Tribunal administratif N° 49230 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49230 2e chambre Inscrit le 28 juillet 2023 Audience publique du 11 juillet 2024 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49230 du rôle et déposée le 28 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), et de Madame …, née le … à …, tous deux de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 juillet 2023 refusant de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en sa plaidoirie à l’audience publique du 18 mars 2024.
Le 5 janvier 2021, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section … et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
En date des 20 et 21 juillet 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Madame … fut entendue le 17 août 2021 pour les mêmes raisons.
Par décision du 13 juillet 2023, notifiée aux intéressés par lettre recommandée expédiée le 18 juillet 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa les consorts … que leurs demandes de protection internationale avaient été refuséescomme étant non fondées, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :
« […] J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites le 5 janvier 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant aux motifs de fuite En mains vos fiches de motifs remplies le jour de l’introduction de vos demandes de protection internationale, le rapport du Service de Police Judiciaire du 5 janvier 2021, votre rapport d’entretien, Monsieur, des 20 et 21 juillet 2021, et le vôtre Madame, du 17 août 2021, sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale.
Avant tout progrès en cause, il convient de noter qu’il ressort de votre dossier administratif que le Ministère des Affaires étrangères et européennes du Luxembourg, sur demande de votre fille …, vous a émis des premières autorisations de séjour temporaire -
membre de famille en février 2020, mais que vous n’avez donné aucune suite à ces autorisations et vous n’avez entamé aucune démarche afin de venir au Luxembourg. Des deuxièmes autorisations de séjour temporaire ont été émises en juillet 2020, qui, elles-aussi, sont restées sans suites de votre part. Ce n’est qu’après l’émission des troisièmes autorisations de séjour temporaire en novembre 2020, que vous avez finalement décidé de quitter l’Afghanistan et de rejoindre votre fille au Luxembourg.
Il ressort de vos dires Monsieur que vous n’avez pas donné suite aux deux premières « invitations » au motif qu’ « On vivait bien en Afghanistan. On a reçu deux fois des invitations.
C’est ma fille … qui m’avait envoyé des invitations. Les deux premières fois nous ne sommes pas venus et la troisième fois nous sommes venus parce que notre vie a été menacée » (p.6/16 du rapport d’entretien de Monsieur) et qu’« Après la première invitation de ma fille j’ai dit non, la deuxième j’ai dit non » (p.8/16 du rapport d’entretien de Monsieur).
Ceci étant dit, il ressort de votre dossier administratif que vous seriez de nationalité afghane, d’ethnie Hazara, de confession musulmane chiite et que vous auriez vécu à …, dans le district de … situé dans la province de …. Vous relatez que vos trois enfants vivent au Luxembourg depuis quelques années, deux étant bénéficiaires d’une protection internationale et le troisième étant entretemps devenu citoyen luxembourgeois.
Concernant vos craintes en cas de retour en Afghanistan, Monsieur, vous prétendez premièrement, avoir peur d’être tué par les Taliban au motif que vous auriez travaillé comme … et que vous auriez vendu du … aux soldats de l’ancienne armée afghane et aux policiers de l’ancien Etat afghan.
Vous expliquez plus particulièrement que votre quartier aurait été encerclé par les Taliban qui auraient menacé de l’attaquer, et que les habitants en auraient informé l’ancien Etat afghan et lui auraient demandé de les aider à défendre le quartier. L’ancien Etat afghan 2 aurait alors envoyé des militaires pour combattre. Vous indiquez que vous auriez détenu la seule … dans les alentours et de ce fait les soldats et policiers seraient venus chez vous pour acheter du …. Vous indiquez que les Taliban vous auraient demandé de ne plus leur vendre du …, mais que vous n’auriez pas pu vous permettre de faire une sélection parmi vos clients. Selon vos dires, les Taliban vous auraient alors accusé de soutenir l’Etat afghan. Vous précisez que vous auriez fréquemment reçu des menaces de mort de la part des Taliban sous forme de lettres de menaces que des personnes non autrement identifiées auraient jeté dans votre … par une petite fenêtre dans la porte. Vous auriez reçu ces menaces de mort de la part des Taliban pendant environ trois ans avant de quitter votre pays d’origine.
Vous ajoutez que les Taliban n’auraient pas mis en œuvre leur menaces, alors que l’ancien Etat afghan aurait surveillé et fermé les routes menant au quartier pour empêcher les Taliban d’y pénétrer. De plus, vous auriez toujours porté une arme, et qu’ « à cause de cette arme, ils avaient peur de réaliser leurs menaces » (p.10/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur). Vous ajoutez que vous auriez, à plusieurs reprises, porté plainte contre les Taliban à cause des menaces, mais que l’ancien Etat afghan vous aurait dit qu’il ne pourrait pas vous protéger.
