Tribunal administratif N° 48237 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48237 2e chambre Inscrit le 2 décembre 2022 Audience publique du 11 juillet 2024 Recours formé par Monsieur … et consorts, … (Pakistan), contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48237 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 2022 par Maître Cédric Schirrer, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Pakistan), de son épouse Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants … et …, tous de nationalité pakistanaise, demeurant ensemble à … (Pakistan), ayant élu domicile à l’étude de Maître Cédric Schirrer, préqualifié, sise à L-2611 Luxembourg, 51, route de Thionville, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 septembre 2022 portant refus d’accorder une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de Monsieur …, ainsi qu’un regroupement familial, sinon une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de son épouse, Madame …, et de ses enfants … et … ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2023 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 avril 2023 par Maître Cédric Schirrer, pour compte de ses mandants, préqualifiés ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en sa plaidoirie à l’audience publique du 6 mai 2024.
Par courrier de son litismandataire daté du 1er février 2022, Monsieur …, de nationalité pakistanaise, sollicita une autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ». Par ce même courrier du 1er février 2022, il introduisit également dans le chef de son épouse, Madame …, de ses enfants … et …, une demande de regroupement familial, ainsi qu’une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées, sur base respectivement des articles 69 et 78, paragraphe (1), point b) de la même loi.
1 Par courrier de son litismandataire daté du 24 mai 2022, Monsieur … fit introduire un recours gracieux contre le refus implicite de faire droit à ses demandes, tel qu’ayant découlé de l’absence de réponse de l’administration de plus de trois mois après l’introduction de la prédite demande.
Par décision du 27 septembre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », confirma son refus de faire droit à la demande d’autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de Monsieur …, ainsi que d’un regroupement familial, sinon d’une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de l’épouse et des deux enfants de celui-ci, ladite décision étant motivée comme suit :
« […] En mains votre recours gracieux du 24 mai 2022 concernant ma décision de refus implicite.
Après réexamen du dossier, je dois malheureusement vous informer que ma décision de refus reste maintenue.
Le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu'il peut vivre de ses seules ressources conformément à l'article 78, paragraphe (1) point a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration. Les ressources du demandeur sont évaluées par rapport à leur nature et leur régularité en application de l'article 7 du règlement grand-
ducal modifié du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008 précitée.
Les ressources provenant des intérêts et profits générés en tant qu'actionnaire gérant de la société … établie au Pakistan au montant équivalent de ….- Eur ne peuvent être considérés à elles seules ni comme régulières ni comme stables vu qu'ils sont soumis aux fluctuations du marché.
En ce qui concerne les avoirs en banque d'un montant total de …. - Eur auprès de l'institution bancaire : « … » de votre mandant, je me permets d'attirer votre attention sur le fait que cette somme est placée au Pakistan de même que la fortune totale évaluée équivalente à ….- Eur au Pakistan, il n'est donc pas prouvé que ces avoirs sont immédiatement accessibles et disponibles au Luxembourg.
Il est par ailleurs de notoriété publique que les standards en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme applicables en Pakistan diffèrent de ceux applicables au sein de l'Union européenne, de sorte que la légitimité de la provenance des fonds en question est, pour le moins, sujette à caution.
En outre, ces ressources ne peuvent être considérés comme ressources suffisantes, étant donné que vos mandants seraient amenés à vivre de ce capital, lequel diminuerait inéluctablement et rapidement. D'après les pièces envoyées, vos mandants ne perçoivent aucun revenu régulier et la régularité des ressources n'est donc pas prouvée.
Par ailleurs, votre demande ne me permet pas non plus de conclure que votre mandant entretient un lien particulier avec le Luxembourg. Le motif de cette demande d'autorisation de séjour temporaire reste donc pour le moins, sujette à caution.
2 Au vu de ce qui précède et étant donné qu'il n'y a pas de regroupant disposant d'un titre de séjour permettant de demander le regroupement familial, je ne peux pas non plus donner de suite favorable à votre demande de regroupement familial dans le chef de Madame … et leurs enfants … et ….
