Tribunal administratif N° 48495 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48495 1re chambre Inscrit le 6 février 2023 Audience publique du 10 juillet 2024 Recours formé par Monsieur A et consort, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48495 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 février 2023 par Maître Cora Maglo, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, né le … à … (Venezuela) et de Madame A, née le … à … (Venezuela), tous deux de nationalité vénézuélienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation 1) de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 janvier 2023 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale, et 2) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 avril 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Corinne Walch en sa plaidoirie à l’audience publique du 29 avril 2024.
Le 27 février 2020, Monsieur A et son épouse, Madame A, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur A et de Madame A sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.
Monsieur A fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale en date des 20 janvier et 23 février 2021, tandis que Madame A fut entendue pour les mêmes motifs en date du 25 janvier 2021.
Par décision du 12 janvier 2023, notifiée aux intéressés par courrier recommandé expédié le 18 janvier 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur A et Madame A que leur demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« [… ] J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale que vous avez introduites auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 27 février 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-
après dénommée la « Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 février 2020, vos fiches manuscrites du 27 février 2020, votre rapport d'entretien du 25 janvier 2021 Madame et le vôtre Monsieur du 20 janvier et 23 février 2021 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale ainsi que les documents remis à l'appui de vos demandes de protection internationale.
Madame, Monsieur, il en ressort que vous seriez originaires de …, capitale de l'Etat de … au Venezuela, où vous auriez vécu jusqu'à votre départ au Pérou le 5 mai 2018. Après environ deux années, vous seriez retournés à … le 16 janvier 2020 et y seriez restés jusqu'à votre départ en Europe en date du 19 février 2020, logeant d'abord chez votre mère Monsieur puis chez des amis. Monsieur, vous précisez également avoir un fils issu d'une précédente union, B, né le … et vivant chez sa grand-tante et votre mère à ….
Monsieur, vous indiquez que vous auriez travaillé en tant que professeur de mathématiques au lycée public « …. » et à l'université « … » situés à … dans l'Etat du … de février 2014 jusqu'au 16 septembre 2015.
Madame, Monsieur, vous déclarez avoir quitté votre pays d'origine alors que vous auriez été menacé Monsieur par des membres du SEBIN d'emprisonnement et de tortures pour avoir refusé d'appliquer des normes au niveau du système éducatif vénézuélien. En cas de retour dans votre pays d'origine, vous craindriez que ces menaces seraient mises à exécution et vous auriez peur pour votre intégrité physique.
Vous relatez dans ce contexte que vous auriez été convoqué le 15 septembre 2015 au siège principal de l' « UNFA » pour assister à une réunion après y avoir été convoqué par la directrice de l'établissement. Vous précisez que l' « UNFA » est une université gérant des projets tels que les missions Robinson, qui permettent aux adultes d'apprendre à lire et à écrire, et les missions Riva, qui préparent des personnes non diplômées à s'insérer dans la vie professionnelle. Cette réunion aurait été présidée par deux organisateurs cubains en présence d'une vingtaine d'invités, pour la plupart des professeurs de mathématiques, de physique et de chimie. Les organisateurs vous auraient ordonné « d'intégrer les axes éducatifs avec la révolution bolivarienne » (p.8 de votre rapport d'entretien, Monsieur) et demandé, sur ordre du Ministère de l'Éducation, de former des personnes issues des missions Robinson et Riva pour devenir professeur de mathématiques en trois mois afin de couvrir les postes vacants et le manque de personnel. Vous auriez directement exprimé votre désaccord aux deux organisateurs car cela était contraire à votre éthique. Ils vous auraient par conséquent demandé de signer une fiche de présence indiquant que vous auriez reçu les informations puis ils vous auraient redirigé vers le Ministère de l'Éducation.
Le lendemain, vous vous seriez rendu au Ministère de l'Éducation et des fonctionnaires y auraient rédigé un rapport expliquant que vous n'auriez pas respecté un ordre reçu et que vous devriez remettre votre poste à disposition, c'est-à -dire y renoncer, malgré la pénurie, car vous ne seriez plus fiable mais un « traître de la révolution » (p.9 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Vous vous seriez défendu et, dans un moment d'exaltation, vous les auriez menacés d'en avertir la presse et les médias. Ils auraient essayé de vous persuader du contraire, mais en vain, jusqu'à ce que des membres du SEBIN seraient arrivés. Ceux-ci vous auraient menacé et ordonné de signer le rapport vous concernant sinon « on allait m'emprisonner et me torturer jusqu'à la mort » (p.6 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Vous auriez accepté de signer et décidé de quitter vos postes d'enseignant au lycée et à l'université dans la foulée « j'ai tout abandonné, j'ai laissé mes postes » (p.10 de votre rapport d'entretien, Monsieur).
Le soir-même, un véhicule d'une patrouille du SEBIN serait arrivé devant l'entrée de l'immeuble où vous logiez seul Monsieur dans une chambre à San Félix dans l'Etat de Bolivar compte tenu de vos obligations professionnelles dans cet Etat. Les fonctionnaires policiers du SEBIN auraient allumé un gyrophare et seraient restés une dizaine de minutes avant de partir. Effrayé par cet acte d'intimidation et craignant de faire l'objet de fausses accusations, vous auriez décidé de quitter la ville, de changer votre adresse électronique et votre nom sur les réseaux sociaux.
Depuis cet incident et jusqu'en mai 2018, vous auriez vécu tous les deux à … et vous déclarez Monsieur que vous n'y auriez rien fait pendant quelque temps, que vous vous seriez isolé et que vous auriez ensuite travaillé comme réparateur de climatiseur d'air conditionné, de toits et fait de la plomberie. Vous précisez qu'il ne vous serait personnellement rien arrivé de particulier au cours de ces trois années.
