Tribunal administratif N° 50676 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50676 4e chambre Inscrit le 2 juillet 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50676 du rôle et déposée le 2 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 11 juin 2024, erronément attribuée au « ministre de l’Immigration et de l’Asile », ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée de trois mois à compter de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 juillet 2024, Maître Eric SAYS s’étant excusé.
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Il ressort de six rapports de la police grand-ducale des 3 et 26 octobre, 28 novembre, 19, 28 et 29 décembre 2023, qu’à ces dates, Monsieur …, connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur … », fit l’objet de contrôles policiers lors desquels il ne put présenter de documents d’identité ou de voyage valables.
Par arrêté du 29 décembre 2023, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois irrégulier et lui ordonna de le quitter sans délai, tout en lui interdisant l’entrée sur ledit territoire pour une durée de trois ans.
Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, mesure qui fut prorogée à 5 reprises en dates des 25 janvier, 28 février, 26 mars, 26 avril et 28 mai 2024, à chaque fois pour un mois supplémentaire.
Les recours contentieux dirigé par Monsieur … contre les arrêtés de prorogation du placement en rétention des 25 janvier, 28 février furent rejetés par des jugements du tribunal administratif des 7 février et 20 mars 2024, inscrits sous les numéros de rôle 50018, respectivement 50184.
Un jugement du président du tribunal administratif du 10 mai 2024, inscrit sous le numéro 50424 du rôle, confirma encore l’arrêté ministériel du 26 avril 2024 portant 4e prorogation de la mesure de rétention du demandeur.
Suite à l’accord, en date du 4 juin 2024, des autorités consulaires tunisiennes de délivrer un laissez-passer en faveur de Monsieur …, le ministre chargea, par un courrier du 6 juin 2024, une agence de voyage aux fins de la réservation de billets d’avion en vue de l’éloignement de Monsieur … vers la Tunisie, éloignement prévu, selon le plan de vol établi par la police grand-ducale du même jour, pour le 13 juin 2024.
En date du 10 juin 2024 Monsieur … demanda à introduire une demande de protection internationale, demande déposée en date du 11 juin 2024, de sorte que le ministre prit un arrêté en date du 11 juin 2024, ordonnant la mainlevée du placement de Monsieur … du 28 mai 2024, tout en ordonnant, dans la même décision, le placement en rétention de ce dernier, sur base de l’article 22, points b) et e) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », pour une durée de trois mois à partir de la notification, ledit arrêté, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, fut basé sur la motivation suivante :
« (…) Vu l'article 22 (2) b) et e) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après la « Loi de 2015 ») ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport de police n° 2023-142711 du 3 octobre 2023 établi à l'occasion d'un contrôle d'identité à la suite d'un vol à l'arraché ;
Vu le rapport de police n° 144137-3/2023 du 26 octobre 2023 établi à l'occasion d'un contrôle d'identité à la suite d'une bagarre ;
Vu le rapport de police n° JDA/2023/146147-1 du 28 novembre 2024 établi à l'occasion d'un contrôle d'identité à la suite d'une dispute ;
Vu le rapport de police n° 51379-1622/2023 du 19 décembre 2023 établi à l'occasion d'un contrôle d'identité à la suite d'un contrôle préventif de criminalité ;
Vu le rapport de police n° 2023/148061-1 du 28 décembre 2023 établi à l'occasion d'un contrôle d'identité à la suite d'un contrôle préventif de criminalité ;
Vu le signalement de l'intéressé dans la base de données SIS par les autorités italiennes en raison d'une interdiction d'entrée sur ledit territoire ;
Vu la décision de retour du 29 décembre 2023 déclarant irrégulier le séjour de l'intéressé et comportant ordre de quitter le territoire sans délai ;
Vu l'arrêté ordonnant le placement en rétention de l'intéressé du 29 décembre 2023, lui notifié le même jour, sur base des dispositions de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu les différents arrêtés ordonnant dans le chef de l'intéressé la prolongation des mesures de placements en rétention et les jugements rejetant les recours y afférent ;
Vu l'accord des autorités tunisiennes du 4 juin 2024 de délivrer un laissez-passer pour un retour en Tunisie;
Vu le départ prévu pour la Tunisie le 13 juin 2024 suivant le plan de vol du 6 juin 2024;
Considérant que l'intéressé a présenté une demande de protection internationale depuis le centre de rétention en date du 10 juin 2024, engendrant l'annulation du départ pour la Tunisie prévu le 13 juin 2024;
Attendu qu'il convient de déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale de l'intéressé ;
Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé ;
Attendu que l'intéressé a présenté la demande de protection internationale à la seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour alors qu'il avait déjà eu la possibilité d'accéder à la procédure d'asile ;
Attendu que les mesures moins coercitives prévues à l'article 22 (3) ne peuvent être efficacement appliquées alors qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé ;
Par conséquent, la décision de placement s'avère nécessaire. (…) ».