Vous relatez encore avoir peur d’être tué par les Taliban, au motif que vous auriez aidé à surveiller le front pendant trois ans, comme tous les autres habitants du quartier. Vous expliquez que « J’allais pendant la nuit, j’y allais un jour sur deux pendant la nuit. On allait au front, si les talibans nous envahissaient nous étions obligés de nous battre contre eux » (p.11/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur) et qu’en réalité « Je ne faisais pas grand-
chose. Je surveillais. Je regardais pour voir si je voyais les talibans ou non » (p.11/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur). Vous précisez que l’ancien Etat afghan aurait donné l’ordre aux villageois de soutenir les soldats, sans vous obliger personnellement d’aller au front, mais que « C’était quelque chose de normal, tout le monde y aller. Personne m’a dit d’y aller. Quand on voyait que les autres habitants y allaient, on y allait aussi » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur).
Deuxièmement, vous invoquez la situation sécuritaire précaire à laquelle seraient exposés les Afghans d’ethnie Hazara et de confession musulmane chiite en Afghanistan. Vous mentionnez que « C’est un ordre religieux des talibans qu’il faut tuer les hazâras. C’est le chef d’Emarat Islami Afghanistan qui ordonne à ses subordonnés de tuer les hazâras. Une fois, ils ont même arrêté une quarantaine d’ouvriers, ils ont demandé qui était hazâra parmi les ouvriers et ils les ont fait sortir et ensuite ils les ont tués » (p.4/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur).
Troisièmement, vous indiquez qu’en cas de retour en Afghanistan vous seriez considérés comme mécréants et tués par les Taliban, au motif que vous auriez vécu en Europe.
Enfin, vous relatez que votre frère aurait été enlevé et tué par les Taliban, sans toutefois exprimer de crainte personnelle à ce sujet.
Madame, vous expliquez que votre époux auriez été propriétaire d’une … et que vous auriez été menacée. Vous ne sauriez pas donner plus de détails alors que vous ne vous souviendriez de rien.
3 À l’appui de vos demandes de protection internationale, vous présentez, Monsieur, votre carte d’identité afghane ainsi que votre passeport afghan, et vous Madame, votre passeport.
L’authenticité de la carte d’identité soumise n’a pas pu être confirmée par l’Unité de la Police à l’aéroport (ci-après « UPA ») en raison du manque de matériel de référence.
Toutefois, les passeports ont été déclaré authentiques par l’UPA.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des motifs de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.
Monsieur, vous expliquez qu’en cas de retour dans votre pays d’origine, vous seriez à risque d’être tué par les Taliban alors que vous auriez vendu du … à l’ancienne armée et aux policiers afghans et que vous auriez combattu les Taliban pour défendre votre village. Vous expliquez encore que votre vie serait en danger car vous seriez d’ethnie Hazara et que vous seriez considéré comme un mécréant.
Il y a tout d’abord lieu de signaler qu’il ressort de votre dossier administratif que vous avez quitté votre pays d’origine en décembre 2020. Vous expliquez également que vos problèmes avec les Taliban auraient commencé trois ans avant votre départ et plus particulièrement au moment où vous auriez défendu votre village contre les tentatives d’invasion menées par les Taliban, donc logiquement début 2018. Votre situation se serait aggravée en 2019, depuis que vous auriez vendu du … aux soldats et policiers de l’ancien régime afghan.
4 Il ressort également de votre dossier administratif que votre fille …, bénéficiaire d’une protection internationale au Luxembourg, a tenté, à plusieurs reprises de vous faire venir au Luxembourg par le biais du regroupement familial. Une première autorisation de séjour vous a été accordée en février 2020, donc exactement au moment où, selon vos propres dires, votre vie aurait déjà été en danger et que vous auriez été menacé de mort par les Taliban.
Néanmoins, vous n’avez pas entrepris la moindre démarche pour venir au Luxembourg. Une deuxième autorisation de séjour vous a été accordée en avril 2020, autorisation à laquelle vous n’avez pas non plus donné suite. Vous n’avez finalement décidé de venir au Luxembourg que suite à la troisième autorisation de séjour vous accordée fin 2020. Convié par l’agent en charge de votre entretien d’expliquer vos multiples refus de venir au Luxembourg vous déclarez qu’: « On vivait bien en Afghanistan. On a reçu deux invitations. C’est ma fille … qui m’avait envoyé des invitations. Les deux premières fois nous ne sommes pas venus et la troisième fois nous sommes venus parce que notre vie a été menacée » (page 6/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur).
Vous tentez donc sérieusement de faire croire aux autorités luxembourgeoises que vous auriez été menacé de mort par les Taliban et que vous auriez reçu des lettres de menace de mort pendant plusieurs années, mais que vous auriez néanmoins à deux reprises refusé l’occasion de venir en toute légalité au Luxembourg où vous auriez pu vivre en sécurité auprès des membres de votre famille. Il est évident que votre comportement, et surtout votre refus de venir rejoindre votre famille depuis février 2020 au Luxembourg prouve à suffisance que vous n’avez jamais été menacé par les Taliban et que votre vie n’était pas danger, mais que vous avez inventé un récit de toutes pièces afin d’augmenter vos chances de vous voir octroyer une protection internationale. Vous le confirmez d’ailleurs vous-même en expliquant que vous auriez bien vécu en Afghanistan.