Le 5 mai 2018, vous auriez quitté avec votre famille le Venezuela une première fois vers le Pérou, alors que l'une de vos sœurs aurait eu des problèmes après un attentat des « colectivos ». Elle aurait été forcée de dénoncer des personnes innocentes ce qui aurait engendré une baisse de confiance envers le régime et les autorités en place dans votre chef.
Vous auriez séjourné environ deux années au Pérou, où vous auriez été en possession de titres de séjour temporaires émis par la « Migraciones Superintendencia Nacional » dès le 4 avril 2019, valable pour une année, et seriez retournés vivre ensemble au Venezuela chez votre mère Monsieur à …, le 16 janvier 2020.
En date du 4 février 2020, quatre hommes habillés en civil dans une voiture du SEBIN se seraient introduits violemment sans mandat dans le domicile de votre mère Monsieur à … où vous auriez logé tous les deux, avec votre fils Monsieur et l'une de vos deux sœurs et sa fille. Ils vous auraient rappelé qu'ils disposeraient d'un dossier pour abandon de poste et trahison de la patrie contre vous et vous auraient averti « pour fait de trahison, c'est la prison, la torture et la mort » (p.11 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Deux d'entre eux auraient fouillé la maison tandis que les deux autres vous auraient braqué avec leur arme.
Témoin de la scène, votre mère Monsieur se serait évanouie. Croyant avoir provoqué un infarctus, les membres du SEBIN surpris auraient quitté les lieux. Vous précisez que les membres du SEBIN « n'avaient d'ordre d'enregistrement de la maison ou d'arrêt contre moi.
Je pensais qu'ils cherchaient de l'argent parce que je venais d'un autre pays » (p.11 de votre rapport d'entretien, Monsieur).
Après ces faits, vous auriez abandonné le domicile et décidé de quitter le Venezuela car vous redoutiez que ce genre de phénomène puisse se reproduire à nouveau. Votre mère Monsieur se serait abritée chez sa sœur avec votre fils et vous vous seriez cachés tous les deux chez des amis à … dans l'Etat de Monagas. Vous y seriez restés jusqu'au 19 février 2020, date de départ de votre pays d'origine.
Vous n'auriez pas porté plainte auprès des autorités compétentes car selon vous « dénoncer un fonctionnaire, et un fonctionnaire du SEBIN, cela conduit à une mort certaine, ils travaillent pour la justice et celle-ci ne fait rien du tout. Si on porte plainte, cela allait nous créer des problèmes » (p.12 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Vous n'auriez également pas envisagé une fuite interne car « chercher une autre ville cela m'aurait donné des problèmes (…) des personnes viennent se renseigner pour savoir qui tu es. C'est la partie de l'intelligence de la dictature de mon pays, pour différencier qui est avec eux et qui est contre eux » (p.13 de votre rapport d'entretien, Monsieur).
Madame A, vous confirmez les dires de votre époux.
A l'appui de vos demandes, vous présentez les documents suivants :
− Vos deux carnets de la patrie délivrés en 2017;
− vos deux passeports vénézuéliens, le vôtre Monsieur dont la prorogation est périmée depuis … 2021 et le vôtre Madame, émis le …i 2019 et valable jusqu'en .. 2024 ;
− vos deux cartes d'identité, valables jusqu'en avril 2023 ;
− vos deux permis de séjour temporaire, délivrés par les autorités péruviennes en avril 2019 ;
− une farde remise le 20 juillet 2022 à la Direction de l'Immigration et contenant 9 pièces additionnelles pour appuyer vos déclarations dont 1) votre récit écrit Monsieur expliquant la situation dans laquelle vivrait votre famille, respectivement une mise en accusation de votre mère Madame C, 2) une copie des cartes d'identité de Madame C, 3) les données personnelles de Madame C, 4) un article de presse en espagnol et traduit en langue française datant du 1er mars 2021 et évoquant l'audience de personnes accusées d'avoir tenté de kidnapper …, 5) un article de presse espagnole et traduit en langue française datant du 18 avril 2021 concernant un activiste du PSUV mis en cause par un SMS et accusé d'avoir tenté de kidnapper …, 6) les données de l'officier de l'état civil de … qui relate le décès de Madame C suite à un arrêt cardiorespiratoire et un oedème pulmonaire en date du 27 septembre 2021, 7) une autorisation provisoire de travail vous concernant Monsieur émis par le Ministère du pouvoir populaire pour l'Education vénézuélien en date du 4 février 2014, 8) une attestation de travail vous concernant Monsieur émis par l’université « … » en date du … 2014 et 9) une attestation de travail émis par le Ministère du pouvoir populaire pour l'Education vénézuélien en date du 20 avril 2016.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement en cause, il y a lieu de relever qu'il se dégage de la lecture de votre entretien Monsieur ainsi que des éléments de vos dossiers une série d'éléments pour le moins incohérents et manifestement non plausibles mettant à mal votre crédibilité.
Premièrement, Monsieur, vous expliquez dans le cadre de votre entretien que vous vous seriez rendu le 16 septembre 2015 au Ministère de l'Éducation et que vous y auriez été menacé par des membres du SEBIN alors qu'ils vous auraient forcé de signer un rapport impliquant que « j'avais bafoué un ordre et je devais mettre mon poste à disposition du ministère, c'est-à -dire renoncer à mon poste » (p.6 de votre rapport d'entretien, Monsieur).
