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12/07/2024 | LUXEMBOURG | N°8986,47357

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2024, 8986,47357


Tribunal administratif N° 8986 et 47357 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:8986+47357 4e chambre Inscrits les 7 octobre 1993 et 26 avril 2022 Audience publique du 12 juillet 2024 Recours formés par Madame …, … contre deux décisions du ministre d’Etat en matière de résiliation de stage

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JUGEMENT

I.

Vu la requête, inscrite sous le numéro 8986 du rôle et déposée le 7 octobre 1993 au secrétariat du comité du contentieux du Conseil d’Etat par Maître

Jean-Jacques Schonckert, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif N° 8986 et 47357 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:8986+47357 4e chambre Inscrits les 7 octobre 1993 et 26 avril 2022 Audience publique du 12 juillet 2024 Recours formés par Madame …, … contre deux décisions du ministre d’Etat en matière de résiliation de stage

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JUGEMENT

I.

Vu la requête, inscrite sous le numéro 8986 du rôle et déposée le 7 octobre 1993 au secrétariat du comité du contentieux du Conseil d’Etat par Maître Jean-Jacques Schonckert, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre d’Etat du 25 juin 1990 portant résiliation de son stage avec effet au 1er août 1990, ainsi que de la décision confirmative du 13 septembre 1990 intervenue sur recours gracieux du 9 juillet 1990 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au secrétariat du comité du contentieux du Conseil d’Etat en date du 18 avril 1994 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 octobre 2022 par Maître François Moyse, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom et pour le compte de Madame … ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 47357 du rôle et déposée le 26 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître François Moyse, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une « décision non datée » du ministre d’Etat portant résiliation de son stage avec effet au 1er août 1990 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 septembre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 octobre 2022 par Maître François Moyse, préqualifié, au nom et pour le compte de Madame … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2022 ;

1I. + II.

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Laurent Heisten, en remplacement de Maître François Moyse, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff Reckinger en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 juin 2024.

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Madame … fut admise au stage dans la carrière de l’expéditionnaire à l’administration des … avec effet au 1er octobre 1987.

Par arrêté du ministre des Finances du 18 mai 1988, Madame … fut transférée à l’administration des … à partir du 16 mai 1988.

Par arrêté ministériel du 9 septembre 1988, le stage de Madame … auprès de l’administration des … fut prorogé jusqu’au 30 septembre 1989.

Par arrêté ministériel du 29 septembre 1989, Madame … fut transférée d’office de l’administration des … à l’administration gouvernementale ou elle fut affectée au ministère du … à partir du 1er octobre 1989.

Par arrêté du ministre d’Etat, ci-après désigné par « le ministre », du 5 février 1990, le stage de Madame … fut prorogé pour une durée d’une année à partir du 1er octobre 1989.

Par courrier du 29 mai 1990, le ministre du … proposa au ministre de procéder à la résiliation du stage de Madame … sur base des motifs et considérations suivants :

« (…) Me référant à l'affaire reprise sous rubrique je tiens à vous informer qu'en face du comportement de plus en plus insupportable de Mlle … je me dois de vous proposer le recours au licenciement dudit stagiaire et ceci conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat :

"le licenciement du stagiaire peut intervenir à tout moment, l'intéressé entendu en ses explications. Sauf dans le cas d'un licenciement pour motifs graves, le stagiaire a droit à un préavis d'un mois".

Cette mesure fort grave s'impose en raison de toute une ribambelle de faits qui se sont déroulés les dernières semaines et que veuillez trouver ci-après.

1. Refus d'ordre En vue de ses attributions futures au sein du Ministère - informer les administrés sur les dispositions en matière d'…, d'autorisations de construire etc. - il a été prévu à ce que Mlle … fasse un stage, pour une période temporaire (1 mois) au Service des …. En outre ce stage aurait permis de décharger quelque peu les autres fonctionnaires jusqu'à l'arrivée du personnel demandé.

