Tribunal administratif Numéro 49495 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49859 3e chambre Inscrit le 29 septembre 2023 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49495 du rôle et déposée le 29 septembre 2023 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée ETUDE SADLER SARL, établie et ayant son siège social à L-1611 Luxembourg, 9, avenue de la Gare, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Noémie SADLER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant à L-…, tendant, d’après le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est seul tenu, à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 avril 2023 portant retrait de son titre de séjour en qualité de travailleur salarié et lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à partir de la notification de la décision en question, ainsi que de la décision confirmative du même ministre du 29 juin 2023, intervenue sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2023 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Noémie SADLER déposé au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2024 au nom de Madame …, préqualifiée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine WARIN, en remplacement de Maître Noémie SADLER et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 juin 2024.
En date du 25 juin 2019, Madame … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’immigration, une demande en obtention d’un titre de séjour en qualité de stagiaire en se prévalant d'une convention de stage conclue en date du 14 juin 2019 avec la société anonyme … pour la période du 1er juillet 2019 au 31 décembre 2019.
Par décision du 11 juillet 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda une autorisation de séjour temporaire en qualité de stagiaire pour une durée de 90 jours à Madame ….
En date du 24 juillet 2019, Madame … déposa une déclaration d'arrivée d'un ressortissant de pays tiers pour un séjour de plus de trois mois auprès de l'Administration communale d'….
Par une nouvelle décision du 9 août 2019, le ministre délivra un titre de séjour en qualité de stagiaire avec une validité du 22 juillet 2019 au 7 janvier 2020 à Madame ….
Le 31 octobre 2019, Madame … introduisit une demande en renouvellement de son titre de séjour en qualité de stagiaire auprès du ministère en se prévalant d'un avenant à la convention de stage conclue avec la société anonyme ….
Par décision du 5 novembre 2019, le ministre accorda un titre de séjour en qualité de stagiaire avec une validité du 5 novembre 2019 au 29 janvier 2020 à la concernée.
En date du 11 janvier 2021, Madame … introduisit une demande de titre de séjour en qualité de travailleur salarié en se prévalant, cette fois-ci, d'un contrat de travail à durée indéterminée conclu avec la société à responsabilité limitée … pour le poste de « … », contrat de travail dont l’entrée en vigueur fut subordonnée à la délivrance du titre de séjour ainsi sollicité.
Après avoir complété sa prédite demande en date du 18 janvier 2021, elle se vit accorder le 2 février 2021, une autorisation de travail pour la période du 21 janvier 2021 au 20 janvier 2022.
Le 22 février 2021, Madame … introduisit une demande en obtention d'un titre de séjour en qualité de travailleur salarié en se prévalant du prédit contrat de travail à durée indéterminée, qui fut finalement signé le 18 février 2021, demande à laquelle le ministre fit droit par décision du 25 février 2021 en délivrant un titre de séjour en tant que travailleur salarié - spécialiste des fonctions administratives ; professions intellectuelles et scientifiques -
avec une validité du 18 février 2021 au 17 février 2022 à la concernée.
En date du 30 novembre 2021, Madame … déposa une demande en renouvellement de son titre de séjour en qualité de travailleur salarié en se prévalant toujours du prédit contrat de travail conclu avec la société ….
Par décision du 21 janvier 2022, le ministre délivra un titre de séjour en qualité de travailleur salarié valable pour toute profession dans tout secteur à la concernée, avec une validité du 21 janvier 2022 au 20 janvier 2025.
Par courrier électronique du 11 octobre 2022, le Centre Commun de la sécurité sociale, ci-après désigné par « CCSS », informa le ministère de l’annulation de l'affiliation de Madame … au motif que celle-ci n’aurait jamais travaillé pour la société ….
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 17 octobre 2022, le ministre informa Madame … de son intention de lui retirer son titre de séjour en qualité de travailleur salarié dans les termes suivants :
« […] Suite à un réexamen de votre dossier, il a été constaté que vous n’avez jamais été affiliée auprès de la société ….
Veuillez noter que, conformément à l’article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, le titre de séjour du ressortissant de pays tiers peut être retiré s’il ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 38 et celles prévues pour chaque catégorie dont il relève, ou s’il séjourne à des fins autres que celle pour laquelle il a été autorisé à séjourner.