Sous la menace et la contrainte, vous auriez signé ce rapport et vous expliquez que vous auriez par conséquent « tout abandonné, j'ai laissé mes postes » (p.10 de votre rapport d'entretien, Monsieur) en précisant par ailleurs que dès ce jour-là vous n'auriez plus continué à enseigner (p.10 de votre rapport d'entretien, Monsieur). À cela s'ajoute que vous prétendez qu'entre votre démission forcée et votre départ au Pérou, respectivement donc entre septembre 2015 et mai 2018 : « Pendant quelques temps, je n'ai rien fait, je me suis isolé. Ensuite, j'ai commencé à travailler comme réparateur d'air conditionné, de toits, j'ai fait de la plomberie » (p.10 de votre rapport d'entretien, Monsieur).
Or, ces déclarations sont contredites par un document que vous remettez à l'appui de votre demande de protection internationale. En effet, il ressort de votre « attestation de travail » que vous n'auriez en réalité pas arrêté d'exercer votre fonction de professeur dès le 16 septembre 2015, puisque cette attestation émise par le Ministère du pouvoir populaire pour l'éducation datant du 20 avril 2016, soit sept mois plus tard, révèle clairement que vous auriez encore travaillé « actuellement comme enseignant contractuel » et que vous auriez encore été rémunéré durant le mois de mars 2016. Partant, de sérieux doutes sont émis quant à votre crédibilité puisqu'il parait improbable que vous puissiez déclarer dans le cadre de votre entretien que vous auriez été contraint d'arrêter d'enseigner dès le mois de septembre 2015 et que vous vous seriez dès lors « isolé » alors que votre « attestation de travail » démontre clairement le contraire, à savoir qu'après votre prétendue démission forcée vous auriez en réalité exercé la fonction de professeur pendant encore sept mois au minimum.
Dès lors, et par extension, il convient également de sérieusement s'interroger sur la crédibilité de vos dires lorsque vous avancez que vous auriez été convié le 16 septembre 2015 au Ministère de l'Éducation et que vous auriez été contraint, sous la menace, d'y signer un rapport certifiant votre démission alors que cet évènement représente le fil conducteur de votre récit et les conséquences qui en auraient découlé constituent le motif principal de votre demande de protection internationale. Il est également évident qu'il ne saurait être perçu comme authentique le fait que vous auriez été qualifié de « traître de la révolution » par des fonctionnaires du pouvoir public le 16 septembre 2015, en l'occurrence par des fonctionnaires du Ministère de l'Éducation, et que vous auriez paradoxalement encore été autorisé à travailler au sein de celui-ci pendant plus de sept mois au minimum.
Deuxièmement, il convient également de constater, Monsieur, qu'il existe des divergences entre vos déclarations issues de votre fiche manuscrite du 27 février 2020 et celles de votre rapport d'entretien.
Tout d'abord, si initialement vous étiez formel pour déclarer en date du 27 févier 2020 que vous auriez vécu dans un climat anxiogène et d'insécurité après les évènements du 15 et 16 septembre 2015 puisque vous prétendez que vous auriez reçu par la suite « des menaces permanentes, ils envoyaient fréquemment des véhicules pour surveiller ma maison, ils m'appelaient pour me menacer de mort et qu'ils savaient où était ma famille », il appert que vous avez considérablement réduit l'intensité de ces prétendues menaces lors de vos entretiens du 20 janvier et du 23 février 2021. En effet, il ressort de la lecture de votre rapport d'entretien que vous ne mentionnez ni les « menaces permanentes » auxquelles vous auriez été sujet, ni les appels téléphoniques pour vous menacer de mort, ni les menaces prétendument émises envers votre famille, ni des actes d'intimidation ou de surveillance multiples. Au contraire, vous faites uniquement état d'une seule et unique supposée tentative d'intimidation lorsqu'une voiture du SEBIN se serait arrêtée devant votre domicile pendant dix minutes le soir du 16 septembre 2015. Nonobstant le fait que vos craintes semblent purement hypothétiques lorsque vous prétendez que vous auriez été intimidé par un tel fait, alors qu'il aurait pu s'agir d'un simple évènement anodin qui ne vous aurait en rien concerné, force est de constater que le terme « fréquemment » employé dans votre fiche manuscrite est dès lors complètement inapproprié.
À cela s'ajoute qu'en dépit d'avoir déclaré dans votre fiche manuscrite que vous seriez parti au Pérou à cause de « l'insécurité de vivre avec la peur », vous reconnaissez paradoxalement dans le cadre de votre entretien qu'il ne vous serait en réalité rien arrivé de personnel entre les évènements de septembre 2015 et votre départ du Venezuela en mai 2018, respectivement pendant presque trois années (p.10 de votre rapport d'entretien, Monsieur), mais que vous auriez uniquement quitté le Venezuela à cause des problèmes rencontrés par votre sœur, soit des faits non personnel, que vous n'avez par ailleurs aucunement mentionné dans votre fiche manuscrite.
Troisièmement, il y a également lieu de remettre en doute Monsieur le fait que vous vous seriez caché (p.12 de votre rapport d'entretien, Monsieur) en restant chez un couple d'amis (p.2 de votre rapport d'entretien, Monsieur) entre le … et le … 2020, alors qu'il ressort de publications sur le réseau social Facebook que, étant de confession Yoruba, vous auriez en réalité célébré au cours de cette période un évènement religieux. En effet, force est de constater que vous êtes visiblement accompagné de connaissances à vous sur une publication en date du 6 février 2020 et une autre en date du 12 février 2020 et que certaines personnes portent un béret jaune et vert, un symbole religieux attestant de leur appartenance à la communauté Yoruba comme le confirme les publications de la page Facebook « Templo yoruba ile ifa wa adde venezuela». Monsieur, alors que vous tentez de dramatiser votre récit en décrivant un climat d'insécurité qui vous aurait poussé à vous réfugier chez un couple d'amis pour vous cacher jusqu'à votre départ du Venezuela, il appert que vous auriez en réalité poursuivi votre routine quotidienne en continuant à voir des connaissances à vous tout en publiant des photos de vous sur les réseaux sociaux. Dès lors, il y a lieu d'en conclure que votre récit n'est pas crédible et que votre comportement n'est clairement pas compatible avec une personne craignant d'être « incarcéré, torturé et tué » (p.13 de votre rapport d'entretien, Monsieur).
