Tribunal administratif Numéro 50667 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50667 2e chambre Inscrit le 1er juillet 2024 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50667 du rôle et déposée le 1er juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Zohra Belesgaa, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, connu sous différents alias, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 21 juin 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juillet 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Zohra Belesgaa et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
En date du 23 février 2024, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale - section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. A cette occasion, il s’avéra que l’intéressé était connu sous huit alias et qu’il faisait l’objet d’un signalement dans le Système d’Information Schengen (SIS) aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour par les autorités autrichiennes avec une mention « meurtre (homicide) ou blessure corporelle sérieuse ».
Une recherche effectuée le 23 février 2024 dans la base de données Eurodac révéla encore que Monsieur … avait introduit huit demandes de protection internationale dans six Etats 1membres différents. Il se dégage, par ailleurs, du dossier administratif, qu’après avoir été rapatrié dans son pays d’origine par les autorités autrichiennes, l’intéressé a franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 27 avril 2023 et a introduit par la suite une demande de protection internationale aux Pays-Bas le 28 janvier 2024.
Le 1er mars 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
En date du 10 avril 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités néerlandaises aux fins de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut refusée par lesdites autorités par courrier électronique du 18 avril 2024.
Le même jour, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues espagnoles en vue de la prise en charge de l’intéressé sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, demande qui fut tacitement acceptée le 11 juin 2024 conformément à l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.
Il se dégage ensuite du dossier administratif que, suivant un rapport de la police grand-
ducale du 18 mai 2024, référencé sous le numéro …, Monsieur … fut, à la même date, interpellé à la suite d’un vol et que le lendemain, il fit l’objet d’un mandat de dépôt pour outrage contre un agent dépositaire de l’autorité ou de la force publique, menaces, coups et blessures volontaires, vol simple, vol qualifié ainsi que pour recel et il fut placé en détention préventive au Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff (CPU).
Par arrêté du 20 juin 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour à sa sortie du CPU, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), pour une durée de trois mois avec l’obligation de se présenter quotidiennement durant cette période au plus tard à 23 heures du soir ainsi qu’à 8 heures du matin au personnel de la structure en question.
Il se dégage du procès-verbal de la police grand-ducale référencé sous le numéro … daté du 21 juin 2024 qu’à cette même date, l’intéressé fut interpellé suite à une bagarre.
Par arrêté du 21 juin 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :
« […] Vu l'article 22 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport n°… du 21 juin 2024 établi par la Police Grand-Ducale ;
Considérant que l’intéressé a introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 23 février 2024 ;
2Considérant que l’intéressé se trouvait en détention préventive du 19 mai 2024 jusqu’au 19 juin 2024 ;
Vu mon arrêté du 20 juin 2024, notifié le même jour, assignant l’intéressé à résidence sur base de l’article 22, paragraphe (3), point b) ;
Considérant le non-respect des conditions de l’assignation à résidence du 20 juin 2024 ;
Considérant que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant introduit sept demandes de protection internationale dans différents Etats membres ;
Vu l’accord tacite de prise en charge des autorités espagnoles du 11 juin 2024 sur base de l’article 22, paragraphe (7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
Considérant que le transfert vers l’Espagne sera organisé dans les meilleurs délais ;
Considérant que l’intéressé fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) ;
Considérant que l’intéressé est connu sous différentes identités aux Etats membres ;
Considérant que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité ou de voyage en cours de validité ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l’intéressé comme défini à l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée ;
Considérant qu’afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement de l’intéressé, il y a lieu d’ordonner le placement en rétention ; […] ».
Par décision du 26 juin 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le 3 juillet 2024, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Espagne comme étant l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale sur le fondement des articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 13, paragraphe (1) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 21 juin 2024 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision en question.
Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, Monsieur … reprend tout d’abord, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tels que repris ci-dessus.