Force est de constater que vous ne justifiez plus des ressources personnelles suffisantes, en application des conditions de l’article 34, paragraphe (2), point 5. de la loi du 29 août 2008 précitée, et ce depuis au moins le 18 février 2021, sans préjudice quant à la date exacte.
Au vu de ce qui précède, je vous informe que j’envisage de vous retirer le titre de séjour en qualité de travailleur salarié conformément à l’article 101, paragraphe (1), point 1.
De la loi du 29 août 2008 précitée.
Avant tout progrès en cause, je vous prie dès lors de me communiquer vos observations et toute pièce à l’appui jugée utile endéans un délai de trente jours après la notification de la présente, conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.
Au cas où vous ne présenteriez aucune observation, soit des observations en dehors du délai indiqué, soit des observations estimées non pertinentes, le titre de séjour vous sera retiré et vous vous trouverez en séjour irrégulier conformément à l’article 100 de la loi du 29 août 2008 précitée donnant lieu à une décision de retour sur base de l’article 11 de la même loi. […] ».
Par missives réceptionnées respectivement les 14 et 29 novembre 2022, Madame … présenta ses observations au ministre.
Par courrier du recommandé avec accusé de réception du 13 avril 2023, le ministre fit parvenir la décision ci-après libellée à Madame … :
« […] J'ai l'honneur de me référer à mon courrier du 17 octobre 2022 par lequel je vous ai informé que j'envisage de vous retirer votre titre de séjour « travailleur salarié » en vous demandant de me fournir vos observations.
Je prends bien note des explications fournies de votre part en date du 14 novembre 2022. Je suis au regret de vous informer que les observations que vous m’avez communiquées ne sont pas de nature à justifier le maintien de votre droit de séjour en tant que travailleur salarié.
Je constate que vous joignez à votre demande un contrat de travail à durée déterminée, signé en date du 7 novembre 2022 avec …, rémunéré avec un salaire mensuel brut qui s’élève à … euros par mois. L’occupation en tant qu’… à raison de 30 heures par semaine ne vous permettrait pas de disposer de moyens d’existence suffisants, en application des conditions de l’article 34, paragraphe 2, point 5 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
De même, à ce jour, ce prédit contrat de travail serait déjà expiré de sorte que vous ne disposez actuellement pas de ressources personnelles suffisantes.
Par conséquent, le titre de séjour « travailleur salarié », vous est retiré en application de l’article 101, paragraphe (1), point 1 de la loi du 29 août 2008 précitée. Je vous invite de bien vouloir remettre votre titre de séjour aux guichets de la Direction de l’immigration.
Etant donné que vous n’êtes plus en possession d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, votre séjour est considéré comme irrégulier, conformément à l’article 100, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au vu des développements qui précèdent et en application de l’article 111, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 précitée, vous êtes obligée de quitter le territoire dans un délai de trente jours après la notification de la présente, soit à destination du pays dont vous avez la nationalité, le Cameroun, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d’un autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 avril 2023, l’ancien mandataire de Madame … introduisit un recours gracieux à l'encontre de la décision ministérielle précitée du 13 avril 2023, ledit recours gracieux ayant encore été complété par l'intéressée en date du 12 mai 2023.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 mai 2023, le ministre informa l’employeur de Madame … qu’elle n'était pas en possession d'une autorisation de travail et qu’il encourrait des sanctions pénales en cas de poursuite de la relation de travail.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 29 juin 2023, le ministre rejeta le recours gracieux de Madame … dans les termes suivants :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre recours gracieux relatif à l'objet repris sous rubrique, qui m'est parvenu en date du 21 avril 2023.
Après avoir procédé au réexamen de votre dossier, je suis au regret de vous informer qu'à défaut d'éléments pertinents nouveaux je ne peux que confirmer ma décision du 13 avril 2023.
En effet, étant donné que votre premier titre de séjour en tant que travailleur salarié ainsi que son renouvellement étaient délivrés sur base d'un contrat de travail conclu avec la société … et pour lequel il s'est avéré par la suite que vous n'y avez jamais travaillé, vous n'avez jamais rempli les conditions de l'article 34, paragraphe (2), point 5. de la loi précitée en premier lieu.