Vous tentez certes de rectifier le coup en expliquant que votre situation se serait aggravée fin 2020 alors que les menaces seraient devenues plus nombreuses, or, cette tentative d’explication n’est absolument pas convaincante. En effet, force est tout d’abord de constater que vous n’êtes pas claire, tout au long de votre entretien avec l’agent ministériel, par rapport au nombre de lettres de menace que vous auriez reçues. Si, dans un premier temps vous expliquez que vous auriez reçu quotidiennement des lettres de menace (page 8/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur), vous changez par après de version en expliquant que vous n’auriez pas reçu tous les jours une telle lettre, mais que « c’était par exemple une lettre toutes les 2-3 semaines (page 10/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur). Vous relatez enfin qu’environ un mois avant votre départ vous auriez reçu des lettres de menace quotidiennement (page 10/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur).
Par ailleurs, vous n’êtes pas en mesure d’établir la véracité de vos dires par la moindre preuve. Nonobstant la version du nombre de lettres de menace reçues, il échet de retenir qu’au cours de ces trois ans, vous devriez avoir reçu des dizaines, voire des centaines de lettres de menace. Or, vous restez en défaut d’en verser une seule. Lorsque l’agent en charge de votre entretien vous demande si vous aviez ces lettres de menace, vous vous bornez à répondre « Non. Pourquoi devrai-je [sic] les avoir ?» (page 8/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur), réponse qui ne saurait évidemment pas justifier le fait que vous n’auriez pas pensé à garder au moins une des centaines de lettres de menace afin de prouver la véracité de vos dires.
Enfin, il convient encore de se poser la question de savoir comment les Taliban aurait pu vous menacer pendant deux, voire trois années, et pendant une certaine période même 5 quotidiennement, si, comme vous l’expliquez, les Taliban n’auraient pas été présents dans votre village et que vous auriez été en mesure de « les vaincre après leurs 3 tentatives d’invasion » (page 7/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur). Vous expliquez même que de temps un Taliban aurait réussi à entrer dans le village pour commettre un acte terroriste. Il est dès lors aberrant de croire que ce Taliban, qui aurait voulu commettre un acte terroriste, serait d’abord passé par votre … pour vous délivrer une lettre de menace avant de commettre un attentat suicide à un autre endroit.
Dans le même ordre d’idées, il est invraisemblable que les Taliban auraient déposé des menaces écrites dans votre … pendant deux, voire trois ans, et que malgré le fait que vous n’auriez pas donné suite aux exigences des Taliban, il ne vous serait jamais rien arrivé.
Eu égard à ce qui précède, force est de constater que vos déclarations sur ce point ne sont absolument pas crédibles et que vous tentez de dramatiser votre situation en ayant inventé une histoire autour de menaces de mort afin d’augmenter vos chances de vous voir octroyer une protection internationale. A toutes fins utiles, et à supposer véridique la présence des Taliban dans votre village, il convient de constater que vous avez vous-même estimé que votre situation en Afghanistan ne serait pas telle à y rendre une vie intolérable alors que vous avez refusé à deux reprises de venir au Luxembourg dans le cadre du regroupement familial.
Ce constat est d’ailleurs conforté par le fait que vous expliquez vous-même dans votre entretien que vous ne seriez pas venu au Luxembourg alors qu’ « On vivait bien en Afghanistan » (page 6/16 de votre rapport d’entretien, Monsieur) et que vous avez marqué sur votre fiche de motifs que vous seriez entre autres venu au Luxembourg en raison de la solitude.
Partant, le statut de réfugié ne saurait pas vous être accordé sur base des prétendues menaces proférées à votre encontre par les Taliban.
Monsieur, en ce qui concerne votre crainte d’être persécuté en raison de votre appartenance à l’ethnie Hazara et de votre confession musulmane chiite, il convient de noter qu’il ne ressort pas des informations à ma disposition que toutes les personnes de confession musulmane chiite respectivement d’ethnie Hazara seraient toutes à risque de devenir victimes de persécution en Afghanistan de par leur seule appartenance ethnique ou confession religieuse.
Il convient dès lors de faire une analyse des motifs individuels et personnels présentés par chaque demandeur de protection internationale. Or, Monsieur, vous vous bornez à faire état de considérations générales et ne faites référence à aucun risque, respectivement menace, qui vous toucherait personnellement et individuellement.
Il convient dès lors de constater que votre crainte est à qualifier de purement hypothétique. Or, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.
Ce constat est renforcé par le fait que, comme développé ci-dessus, vous n’avez manifestement vous-même pas estimé la situation comme étant d’une gravité suffisante pour quitter le pays, malgré la possibilité qui vous a été offerte par les différentes autorisations de séjour temporaire émises dans votre chef.
6 Enfin, concernant votre crainte d’être tué par les Taliban alors qu’ils considéreraient tous ceux qui auraient vécu en Europe comme étant des mécréants il échet de noter qu’il ne ressort pas des informations dont je dispose que le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan l’exposerait de manière systématique, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions ou à des atteintes graves de la part des Taliban.