Finalement, il y a lieu de préciser que vous ne rapportez la preuve d'aucune de vos déclarations majeures, respectivement du prétendu rapport que vous auriez eu à signer ou encore des menaces que vous auriez reçues, ces dernières restant en l'état de pures allégations non soutenues par un quelconque élément de preuve. À ceci s'ajoute que votre récit est de manière générale relativement vague et imprécis. Monsieur, vous n'êtes par exemple pas en mesure de clairement expliquer à quoi correspondent les lettres « F» et « A » de l'acronyme « UNFA » et vous n'avez que répondu à l'évidence en précisant que « UN », dans le domaine universitaire au Venezuela, faisait référence à « université nationale ».
Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d'en déduire que vos récits ne sont pas crédibles, de sorte qu'aucune protection internationale ne vous saurait être accordé. Quand bien même un brin de crédibilité devait être accordé à vos déclarations, il s'avère que vous ne remplissez pas les conditions pour l'octroi du statut de réfugié, respectivement pour l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire pour les raisons étayées ci-après.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée la « Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils n'émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.
Madame, Monsieur, vous auriez décidé de quitter le Venezuela suite aux menaces d'emprisonnement, de torture et de mort que vous auriez reçues Monsieur de la part de membres de SEBIN après avoir manifesté votre refus de participer à la formation de professeurs de mathématique et pour fait de « trahison ». Vous déplorez également le fait de ne pas pouvoir faire confiance envers le régime vénézuélien et les autorités compétentes. En cas de retour dans votre pays d'origine, vous craindriez que ces menaces émises par le SEBIN soient mises à exécution.
Concernant tout d'abord vos propos relatifs à votre manque de confiance envers le régime et les autorités vénézuéliennes, il convient de souligner qu'ils ne sauraient pas suffire pour justifier l'octroi du statut de réfugié dans vos chefs étant donné que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et la Loi de 2015. Or, il s'avère que votre manque de confiance envers le régime et les autorités vénézuéliennes proviendraient principalement du vécu de votre sœur Monsieur et non d'éléments liés à vos vécus personnels. Or, des faits non personnels mais vécus par un autre membre de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, tel n'est clairement pas le cas en l'espèce, alors que vous restez tous les deux en défaut d'étayer un lien entre le prétendu traitement de votre sœur Monsieur et des éléments liés à vos personnes vous exposant à des actes similaires, à savoir qu'elle aurait été témoin d'un attentat commis par des « colectivos » et qu'elle aurait été contrainte de signer un document accusant faussement des innocents d'avoir été les auteurs de cette attaque, alors qu'il ne ressort pas des éléments de vos récits respectifs que vous ayez eu affaire d'une quelconque manière aux « colectivos » ou que vous seriez à risque de devoir dénoncer des « personnes innocentes ».
Par ailleurs, et hormis le constat que vous restez essentiellement vague dans vos déclarations, il y a lieu de relever que vos doutes relatifs au fait que les évènements vécus par votre sœur Monsieur pourraient avoir des répercussions sur vous se résument à des craintes purement hypothétiques et ne sauraient de ce fait être considérées comme crainte de persécution dans votre chef, de sorte que vous ne saurez prétendre à l'octroi du statut de réfugié dans ce contexte.
Quant aux prétendues menaces d'emprisonnement, de torture et de mort émises par le SEBIN à votre encontre Monsieur en date du 16 février 2015, vos déclarations y relatives restent également en l'état de pures allégations non prouvées par un quelconque élément de preuve. À les supposer avérées, ce qui n'est pas établi, il y a lieu de relever que ces menaces ne rentrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève alors qu'ils ne sont pas liés à votre race, votre religion, votre nationalité, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.
En effet, selon vos dires, vos problèmes découleraient du fait d'« avoir refusé de préparer en trois mois du personnel non qualifié afin qu'il devienne professeur de mathématique » (p.6 de votre rapport d'entretien, Monsieur) et tel que vous l'indiquez sur votre fiche manuscrite, « parce que je suis un professeur qui s'est opposé à accepter des normes illégales au niveau de l'éducation du régime qui est implanté dans mon pays ». Vous précisez encore que « la police me dit que si j'allais publier ça dans les médias, j'allais souffrir de torture et mourir » (p.9 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Les menaces proférées à votre encontre donc seraient uniquement liées à votre refus d'appliquer des normes que vous auriez estimées illégales dans le cadre de votre travail.
Par ailleurs, Monsieur, les menaces proférées à votre encontre par le SEBIN ne sont pas d'un degré de gravité tel qu'elles permettent d'être considérées comme des actes de persécution. En effet, il s'avère manifestement que ces menaces ne se sont pas concrétisées, que vous n'avez pas été arrêté par le SEBIN et que vous n'avez plus eu affaire à lui alors que vous auriez continué à vivre encore trois ans dans votre pays d'origine.