De plus, selon les informations à ma disposition, entre la période de la délivrance de votre premier titre de séjour en tant que travailleur salarié en date du 18 février 2021 et le commencement de votre contrat de travail actuel, vous avez travaillé 4 jours pour la société … et 2 mois pour la société ….
En effet, je prends note du nouveau contrat de travail à durée déterminée conclu avec la société … datant du 27 décembre 2022. En outre, je vous prie de noter qu'en application de l'article 34, paragraphe (2), point 5. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, le ressortissant de pays tiers doit justifier de ressources personnelles suffisantes pour la durée du séjour envisagé.
Or, ce prédit contrat, à durée déterminée jusqu'au 31 décembre 2023 et en raison de 40 heures par semaine ne vous permet pas de remplir les conditions fixées à l'article 34 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au vu de ce qui précède, je tiens à vous informer que ma décision du 13 avril 2023 reste maintenue dans son intégralité.
Il y a lieu de rappeler que vous avez été invitée à quitter le territoire dans un délai de trente jours, tel qu'il vous a été communiqué par décision ministérielle du 13 avril 2023. Ce délai étant expiré, vous restez en conséquence dans l'obligation de quitter le territoire sans délai.
À défaut de quitter le territoire volontairement, l'ordre de quitter le territoire sera exécuté d'office et vous serez éloignée par la contrainte. Veuillez noter que, conformément à l'article 113 de la loi du 29 août 2008 précitée, les recours contre la présente ne sont pas suspensifs. […] ».
Par courrier de son mandataire actuel du 1er août 2023, Madame … fit parvenir une demande de renouvellement d'un titre de séjour pour ressortissant de pays tiers en qualité de travailleur salarié au ministre, demande qui fut déclarée irrecevable par ce dernier par décision du 18 août 2023.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2023, inscrite sous le numéro 49495 du rôle, Madame … fit introduire un recours tendant, d’après le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est seul tenu, à l’annulation de la ministérielle, précitée du 13 avril 2023 portant retrait de son titre de séjour en qualité de travailleur salarié et ordre de quitter le territoire à son encontre, ainsi que de la décision ministérielle confirmative précitée du 29 juin 2023.
Etant donné qu’aucune disposition légale n’instaure de recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions déférées, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions ministérielles déférées, en retraçant l’historique de ses différents engagements professionnels au Luxembourg et de ses démarches administratives.
Elle explique plus particulièrement être arrivée au Luxembourg en 2019 pour effectuer un stage en vue de soutenir son Master. Séduite par le milieu professionnel luxembourgeois, elle aurait décidé de rester au Luxembourg et d’y trouver un emploi et aurait, à cette fin, notamment suivi des cours d’allemand en Allemagne.
Elle explique ensuite qu’à partir du 18 février 2021, elle aurait été employée en qualité « … » par la société luxembourgeoise … et qu’en 2022, elle aurait décidé de reprendre ses études afin d’être plus compétitive sur le marché du travail, la demanderesse ajoutant qu’elle ne se serait toutefois pas rendu compte des conséquences de cette décision.
Par la suite, elle aurait, dans un premier temps, été engagée à durée déterminée par la société anonyme … et ce jusqu’au 7 janvier 2023 et, dans un deuxième temps, par la société anonyme …, via contrat de travail avec prise d’effet au 9 janvier 2023 et signé le 27 décembre 2022. En ce qui concerne ce dernier contrat de travail, la demanderesse explique que malgré le fait qu’il se serait agi d’un contrat à durée déterminée, conclu en remplacement d’une salariée en congé de maternité, il aurait toujours été question d’un emploi à durée indéterminée, ce qui serait d’ailleurs confirmé par l’avenant audit contrat de travail, signé, quant à lui, en date du 19 septembre 2023.