Dans la mesure où, à nouveau, vous vous bornez à faire état de généralités et n’établissez aucunement que vous seriez dans leur collimateur à titre individuel, il convient de conclure que les craintes que vous exprimez sont, une fois de plus, purement hypothétiques. Or, comme susmentionné, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
Madame, dans le cadre de votre entretien, vous vous bornez à expliquer que votre époux aurait été propriétaire d’une … et que vous auriez été menacée par les Taliban. Vous ne sauriez pas donner plus détails alors que vous ne vous souviendriez de rien. Ainsi, vous répondes à quasiment l’ensemble des questions vous posées par « Je ne me souviens pas ».
Votre tentative de justification selon laquelle vous auriez des trous de mémoire, sinon que votre époux ne vous aurait rien raconté, ne saurait évidemment pas convaincre. En effet, si les Taliban avaient effectivement menacé votre époux et vous-même pendant plusieurs années, et si la situation avait été d’une telle gravité qu’une vie dans votre pays d’origine aurait été devenue intolérable, vous seriez évidemment en mesure de fournir les moindres informations.
Dans la mesure où vous restez en défaut de fournir le moindre élément personnel et concret pouvant établir un risque de persécution dans votre chef et dans la mesure où les déclarations des menaces proférées à l’encontre de votre époux en raison de son travail en tant que … ont été déclarées non crédibles, sinon non fondées, aucune protection internationale ne saurait vous être accordée. Le constat que vous n’étiez pas à risque en Afghanistan est d’ailleurs conforté par le fait que vous avez refusé à deux reprises, à l’instar de votre époux, de venir au Luxembourg dans le cadre de regroupement familial.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé non plus.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.
7 L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez vos demandes de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de vos demandes de reconnaissance du statut du réfugié.
Or, sur base des développements et conclusions retenues qui précèdent dans le cadre du rejet du statut de réfugié, vous n’invoquez aucun autre élément additionnel susceptible de rentrer dans le champ d’application de l’article 48 précité, et vous restez en défaut de faire état d’un risque réel de faire l’objet d’atteintes graves en cas de retour dans votre pays d’origine.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2023, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 13 juillet 2023, dans la seule mesure où elle porte refus de faire droit à leurs demandes de protection internationale.
En effet, bien que la décision en question comporte un ordre de quitter le territoire luxembourgeois endéans un délai de trente jours contre lequel est ouvert, au vœu de l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015, un recours en réformation qui doit être introduit, ensemble avec le recours en réformation dirigé contre la décision portant refus d’une protection internationale, à travers une seule et même requête introductive d’instance, la requête sous analyse ne contient aucun recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, aucun moyen n’ayant, par ailleurs, été invoqué dans le corps de la requête introductive d’instance pour remettre en cause le bien-fondé dudit ordre de quitter, de sorte que le tribunal n’en est pas saisi.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 13 juillet 2023, dans la seule mesure où elle refuse de faire droit aux demandes de protection internationale des consorts ….
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs affirment être de nationalité afghane, d’ethnie hazara et de confession musulmane chiite. Ils indiquent être arrivés sur le sol luxembourgeois par le biais d’une autorisation de séjour temporaire demandée par leur fille, Madame …, qui aurait obtenu une protection internationale au Luxembourg. En ce qui concernel’existence de premières autorisations de séjour temporaires auxquelles ils n’ont donné aucune suite, les demandeurs expliquent qu’ils auraient été attachés à leur vie en Afghanistan. Ils auraient ainsi été propriétaires d’une … à …, dans la province de …, qui leur aurait permis de subvenir convenablement à leurs besoins, ainsi que de plusieurs biens immobiliers. Leur vie paisible aurait néanmoins été écourtée et ils auraient été obligés de quitter leur pays d’origine par le biais de l’autorisation de séjour temporaire leur octroyée en novembre 2020. En effet, ils auraient été en danger pour avoir vendu du … à l’armée afghane et aux policiers de l’ancien Etat afghan, qui seraient les ennemis actuels des autorités talibanes, les demandeurs renvoyant dans ce contexte à leurs déclarations respectives faites devant l’agent du ministère en charge de leur entretien dans le cadre de leurs demandes de protection internationale respectives.
En droit, les demandeurs font valoir que la décision ministérielle sous analyse devrait être réformée pour violation de la loi, notamment de l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés, respectivement pour erreur manifeste d’appréciation des faits.
A cet égard, ils rappellent que la notion de crainte prévue à la Convention de Genève devrait être qualifiée de raisonnable lorsqu’elle est basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile et que cette crainte découle du manquement de l’Etat d’origine dudit demandeur de remplir ses obligations de protection vis-
à-vis de ses citoyens, lesquelles résulteraient de la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, désignée ci-après par « la DUDH », obligations auxquelles le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, désigné ci-après par « le PICP », aurait donné « force obligatoire », de sorte que la mise en cause de ces droits civils et politiques constituerait une persécution.
Dans ce contexte, les demandeurs estiment que leurs droits tels qu’énumérés dans la DUDH et dans le PICP auraient été violés dans leur pays d’origine, de sorte que le ministre aurait fait une appréciation erronée des faits de l’espèce en retenant que ces mêmes faits ne justifieraient pas, dans leur chef, une crainte fondée de persécution en raison de leur appartenance à « un groupe social vulnérable », dans la mesure où ils éprouveraient une menace réelle d’être persécutés par les autorités de leur pays d’origine, en raison de leur appartenance ethnique et religieuse, de l’appartenance de Madame … à un groupe social vulnérable qui l’exposerait à un danger réel en tant que femme en Afghanistan, ainsi qu’en tant qu’épouse d’un homme accusé d’avoir travaillé pour des « mécréants ».
