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10/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50690

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juillet 2024, 50690


Tribunal administratif N° 50690 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50690 1re chambre Inscrit le 4 juillet 2024 Audience publique du 10 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous de multiples alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50690 du rôle et déposée le 4 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Bénédicte DAOÛT-FEUERBACH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de lâ€

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Tribunal administratif N° 50690 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50690 1re chambre Inscrit le 4 juillet 2024 Audience publique du 10 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous de multiples alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50690 du rôle et déposée le 4 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Bénédicte DAOÛT-FEUERBACH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, connu sous de multiples alias, déclarant être « probablement né le … au … (probablement au Maroc) » et être de nationalité « indéterminée », actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 13 juin 2024 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 juillet 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Bénédicte DAOÛT-

FEUERBACH et Madame le délégué du gouvernement Hélène MASSARD en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juillet 2024.

Suivant un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, Commissariat C3R Luxembourg, du 13 avril 2022, référencé sous le numéro …, Monsieur …, connu sous de multiples alias, ci-après désigné par « Monsieur … », fut interpellé par les forces de l’ordre à cette même date et ne put, à cette occasion, présenter de document d’identité.

Suivant un rapport de la police grand-ducale, Région Centre-Est, Commissariat Museldall, du 7 mai 2022, référencé sous le numéro …, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle d’identité alors qu’il se trouvait dans une maison abandonnée. Il ne put, à cette occasion, présenter de document d’identité.

Il ressort des éléments du dossier administratif que Monsieur … fit l’objet d’un signalement dans la base de données du système d’information Schengen (SIS) en vue d’une « Arrestation/Remise/Extradition » jusqu’au 10 juin 2025, ainsi que dans la base de données SIRENE (« Supplément d’Information Requis à l’Entrée Nationale ») notamment pour tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique en France en 2020.

1 Une vérification faite le 27 juin 2022 dans les bases de données du Centre de coopération policière et douanière (CCPD) révéla, d’une part, que l’intéressé n’était pas connu en France et en Allemagne, mais en Belgique pour « meurtre », « disparition-fugue », « vol qualifié », « étranger illégal », « harcèlement », « chemin de fer » et « considéré comme dangereux dans toutes nos bases de données et haut potentiel d’évasion », et, d’autre part, que l’intéressé était signalé dans la base de données de l’International Criminal Police Organisation (INTERPOL).

Par ailleurs, il ressort d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg (« CPL ») du 14 juin 2022 qu’à cette date, Monsieur … y fut placé sous le statut de mineur après en avoir été préalablement libéré le même jour en tant que prévenu, un extrait établi par le service greffe du Centre pénitentiaire du Luxembourg (CPL) du 27 juin 2022 précisant que l’intéressé y faisait l’objet d’une mesure de garde provisoire.

Par jugement du 1er décembre 2022, inscrit sous le numéro … du rôle, le juge aux affaires familiales du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg rejeta la requête du litismandataire de Monsieur … en vue de sa désignation en tant qu’administrateur ad hoc de l’intéressé.

Il se dégage du relevé journalier du CPL du 14 février 2023 qu’à cette date, Monsieur … fut libéré.

Par un arrêté du 13 février 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

Par un arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification dudit arrêté, le recours contentieux introduit le 8 mars 2023 contre cette décision ayant fait l’objet d’un désistement acté par un jugement du tribunal administratif du 15 mars 2023, inscrit sous le numéro 48658 du rôle.

La susdite mesure de placement en rétention fut, par la suite, prorogée, chaque fois pour une durée supplémentaire d’un mois, par arrêtés ministériels des 13 mars, 13 avril, 11 mai et 13 juin 2023, notifiés respectivement les 14 mars, 14 avril, 12 mai et 14 juin 2023.