Mlle … a alors clairement refusé de se rendre audit service et a annoncé qu'au cas où cette décision serait maintenue elle produirait des certificats de maladie, ce qu'elle a d'ailleurs 2fait et ceci une première fois pour la semaine du 14 au 18 mai. Depuis Mlle … n'a pas repris son service.

Ceci constitue indubitablement un refus d'ordre et est à considérer comme atteinte à l'article 9 du statut général du fonctionnaire qui dispose que: "Il (le fonctionnaire) doit de même se conformer aux instructions du Gouvernement qui ont pour objet l'accomplissement régulier de ses devoirs ainsi qu'aux ordres de service de ses supérieurs." 2. Calomnies et diffamations à l'encontre de ses supérieurs et collègues.

Mlle … ne cesse de semer la zizanie parmi le personnel du Ministère … en racontant des mensonges fort graves sur l'intégralité du personnel et même sur certains membres du Ministère de l'Intérieur.

Mlle … a même l'audace de faire le tour des ministères afin d'assurer une diffusion adéquate de ses calomnies et diffamations.

Elle porte ainsi atteinte aux dispositions de l'article 10 paragraphe 1 alinéa 2 qui dispose que :

"Il (le fonctionnaire) est tenu à la politesse, tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues ou subordonnés que dans ses rapports avec le public".

3. Sorties non autorisées Comme le montrent les pièces annexées, Mlle … présentait pour la semaine du 14 au 18 mai 1990 un certificat qui ne portait aucune mention relative à une autorisation de sortie.

Ce n'est qu'un rectificatif du deuxième certificat pour la semaine du 21 au 25 mai 1990 qui prévoit une telle autorisation.

Or il se fait que pendant la première semaine la stagiaire a rôdé à plusieurs reprises en dehors des heures de bureau dans les locaux du Ministère de l'Intérieur et du Ministère de la Famille et de la Solidarité.

Mademoiselle … se trouvait par conséquent en infraction avec les dispositions de l'article 17 du règlement grand-ducal du 22 août 1985 fixant le régime des congés des fonctionnaires et employés de l'Etat qui dispose que :

"Pour toute incapacité de travail dépassant 3 jours, l'agent doit présenter un certificat médical mentionnant la durée de l'incapacité de travail, le lieu du traitement, et, le cas échéant, les heures de sortie…." Tous ces faits me semblent justifier le licenciement pour motifs graves de Mlle … qui devra par conséquent quitter les services de l'Etat avec effet immédiat. (…) ».

Après que Madame … fut entendue par le ministre du … en date du 11 juin 1990, le ministre informa cette dernière, par courrier du 25 juin 1990, de la résiliation de son stage avec effet à partir du 1er août 1990 dans les termes suivants :

« (…) Après examen du dossier constitué au sujet de votre comportement pendant la 3période de stage à l'administration gouvernementale, et compte tenu de la proposition du Ministre … , je suis au regret de devoir vous signaler que votre stage est résilié avec effet à partir du 1er août 1990.

En effet, le licenciement est motivé par le fait que vous avez contrevenu à plusieurs dispositions du statut général des fonctionnaires de l'Etat, contraventions qui vous ont été d'ailleurs signalées à plusieurs reprises par vos supérieurs hiérarchiques. (…) ».

Le recours gracieux de Madame …, introduit par un courrier de son litismandataire de l’époque du 9 juillet 1990, et ayant fait l’objet d’un rappel en date du 13 août 1990, fut rejeté par une décision ministérielle du 13 septembre 1990 dans les termes suivants :

« (…) Revenant à votre courrier du 9 juillet, respectivement du 13 août 1990 concernant la résiliation du stage de Mlle …, je vous transmets en annexe la prise de position de Monsieur le Ministre … , accompagnée des rapports détaillés de Messieurs …, …, … et ….