Il précise ensuite qu’après s’être vu remettre le 20 juin 2024 une assignation à résidence pour se présenter à la SHUK, il se serait présenté auprès de la structure en question dans la journée pour y déposer ses affaires après quoi il serait sorti de la SHUK en fin d’après-midi.
Tout en admettant ne pas s’être présenté au personnel de ladite structure à 23 heures du soir mais être resté dehors toute la nuit « voulant profiter de cette première journée de liberté après 3un mois de détention préventive », il estime qu’il s’agirait de la seule erreur qui pourrait lui être reprochée depuis le 23 février 2024.
Il relève ensuite qu’en appliquant l’article 22, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015, le seul critère pris en considération par le ministre serait le risque de fuite dans le chef du demandeur de protection internationale et qu’à travers l’arrêté ministériel actuellement litigieux, le ministre aurait décidé de le placer en rétention en se basant principalement sur le fait de ne pas s’être présenté à la SHUK le 20 juin 2024 à 23 heures.
Après avoir énuméré les motifs sur lesquels se base l’arrêté ministériel litigieux pour justifier son placement en rétention, le demandeur fait valoir que les quatre premiers motifs auraient été connus du ministre lorsqu’il l’avait assigné à résidence le 28 février 2024 et le 20 juin 2024. Il s’ensuivrait que ces quatre motifs ne pourraient justifier valablement une mesure de placement en rétention.
Il s’ensuivrait que le seul nouveau motif à la base de la mesure de placement litigieuse résiderait dans l’incident unique du 20 juin 2024 au soir où il ne se serait effectivement pas présenté à la SHUK pour y passer la nuit. Or, suivant le demandeur, cette absence d’une nuit ne saurait à elle seule suffire pour caractériser dans son chef un risque de fuite puisqu’il se serait conformé sans aucun incident à la première assignation à résidence du 28 février 2024 et ce jusqu’au 19 mai 2024. Ce constat s’imposerait d’autant plus que son absence se justifierait par le fait qu’il se serait laissé aller suite à sa libération de la détention préventive et qu’il n’aurait pas vu passer le temps. Il ajoute qu’il se serait bien présenté le lendemain matin, à savoir le 21 juin 2024, à la SHUK s’il n’avait pas subi une agression à la Place de la Gare à Luxembourg-Ville à 8.15 heures du matin, agression suite à laquelle il aurait été arrêté et placé immédiatement en rétention.
Le demandeur est, en tout état de cause, d’avis qu’aucun risque de fuite ne pourrait exister dans son chef du fait qu’il se serait présenté aux services du ministère le 20 juin 2024 pour faire renouveler son attestation de demandeur de protection internationale et ce jusqu’au 12 juillet 2024, de même qu’il se serait présenté à la SHUK le même jour à 11.20 heures du matin à la suite de sa sortie du CPU pour y déposer ses affaires lesquelles seraient d’ailleurs restées dans ladite structure. Or, il souligne que s’il avait voulu fuir, il n’aurait pas entrepris toutes ces démarches.
Au vu des considérations qui précèdent, l’arrêté ministériel déféré serait à réformer pour violation de la loi, sinon défaut, absence ou insuffisance de motifs, sinon erreur manifeste d’appréciation.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il y a lieu de relever que l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose notamment comme suit en ses paragraphes (1) à (3) pertinents en l’espèce :
« (1) On entend par rétention, toute mesure d’isolement d’un demandeur dans un lieu déterminé où le demandeur est privé de sa liberté de mouvement.