En droit, la demanderesse soulève en premier lieu une violation des articles 34, paragraphe (2), point 5, de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », et 3 du règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008, ci-après désigné par le « règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 » en réfutant les conclusions du ministre selon lesquelles elle aurait soit été employée à temps partiel, soit par contrat à durée déterminée de sorte qu’elle n’aurait pas disposé de ressources financières suffisantes pour la durée de son séjour. A cet égard, elle fait valoir que depuis la signature de son contrat de travail avec la société …, elle bénéficierait d’un emploi à plein temps, tout en rappelant que depuis la signature de l’avenant audit contrat de travail, il s’agirait en outre d’un emploi à durée indéterminée. Dans la mesure où son salaire correspondrait au salaire social minimum pour un ouvrier non qualifié de plus de 18 ans au taux appliqué à la date de signature du contrat, la demanderesse est d’avis qu’elle justifierait de ressources personnelles suffisantes pour toute la durée envisagée de son séjour, de sorte qu'elle remplirait les conditions de l'article 34 de la loi du 29 août 2008 et qu’il y aurait lieu d’annuler les décisions ministérielles litigieuses.
Dans un deuxième temps, et en se prévalant de l’article 129 de la loi du 29 août 2008, la demanderesse conclut à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans les décisions litigieuses en arguant qu’elle se trouverait dans une situation de conflit profond avec sa famille depuis son départ du Cameroun et qu'un retour dans son pays l'exposerait à d'importantes violences en représailles de son départ.
Dans son mémoire en réplique, Madame … réitère ses conclusions contenues dans sa requête introductive d’instance, tout en réfutant les développements du délégué du gouvernement.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
Force est de constater que les décisions de retrait litigieuses sont fondées sur l’article 101 de la loi du 29 août 2008, d’une part, et sur l’article 34 de la même loi, d’autre part, l’argumentation tournant autour de l’article 101 prémentionné ayant encore été complétée par le délégué du gouvernement en cours d’instance. Il y a ensuite lieu de constater que la demanderesse se limite à invoquer une violation des articles 34, paragraphe (2), point 5, de la loi du 29 août 2008 et 3 du règlement grand-ducal du 5 septembre 2008, en arguant en substance que contrairement aux conclusions du ministre, elle disposerait de ressources financières suffisantes pour la durée de son séjour, la concernée n’ayant toutefois pas pris position quant aux développements de la partie étatique relatifs au fait que le ministre a valablement pu procéder au retrait de son séjour sur base de l’article 101, points 1. et 4. de ladite loi.
A cet égard, il convient de relever l’article 101 de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable à la date de la prise de la décision litigieuse, prévoit que :
« (1) L'autorisation de séjour du ressortissant de pays tiers peut lui être refusée ou son titre de séjour peut être refusé ou retiré ou refusé d'être renouvelé:
1. s'il ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l'article 38 et celles prévues pour chaque catégorie dont il relève ou s'il séjourne à des fins autres que celle pour laquelle il a été autorisé à séjourner ;
[…] 4. s'il a fait usage d'informations fausses ou trompeuses ou s'il a recouru à la fraude ou à d'autres moyens illégaux, soit pour entrer et séjourner sur le territoire, soit pour y faire entrer ou y faire séjourner une tierce personne; […] ».
Il découle de la prédite disposition légale que le ministre peut procéder au retrait d’une autorisation de séjour notamment si celle-ci a été accordée sur base d’informations fausses ou trompeuses.
En l’espèce, force est de constater qu’il ressort des pièces figurant au dossier administratif, et plus particulièrement d’un courrier électronique du CCSS du 11 octobre 2022, que l’affiliation de Madame … avait été annulée alors qu’elle n’a jamais travaillé pour la société … et ce alors même que sa demande en obtention d’un titre de séjour en qualité de travailleur salarié du 11 janvier 2021, avait explicitement été basée sur le contrat de travail à durée indéterminée conclu avec ladite société. Il ressort par ailleurs du dossier administratif que la concernée s’est vue délivrer l’autorisation de séjour ainsi sollicitée sur base du prédit contrat de travail et que sa demande en renouvellement de son titre de séjour datant, quant à elle, du 30 novembre 2021 à laquelle il avait été fait droit par décision ministérielle du 21 janvier 2022, était également basée sur son prétendu emploi auprès de la société ….