À titre subsidiaire, il n'est pas prouvé que votre mandant ou sa conjointe prouvent les conditions afin de bénéficier d'une autorisation de séjour à d'autres fins dont les différentes conditions sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août précitée.
Par conséquent, l'autorisation de séjour est refusée à Monsieur …, et à sa conjointe, Madame … et leurs enfants … et … sur base de l'article 101, paragraphe (1) point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 décembre 2022, les demandeurs ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre du 27 septembre 2022.
Aucune disposition légale n’instaurant de recours au fond en matière d’autorisations de séjour et de regroupement familial, le tribunal est valablement saisi du recours en annulation introduit contre la décision précitée du ministre du 27 septembre 2022, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs indiquent être de nationalité pakistanaise et résider au Pakistan avant de reprendre les rétroactes tels que présentés ci-avant.
En droit, après avoir cité l’article 78, paragraphes (1), point a) et (2) de la loi du 29 août 2008, ainsi que l’article 7 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommé le « règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 », les demandeurs expliquent que le législateur aurait créé l’autorisation de séjour pour raisons privées dans le but d’attirer des fortunes étrangères. Ils ajoutent que le pouvoir exécutif aurait fait preuve d’une volonté d’étendre le titre de séjour pour raisons privées en soumettant les personnes qui en feraient la demande à la seule condition financière qu’elles aient, comme ressources, au moins le salaire social minimum d’un travailleur non qualifié. Ils reprochent, à cet égard, à l’administration d’avoir « machinalement » refusé toute demande d’autorisation de séjour pour raisons privées depuis avril 2020.
En renvoyant à un arrêt de la Cour administrative du 16 décembre 2021, inscrit sous le numéro 46467C du rôle, les demandeurs font plaider que la Cour aurait clarifié les conditions pour l’obtention d’une autorisation de séjour pour raisons privées en retenant que ces conditions seraient purement financières, sans qu’il ne soit nécessaire de prouver des attaches ou des liens forts avec le Luxembourg, que l’administration aurait une obligation de collaboration active avec l’administré en vue de clarifier les doutes, que toute ressource financière devrait être prise en compte par l’administration, y compris celle se trouvant à l’étranger et qu’il n’existerait pas de « présomption d’opération de blanchiment » du seul fait de l’existence de fonds sur un compte bancaire se trouvant en Chine, tel que c’était le cas dans l’affaire dont elle a eu à connaître, ce qui s’appliquerait aussi par extension au Pakistan. Ils en concluent que lorsqu’un demandeur prouverait qu’il dispose de ressources financières 3suffisantes pour ne pas devenir une charge pour l’Etat luxembourgeois, il devrait se voir octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées.
Ils estiment d’ailleurs que la véritable raison du refus d’octroyer une telle autorisation résiderait dans le fait que l’administration ne souhaiterait plus accueillir « ce type » d’immigration, s’étant rendue compte qu’un nombre important de personnes serait susceptible de remplir les conditions prévues par l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008, ce qui se reflèterait à travers le projet de loi n° 7954 publié le 19 janvier 2022 visant à modifier ledit article en rendant plus restrictives les conditions d’octroi d’autorisations de séjour pour raisons privées, qui seraient désormais limitées aux personnes pouvant vivre de leurs ressources, à condition que celles-ci proviennent d’une activité professionnelle exercée dans un autre pays de l’Union européenne ou de l’espace Schengen ou si elles perçoivent une pension du Luxembourg ou de l’un de ces prédits pays. Ce projet de loi conforterait ainsi le fait que le ministre aurait procédé, par le biais de la décision litigieuse, à un véritable détournement de pouvoir en la matière.
En ce qui concerne la situation personnelle de Monsieur …, les demandeurs expliquent qu’ils auraient remis des documents qui prouveraient (i) qu’il serait propriétaire d’immeubles, actionnaire de société et salarié et qu’il percevrait un salaire annuel de … PKR, équivalent à … EUR, (ii) qu’il disposerait de diverses propriétés pour un patrimoine d’une valeur évaluée à … PKR, équivalent, en 2021, à … EUR et (iii) qu’il disposerait d’avoirs bancaires à hauteur de … PKR, équivalent à … EUR.