Le placement en rétention est effectué au Centre de rétention créé par la loi du 28 mai 42009 concernant le Centre de rétention. […] (2) Un demandeur ne peut être placé en rétention que :
a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ;
b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a un risque de fuite du demandeur ;
c) lorsque la protection de la sécurité nationale ou l’ordre public l’exige ;
d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride (refonte) et lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement. Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants :
i. si le demandeur s’est précédemment soustrait, dans un autre État membre, à la détermination de l’État responsable de sa demande de protection internationale en vertu du droit de l’Union européenne ou à l’exécution d’une décision de transfert ou d’une mesure d’éloignement ;
ii. si le demandeur fait l’objet d’un signalement dans le SIS aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour conformément au règlement (UE) 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant la convention d’application de l’accord de Schengen et modifiant et abrogeant le règlement (CE) n ° 1987/2006, tel que modifié, ou d’un signalement aux fins de retour conformément au règlement (UE) 2018/1860 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 relatif à l’utilisation du système d’information Schengen aux fins du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, tel que modifié ;
iii. si le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale dans l’État membre responsable ;
iv. si le demandeur est de nouveau présent sur le territoire luxembourgeois après l’exécution effective d’une mesure de transfert ou s’il s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure de transfert ;
v. si le demandeur a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un document d’identité ou de voyage ou s’il a fait usage d’un tel document ;
vi. si le demandeur a dissimulé des éléments de son identité ou s’il est démontré qu’il a fait usage d’identités multiples soit sur le territoire luxembourgeois, soit sur celui d’un autre État membre ;
5vii. si le demandeur qui a refusé le lieu d’hébergement proposé ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou si le demandeur qui a accepté le lieu d’hébergement proposé a abandonné ce dernier sans motif légitime ;
viii. si le demandeur a exprimé l’intention de ne pas se conformer à une décision de transfert vers l’État responsable de sa demande de protection internationale ou si une telle intention découle clairement de son comportement ;
ix. si le demandeur, sans motif légitime et bien que régulièrement convoqué ou informé, ne s’est pas soumis à une mesure préparatoire et nécessaire à l’exécution matérielle de son transfert vers l’État membre responsable ou s’il a antérieurement manifesté son intention de ne pas se conformer à une telle mesure ;
[…] (3) La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite ; l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire.
6Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. […] ».
Le paragraphe (1) dudit article 22 définit la mesure de la rétention et le paragraphe (2) du même article précise les hypothèses dans lesquelles une mesure de rétention peut être prise, dont celle pertinente en l’espèce d’une procédure de transfert en cours conformément au règlement Dublin III, visée au point d) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015. C’est dans le cadre de cette hypothèse que cette dernière disposition érige la vérification de l’existence d’un risque de fuite non négligeable établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement comme condition de la validité d’une mesure de rétention prise en vue de garantir une procédure de transfert.
C’est par rapport à ces dispositions que le paragraphe (3) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 impose au ministre, si l’un des cas d’ouverture du paragraphe (2) du même article se trouve vérifié, d’examiner si la mesure de rétention ne peut pas être remplacée par des mesures moins coercitives définies à l’alinéa 2 dudit paragraphe (3) qui pourraient être efficacement appliquées. Ainsi plus particulièrement le ministre doit vérifier si l’assignation à résidence peut être prononcée parce que le demandeur présente des garanties de représentation effective propres à prévenir le risque de fuite.
Il s’ensuit que l’existence d’un risque de fuite non négligeable, tel que requis par l’article 28, paragraphe (2) du règlement Dublin III auquel renvoie l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 est une condition sous-jacente devant a priori être vérifiée dans le chef de demandeurs de protection internationale qui font l’objet d’une procédure de transfert vers un autre Etat membre compétent pour le traitement de leur demande de protection internationale pour permettre au ministre de prononcer à leur égard une mesure de rétention ou une mesure moins coercitive pouvant leur être efficacement appliquée1.
Il y a encore lieu de relever que le paragraphe (4) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose comme suit : « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention.
Cette disposition précise ainsi, par renvoi au règlement Dublin III, que la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures 1 Cour adm., 24 novembre 2017, n° 40390C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
7administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Tel que relevé ci-avant, la décision déférée est basée sur l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, précité, qui renvoie à l’article 28 du règlement Dublin III, et qui permet de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour une durée maximale de trois mois en vue de garantir les procédures de transfert prévues par ledit règlement, sous condition (i) qu’il existe un risque non négligeable de fuite établissant que l’intéressé a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, risque de fuite qui est présumé dans les cas de figure énumérés aux points i. à ix., (ii) que le placement en rétention soit proportionnel et (iii) que d’autres mesures moins coercitives ne puissent être effectivement appliquées.