Alors que ces rapports me semblent répondre de façon explicite aux différents points soulevés dans vos lettres, je ne puis que me rallier aux précisions contenues dans la lettre du Ministre … au sujet de la régularité de la procédure suivie dans la présente affaire. (…) ».

Par requête déposée au secrétariat du comité du contentieux du Conseil d’Etat le 7 octobre 1993, Madame … fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision, précitée, du ministre du 25 juin 1990 portant résiliation de son stage avec effet au 1er août 1990, ainsi que de la décision confirmative du 13 septembre 1990 intervenue sur recours gracieux du 9 juillet 1990.

Il se dégage des éléments du dossier et des divers échanges y figurant que le précédent litismandataire de Madame …, par courrier du 13 décembre 1993, s’était enquis auprès du secrétaire du comité du contentieux du Conseil d’Etat de la date de fixation de l’affaire sous rubrique.

Par courrier du 19 avril 1994, le secrétaire du comité du contentieux du Conseil d’Etat informa le précédent litismandataire de Madame … du dépôt du mémoire en réponse du délégué du gouvernement effectué le même jour.

Par courrier déposé au secrétariat du comité du contentieux du Conseil d’Etat en date du 4 mai 1994, le précédent litismandataire de Madame … informa le Conseil d’Etat de son dépôt de mandat.

Par courrier du secrétaire du comité du contentieux du Conseil d’Etat du 8 juillet 1994, Madame … fut informée que son recours, appelé pour contrôle à l’audience du 22 juin 1994, fut refixé pour contrôle à l’audience du 12 octobre 1994.

Par courrier déposé au secrétariat du comité du contentieux du Conseil d’Etat le 11 octobre 1994, Madame … demanda au Conseil d’Etat de ne pas classer son dossier, au motif qu’elle serait encore à la recherche d’un nouvel avocat pour assurer la défense de ses intérêts dans le cadre du recours sous examen.

4 Par courrier du secrétaire du comité du contentieux du Conseil d’Etat du 8 novembre 1994, Madame … fut informée que son recours, appelé pour contrôle à l’audience du 12 octobre 1994, fut refixé pour contrôle à l’audience du 22 février 1995.

Par courrier déposé au secrétariat du comité du contentieux du Conseil d’Etat le 21 février 1995, Madame … demanda au Conseil d’Etat de refixer son affaire, au motif qu’elle serait toujours à la recherche d’un nouvel avocat.

Par courrier du secrétaire du comité du contentieux du Conseil d’Etat du 21 mars 1995, Madame … fut informée que son recours, appelé pour contrôle à l’audience du 22 février 1995, fut refixé pour contrôle à l’audience du 18 octobre 1995 avant d’avoir été, lors d’une audience du 8 novembre 1995, mise au rôle général.

L’affaire de Madame … fut appelée pour fixation à l’audience du tribunal administratif du 20 décembre 1999, lors de laquelle elle fut refixée, pour fixation, à l’audience du 13 mars 2000.

Par courrier déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 1999, Madame … sollicita la refixation de son affaire au rôle général au motif qu’elle n’avait toujours pas trouvé d’avocat pour la représenter.

Par courrier du 11 mars 2000, Madame … sollicita à nouveau à ce que son affaire soit, lors de l’audience du 13 mars 2000, mise au rôle générale en attendant qu’elle trouve un avocat pour défendre ses intérêts.

Lors de l’audience de fixation du 13 mars 2000, l’affaire de Madame … fut de nouveau mise au rôle général.

Par courrier du 13 juillet 2002, Madame … demanda à nouveau à ce que son affaire soit maintenue au rôle général, ce qui fut fait lors de l’audience du tribunal administratif du 15 juillet 2002.