En date du 12 juin 2024, Monsieur … fut entendu par la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
En date du 17 juin 2024, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par une décision du 27 juin 2024, notifiée à l’intéressé par courrier envoyé le lendemain, le ministre rejeta la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, paragraphe (1), points, a), g) et h), au motif qu’il n'aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, qu’il n’aurait présenté une demande de protection internationale qu'afin de retarder ou d'empêcher l'exécution d'une décision antérieure ou imminente qui entraînerait son éloignement, respectivement qu’il serait entré ou aurait prolongé son séjour illégalement sur le territoire et, sans motif valable, ne se serait pas présenté aux autorités ou n'aurait pas présenté une demande de protection internationale dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 juillet 2024, inscrite sous le numéro 50676 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 11 juin 2024 ayant pour objet son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision en question.
Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative prise en vertu de cette loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et après avoir rappelé en fait quelques rétroactes passés en revue ci-avant, le demandeur se rapporte, quant à la légalité externe de la décision déférée, à prudence de justice quant à la compétence du « ministre de l’Immigration et de l’Asile » pour prendre l’arrêté litigieux.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, le demandeur conclut à une violation de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 en contestant qu’il existerait, dans son chef, un risque de fuite. Il fait encore valoir à cet égard que les éléments sur lesquels se fonde sa demande de protection internationale pourraient être obtenus sans placement en rétention. Il conteste ensuite avoir introduit sa demande de protection internationale avec la seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour, affirmant avoir déjà essayé sans succès de déposer une telle demande par deux fois en septembre 2023, tout en estimant finalement que ce serait encore à tort que le ministre l’aurait placé en rétention sans avoir eu recours aux mesures moins coercitives, le demandeur expliquant finalement, dans ce contexte, avoir introduit sa demande de protection internationale en raison de sa crainte d’être persécuté ou de faire l’objet de traitements dégradants et inhumains dans son pays d’origine par un extrémiste religieux, dénommé « … », pour avoir distribué des aides pour une certaine association caritative.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre pour prendre une mesure de placement au Centre de rétention – qui est d’ailleurs le ministre des Affaires intérieures et non pas le ministre de l’Immigration et de l’Asile, tel qu’indiqué erronément dans la requête introductive d’instance –, étant donné qu’en vertu de l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le ministre ayant l’asile dans ses attributions, soit conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement, tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.
Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au fond, force est au tribunal de constater qu’aux termes de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 envisageant les conditions dans lesquelles un demandeur de protection internationale peut être placé au Centre de rétention, « (…) Un demandeur ne peut être placé en rétention que : (…) b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur ; (…) e) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour en vertu de l’article 120 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration pour préparer le retour et procéder à l’éloignement et lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à la seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour alors qu’il avait déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile; dans ce cas, la durée de placement en vertu de la présente loi court à partir du jour du dépôt de la demande de protection internationale. ».
L’article 22, paragraphe (2), point b) de la loi du 18 décembre 2015 permet dès lors au ministre de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative afin de déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite.
L’article 22, paragraphe (2), point e) de la loi du 18 décembre 2015 permet de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative, pour une durée maximale de trois mois, à condition qu’il existe des motifs raisonnables de penser que ledit demandeur n’a présenté une demande de protection internationale qu’à la seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de ladite décision de retour, alors qu’il avait déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile.
Le paragraphe (4) de l’article 22 de la même loi ajoute que : « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. ».
En vertu de l’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne puissent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le placement ne doit pas se prolonger au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, précité, subsistent, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Il y a encore lieu de relever que dans la mesure où les cas de figure énoncés aux points a) à e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 sont envisagés de manière alternative et non cumulative, il suffit que l’une des hypothèses y visées – en l’occurence l’une des hypothèses visées aux points b) ou e) – se trouve vérifiée en l’espèce pour que le placement en rétention du demandeur soit justifié.
En ce qui concerne plus particulièrement l’application par le ministre du point e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal relève, d’une part, qu’il est constant en cause qu’en date du 29 décembre 2023, le demandeur a été placé en rétention administrative sur le fondement de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, placement qui a été par la suite prorogé à plusieurs reprises, de sorte que la première condition prévue au point e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 et tenant à ce que l’intéressé avait été placé au Centre de rétention dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 se trouve vérifiée en l’espèce.
D’autre part, il est encore constant que le demandeur a présenté une demande de protection internationale pendant son placement en rétention, à savoir en date du 11 juin 2024.
S’agissant de la question de savoir si cette demande a été introduite dans l’unique but de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour, il y a lieu de relever qu’alors même qu’il est constant en cause que le demandeur s’est trouvé au Luxembourg depuis au moins octobre 2023 et qu’il a été placé en rétention dès le 29 décembre 2023, en vue de l’organisation de son éloignement, en exécution de la décision de retour prise à son encontre le même jour, il n’a déposé sa demande de protection internationale que le 11 juin 2024 – soit deux jours avant la date fixée pour son éloignement vers son pays d’origine, prévu pour le 13 juin 2024 –, après avoir fait l’objet (i) d’une décision de retour en date du 29 décembre 2023, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans et (ii) de 5 prorogations de son placement initial en rétention prononcées par arrêtés des 25 janvier, 28 février, 26 mars, 26 avril et 28 mai 2024.