La décision déférée est encore basée implicitement mais nécessairement sur l’alinéa 3 du paragraphe (3) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement.
En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. », et qui prévoit ainsi les cas de révocation de la mesure moins coercitive ordonnée par le ministre, à savoir (i) en cas de défaut du respect des obligations imposées par le ministre dans le cadre de la mesure moins coercitive ou (ii) en cas de risque de fuite.
Etant donné que cet alinéa prévoit les cas de révocation de la mesure moins coercitive de manière alternative, il suffit que l’une des conditions y énoncées soit remplie pour que la mesure moins coercitive ordonnée en lieu et place d’une mesure de placement en rétention soit révoquée.
Il ressort des éléments du dossier administratif qu’à sa sortie du CPU où il a été placé en détention préventive du 19 mai jusqu’au 19 juin 2024, le demandeur a fait l’objet d’une assignation à résidence à la SHUK par décision ministérielle du 20 juin 2024, le ministre ayant considéré que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015 pourrait lui être efficacement appliquée, étant relevé que la justification d’une mesure d’assignation à résidence est axée non pas sur l’existence d’un risque de fuite non négligeable, mais sur l’existence dans le cas d’espèce de garanties de représentation effective propres à prévenir le risque de fuite, lesquelles garanties pouvant découler non seulement de mesures concrètes proposées par le demandeur de protection internationale ou imposées par le ministre, mais également de la situation personnelle existante du demandeur au moment de la prise de décision2.
Or, en l’espèce, il se dégage de l’arrêté ministériel du 20 juin 2024 ordonnant l’assignation de Monsieur … à résidence à la SHUK que le ministre a considéré qu’il existait dans le chef de l’intéressé un risque non négligeable de fuite établissant qu’il a l’intention de 2 idem.
8se soustraire aux autorités luxembourgeoises dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement vers l’Espagne, mais que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir une assignation à résidence à la SHUK, pouvait lui être efficacement appliquée pour être de nature à prévenir le risque de fuite dans son chef.
Comme cette mesure a été révoquée par l’arrêté ministériel de placement en rétention du 21 juin 2024, dans lequel le ministre a visé le non-respect des conditions de l’assignation à résidence prononcée dans son chef, il appartient dès lors au tribunal de vérifier en premier lieu si le ministre pouvait valablement révoquer la mesure d’assignation à résidence prise à l’encontre du demandeur.
A cet égard, force est de constater que l’arrêté ministériel du 20 juin 2024 prévoyait que Monsieur … était assigné à résidence à la SHUK pour une durée de trois mois sous « […] l’obligation de se présenter durant cette période quotidiennement au plus tard à 23h00 du soir ainsi qu’à 08h00 du matin au personnel de la structure prémentionnée […] », tout en l’avisant en son deuxième article « […] qu’en cas de défaut de respect de l’obligation imposée ou en cas de risque de fuite, la mesure pourra être révoquée et le placement en rétention pourra être ordonné comme prévu à l’article 22, paragraphe (2) d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée. ».
Il est constant en cause pour ressortir des éléments du dossier administratif et pour ne pas être contesté par le demandeur, que le 20 juin 2024, donc le tout premier jour de la prise d’effet de son assignation à résidence, celui-ci ne s’est pas présenté à la réception de la SHUK à 23 heures du soir et est resté dehors toute la nuit parce qu’il a voulu « profiter de cette première journée de liberté après un mois de détention préventive ».
Dans la mesure où la seule et unique obligation imposée par le ministre au demandeur durant son assignation à résidence était celle de se présenter deux fois par jour à des heures déterminées à la réception de la SHUK, l’inobservation de cette obligation a valablement pu amener le ministre à révoquer l’assignation à résidence dans le chef du demandeur.