Après avoir indiqué qu’il y aurait une situation prolongée de guerre civile dans leur pays d’origine, les demandeurs font valoir qu’ils seraient Hazara, une ethnie qui serait persécutée depuis de nombreuses années par les Pachtounes et les talibans, avant de préciser qu’ « il assume pleinement ne pas avoir de religion ». Ils estiment que l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », combiné aux articles 2, 5, 6 et 13 de cette même Convention, seraient d’application, au vu de l’actualité se déroulant en Afghanistan, notamment en ce qui concernerait les Hazaras. Ils renvoient dans ce contexte à un communiqué de presse du 12 septembre 2022, publié par le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’Homme (OHCHR), intitulé « Le Conseil des droits de l’homme se penche sur la situation des droits humains, en particulier ceux des femmes et des filles, en Afghanistan », à un article de l’Organisation suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) du 25 décembre 2022, intitulé« Afghanistan : derniers développements », à un article de Brown Political Review du 13 novembre 2022, intitulé « Taliban Takeover in Afghanistan Leaves Hazaras Uniquely Vulnerable » et à un article de Human Rights Watch du 31 octobre 2022, intitulé « CPI : Le travail d’enquête sur l’Afghanistan peut reprendre ». Ils en concluent qu’en raison du comportement de Monsieur …, celui-ci serait considéré comme opposant politique au régime actuel des talibans, fondé sur des valeurs religieuses strictes, à savoir une application extrémiste et rigoureuse de la loi islamique qui ne tolèrerait aucune opposition.
Les demandeurs prennent ensuite position sur le manque de crédibilité de leurs récits que le ministre aurait mis en avant. En premier lieu, ils expliquent, à ce propos, que les menaces qu’ils auraient reçues seraient réelles. En effet, ils seraient âgés et auraient vécu l’intégralité de leur vie en Afghanistan, et de ce fait, ils n’auraient jamais eu la volonté ou l’occasion de vivre en dehors de leur culture. Ils auraient ainsi tenté par tous les moyens de garder leur rythme de vie au sein de leur pays d’origine, mais en raison de la situation y régnant, ils auraient été obligés, dès l’arrivée des talibans, de tout laisser et de s’enfuir pour sauver leurs vies. Ils reprochent, dans ce contexte, au ministre de ne pas avoir pris en compte la singularité de leur situation personnelle. En deuxième lieu, ils contestent le fait que leurs récits manqueraient de clarté. Ils soutiennent que le ministre aurait dû analyser leur situation en prenant en compte leur particulière vulnérabilité, à savoir le fait qu’ils seraient âgés, auraient été peu ou pas scolarisés, auraient vécu des situations traumatisantes et ne seraient jamais sortis de leur pays d’origine avant d’avoir été contraints de rejoindre le Grand-Duché du Luxembourg.
L’ensemble de ces éléments auraient dû être pris en compte par l’autorité ministérielle lors de l’appréciation des difficultés qu’ils auraient éprouvées dans le cadre de leurs auditions respectives. Il serait ainsi évident qu’ils ne disposeraient pas d’une diction et d’un raisonnement suffisamment élaborés pour relater des faits traumatisants et versent à cet effet un certificat médical qui établirait que Madame … bénéficierait d’un suivi psychologique, suite aux traumatismes vécus en Afghanistan. Ils concluent qu’ils devraient voir s’appliquer le principe du bénéfice du doute, alors qu’ils auraient collaboré de toute bonne foi avec l’autorité ministérielle en apportant des photos quant à l’opposition politique de Monsieur ….
Concernant cette opposition politique, les demandeurs font valoir qu’il s’agirait d’un deuxième motif qui les aurait conduits à fuir leur pays d’origine, à savoir l’engagement politique de Monsieur … contre les forces talibanes, en aidant les anciennes autorités afghanes à les combattre. Il leur serait ainsi impossible de retourner en Afghanistan, dans la mesure où Monsieur … se serait expressément et publiquement engagé contre les autorités actuellement au pouvoir, de sorte qu’il serait considéré comme étant un opposant politique des talibans et qu’il risquerait de ce fait de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. Il regrette d’ailleurs que son frère, qui aurait été enlevé, ait subi les conséquences de son opposition « constante » envers les talibans. Madame …, quant à elle, serait « indirectement victime de son statut d’opposant politique », dans la mesure où les talibans ne feraient pas de différences entre les opposants et leur famille. A l’appui de leur argumentaire, les demandeurs citent un rapport de l’OSAR, dont les références ne sont pas fournies, ainsi que l’article du Brown Political Review, précité, pour soutenir que leurs récits seraient cohérents et crédibles et démontreraient que leurs craintes d’être « emprisonnés et de subir des traitements inhumains et dégradants, tels que des coups de fouet, de la privation de nourriture et de sommeil, des simulations de noyade, ou encore tous autres actes de barbarie physique » seraient réelles et fondées.