Il convient ensuite de noter que si la demanderesse dans le cadre du présent recours, affirme certes avoir été employée1 en qualité de « … » par la société …, elle reste toutefois en défaut d’expliquer pourquoi le contrat de travail conclu avec ladite société n’a jamais été exécuté, voire même de contester qu’elle n’a jamais effectivement travaillé pour cette même société, la concernée se contentant d’affirmer qu’elle a souhaité reprendre ses études pour être plus compétitive sur le marché du travail.
C’est partant à juste titre que la partie étatique a conclu que la demanderesse a fait usage d’informations fausses et trompeuses à la base de ses demandes en obtention et en renouvellement d’une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié et qu’elle a séjourné au Luxembourg à une fin autre que celle pour laquelle son titre de séjour lui avait 1 Souligné par le tribunal.
été accordé, de sorte que le ministre a valablement pu procéder au retrait dudit titre de séjour sur base de l’article 101 précité de la loi du 29 août 2008.
A titre superfétatoire, et dans un souci d’exhaustivité, il convient encore de rappeler que l’article 46, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, dispose, dans sa version applicable au présent litige que :
« (1) Sans préjudice de l’article 101, le titre de séjour visé à l’article 43, peut être retiré ou refusé d’être renouvelé au travailleur salarié, si une des conditions suivantes est remplie :
1. il travaille dans une profession autre que celle pour laquelle il est autorisé 2. il ne dispose pas de ressources personnelles telles que prévues à l’article 34, paragraphe (2), point 5 pendant :
a) trois mois au cours d’une période de douze mois, s’il a séjourné régulièrement sur le territoire pendant au moins trois ans ;
b) six mois au cours d’une période de douze mois, s’il a séjourné régulièrement sur le territoire pendant au moins trois ans. ».
Il découle de la prédite disposition légale, laquelle a trait au retrait et au refus de renouvellement d’une autorisation de séjour pour travailleur salarié, que le ministre peut retirer un tel titre de séjour si le bénéficiaire de celle-ci ne dispose pas des ressources personnelles prévues à l’article 34 de la même loi pendant trois, respectivement six mois au cours d’une période de douze mois, et s’il a séjourné régulièrement sur le territoire pendant au mois trois ans.
En ce qui concerne les ressources personnelles visées à la prédite disposition légale, l’article 34, paragraphe (2), dispose dans sa version applicable au présent litige que :
« (2) Il [le ressortissant de pays tiers] a le droit d'entrer sur le territoire et d'y séjourner pour une période allant jusqu'à trois mois sur une période de six mois, s'il remplit les conditions suivantes :
1. être en possession d'un passeport en cours de validité et d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis;
2. ne pas faire l'objet d'un signalement aux fins de non-admission sur base de l'article 96 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 et être signalé à cette fin dans le Système d'Information Schengen (SIS);
3. ne pas faire l'objet d'une décision d'interdiction d'entrée sur le territoire;
4. ne pas être considéré comme constituant une menace pour l'ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales du Grand-Duché de Luxembourg ou de l'un des Etats parties à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant le Grand-Duché de Luxembourg;
5. justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et justifier de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, ou justifier de la possibilité d'acquérir légalement ces moyens et disposer d'une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire. Un règlement grand-ducal définit les ressources exigées et précise les conditions et les modalités selon lesquelles la preuve peut être rapportée ».
Une des conditions cumulatives visées à la prédite disposition légale et permettant à un ressortissant d’un pays tiers d’entrer et de séjourner sur le territoire luxembourgeois consiste dès lors dans l’obligation pour celui-ci de justifier de ressources personnelles suffisantes pour la durée de son séjour, ressources qui sont précisées par le règlement grand-
ducal du 5 septembre 2008 et plus particulièrement à l’article 3 dudit règlement grand-ducal, lequel dispose que :
« (1) Le ressortissant d'un pays tiers qui sollicite l'entrée sur le territoire du Grand-
Duché de Luxembourg conformément à l'article 34 de la loi doit justifier qu'il possède les ressources personnelles suffisantes tant pour la durée du séjour, que pour le retour dans le pays d'origine ou le transit vers un autre pays.
(2) Les ressources personnelles suffisantes doivent atteindre un montant au moins égal au salaire social minimum pour salariés non qualifiés calculé à partir du taux fixé au 1er janvier de l'année en cours au prorata du nombre de jours de séjour envisagés. ».
