le même jour par la Police grand-ducale, assortie d'une interdiction d'entrée de 3 ans;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 31 mai 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l'éloignement ont été engagées ;
Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;
Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressée afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ; […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er juillet 2024, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel précité du 24 juin 2024.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
2 A l’appui de son recours, la demanderesse reprend, en substance, les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.
En droit, elle fait tout d’abord valoir que ce serait à tort que le ministre aurait motivé la décision déférée par l’existence d’un risque de fuite dans son chef et ce, en raison d’une absence d’adresse légale au Luxembourg et « de document valable ».
Elle donne à considérer qu’il résulterait des pièces versées en l’espèce qu’elle disposerait d’une adresse légale au Luxembourg et que malgré la proposition du dépôt d’une garantie financière d’un montant de 5.000 euros adressée par courriel aux autorités ministérielles en date du 24 juin 2024 par son litismandataire, celles-ci auraient retenu qu’elle ne remplissait pas la condition prévue à l’article 125, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 aout 2008.
Elle met, dans ce contexte, en exergue l’incompréhensibilité de la position des autorités ministérielles, qui lui auraient tout d’abord reproché l’absence d’un dépôt d’une garantie financière en vue de l’application d’une mesure moins coercitive prévue à l’article 125, paragraphe (1), point b) de la loi du 29 août 2008 « en sachant qu’elle ne dispose[rait] pas de document d’identité valable » pour ensuite lui refuser l’application de la mesure visée audit point b) après qu’elle ait proposé de verser une garantie financière en invoquant le point a) du 1er paragraphe de l’article 125, prémentionné.
Elle avance qu’en tout état de cause, aucun élément concret et objectif ne permettrait de soutenir qu’elle empêcherait la réalisation de la mesure d’éloignement prise à son encontre, alors qu’elle coopérerait avec les autorités luxembourgeoises et brésiliennes.
La demanderesse explique ensuite que l’autorité ministérielle aurait indiqué que des démarches nécessaires en vue de son identification auraient été engagées sans pourtant préciser la nature et l’avancement desdites démarches. Elle aurait en réalité procédé systématiquement à la prolongation de la mesure de placement dans son chef. La demanderesse donne, dans ce contexte, à considérer que le fait d’entreprendre des démarches ne saurait justifier une privation de liberté, de sorte que son placement au Centre de rétention constituerait une violation de l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH », Elle fait encore valoir, à ce sujet et en s’appuyant sur l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, que le maintien au Centre de rétention serait cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement une obligation dans le chef du ministre d’entreprendre toutes les démarches requises pour « exécuter » l’éloignement dans les meilleurs délais. En l’espèce, il n’existerait aucune perspective raisonnable de voir réaliser la mesure d’éloignement prise à son encontre, de sorte qu’il y aurait lieu de mettre fin à son placement au Centre de rétention.
La demanderesse précise encore que son état de santé serait préoccupant en raison d’une allergie « à divers produits avec lesquels elle [serait] inévitablement en contact. ».
Après avoir cité l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, la demanderesse donne à considérer que dans le cadre de l’exécution d’une mesure d’éloignement, l’assignation à résidence serait à considérer comme mesure proportionnée bénéficiant « d’une priorité par 3rapport à une rétention » sous condition qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, tout en ajoutant qu’une mesure de rétention ne répondrait à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si une assignation à résidence n’était pas envisageable « en raison des circonstances du cas particulier ».
Elle réitère ensuite l’absence de perspective raisonnable de la mesure d’éloignement prise à son encontre en faisant valoir qu’elle présenterait des garanties de représentation suffisantes, étant donné (i) qu’elle pourrait être assignée à résidence auprès de son amie, la dénommée …, épouse …, qui demeurerait à L-… et qu’elle serait disposée à se soumettre à toute mesure restrictive découlant d’une telle assignation à résidence et (ii) qu’elle serait disposée à déposer la somme de 5.000 euros sur le compte de la Caisse de Consignation de l’Etat « en guise de garantie de représentation au sens de l’article 125, paragraphe 1, point b) de la loi du 29 août 2008 ».
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal précise tout d’abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, 4le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être mené à bien.
En l’espèce, et tel que cela avait déjà été retenu par le tribunal administratif dans son jugement du 18 juin 2024, prémentionné, il est constant en cause que la demanderesse est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour comportant une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de trois ans, a été prise à son encontre le 31 mai 2024, décision qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse, et qu’elle ne dispose ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.
Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef de la demanderesse, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers […] est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
Tel que déjà relevé par le tribunal dans son jugement du 18 juin 2024, il aurait appartenu à Madame … de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption.
En effet, si actuellement la demanderesse semble être disposée à rentrer dans son pays d’origine, cette circonstance n’est pas à elle seule de nature à convaincre le tribunal de l’absence de risque qu’elle entende se dérober à son éloignement une fois libérée du Centre de rétention et ce au vu du fait qu’il ressort du rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, …, dit « Fremdennotiz », du 31 mai 2024, qu’à cette date l’intéressée a déclaré ne pas vouloir volontairement rentrer dans son pays d’origine.