Les demandeurs estiment ensuite que la condition tenant à l’existence d’actes revêtant une gravité suffisante conformément à l’article 42 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et celle tenant à la nature des actes au sens de l’article 42 (2) de ladite loi, seraient remplies en l’espèce, tout en rappelant à cet égard qu’ils auraient subi des violences mentales en raison desmenaces de mort reçues, ainsi que de l’enlèvement du frère de Monsieur …. Ils insistent encore sur le fait que Monsieur … aurait continuellement agi à l’encontre des lois et mœurs défendues par les autorités talibanes, ce qui serait constitutif d’un acte d’opposition contre elles et donc comme l’expression d’une conviction politique et religieuse.
Concernant la situation plus particulière de Madame …, les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir pris en compte son appartenance à un groupe social vulnérable, en tant que femme hazara et s’appuient, à cet effet, sur un arrêt de la Cour administrative du 16 mars 2023, inscrit sous le numéro 48022 du rôle. Ils concluent qu’ils devraient se voir octroyer le statut de « réfugié politique, sinon la protection internationale ».
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens. Il insiste plus particulièrement sur le fait que le récit des demandeurs relatif aux menaces des talibans ne serait pas crédible et qu’ils auraient dramatisé leur vécu pour augmenter leurs chances d’obtenir une protection internationale. Par ailleurs, il estime que les demandeurs auraient eux-mêmes considéré que ces menaces n’auraient pas rendu leurs vies intolérables, étant donné qu’ils auraient refusé à deux reprises de venir au Luxembourg dans le cadre d’un regroupement familial. Il reproche, dans ce contexte, aux demandeurs de ne pas avoir pris position par rapport aux diverses incohérences qui auraient été soulevées par la partie étatique dans leur récit et soutient que le ministre aurait bien pris en compte leur situation personnelle dans son analyse, mais que ni leur âge ni leur manque de scolarisation ne justifierait qu’ils se perdent dans des « incohérences insensées ». Il en conclut que le bénéfice du doute ne pourrait pas leur être appliqué et que le ministre aurait, à raison, remis en cause la crédibilité du récit de Monsieur … concernant les prétendues menaces proférées à son encontre par les talibans.
Le délégué du gouvernement soutient ensuite que l’engagement politique de Monsieur … ne serait pas prouvé et qu’en outre, le fait qu’il ait décidé de rester dans son pays d’origine pendant deux ans après les combats en 2018, et ceci malgré les deux possibilités lui offertes par le regroupement familial, constituerait une preuve que les talibans ne l’auraient pas considéré comme étant un opposant politique.
Concernant l’appartenance ethnique et religieuse des demandeurs, le délégué du gouvernement fait valoir que, dans la mesure où, en général, les Hazaras ne seraient pas à risque de devenir victimes de persécutions de par leur seule appartenance ethnique ou confession religieuse et vu qu’ils n’auraient pas mentionné de faits personnels à cet égard, leurs craintes y relatives seraient purement hypothétiques. Il en serait de même des craintes de Monsieur … d’être tué par les talibans pour avoir vécu en Europe.
Quant aux craintes de Madame …, le délégué du gouvernement soutient qu’elle n’aurait fourni aucun élément personnel et concret pouvant établir un risque de persécution dans son chef. Il ajoute qu’elle n’aurait pas précisé le groupe social auquel elle appartiendrait, qu’elle ne démontrerait pas craindre une persécution fondée sur le genre tout en renvoyant, dans ce contexte, à un jugement du tribunal administratif du 21 juin 2021, inscrit sous le numéro 44049 du rôle, ayant retenu que la situation des femmes afghanes ne serait pas, à elle-seule, suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Il affirme que la demanderesse ne présenterait pas un vécu crédible, et qu’en tout état de cause, elle ne serait pas à considérer comme une femme « seule » en cas de retour en Afghanistan alors qu’elle n’y retournerait pas sans Monsieur ….
Enfin, il estime que Madame … n’aurait prouvé ni les traumatismes subis ni ses problèmes de mémoire, tout en soutenant que le certificat versé par cette dernière ne serait pas suffisant.
Au vu de toutes ces considérations, le délégué du gouvernement conclut que le ministre aurait, à bon droit, refusé d’octroyer une protection internationale aux consorts ….
Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
12 (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Concernant, à titre liminaire, la crainte des demandeurs de subir des représailles de la part des talibans pour assumer « pleinement ne pas avoir de religion », le tribunal constate que ce motif constitue manifestement une erreur matérielle alors qu’il n’a aucun lien avec les déclarations faites par les consorts … dans le cadre de leurs auditions respectives devant l’agent ministériel, voire avec les développements contenus dans leur recours, de sorte qu’il ne sera pas analysé.
Ensuite, il échet de relever que les demandeurs invoquent, en l’espèce, des craintes de subir des persécutions de la part des talibans en raison (i) des opinions politiques qui leur seraient imputées pour avoir fourni du … aux agents étatiques de l’époque, (ii) de la participation de Monsieur … à la protection de son village en combattant les talibans aux côtés de l’ancien Etat afghan, (iii) de leur appartenance à l’ethnie hazara et de leur confession religieuse chiite et (iv) de l’appartenance de Madame … à « un groupe social vulnérable ».