En l’espèce, il est constant en cause que la demanderesse a séjourné régulièrement sur le territoire luxembourgeois pour une période de plus de trois ans alors qu’elle s’est vue délivrer sa première autorisation de séjour en date du 11 août 2019, autorisation de séjour qui était valable pour une durée de 90 jours.
Il convient ensuite de constater qu’il ressort des pièces figurant au dossier administratif et plus particulièrement du tableau synoptique des affiliations de Madame …, que celle-ci n’a commencé à travailler qu’à partir du 24 octobre 2022, date de sa première affiliation au CCSS. Il s’ensuit que pendant la période du 21 janvier 2021, date de la prise d’effet de sa première autorisation de séjour pour travailleur salarié, au 24 octobre 2022, elle était sans rémunération, la demanderesse restant par ailleurs en défaut de prouver voire même d’alléguer qu’elle aurait disposé de quelconques ressources financières autres pouvant être qualifiés de ressources personnelles suffisantes au sens des prédites dispositions légales et réglementaires.
Cette conclusion n’est pas énervée par le contrat de travail conclu en date du 27 décembre 2022 avec la société … dont se prévaut la demanderesse, alors que celui-ci n’avait été conclu que pour une durée déterminée, son objet ayant été le remplacement d’un congé de maternité, de sorte à ne pas être de nature à pourvoir laisser conclure qu’au jour de la prise des décisions litigieuses, la demanderesse disposait de ressources personnelles suffisantes pour la durée de son séjour.
A cet égard, il convient encore de relever que s’il est certes vrai que ledit contrat de travail est finalement passé en contrat à durée indéterminée via avenant daté du 19 septembre 2023, cette circonstance n’est toutefois pas de nature à laisser conclure au bien-fondé du recours sous analyse, alors que l’avenant en question est non seulement postérieur à la prise des décisions ministérielles litigieuses, étant rappelé à cet égard que dans le cadre d’un recours en annulation, l'analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu'à la situation de fait et de droit telle qu'elle s'est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l'annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise2, mais a, par ailleurs, été signé à une date 2 Trib. adm. 23 mars 2005, n°19061 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 23 et les autres références y citées.
où la demanderesse n’était plus légalement habilitée à séjourner sur le territoire luxembourgeois.
Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a considéré que la demanderesse ne justifiait pas des ressources personnelles suffisantes pour la durée de son séjour et a procédé au retrait de son titre de séjour en qualité de travailleur salarié, de sorte que les moyens afférents encourent le rejet.
Dans la mesure où il constant en cause que lors de l’adoption des décisions ministérielles litigieuses, la demanderesse ne disposait ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail, c’est encore a priori à juste titre que le ministre a déclaré irrégulier son séjour sur le territoire luxembourgeois et lui a ordonné de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours, conformément aux dispositions de l’article 100, paragraphe (1) point c) de la loi du 29 aout 2008, aux termes duquel « Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour, la présence d’un ressortissant de pays tiers[…] qui n’est pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail si cette dernière est requise […] » et à celles de l’article 111 de la même loi, prévoyant que « (1) Les décisions de refus visées aux articles 100, 101 et 102, déclarant illégal le séjour d’un étranger, sont assorties d’une obligation de quitter le territoire pour l’étranger qui s’y trouve, comportant l’indication du délai imparti pour quitter volontairement le territoire, ainsi que le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
(2) Sauf en cas d’urgence dûment motivée, l’étranger dispose d’un délai de trente jours à compter de la notification de la décision de retour pour satisfaire volontairement à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire et il peut solliciter à cet effet un dispositif d’aide au retour. […] ».
En ce qui concerne le moyen relatif à une prétendue violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », celui-ci est également à rejeter alors que, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, la demanderesse se contente d’alléguer, de façon non autrement circonstanciée, qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à « d’importantes violences en représailles de son départ considéré par sa famille comme un abandon » sans pour autant verser un quelconque élément de preuve tangible permettant de retenir in concreto que sa liberté ou sa vie seraient gravement menacées, sinon qu'elle risquerait effectivement de faire l'objet de traitements inhumains et dégradants contraires notamment à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ».
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 11