En effet, il s'avère qu'il ne vous serait rien arrivé de particulier entre les faits du 15 et 16 septembre 2015 et votre départ au Pérou en mai 2018, respectivement pendant presque trois ans. Vous déclarez, Monsieur, que pendant cette période vous vous seriez seulement « isolé, ensuite j'ai commencé à travailler » et qu'il ne vous serait rien arrivé de personnel (p.10 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Par ailleurs, comme susmentionné, votre « attestation de travail » délivrée en date du 20 avril 2016 prouve que vous auriez encore travaillé en tant que professeur, et ce sous l'autorisation d'une entité gouvernementale, à savoir le Ministère de l'Éducation, pendant encore au minimum sept mois. Ainsi, le fait que vous auriez encore pu poursuivre l'exercice de vos fonctions pendant cette période, surtout après les évènements du 15 et 16 septembre 2015, et le fait qu'il ne vous serait absolument rien arrivé pendant ces trois ans, prouvent que vous ne risquez rien au Venezuela et que vous n'êtes pas dans le collimateur des autorités et que vous-même avez estimé ne pas être en danger, car une personne en danger n'attendrait pas ce délai avant de se mettre en sécurité.
Ce constat est d'ailleurs confirmé par le fait que vous auriez eu l'occasion de quitter le Venezuela définitivement si vous vous étiez réellement sentis en danger compte tenu que, selon l'une de vos publications Facebook Madame, vous vous seriez rendus tous les deux à Valledupar en Colombie en octobre 2016. Or, il appert qu'après ce voyage temporaire, vous auriez décidé une première fois de retourner volontairement au Venezuela, preuve que vous n'y auriez rien craint.
De plus, force est de constater Madame, Monsieur, que votre départ du Venezuela pour le Pérou en mai 2018 n'était aucunement lié aux menaces que vous auriez eues de la part du SEBIN mais motivé par le vécu de votre sœur Monsieur qui aurait été forcée de dénoncer des « personnes innocentes » suite à un attentat prétendument commis par des « colectivos ». De plus, vous indiquez être parti au Pérou en 2018 avec votre famille sans avoir rencontré le moindre problème.
À cela s'ajoute que vous auriez opté tous les deux pour un second retour volontaire au Venezuela le 16 janvier 2020. Or, l'on doit s'attendre d'une personne qui serait réellement persécutée ou à risque d'être persécutée, respectivement, qui craint vraiment de subir la « torture » ou la « mort » chez elle, ne de pas rentrer volontairement dans son pays d'origine.
Une telle réaction prouve que vous ne prenez même pas vous-même au sérieux les motifs de fuite que vous avancez aux autorités luxembourgeoises pour vous faire remettre une protection internationale.
Quant aux faits de février 2020, il y a lieu de souligner que vous avez indiqué Monsieur que les membres du SEBIN « n'avaient d'ordre d'enregistrement de la maison ou d'arrêt contre moi » (p.11 de votre rapport d'entretien, Monsieur) et que leur présence aurait vraisemblablement été motivée par un but de lucre parce que « J'imagine qu'ils cherchaient de l'argent (…) Je pensais qu'ils cherchaient de l'argent parce que je venais d'un autre pays » (p.11 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Force est donc de constater que les membres du SEBIN n'avaient pas l'intention de vous arrêter pour les motifs d'abandon de poste et trahison de la patrie mais qu'ils auraient plutôt été intéressés par l'appât du gain, de sorte que vous n'étiez pas dans le curseur des autorités de votre pays d'origine et que la présence du SEBIN n'aurait pas été reliée à votre refus d'appliquer des normes que vous estimez illégales au niveau du système éducatif datant de septembre 2015, soit cinq ans auparavant.
Par ailleurs, si jamais vous aviez été dans le collimateur des autorités, les membres du SEBIN vous auraient arrêtés alors qu'ils auraient eu la possibilité et les moyens de le faire et ne seraient pas simplement partis du seul fait qu'ils auraient pensé que votre mère Monsieur aurait fait une crise cardiaque.
Tout comme votre départ au Pérou en 2018, il ressort de vos déclarations Madame, Monsieur, que votre départ en février 2020 se serait de nouveau déroulé sans grande difficulté apparente hormis des questions protocolaires à l'aéroport de Caracas concernant les raisons de votre voyage. Or, de tels constats sont évidemment incompatibles avec le récit d'une personne se disant sous la menace d'un « emprisonnement, de torture ou de mort » de la part des services de renseignement du Venezuela. Tel que relevé ci-avant, si jamais les autorités vénézuéliennes auraient cherché à vous emprisonner ou à vous arrêter, elles l'auraient fait et il ne vous aurait manifestement pas été possible de quitter votre pays d'origine sans le moindre problème.
Finalement, il y a lieu de noter Monsieur que vous auriez obtenu une prorogation de votre passeport à la date du 19 décembre 2019, soit un mois avant votre retour du Pérou et deux mois avant votre départ officiel de votre pays d'origine et que Madame, vous auriez obtenu un nouveau passeport en date du 13 mai 2019 alors que vous auriez été au Pérou. Or, il paraît inimaginable qu'une personne craignant d'être recherchée ou poursuivie par les autorités vénézuéliennes, et en l'occurrence le service de renseignement, puisse se permettre d'entreprendre de telles démarches administratives sans être confrontée à des obstacles. Il faut en déduire également que vous ne vous êtes manifestement pas cachés des autorités, bien au contraire, et que vous n'étiez manifestement pas recherchés par elles.
Ces différents constats reflètent le fait que les craintes que vous exprimez par rapport à votre sécurité personnelle sont en tout cas totalement hypothétiques et se traduisent en un simple sentiment d'insécurité alors qu'il ne vous serait jamais rien arrivé de grave au Venezuela.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.
L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Madame, Monsieur, il y a lieu de souligner qu'à l'appui de vos demandes de protection subsidiaire, vous invoquez en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de vos demandes de reconnaissance du statut de réfugié. Or, sur base des développements et conclusions retenues qui précèdent dans le cadre du rejet du statut de réfugié, vous n'invoquez aucun autre élément additionnel susceptible de rentrer dans le champ d'application de l'article 48 précité, et vous restez en défaut de faire état d'un risque réel de faire l'objet, en cas de retour dans votre pays d'origine, d'atteintes graves, notamment de traitements inhumains ou dégradants.