En date du 15 juin 2023, Monsieur … fut conduit par les forces de l’ordre devant le juge d’instruction près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg qui prit ce même jour une décision de maintien en détention à l’encontre de l’intéressé en vue de sa remise aux autorités françaises en exécution d’un mandat d’arrêt européen émis en date du 27 décembre 2021 du chef notamment de tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique, tel que cela ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Unité de garde et d’appui opérationnel, du 20 juin 2023, référencé sous le numéro …. Il ressort également dudit rapport que Monsieur … fut, ensuite, escorté au Centre pénitentiaire Ueschterhaff (« CPU »), lequel refusa l’admission de l’intéressé du fait de l’absence d’attestation médicale prouvant que l’intéressé serait majeur, de sorte que Monsieur … fut finalement reconduit au Centre de rétention le même jour.

2 Par un arrêté du 15 juin 2023, notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision.

Par un arrêté daté du 16 juin 2023, notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile rapporta la mesure de placement du 15 juin 2023, précitée, et ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision.

Par un jugement du tribunal administratif du 14 juillet 2023, inscrit sous le numéro 49138 du rôle, le recours contentieux introduit contre l’arrêté de placement en rétention, précité, du 16 juin 2023 fut rejeté.

Par arrêté du 14 juillet 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile prorogea le placement au Centre de rétention de l’intéressé une première fois pour une durée d’un mois avec effet au 16 juillet 2023. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 16 août 2023, inscrit sous le numéro 49282 du rôle.

Par arrêté du 10 août 2023, notifié à l’intéressé le 16 août 2023, le placement en rétention de Monsieur … fut prorogé une seconde fois pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 13 septembre 2023, inscrit sous le numéro 49391 du rôle.

Par arrêté du 14 septembre 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le placement en rétention de Monsieur … fut prorogé une troisième fois pour une durée d’un mois avec effet au 16 septembre 2023. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 2 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49469 du rôle.

Par arrêté du 13 octobre 2023, le placement en rétention de Monsieur … fut prorogé une quatrième fois pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté fut confirmé par un jugement du vice-président du tribunal administratif du 30 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49603 du rôle.

Par arrêté du 13 novembre 2023, le placement en rétention de Monsieur … fut prorogé une cinquième fois pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté fut confirmé par un jugement du président du tribunal administratif du 1er décembre 2023, inscrit sous le numéro 49736 du rôle.

En date du 15 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, désigné ci-après par « le ministre », ordonna au Centre de rétention de libérer Monsieur … avec effet immédiat.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, C2R Gare-Hollerich, du 15 décembre 2023, référencé sous le numéro …, que Monsieur … fit l’objet d’un contrôle d’identité à la gare de Luxembourg alors qu’il a essayé de prendre la fuite en apercevant des agents de police. Il ne put, à cette occasion, présenter de document d’identité et il s’avéra qu’il était recherché par les services d’INTERPOL.

3 Par un arrêté du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification dudit arrêté.

Par courrier du 20 décembre 2023, Monsieur …, déclarant être né le … et être de nationalité marocaine, informa le ministre qu’il voulait introduire une demande de protection internationale.

Par arrêté du 21 décembre 2023, notifié le même jour à l’intéressé, le ministre rapporta l’arrêté précité du 15 décembre 2023 et ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision sur base des articles 22, paragraphe (2), points a), b), c) et e) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Par décision du 8 février 2024, le ministre refusa de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur ….

Par arrêté du 14 mars 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre rapporta l’arrêté précité du 21 décembre 2023 et ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification dudit arrêté sur base des articles 100, 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ». Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu la décision de retour du 13 février 2023, assortie d'une interdiction d'entrée sur le territoire de 5 ans ;

Vu les antécédents judiciaires de l'intéressé ;

Vu le refus du 8 février 2024 concernant la demande de protection internationale de l'intéressé ;

Revu ma mesure de placement du 21 décembre 2023 ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant que l'identité de l'intéressé n'est pas établie ;

Considérant que l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public ;

Considérant que l'intéressé est considéré comme personne extrêmement dangereuse ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé alors qu'il ne dispose pas d'une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

4Le 12 avril 2024, Monsieur … introduisit un recours contentieux contre l’arrêté ministériel précité du 14 mars 2024, dont il se désista toutefois à travers un courrier déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 avril 2024 par son litismandataire. Par un jugement du tribunal administratif du 22 avril 2024, inscrit sous le numéro 50318 du rôle, le tribunal administratif déclara le désistement d’instance régulier et valable et constata la déchéance du recours.