En ce qui concerne, tout d’abord, le premier motif invoqué par les consorts …, la partie étatique est arrivée à la conclusion que leur récit y relatif ne serait pas crédible.
Il convient, à cet égard, de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’analyse du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
Il y a encore lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doitbénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.
Or, le tribunal est amené à constater que si le récit de Madame … est certes lacunaire, cette dernière a cependant répété tout au long de son entretien et à plusieurs reprises qu’elle avait des problèmes de mémoire, au point de ne pas se souvenir des dates de naissance de ses enfants, du prénom de son père et des prénom et nom de sa mère, que son mari ne partagerait pas ses soucis avec elle et qu’il lui disait qu’elle n’avait pas, en tant que femme, à se préoccuper des problèmes rencontrés avec les talibans à la …2, de sorte qu’il ne saurait lui être reproché un défaut de crédibilité pour ne pas avoir su répondre aux questions lui posées. Il échet également de constater qu’elle s’appuie exclusivement sur le récit de son époux.
A cet égard, en ce qui concerne les déclarations de Monsieur …, force est au tribunal de constater (i) que celles-ci sont dans l’ensemble cohérentes et ne sont contredites ni dans ses auditions ni par des informations générales et spécifiques que le ministre aurait trouvées, et (ii) que la partie étatique se base surtout sur des éléments subjectifs, à savoir le fait que les demandeurs n’aient pas quitté leur pays d’origine pour se rendre au Luxembourg suite aux deux premières autorisations fournies dans le cadre du regroupement familial, pour considérer qu’ils ne feraient pas état de craintes fondées de persécutions vis-à-vis des talibans en raison de l’activité du demandeur dans sa …. Monsieur … a toutefois expliqué à ce propos, tant lors de ses entretiens relatifs à sa demande de protection internationale que dans la requête introductive d’instance, que son épouse et lui-même souhaitaient absolument se maintenir dans leur pays d’origine pour y avoir vécu toute leur vie et en raison de leur âge mais que, suite à la recrudescence des menaces de mort de la part des talibans, à l’enlèvement de son frère et à l’absence de protection de la part des autorités afghanes de l’époque, ils s’étaient sentis obligés de fuir l’Afghanistan, fournissant ainsi des explications plausibles au vu de la situation personnelle des demandeurs. Par ailleurs, si le ministre leur reproche d’avoir quitté ledit pays en raison d’un sentiment de solitude, force est de constater que les demandeurs ont inscrit, dans la fiche remplie lors du dépôt de leurs demandes de protection internationale, qu’« A cause de la solitude et des talibans nous avons quitté notre pays », de sorte que c’est à tort que le ministre s’est focalisé sur la première partie de leur phrase pour retenir un défaut de crédibilité de leur récit dans leur chef.
Partant, le tribunal est amené à constater que le récit de Monsieur … est crédible dans sa globalité, de sorte qu’il prendra en considération les déclarations de ce dernier en ce qui concerne les menaces de mort reçues de la part des talibans en raison de son activité de …, étant d’ores et déjà précisé que, bien que le ministre n’a pas tenu compte des prédits faits dans son analyse, il a néanmoins examiné au fond les demandes de protection internationale des consorts … et que le tribunal, saisi en tant que juge de la réformation, dispose de la compétence de statuer 1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.
2 Page 5 du rapport d’audition de la demanderesse. à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée3.
Il convient de vérifier, ensuite, si l’activité commerciale de Monsieur … a un lien avec les motifs prévus dans la Convention de Genève, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance du demandeur à un certain groupe social.
Force est de retenir que ladite activité commerciale s’inscrit sur la toile de fond des opinions politiques imputées à Monsieur … par les talibans pour avoir fourni du … aux soldats et à la police de l’ancien régime afghan, soit à leurs ennemis de l’époque. Les talibans lui ont d’ailleurs reproché de vendre du … aux militaires et de ce fait, de soutenir « un Etat américain, mécréant et non islamique »4, de sorte à tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève.
En ce qui concerne la gravité des persécutions dont font état les demandeurs, force est de relever que la définition de la notion de « réfugié » contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Dans ce contexte, si Monsieur … indique avoir reçu plusieurs menaces de mort non suivies d’effet pendant plusieurs années, de sorte qu’elles pourraient a priori être considérées comme n’étant pas suffisamment graves au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, il y a néanmoins lieu de relever que le demandeur a précisé qu’avant son arrivée au Luxembourg, il disposait d’une certaine protection, alors que les forces afghanes de l’époque protégeaient son village composé exclusivement de Hazaras et que les villageois, dont lui-
même, se relayaient au front aux côtés des prédites forces pour leur venir en aide et empêcher les talibans d’entrer dans leur village5, et que pour ces raisons, les menaces étaient écrites par des membres des talibans se trouvant à l’intérieur de son village « de manière clandestine », qui étaient contactés par les talibans pour les enjoindre d’écrire les lettres de menaces6.