Dans ce contexte, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal ou des explications fournies dans la requête introductive d’instance du demandeur que celui-
ci n’ait auparavant pas eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile, d’autant plus qu’il ressort du dossier administratif qu’il s’est trouvé sur le territoire luxembourgeois depuis au moins octobre 2023, les affirmations de ce dernier selon lesquelles il aurait essayé en vain à deux reprises, notamment le 1er septembre 2023, à déposer une demande de protection internationale restant à l’état d’une simple allégation face aux contestations de la partie gouvernementale.
Enfin, le tribunal se doit de constater que l’argumentaire du litismandataire du demandeur pour justifier le dépôt de sa demande de protection internationale, à savoir « en raison de sa crainte d’être persécuté et de faire l’objet de traitements dégradants et inhumains en cas de retour dans son pays natal par un dénommé « … », extrémiste religieux, en raison d'avoir aidé à distribuer des aides pour une association caritative à Sidi Bouzid », manque de pertinence dans le cadre de la présente analyse, alors que ces faits ont nécessairement déjà été connus par le demandeur avant son arrivée au Luxembourg.
Il ressort finalement du dossier administratif que la demande de protection internationale introduite par le demandeur en date du 11 juin 2024 a entretemps été rejetée par une décision ministérielle datée du 27 juin 2024, prise dans le cadre d’une procédure accélérée, en application de l’article 27, paragraphe (1), points, a), g) et h) de la loi du 18 décembre 2015.
Il s’ensuit que le ministre pouvait valablement conclure à l’existence de motifs raisonnables laissant penser que le demandeur n’a présenté sa demande de protection internationale qu’à la seule fin de retarder ou d’empêcher son éloignement initialement prévu pour le 13 juin 2024 en exécution de la décision de retour dont il fait l’objet - en l’espèce la décision du 29 décembre 2023 -, et ainsi se baser sur le point e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 pour justifier le placement du demandeur en sa qualité de demandeur d’une protection internationale.
Au regard du caractère alternatif des cas de figure énoncés aux points a) à e) de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 et au regard de la circonstance que le ministre pouvait a priori valablement se baser sur le point e) dudit article, l’analyse de la légalité et du bien-fondé du recours ministériel au point b) du paragraphe (2) de l’article 22, précité, également invoqué pour justifier le placement au Centre de rétention du demandeur, devient surabondante.
S’agissant de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû appliquer des mesures moins coercitives, il y a lieu de relever que l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, cité ci-dessus, prévoit que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) ne peut être efficacement appliquée.
Quant aux mesures moins coercitives, il y a lieu de relever que le paragraphe (3) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.
On entend par mesures moins coercitives:
a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite;
l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la 5 dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire.
Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. » Or, le demandeur reste en défaut de fournir le moindre élément lui permettant de remettre en cause le constat du ministre selon lequel les mesures moins coercitives prévues par l’article 22, paragraphe (3), points a), b) et c) de la loi du 18 décembre 2015 ne pouvaient être appliquées efficacement en l’espèce, le demandeur n’affirmant pas disposer d’un passeport qu’il aurait pu remettre en échange d’un récépissé valant justification de son identité et comme garantie qu’il se présenterait auprès des services du ministre ou d’autres autorités désignées par lui, tel que prévu au point a) dudit article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, de même que le demandeur est resté en défaut de fournir des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, alors qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe ni de quelconques attaches au Luxembourg, de sorte qu’une assignation à résidence ne saurait pas non plus être efficacement appliquée, étant encore finalement relevé que le demandeur ne propose pas le paiement d’une garantie financière.
Il suit dès lors des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 22, paragraphe (3), points a), b) et c) de la loi du 18 décembre 2015 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.
En ce qui concerne, finalement, les diligences accomplies pour écourter au maximum sa privation de liberté, non contestées par le demandeur, le tribunal n’entrevoit pas, à travers les éléments du dossier à sa disposition, un manque de diligences dans le chef du ministre, ce d’autant plus que l’éloignement du demandeur était déjà prévu pour le 13 juin 2024 et qu’il n’a pu être exécuté qu’à cause du seul dépôt d’une demande de protection internationale par le demandeur deux jours avant son départ planifié. La demande de protection internationale du demandeur ayant fait entretemps l’objet d’un rejet de la part du ministre, il incombe actuellement à ce dernier d’attendre l’écoulement du délai de recours contentieux afférent, respectivement éventuellement, le cas échéant, l’issue d’un tel recours, avant de pouvoir reprendre l’organisation de l’éloignement du demandeur vers son pays d’origine.
Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2024 par :
Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 9