Les demandeurs en concluent qu’ils auraient non seulement apporté la preuve que Monsieur … percevrait un revenu supérieur au montant mensuel du salaire social minimum d’un travailleur non qualifié au Luxembourg, mais également celle qu’il disposerait de réserves conséquentes lui permettant largement de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Ils contestent encore que ses ressources « ne seraient pas disponibles et immédiatement accessibles », en rappelant que la Cour administrative, dans son arrêt du 16 décembre 2021, aurait retenu que le fait que le capital invoqué ne se trouverait pas sur un compte bancaire luxembourgeois, mais à l’étranger, ne saurait constituer un motif de rejet de la source de revenus en question. En outre, même à supposer que ses fonds se trouveraient actuellement bloqués, cette circonstance ne permettrait en tout état de cause pas à l’administration de refuser de tenir compte de telles ressources financières.
Enfin, en ce qui concerne le questionnement du ministre quant à la légitimité de la provenance des fonds dont disposerait Monsieur … et des standards pakistanais en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme, outre le caractère insultant envers le Pakistan et à son égard, ces allégations ministérielles seraient contestées et infondées alors qu’elles ne seraient basées sur aucun élément sérieux et ne sauraient servir de justification pour leur refuser une autorisation de séjour pour raisons privées.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs, pour appuyer leurs dires selon lesquels l’administration aurait « machinalement » refusé toute demande d’autorisation de séjour pour raisons privées depuis avril 2020, se réfèrent à diverses affaires qui seraient pendantes devant le tribunal administratif.
Les demandeurs contestent ensuite les montants en euros avancés par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, tout en exposant que les raisons pour lesquelles l’administration aurait décidé de reconvertir les montants de leurs ressources de la roupie 4pakistanaise à l’euro à la date du 23 décembre 2022, date qui ne correspondrait à aucun acte ou évènement, n’y seraient pas expliquées, alors que l’administration saurait pertinemment que leurs ressources devraient être appréciés au jour de l’introduction de leur demande.
Concernant leurs avoirs en compte, ils avancent que ceux-ci auraient simplement été écartés de l’analyse relative à leurs ressources, au motif que ces montants se trouveraient sur des comptes bancaires, sans qu’aucune autre explication à cet égard n’ait été fournie. Ils réitèrent que Monsieur … aurait pourtant notamment fourni (i) ses extraits bancaires sur deux années démontrant qu’il percevrait des revenus réguliers de différentes sources provenant de diverses personnes et entités, ce qui confirmerait ses déclarations selon lesquelles sa famille vivrait de rentes immobilières et mobilières et (ii) ses déclarations d’impôt et de patrimoine déposées au « Federal Board of Revenue » du Pakistan pour les années en question qui prouveraient non seulement ses divers revenus, mais également les propriétés que posséderait sa famille, constituées notamment de terres agricoles, de parts sociales et d’autres instruments.
Dans la mesure où ces pièces auraient été éditées par des instituts bancaires et par l’administration fiscale pakistanaise, leur authenticité et véracité ne sauraient raisonnablement être remises en question.
Quant aux déclarations de revenus de Monsieur …, les demandeurs, tout en admettant qu’il s’agit de déclarations personnelles de ce dernier, donnent à considérer qu’il serait peu probable qu’un administré décide de déclarer à l’administration fiscale des revenus imposables qu’il n’aurait pas perçus.
Pour ce qui est de la jurisprudence citée dans le cadre de la remise en question des ressources de Monsieur … en raison de son statut d’actionnaire, les demandeurs avancent que cette jurisprudence ne serait pas transposable au cas d’espèce, alors que dans ladite affaire, le requérant aurait cherché à prouver des revenus suffisants sur base d’une participation dans une société à responsabilité limitée, de sorte qu’il aurait été légitime de remettre en cause la viabilité de cet investissement et du retour que pouvait espérer le requérant dépendant de la survie de cette unique société. Les demandeurs donnent, dans ce contexte, à considérer que dans sa déclaration de patrimoine faite à l’administration fiscale pakistanaise, Monsieur … aurait fait état de plus de vingt propriétés immobilières et mobilières dans divers secteurs économiques et qu’il aurait manifestement procédé à des investissements conséquents et diversifiés, de sorte que leurs revenus ne dépendraient pas de la survie d’une seule société. Ainsi, même en cas de survenance de difficultés dans une des sociétés, ils pourraient continuer à percevoir les revenus provenant d’autres investissements, de sorte que leurs revenus seraient à considérer comme étant pérennes.