Ainsi, il ressort clairement de vos déclarations que vous ne risquez pas une condamnation à la peine de mort, respectivement l'exécution découlant d'une telle condamnation par les autorités de votre pays d'origine.
Les motifs dont vous faites état ne sauraient également emporter la conviction que vous courriez un risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou des sanctions inhumains ou dégradants au Venezuela.
En effet, force est de constater que les faits dont vous faites état et les craintes mentionnées ne revêtent pas un degré de gravité tel qu'ils puissent être assimilés à une atteinte grave au sens du prédit texte, respectivement comme des craintes fondées d'être victimes d'une atteinte grave en cas d'un retour au Venezuela. De plus, dans ce contexte, vos craintes Monsieur d'être emprisonné, torturé ou tué, et la vôtre Madame d'être tuée, par des membres du SEBIN doivent être définies comme étant totalement hypothétiques.
À cet égard, il convient de rappeler que non seulement vous confirmez qu'il ne vous serait jamais rien arrivé en terme de séquelles physiques, mais en plus, vous auriez décidé de rester trois années supplémentaires après les menaces reçues en février 2015, et que ces trois années se seraient déroulées sans un quelconque incident. Vous avez par ailleurs voyagé en Colombie en octobre 2016 et vous avez décidé de retourner volontairement une première fois au Venezuela. Si vous avez ensuite décidé de quitter votre pays d'origine pour vous installer au Pérou en 2018, ce départ n'a pas été motivé par les menaces que vous auriez eu des membres du SEBIN, mais par les problèmes que votre sœur aurait eus avec les « colectivos ».
Votre choix de retourner ensuite une seconde fois au Venezuela en 2020 permet de surcroît de confirmer le constat que vous n'auriez vous-même pas pris ces menaces au sérieux, ou du moins que vous auriez considéré qu'ils s'agiraient de meilleurs conditions de vie que celles au Pérou.
De plus, alors que vous prétendez craindre Monsieur d'être emprisonné, torturé ou tué, et vous Madame d'être tuée, par des membres du SEBIN, ceux-ci seraient venus à votre encontre le 4 février 2020 et auraient uniquement été motivés par des intérêts de lucre, sans procéder à votre arrestation ou condamnation. Par ailleurs, ils auraient fui précipitamment les lieux après avoir été surpris par l'évanouissement de votre mère Monsieur, craignant sans doute des répercussions négatives à leur égard compte tenu du fait qu' « ils étaient entrés sans mandat et quelqu'un mourrait dans cette situation » (p.11 de votre rapport d'entretien, Monsieur). Or il parait étrange que des membres du SEBIN, prêts à vouloir vous faire subir des actes de torture ou à vous tuer, auraient été surpris et inquiétés par l'état de santé de votre mère.
Ainsi, il y a lieu de conclure que vos craintes Monsieur d'être emprisonné, torturé ou tué, et vos craintes Madame d'être tuée par des membres du SEBIN doivent dans ce contexte être définies comme étant totalement infondées.
Finalement, il convient de noter que la situation sécuritaire ou générale dans laquelle se trouve le Venezuela, si elle est certes tendue, n'équivaut pas à celle d'un conflit armé interne. En effet, il ressort des dernières informations en mains que, suite à l'exode massif des années 2010 susmentionné, l'année 2020 s'est caractérisée par un certain retour au calme au Venezuela et par un retour de plus en plus de Vénézuéliens au pays qui sont désormais autorisés à investir en dollars et à faire proliférer leurs entreprises privées : « After leading his country's economy over a cliff, President Nicolas Maduro has brought it a certain measure of stability. By allowing dollars to flow freely and private enterprise to flourish in recent months, he seems to have breathed new life into his regime. He remains widely despised but emigration has begun to slow, people are returning and the government is enacting laws to tax dollar transactions and allow companies to issue debt in foreign currencies. ».
Ces retours au pays se sont encore multipliés récemment à cause de la crise économique liée au COVID-19, ayant souvent fait perdre le travail aux Vénézuéliens partis dans d'autres pays sud-américains pour fuir la crise économique à la maison. Ces retours démontrent en même temps, que comme susmentionné, les Vénézuéliens ont par le passé surtout fui la crise économique et non pas les autorités ou des quelconques persécutions personnelles, et ne craignent manifestement pas d'y retourner.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens des articles 26 et 34 de la Loi de 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Venezuela, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 février 2023, Monsieur A et Madame A ont fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision ministérielle du 12 janvier 2023 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 12 janvier 2023 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 12 janvier 2023, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, leurs déclarations, telles qu’actées lors de leur audition par un agent du ministère.
En droit, tout en rappelant les conditions d’octroi du statut de réfugié telles que prévues par la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir violé l’article 2 f) de ladite loi et d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits exposés par eux à l’appui de leur demande de protection internationale.
A cet égard, les demandeurs précisent de prime abord que ce serait à tort que le ministre aurait remis en question la crédibilité de leur récit à défaut de preuves pour le corroborer, alors que capturer par vidéo ou autres des menaces de mort verbales émanant des membres d’une structure bien coordonnée au niveau étatique comme le « Servicio Bolivariano de Inteligencia Nacional », ci-après désigné par le « Sebin », tel que décrit dans un rapport du 20 septembre 2022 du « UN Human Rights Council », constituerait un risque démesuré pour les demandeurs.
Ils se réfèrent par ailleurs à un article de presse émanant du « Immigration and Refugee Board of Canada » du 5 janvier 2018 pour illustrer le sort qui serait réservé par les autorités aux demandeurs d’asile déboutés qui retourneraient au Venezuela. Les demandeurs affirment qu’ils risqueraient à leur retour de ne pas trouver un emploi, d’avoir leur passeport annulé, d’être emprisonnés sans procès régulier et d’être privés des services offerts par l’Etat.