Par arrêté du 11 avril 2024, notifié le lendemain à l’intéressé, le ministre prorogea le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 14 avril 2024. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 8 mai 2024, inscrit sous le numéro 50402 du rôle.

Par arrêté du 13 mai 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre prorogea le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une nouvelle durée d’un mois à compter de la notification. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 12 juin 2024, inscrit sous le numéro 50530 du rôle.

Par arrêté du 13 juin 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre prorogea le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une nouvelle durée d’un mois à compter de la notification, décision qui est libellée comme suit :

« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 14 mars, 11 avril 2024 et 13 mai 2024, notifiés le 14 mars, le 12 avril avec effet au 14 avril et le 14 mai 2024, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 14 mars 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; (…) ».

Par requête déposée le 4 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 13 juin 2024.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, et après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, le demandeur soulève que les motifs à la base de la mesure de placement déférée seraient stéréotypés et ne constitueraient pas une motivation « au sens de la loi ».

5 Après avoir cité l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait valoir que le placement en rétention devrait être considéré comme ultime moyen, alors que celui-ci porterait atteinte à sa liberté de mouvement et qu’il ne constituerait qu’une simple faculté non discrétionnaire pour le ministre, qui devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Après avoir cité l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur reproche encore au ministre d’avoir prolongé la mesure de placement en rétention prise à son égard, sans avoir considéré la possibilité d’ordonner des mesures moins coercitives, telles que son placement au sein de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, désignée ci-après par « la SHUK ».

Le demandeur conteste ensuite qu’il constituerait une menace à l’ordre public, laquelle devrait, tant suivant l’article 101, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, que suivant différents arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », être réelle, suffisamment grave et actuelle, et affecter un intérêt fondamental de la société. Dans le cadre de l’appréciation de cette notion, tout élément de fait ou de droit relatif à la situation de la personne concernée serait susceptible d’être pris en compte, le demandeur précisant encore que le seul fait que la personne concernée ait fait l’objet d’une condamnation pénale serait insuffisant pour caractériser un danger pour l’ordre public dans le chef de celle-

ci. Or, à cet égard, le demandeur souligne que s’il avait certes fait l’objet d’une condamnation pénale, aucune évaluation quant à un éventuel risque de récidive dans son chef n’aurait été faite en l’espèce.

Il donne encore à considérer qu’il occuperait actuellement une activité au service de ménage du Centre de rétention et qu’il donnerait, à ce titre, entière satisfaction.

Enfin, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir entrepris toutes les diligences requises pour procéder à son éloignement, en insistant sur le fait qu’il se trouverait au Centre de rétention depuis un an et quatre mois.

Au vu de tout ce qui précède, le demandeur conclut que la décision déférée devrait encourir la réformation.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d’une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève qu’aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, quoique non invoqué en l’espèce, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent 6formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision. Le ministre n’avait, dès lors, pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal précise qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement.

C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

7Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être mené à bien.

En l’espèce, tel que constaté par le prédit jugement du 12 juin 2024, il est constant que Monsieur … se trouve en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, étant relevé qu’une décision de retour, comportant une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans, a été prise à son encontre le 13 février 2023.

Il est encore constant en cause que Monsieur … est démuni de tout document d’identité et de voyage valable, de sorte qu’il ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 34, paragraphe (2), point 1 de la loi du 29 août 2008 qui requiert précisément d’un étranger de disposer notamment d’un passeport et, le cas échéant, d’un visa en cours de validité.

A défaut de toute contestation de la part du demandeur en ce sens, il en résulte l’existence dans son chef d’un risque de fuite, légalement présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), point 1. de la loi du 29 août 2008 si le ressortissant de pays tiers ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, l’intéressé n’ayant encore soumis aucun élément de nature à renverser cette présomption de risque de fuite.