Ensuite, comme relevé ci-avant, l’existence d’un risque de fuite non négligeable, tel que requis par l’article 28, paragraphe (2) du règlement Dublin III auquel renvoie l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 est une condition sous-jacente devant a priori être vérifiée dans le chef de demandeurs de protection internationale qui font l’objet d’une procédure de transfert vers un autre Etat membre compétent pour le traitement de leur demande de protection internationale, pour permettre au ministre de prononcer à leur égard une mesure de rétention3.
S’agissant de l’existence d’un risque de fuite non négligeable dans le chef du demandeur, il convient de rappeler que l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « […] Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants : […] i. si le demandeur s’est précédemment soustrait, dans un autre Etat membre, à la détermination de l’Etat responsable de sa demande de protection internationale en vertu du droit de l’Union européenne ou à l’exécution d’une décision de transfert ou d’une mesure d’éloignement ; ii. si le demandeur fait l’objet d’un signalement dans le SIS aux fins de non-
admission et d’interdiction de séjour conformément au règlement (UE) 2018/1861 du 3 ibidem.
9Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant la convention d’application de l’accord de Schengen et modifiant et abrogeant le règlement (CE) n ° 1987/2006, tel que modifié, ou d’un signalement aux fins de retour conformément au règlement (UE) 2018/1860 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 relatif à l’utilisation du système d’information Schengen aux fins du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, tel que modifié ; […] vi. si le demandeur a dissimulé des éléments de son identité ou s’il est démontré qu’il a fait usage d’identités multiples soit sur le territoire luxembourgeois, soit sur celui d’un autre État membre ; […] ».
Force est de constater qu’il ressort du dossier administratif que le demandeur s’est soustrait à l’exécution d’une décision de transfert prise par les autorités néerlandaises, ce qui ressort plus particulièrement du courrier électronique desdites autorités daté au 18 avril 2024.
Le demandeur fait également l’objet d’un signalement dans le SIS aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour par les autorités autrichiennes. Il y a, par ailleurs, lieu de relever que l’intéressé est connu sous pas moins de huit alias.
Il s’ensuit qu’un risque de fuite non négligeable est présumé dans le chef du demandeur, sans que ne se dégagent du dossier soumis au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption d’un risque de fuite dans son chef, de sorte que le ministre a valablement pu conclure à l’existence, dans le chef du demandeur, d’un risque de fuite non négligeable de se soustraire aux autorités luxembourgeoises dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement, tel qu’exigé par les articles 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 et 28 du règlement Dublin III.
En ce qui concerne ensuite l’application de mesures moins coercitives, le tribunal rappelle que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues aux points a), b) et c) de l’article 22, paragraphe (3), précités, de la loi du 18 décembre 2015 ne peut être efficacement appliquée.
Or, tel qu’il a été relevé ci-dessus, le demandeur a d’ores et déjà bénéficié de la mesure moins coercitive prévue au point b) de l’article 22, paragraphe (3), précité, mais n’a pas respecté les obligations y attachées. Il s’ensuit que les expériences du passé ont valablement permis au ministre d’écarter l’application de cette disposition.
Pour les mêmes considérations, le ministre a pu écarter l’application du point a) de l’article 22, paragraphe (3), précité, cette mesure ne pouvant être efficacement appliquée au vu du comportement que le demandeur a adopté dans le cadre de son assignation à résidence à la SHUK, étant relevé que, par ailleurs, l’intéressé ne dispose de toute façon d’aucun document d’identité ou de voyage valable.
S’agissant ensuite de la mesure moins coercitive prévue par l'article 22, paragraphe (3), point c), de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de constater que le demandeur n’a fourni aucune proposition d’une telle garantie financière.
Le moyen du demandeur tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement litigieuse est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
10Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, même à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 8 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 11