Les demandeurs en concluent que, dans la mesure où ils auraient apporté la preuve (i) de revenus réguliers dépassant le montant du salaire social minimal, (ii) d’actifs de plus de … EUR sur leurs comptes bancaires, et (iii) d’un patrimoine de près de … EUR, il ne saurait raisonnablement être soutenu qu’ils ne disposent pas de revenus suffisants pour vivre durant leur séjour à Luxembourg de leur seules ressources, de sorte qu’il n’existerait pas le moindre risque qu’ils fassent appel à l’aide sociale luxembourgeoise.
Concernant ensuite la question du logement, les demandeurs admettent qu’ils n’ont pas versé de contrat de bail à ce stade, tout en précisant, cependant, que le versement d’un tel contrat ne serait pas une condition préalable à l’obtention de l’autorisation de séjour sollicitée, alors qu’ils attendraient d’obtenir l’accord de l’administration et une date d’arrivée possible pour chercher un logement.
5 Ils donnent à considérer que le fait de leur imposer de conclure un contrat de bail et de supporter un loyer pour un logement pouvant accueillir cinq personnes pendant toute la durée de la procédure, à savoir depuis l’analyse par l’administration de leur demande et jusqu’au refus de ladite demande et ensuite durant toute la procédure contentieuse, serait une charge trop lourde que n’aurait pas voulue imposer le législateur.
Les demandeurs expliquent, à cet égard, qu’une fois que « l’accord de principe » serait donné par l’administration concernant l’autorisation de séjour sollicitée, ils se mettraient à la recherche d’un logement approprié et transmettraient alors une copie du contrat de bail y relatif à l’administration en vue de finaliser leur demande d’autorisation de séjour. Ils avancent que l’administration serait, dès lors, particulièrement malvenue de critiquer l’absence de logement, alors qu’elle en serait elle-même à l’origine. Cela ferait plusieurs années qu’elle refuserait, sans raison, toute demande de titre de séjour pour raisons privées. Ils expliquent, dans ce contexte, que toute personne déposant une telle demande d’autorisation saurait pertinemment qu’elle devrait louer un logement pendant près de 3 années, « jusqu’à ce que les tribunaux compétents lui donnent gain de cause », ce qui représenterait un budget d’environ 72.000,00 EUR, sans même que le logement en question n’abrite un quelconque occupant.
Les demandeurs font plaider que de toute façon, l’exigence relative à la condition d’un logement approprié serait contraire à l’article 40, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008, en ce que, suivant cette disposition légale, après l’obtention de l’autorisation temporaire, ils devraient encore se munir d’un logement approprié et s’enregistrer auprès de la commune endéans un délai de 3 mois après l’obtention de ladite l’autorisation de séjour. Comme la condition ayant trait à un logement approprié ne serait, dès lors, pas à apprécier au moment de la demande, mais au moment de la délivrance du titre de séjour après leur arrivée au Luxembourg, l’administration ne saurait tirer prétexte de l’absence d’un contrat de bail pour refuser une telle autorisation de séjour alors qu’il ne s’agirait que d’une simple formalité qu’ils rempliraient le jour où ils seront autorisés à séjourner au Luxembourg.
En ce qui concerne finalement les derniers motifs de l’autorité ministérielle relatifs « à la question du lien ou de l[eur] motivation à venir au Luxembourg » et d’un pouvoir discrétionnaire dont jouirait cette dernière pour refuser une telle autorisation, les demandeurs renvoient à la jurisprudence « citée ci-avant » qui serait constante et qui rappellerait que l’administration ne devrait pas tomber dans l’arbitraire, ni imposer des conditions supplémentaires non prévues par la loi.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour être non fondé.