L’insécurité serait cultivée par l’Etat même, dans la mesure où les autorités recourraient à un usage systématique de la torture et des assassinats, de sorte que les demandeurs risqueraient des actes de persécution en rentrant dans leur pays d’origine. A cet égard et à titre d’illustration, ils renvoient à différents articles de presse.
Les demandeurs font encore valoir que le ministre ne saurait se contenter de refuser l’octroi de la protection internationale en indiquant que leur demande serait non fondée, mais qu’il devrait en revanche apporter de bonnes raisons justifiant qu’ils ne subiront pas d’atteintes graves à leur retour, et ce au vu de la jurisprudence constante instaurant une présomption réfragable en faveur des personnes ayant déjà subi des persécutions dans leur pays d’origine avant leur départ.
Ensuite, les demandeurs se prévalent d’une violation de l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, au motif que le Venezuela serait actuellement un pays dans lequel de graves crimes contre la population seraient commis entraînant des violations des droits humains généralisées, ainsi que d’une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».
A l’appui de leur moyen et au vu du sort qui serait réservé aux demandeurs de protection internationale déboutés, les demandeurs se réfèrent à l’arrêt Tarakhel contre Suisse de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 4 novembre 2014, requête n° 29217/12, aux termes duquel l’article 3 de la CEDH pourrait être invoqué pour empêcher l’expulsion du demandeur d’asile lorsqu’il existe « des motifs avérés de croire que l’intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, et après avoir examiné les dispositions de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que l’interprétation de la portée de la protection subsidiaire au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir tenu compte de la situation générale régnant au Venezuela et estiment que le bien-fondé de leur demande de protection internationale devrait être apprécié au regard de la situation d’insécurité généralisée prévalant dans leur pays d’origine, tout en soulignant que 5,5 millions de Vénézuéliens auraient fui le pays depuis 2014.
Dans ce contexte, ils insistent sur le fait qu’ils risqueraient d’être torturés par les autorités de leur pays d’origine en raison de leur qualité de demandeurs d’asile déboutés.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, […], et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’octroi du statut de réfugié qu’à celle visant d’obtenir la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.
L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal est tout d’abord amené à rappeler qu’en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, il doit examiner, en plus de la situation générale du pays d’origine, la situation particulière du demandeur de protection internationale et vérifier, concrètement, si sa situation subjective a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
En l’espèce et indépendamment de la crédibilité du récit des demandeurs, le tribunal relève qu’ils déclarent avoir quitté le Venezuela au motif, qu’ils ne s’y seraient plus sentis en sécurité, suite à des menaces d’emprisonnement, de torture et de mort reçues de la part de membres du « Sebin ».
Il ressort des éléments à disposition du tribunal que, malgré les menaces du « Sebin » en 2015, qui auraient poussé le demandeur à renoncer à son poste d’enseignant, les demandeurs ont continué de vivre au Venezuela jusqu’au 5 mai 2018, et que pendant cette période, Monsieur A a pu continuer à exercer une activité rémunérée. Force est dès lors au tribunal de constater que les faits prédécrits ne sont pas de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution ou d’atteintes graves dans le chef du demandeur, en ce que les menaces proférées à l’encontre de Monsieur A ne sont pas d’un degré de gravité tel qu’elles permettent d’être considérées comme des actes de persécution ou des atteintes graves et qu’elles ne se sont, en tout état de cause, pas concrétisées.
Hormis la prétendue surveillance par le « Sebin » pendant une dizaine de minutes en date du 16 septembre 2015, événement dont le lien avec la situation personnelle des demandeurs n’est corroboré par aucun élément concret, de sorte à constituer une simple supposition de leur part, Monsieur A n’a pas été arrêté et n’a plus eu affaire au « Sebin » pendant les trois années suivantes.
Ce constat est par ailleurs confirmé par Monsieur A lui-même, en ce qu’il affirme dans son entretien que rien ne lui serait personnellement arrivé au cours de ces trois années1, de sorte que le tribunal est amené à retenir que les faits prédécrits ne sauraient être considérés comme ayant revêtu une importance telle que les demandeurs seraient, à l’heure actuelle, personnellement recherchés par les autorités vénézuéliennes.
S’agissant ensuite des faits qui se seraient produits en 2018, il échet de constater que les demandeurs ont quitté le Venezuela une première fois pour se rendre au Pérou en date du 5 mai 2018, et cela non pas en raison des menaces du « Sebin » prédécrites, mais eu égard au vécu de la sœur de Monsieur A. En effet, cette dernière aurait été forcée de dénoncer des personnes innocentes après être devenue témoin d’un attentat prétendument commis par les « colectivos ». Le tribunal constate que les faits ayant motivé le départ des demandeurs du Venezuela sont des faits non personnels.
A cet égard, le tribunal entend relever que des faits non personnels mais vécus par un tiers ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, respectivement de faire l’objet d’atteintes graves que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières2. A défaut par les demandeurs d’avoir étayé un lien concret entre ces faits et des éléments personnels les exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer dans leur chef des indices sérieux d’une crainte fondée de persécution ou d’atteintes graves.
Après avoir vécu et travaillé au Pérou pendant environ deux ans, les demandeurs sont volontairement retournés au Venezuela en date du 16 janvier 20203 pour séjourner chez la mère de Monsieur A à …. Il s’ensuit que tous les faits prédécrits, à savoir ceux vécus en 2015 par les demandeurs, ainsi que ceux subis par la sœur de Monsieur A en 2018, n’ont pas été considérés par les intéressés comme revêtant une importance telle, que cela les aurait empêchés de rentrer volontairement dans leur pays d’origine.