Le ministre pouvait donc a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement et maintenir son placement, et ce indépendamment de la question de savoir si le demandeur constitue une menace pour l’ordre public. Les contestations du demandeur relatives à une absence de menace pour l’ordre public encourent partant le rejet.

S’agissant de l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait dû bénéficier de mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment d’une assignation à résidence, le tribunal relève que cette disposition légale prévoit ce qui suit :

« (1) Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

8b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que le demandeur reste en défaut de lui soumettre un quelconque élément concluant permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes y visées, et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article, à savoir l’assignation à résidence dont il se prévaut en l’espèce, s’impose.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur tendant à son assignation à résidence à la SHUK, alors que celle-ci ne saurait être considérée comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une assignation à résidence n’y serait pas concevable. A cela s’ajoute que le 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.

9demandeur ne dispose pas de passeport ou de document justificatif de son identité et qu’il n’a pas proposé le dépôt d’une garantie financière, de sorte à ne pas pouvoir bénéficier des mesures visées à l’article 125, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 29 août 2008.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

S’agissant ensuite des critiques du demandeur quant aux diligences entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal relève que dans son jugement, prémentionné, du 12 juin 2024, il a été retenu que, jusqu’à ce moment, le dispositif de l’éloignement était en cours et encore poursuivi avec la diligence légalement requise. Le tribunal a plus particulièrement constaté que suivant une note au dossier du 3 juin 2024, un entretien a eu lieu entre le directeur général de l’Immigration et le ministre, lequel a accepté de discuter du dossier de l’intéressé avec son homologue marocain en vue de l’identification et de la réadmission de Monsieur …, et de « ramener [ainsi] ce dossier au plus haut niveau ». Il en ressort également qu’en date du même jour, les services ministériels compétents ont contacté le ministère des Affaires étrangères – Direction des Affaires politiques afin d’organiser cette entrevue et que ladite Direction des Affaires politiques enverra, à cette fin, une « Note verbale » à l’Ambassade du Royaume du Maroc à Bruxelles.

S’agissant des démarches entreprises depuis lors, le tribunal constate qu’il ressort de la « Note verbale » du 20 juin 2024 du ministère des Affaires étrangères et européennes, de la Défense, de la Coopération et du Commerce extérieur que celui-ci a sollicité un « virtual courtesy call » entre le ministre et le ministre des affaires étrangères marocain concernant plus particulièrement « an urgent individual case of a person who represents a serious threat to the public security of the Grand Duchy of Luxembourg ».

Force est ainsi de constater, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères, que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder le plus rapidement possible à son éloignement du territoire luxembourgeois, étant encore relevé, tel qu’il résulte du jugement, prémentionné, du 12 juin 2024, qu’il ressort manifestement des éléments du dossier administratif que le demandeur est, à tout le moins partiellement, sinon essentiellement à l’origine des difficultés rencontrées par le ministre pour déterminer son identité, en se présentant sous différents alias et en refusant non seulement de révéler sa véritable identité, mais encore toute collaboration avec les autorités, ce qui explique, par ailleurs, la durée de sa rétention telle que critiquée par ses soins.

Au vu des considérations qui précèdent et au vu notamment du refus du demandeur de collaborer avec les autorités en vue de son identification, c’est à tort que celui-ci reproche un manque de diligences aux autorités luxembourgeoises qui sont, tel que relevé ci-avant, actuellement tributaires de la collaboration des autorités étrangères contactées en vue de son identification.

Le tribunal est partant amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

10Enfin, en ce qui concerne le reproche du demandeur selon lequel le ministre n’aurait pas pris en considération la circonstance qu’il exercerait actuellement une activité rémunérée au Centre de rétention, force est de constater que ledit moyen du demandeur n’est pas autrement précisé ni développé, de sorte que ce moyen simplement suggéré est à rejeter, étant donné qu’il n’incombe pas au tribunal de rechercher les éventuels argumentaires susceptibles de sous-

tendre un moyen non explicité.

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence de moyens à soulever d’office, la légalité et le bien-

fondé de la décision déférée ne portent pas à critique.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juillet 2024 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 50690
Date de la décision : 10/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-10;50690 ?

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