Par ailleurs, Monsieur … a précisé que les menaces reçues étaient devenues plus récurrentes et plus graves « 1 mois - 25 jours avant [son] départ »7 d’Afghanistan, et que lesdites menaces mentionnaient la commission d’un attentat à son encontre, de sorte qu’il aurait craint de subir le même sort que son frère qui avait été enlevé par les talibans8.
Ainsi, dans la mesure où les talibans ont pris le pouvoir en août 2021 et ont donc librement accès à leur village, il échet de constater que les prédits éléments laissent présager 3 Cour adm., 6 mai 2008, n° 23341C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.
4 Page 9 du rapport d’audition du demandeur.
5 Pages 10-11 du rapport d’audition du demandeur.
6 Page 11 du rapport d’audition du demandeur.
7 Pages 9 et 10 du rapport d’audition du demandeur.
8 Page 9 et 14 du rapport d’audition du demandeur.que les talibans pourraient persécuter les demandeurs en cas de retour dans leur pays d’origine en raison des opinions politiques leur imputées, de sorte que les craintes de persécutions des consorts … vis-à-vis des talibans sont fondées et actuelles. Cette analyse est confortée par l’attestation rédigée par Monsieur …, imam du district, en date du 24 octobre 2023 dans laquelle il informe les demandeurs qu’après la prise de pouvoir des talibans, leur magasin a été pillé et leur … mise sous scellés et que les talibans chercheraient activement « à obtenir des informations détaillées sur [leurs] sources de revenus et d’approvisionnement dans le but de [les] arrêter », et il leur recommande de rester où ils se trouvent pour éviter « de tomber entre les mains de ce groupe cruel » au risque qu’ils n’auraient « que peu de chances de survivre », ainsi que par l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge du 27 avril 2023, versé par les demandeurs, dans lequel il a retenu que « […] la proximité du requérant avec un ancien membre du gouvernement afghan ainsi que son appartenance ethnique Hazara sont présentés par l’Agence de l’Union européenne pour l’Asile […] sont deux facteurs identifiés comme profils à risque dans le document “Country Guidance” de novembre 2021 […] »9 avant d’accorder le statut de réfugié à l’intéressé.
Etant donné qu’ils craignent avec raison pour leur vie et leur intégrité physique, les conditions ayant trait à la gravité des persécutions encourues par les demandeurs sont également remplies au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015.
Enfin, en ce qui concerne la protection à laquelle les demandeurs peuvent prétendre dans leur pays d’origine, force est de relever que depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021, la situation au niveau étatique en Afghanistan a fondamentalement changé, les talibans composant à présent l’Etat afghan, de sorte que les consorts … ne peuvent espérer aucune protection étatique de leur part, dans la mesure où ils sont à considérer comme étant des acteurs de persécution au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.
Partant, il ressort de l’ensemble de ces considérations, et sans qu’il ne soit nécessaire d’analyser les autres faits à la base des demandes de protection internationale des consorts …, qu’il existe dans leur chef une crainte fondée de subir en cas de retour dans leur pays d’origine des persécutions de la part des talibans pour des motifs politiques.
Quant à la possibilité d’une fuite interne, celle-ci ne saurait exister qu’au vu du respect d’une double condition consistant en l’absence, dans une partie du pays d’origine, de toute raison de craindre d’être persécuté et en la présence de raisons permettant au ministre d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays. Il appartient, dès lors, au ministre d’identifier une zone sûre, accessible tant en pratique que légalement pour le demandeur, pour ensuite, une fois cette zone dûment identifiée, procéder à l’examen de la protection disponible contre la persécution et examiner le caractère pertinent et raisonnable de l’alternative proposée en fonction du profil de la personne concernée, étant en tout état de cause souligné qu’il incombe au ministre, sinon de prouver positivement l’absence de tout risque, du moins d’examiner et d’énoncer de manière plausible pour quelles raisons il estime devoir et pouvoir, dans le contexte et pour les causes visées à l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, refuser la protection internationale : le ministre ne peut pas s’emparer d’un défaut par le demandeur d’établir l’impossibilité de la fuite interne, en mettant ainsi la charge de la preuve du côté du demandeur de protection internationale10.
9 Conseil du contentieux des étrangers belge, 27 avril 2023, inscrit sous le n° 288 215 du rôle.
10 Trib. adm., 13 juillet 2009, n° 25558 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 164 et les autres références y citées.Le tribunal constate à cet égard que, alors que la charge de la preuve lui revient, le ministre n’a pas indiqué de zone sûre où les consorts … pourraient effectivement et matériellement recourir à une fuite interne au sens de l’article 41 (1) de la loi du 18 décembre 2015.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le ministre a refusé, à tort, d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié, de sorte que la décision déférée encourt la réformation en ce sens, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser le bien-fondé des demandes des consorts … tendant à l’obtention de la protection subsidiaire, cet examen devenant surabondant.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 13 juillet 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond le déclare justifié, partant par réformation de la décision ministérielle du 13 juillet 2023, reconnaît à Monsieur … et à Madame … le statut de réfugié et renvoie l’affaire devant le ministre actuellement compétent en prosécution de cause ;
condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 11 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 17