A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant1, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.
Le tribunal relève ensuite que, dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative 1 Trib. adm., 31 mai 2006, n° 21060 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.
6querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée, dans les hypothèses où l’auteur de la décision dispose d’une telle marge d’appréciation, étant relevé que le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité2 appelant le juge administratif à opérer une balance valable et équilibrée des éléments en cause et à vérifier plus particulièrement si l’acte posé est proportionné à son but3.
En l’espèce, il convient de relever, tout d’abord, qu’à travers la décision litigieuse, le ministre a refusé l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées à Monsieur … sur base de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008, l’octroi de l’autorisation de séjour telle que sollicitée dans le chef de son épouse et de ses deux enfants, ainsi qu’un regroupement familial sollicité dans le chef de ces derniers et il a constaté qu’ils ne rempliraient, en outre, pas les conditions pour l’obtention d’une autorisation de séjour sur base de l’article 38 de la même loi.
Dans ce contexte, dans la mesure où les demandeurs n’ont formulé aucun moyen par rapport à l’affirmation du ministre selon laquelle aucune condition ne leur permettant de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont énumérées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 n’est remplie en l’espèce, ce volet de la décision n’a pas à être examiné par le tribunal.
Par ailleurs, si Monsieur … a initialement introduit, au nom et pour compte de son épouse et de ses deux enfants une demande de regroupement familial sur base de l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point b) de la même loi, force est de constater qu’aucun moyen n’a été développé en ce qui concerne ces deux dispositions et le refus y relatif.
En effet, il échet de relever, concernant le regroupement familial, qu’aucune mention n’en est faite dans le recours sous objet, de sorte que le tribunal est amené à retenir qu’il n’est pas saisi du volet de la décision ministérielle ayant trait à cette demande.
Le même constat s’impose en ce qui concerne la demande d’autorisation de séjour pour raisons privées introduite dans le chef de Madame … et des enfants … et …. En effet, seuls des éléments liés à la situation personnelle de Monsieur … sont fournis dans la requête introductive d’instance pour tenter de justifier que celui-ci remplirait les conditions de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008, sans qu’un quelconque argumentaire n’ait été fourni concernant l’autorisation de séjour pour raisons privées sollicitée et refusée dans le chef de son épouse et de ses enfants, sur le fondement de l’article 78, paragraphe (1), point b) de la même loi.
2 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 56 et les autres références y citées.
3 Cour adm., 12 janvier 2021, n° 44684C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 32 et les autres références y citées.
7 En ce qui concerne, ensuite, l’argumentation des demandeurs selon laquelle la décision litigieuse en ce qu’elle refuse de délivrer à Monsieur … une autorisation de séjour pour raisons privées serait à annuler pour détournement de pouvoir par le ministre qui refuserait d’octroyer systématiquement de telles autorisations, le tribunal est amené à constater qu’ils n’apportent aucun élément tangible à l’appui de leur argumentaire. Leurs affirmations restant à l’état d’allégations, le moyen afférent encourt le rejet pour ne pas être fondé.
Quant à l’article 78 de la loi du 29 août 2008, disposition qui serait, selon les demandeurs, violée dans la décision litigieuse, celui-ci dispose que « (1) A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées :
a) au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources ;
b) aux membres de la famille visés à l’article 76 ;
c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus ;
(2) Les personnes visées au paragraphe (1) qui précède doivent justifier disposer de ressources suffisantes telles que définies par règlement grand-ducal ».
Il ressort de l’article précité qu’afin de pouvoir prétendre à une autorisation de séjour pour raisons privées, un demandeur doit tout d’abord remplir cumulativement les conditions énumérées de manière générale aux premier et deuxième paragraphes de l’article 78 précité de la loi du 29 août 2008, c’est-à-dire (i) ne pas constituer de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, disposer de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, et (ii) disposer de ressources suffisantes.