Enfin, s’agissant de l’incident du 4 février 2020, le tribunal partage l’appréciation du ministre selon laquelle les membres du « Sebin » qui se seraient introduits violemment dans le domicile de la mère de Monsieur A, n’avaient pas l’intention d’arrêter ce dernier pour motifs d’abandon de poste et de trahison de patrie, mais poursuivaient plutôt un but de lucre – constat, par ailleurs, confirmé par les déclarations du demandeur dans les termes suivants :
« Je crois qu’ils sont venus parce que j’avais quitté le pays. Je crois qu’ils venaient pour m’extorquer. Pour quelle raison vérifier ma maison ? J’imagine qu’ils cherchaient de l’argent. »4.
Dans ces circonstances, le tribunal retient que les faits, certes condamnables, du 4 février 2020 ne sont pas de nature à établir dans le chef des demandeurs l’existence d’une crainte fondée de persécutions, ni d’un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans leur pays d’origine, de sorte à ne pas justifier l’octroi à Monsieur A et à Madame A d’un statut de protection internationale.
1 page 10 du rapport d’entretien de Monsieur A.
2 Trib. adm., 10 janvier 2022, n° 27191 du rôle, Pas. adm. 2023 V° Etrangers, n° 193 et l’autre référence y citée.
3 page 4 du rapport d’entretien de Madame A.
4 page 11 du rapport d’entretien de Monsieur A.
La conclusion dégagée ci-avant, selon laquelle il n’y a pas de raison de penser que les demandeurs seraient encore actuellement dans le collimateur des autorités vénézuéliennes est corroborée par le fait que les demandeurs ont pu quitter le Venezuela officiellement depuis l’aéroport de Caracas en date du 19 février 2020, sans que les autorités ne les auraient empêchés de partir. Dans la mesure où le départ au Pérou en 2018 s’est, selon les déclarations des demandeurs, aussi déjà déroulé sans grande difficulté apparente, il échet de constater que le comportement adopté par les demandeurs n’est pas compatible avec celui d’une personne qui serait recherchée par les autorités vénézuéliennes pour être emprisonnée ou torturée.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent, qu’en l’état actuel du dossier, les craintes des demandeurs de se voir arrêter arbitrairement en cas de retour au Venezuela doivent être considérées comme étant hypothétiques et qu’ils sont restés en défaut de démontrer la réalité des persécutions et des atteintes graves qu’ils estiment risquer en cas de retour dans leur pays d’origine.
Par ailleurs, quant à la référence faite par les demandeurs à la situation générale régnant dans leur pays d’origine, force est de constater que si, certes, il ne peut être nié que le Venezuela connaît une situation sécuritaire problématique, notamment en raison de la violence criminelle de droit commun qui y est très répandue, il n’en reste pas moins qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que cette situation serait telle que tout ressortissant du Venezuela s’étant rendu en Europe et retournant dans son pays d’origine serait considéré comme un traître ou un opposant au régime en place et qu’il risquerait de ce fait de se retrouver dans le collimateur des autorités vénézuéliennes.
S’agissant plus particulièrement de l’argumentation des demandeurs ayant trait à l’existence, dans leur chef, d’un risque réel de subir des atteintes graves par leur seule présence sur le territoire vénézuélien et pour autant qu’ils aient visé par cette référence l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international », il échet tout d’abord de rappeler que cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire. Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH.5 Par ailleurs, il convient de relever que la CJUE a précisé dans le considérant 43 de son arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c. Pays-Bas », numéro C 465/07, que « […] l’article 15, sous c), de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de la même directive, doit être interprété en ce sens que :
- l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que ce dernier 5 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, paragraphe 28.
rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle ;
- l’existence de telles menaces peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours, apprécié par les autorités nationales compétentes saisies d’une demande de protection subsidiaire ou par les juridictions d’un État membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée, atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces. ».
Elle a également retenu, dans le considérant 39 du prédit arrêt, que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire ».
Le conflit armé interne a été défini par la CJUE dans son arrêt du 30 janvier 2014, « Diakité c. Belgique », numéro C-285/12, et plus particulièrement en son considérant 35, de la manière suivante : « […] lorsque les forces régulières d’un État affrontent un ou plusieurs groupes armés ou lorsque deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné. ».
Quant aux violences aveugles, elles ont été définies par la CJUE dans le susdit arrêt « Elgafaji c. Belgique », notamment dans les considérants 34 et 35, comme étant des violences qui s’étendent à des civils sans considération de leur situation personnelle ou de leur identité.
Or, si, tel que relevé ci-avant, il ne peut, certes, pas être nié que le Venezuela connaît une situation sécuritaire problématique, notamment en raison de la violence criminelle de droit commun qui y est très répandue, de sorte qu’il doit être admis qu’il y existe un certain degré de violence ciblée, il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que la situation sécuritaire au Venezuela serait telle qu’elle répondrait aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, tels que clarifiés par la jurisprudence de la CJUE, précitée.6 A défaut d’autres éléments et indépendamment de la question de la crédibilité du récit des intéressés, c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit aux demandes de protection internationale de Monsieur A et de Madame A, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire 6 Voir, en ce sens : trib. adm., 19 décembre 2022, n° 46741 du rôle, de même que Cour adm., 28 septembre 2021, n° 46128C du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 12 janvier 2023 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Les demandeurs sollicitent au niveau du dispositif de leur requête introductive la réformation de l’ordre de quitter le territoire, tandis que le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur A et de Madame A dans leur pays d’origine ne les expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 12 janvier 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 12 janvier 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juillet 2024 par :
Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 21