Le moyen tenant à contester l’existence d’un risque de fuite dans le chef de la demanderesse est partant à rejeter.
5Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressée en rétention afin d’organiser son éloignement.
En ce qui concerne l’application de mesures moins coercitives, l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit que :
« Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) [de la loi du 29 août 2008] […].
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.
Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, 6paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit fournir des garanties de représentation effective suffisantes propres à le prévenir1.
En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le tribunal constate que la demanderesse ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite existant dans son chef. Par ailleurs, tel que déjà retenu dans le jugement précité du 18 juin 2024, il n’est pas démontré que Madame …, dont il est constant en cause qu’elle ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg, ait une quelconque attache au Luxembourg, étant encore relevé qu’elle n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes, et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article, s’impose.
En effet, concernant l’attestation du 7 juin 2024 établie par Madame … suivant laquelle celle-ci serait disposée à héberger la demanderesse à son domicile, force est de souligner que ce seul élément, en l’absence du moindre autre élément visant à établir l’existence d’attaches particulières au Luxembourg, est insuffisant pour établir dans le chef d’un étranger, par ailleurs démuni de documents d’identité et de voyage en cours de validité, l’existence de garanties de représentation effective propres à prévenir le risque de fuite pesant sur lui2. Ce constat n’est pas énervé par le fait que Madame … serait disposée à verser une garantie financière à hauteur de 5.000 €.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes de la demanderesse sont à écarter.
S’agissant, ensuite, des contestations de la demanderesse quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal relève que dans son jugement, prémentionné, du 18 juin 2024, il a été retenu que, jusqu’à cette date, le dispositif de l’éloignement était toujours en cours et poursuivi avec la diligence légalement requise.
Pour ce qui est des démarches entreprises depuis lors, le tribunal relève qu’il ressort du dossier administratif et plus particulièrement d’un courrier du 21 juin 2024 que les autorités brésiliennes ont refusé d’émettre un laissez-passer dans le chef de la demanderesse au motif que cette dernière s’opposerait à une telle émission. Le tribunal relève encore que, suite à un courrier électronique du 1er juillet 2024 émanent du psychologue en charge au Centre de rétention informant les services du ministre que la demanderesse souhaiterait atterrir à Carajas-
Para (Brésil), ces dernières ont chargé, en date du même jour, le service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, d’organiser son départ pour cette destination. Il se dégage encore du dossier administratif, qu’en date du 2 juillet 2024, les autorités luxembourgeoises se sont à nouveau adressées aux autorités brésiliennes en les 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.
2 Cour adm. 16 avril 2020, n° 44352C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 954 et l’autre référence y citée.
7informant que la demanderesse serait à présent disposée à retourner volontairement dans son pays d’origine, à condition que sa destination finale soit Carajas-Para (Brésil) et en sollicitant la communication de la « procédure à suivre pour qu’elle puisse signer le formulaire d’accord pour son retour volontaire ».
Au vu des démarches déployées concrètement par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, le tribunal retient que la procédure d’éloignement de la demanderesse est toujours en cours, mais qu’elle n’a pas encore abouti, et que les démarches entreprises en l’espèce par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées, à ce stade, comme suffisantes pour justifier la mesure de rétention litigieuse, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement est exécutée avec toute la diligence requise. Il s’ensuit que les contestations afférentes de la demanderesse sont à rejeter.
Il en est de même en ce qui concerne l’argumentation de la demanderesse ayant trait à l’absence de perspective d’éloignement, étant donné qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient vouées à l’échec, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien.
Quant à l’invocation par la demanderesse d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».
Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH, que celui-
ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays3.
En l’espèce, dans la mesure où la demanderesse a fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire, de sorte qu’elle se trouve en séjour irrégulier sur le territoire, tel que cela a été retenu ci-avant, et où une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer la concernée au Centre de rétention sans violer l’article 5 de la CEDH.
Il s’ensuit que les développements de l’intéressée relatifs à une prétendue disproportion de la mesure de prorogation de son placement en rétention basés sur une violation de l’article 5 de la CEDH sont à rejeter pour ne pas être fondés.
Ce constat n’est pas énervé par les développements de la demanderesse tenant à son état de santé fragilisé. Il résulte en effet uniquement des certificats médicaux établis par le docteur … en date du 4 avril et du 21 juin 2024 versés en cause, que l’intéressée présente une allergie aux crustacés. Or, faute pour la demanderesse d’établir dans quelle mesure son état de santé s’opposerait à son placement en rétention, ses développements y relatifs sont à rejeter 3 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812 et les autres références y citées.
8pour manquer de fondement, étant relevé qu’il ne revient pas au tribunal de suppléer la carence des parties dans le développement de leurs moyens.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que contrairement à l’argumentation de la demanderesse, la mesure de prorogation du placement en rétention litigieuse n’est pas disproportionnée et qu’en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris les moyens à soulever d’office, il ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.
Le recours sous analyse est partant à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 8 juillet 2024 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 9