Il y a tout d’abord lieu de constater qu’il n’est pas contesté que Monsieur … remplit la condition de ne pas constituer de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, ainsi que de disposer d’une assurance maladie, seules les conditions tenant à un logement approprié ainsi qu’à des ressources suffisantes étant litigieuses, en l’espèce, au vu des explications complémentaires fournies par la partie étatique dans son mémoire en réponse, étant précisé qu’il est de jurisprudence constante que l’administration peut utilement produire ou compléter les motifs postérieurement à la décision prise et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse4.
Le tribunal relève, ensuite, que les conditions énumérées de manière générale à l’article 78, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 sont cumulatives, de sorte que le fait qu’une seule de ces conditions n’est pas remplie est suffisante pour justifier un refus de l’autorisation de séjour y visée.
Or, en ce qui concerne plus particulièrement la condition ayant trait au logement approprié, le tribunal est amené à constater, à l’instar de la partie étatique, que les demandeurs 4 Cour adm., 20 décembre 2007, n° 22976C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse n° 95 et les autres références y citées.
8ne fournissent aucun document à cet égard. Force est, en outre, de constater que si ces derniers admettent que cette condition doit être remplie, ils affirment cependant que le versement d’un contrat de bail « n’est pas une condition préalable à l’obtention de l’autorisation alors [qu’ils] attend[raient] d’obtenir l’accord de l’administration et une date d’arrivée possible pour chercher un logement », affirmation qui ne saurait valoir en l’espèce, alors qu’il ressort des dispositions de l’article 78, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, précité, que le ministre n’accorde une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées que sous condition que le demandeur d’autorisation dispose d’un logement approprié, ce qui n’est, tel que l’admettent eux-mêmes les demandeurs, pas le cas en l’espèce.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’invocation d’une prétendue contrariété entre l’exigence relative à la condition d’un logement approprié telle qu’énoncée à l’article 78, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et l’article 40, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « Avant l’expiration d’un délai de trois mois, le ressortissant du pays tiers sollicite la délivrance de son titre de séjour en présentant au ministre, le récépissé de la déclaration d’arrivée établi par l’autorité communale, le certificat médical visé à l’article 41, paragraphe (3) et, le cas échéant, la preuve d’un logement approprié, si celle-ci est requise.
Lors de la demande en délivrance du titre de séjour, une taxe de délivrance est perçue dont le montant, calculé sur le coût administratif, sera fixé par règlement grand-ducal. ». En effet, ledit article 40 « n’a pas trait aux autorisations de séjour et à leur délivrance, mais il vise uniquement la délivrance matérielle des titres de séjour aux bénéficiaires d’une autorisation de séjour. Sous ce rapport, il traite de façon parfaitement identique tous les demandeurs de pareil titre, lesquels, pour parvenir à pareille délivrance, doivent présenter la preuve d’un logement approprié, chaque fois que cette condition est exigée par les différents régimes d’autorisation prévus 5».
C’est dès lors à bon droit que le ministre a refusé d’octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées à Monsieur …, telle que sollicitée sur le fondement de l’article 78, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008, de sorte que le recours en annulation, en ce qui concerne ledit refus, encourt le rejet pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant, une telle analyse devenant surabondante au vu du caractère cumulatif des conditions visées à l’article 78, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008.
Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 20.000 EUR telle que formulée par les demandeurs sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Quant à la demande de distraction des frais au profit du mandataire des demandeurs, il convient de rappeler qu’il ne saurait être donné suite à la demande en distraction des frais posés par le mandataire d’une partie, pareille façon de procéder n’étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative6.
Enfin, la demande des demandeurs tendant à voir ordonner l’exécution provisoire du présent jugement est également à rejeter, étant donné que le législateur n’a pas conféré au tribunal administratif le pouvoir d’ordonner l’exécution provisoire de ses jugements7.
5 Cour adm., 16 avril 2004, n° 50007C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
6 Trib. adm., 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1317 et les autres références y citées.
7 Trib. adm., 12 mai 1998, n° 10266 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
9 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 20.000 EUR telle que formulée par les demandeurs ;
rejette la demande en distraction des frais formulée par le mandataire des demandeurs ;
rejette la demande tendant à voir ordonner l’exécution provisoire du jugement ;
condamne les demandeurs aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 11 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 10