Par courrier du 11 août 2020, Madame … sollicita du greffe du tribunal administratif la communication des pièces déposées par son litismandataire de l’époque à l’appui de son recours du 7 octobre 1993.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2022, inscrit sous le numéro 47357 du rôle, Madame … fit encore introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une « décision non datée » du ministre d’Etat portant résiliation de son stage avec effet au 1er août 1990.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2022, le délégué du gouvernement demanda au tribunal administratif de constater la péremption du recours introduit par Madame … en date du 7 octobre 1993 et inscrit sous le numéro 8986 du rôle.

Dans le cadre de son recours inscrit sous le numéro 47357 du rôle, ainsi que dans ses mémoires en réplique déposés dans les affaires portant les numéros 8986, respectivement 47357 du rôle, Madame … sollicite la jonction desdites affaires.

5A titre liminaire, le tribunal doit constater que bien que la requérante, dans son recours inscrit sous le numéro 47357 du rôle, vise une décision non datée du ministre portant résiliation de son stage avec effet au 1er août 1990, elle a clairement visé la décision ministérielle du 25 juin 1990, au regard, d’une part, des pièces versées à l’appui dudit recours, dont notamment une copie de la prédite décision où la partie supérieure de la page manque, alors que tant l’emblème étatique que la date y sont coupés et, d’autre part, de la confirmation expresse de la partie requérante, telle que ressortant de son mémoire en réplique déposé dans le prédit rôle le 21 octobre 2022.

Les deux recours étant dirigés contre la même décision du ministre, le recours inscrit sous le numéro 8986 du rôle visant, par ailleurs, encore la décision purement confirmative de refus du 13 septembre 1990, suite au recours gracieux de Madame … du 9 juillet 1990, il y a lieu, dans un souci de bonne administration de la justice, de joindre les deux rôles et d’y statuer par un seul et même jugement.

Dans son mémoire en réponse, déposé dans le recours inscrit sous le numéro 47357 du rôle, la partie étatique a soulevé l’absence d’intérêt à agir dans le chef de Madame … en soutenant que celle-ci aurait montré un désintérêt manifeste à poursuivre la procédure introduite auprès du comité du contentieux du Conseil d’Etat, alors que suite au dépôt de mandat de son précédent litismandataire, son affaire, après quatre refixations pour contrôle, aurait été mise au rôle général du tribunal en 2000. La partie étatique précise encore, dans ce contexte, qu’aucun acte de procédure ne serait intervenu depuis plus de vingt ans, ce qui l’aurait amenée à solliciter, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2022, la péremption de l’instance.

Sur base d’un jugement du tribunal administratif du 17 janvier 2022, inscrit sous le numéro 20906 du rôle, ainsi qu’au regard du fait que Madame … n’aurait pas jugé utile de poursuivre l’affaire inscrite sous le numéro 8986, tout en ayant introduit, en date du 26 avril 2022, un nouveau recours à l’encontre de la même décision, la partie étatique argumente que Madame … n’aurait plus d’intérêt concret et personnel suffisant pour voir statuer sur ses demandes visant les décisions ministérielles des 25 juin 1990 et 13 septembre 1990 quant à la résiliation de son stage avec effet à partir du 1er août 1990, les deux recours étant à déclarer irrecevables pour défaut « d’objet ».

Le délégué du gouvernement se prévaut finalement, dans ce contexte, d’un jugement du tribunal administratif du 3 janvier 2018, inscrit sous le numéro 38590 du rôle, ayant retenu que même en l’absence d’indication des voies de recours dans une décision, ayant a priori comme conséquence qu’aucun délai de recours n’ait commencé à courir, le fait d'avoir connaissance d'une décision pendant une longue période de temps sans exercer son droit de recours fait perdre ce droit au destinataire de la décision alors qu'on ne saurait indéfiniment remettre en question une situation consolidée par l'effet du temps.

Madame … réfute le moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie étatique et tiré d’un défaut d’intérêt à agir dans son chef en faisant valoir qu’au regard de la circonstance que son stage aurait été résilié avec effet à partir du 1er août 1990, les décisions litigieuses affecteraient directement sa situation personnelle, de sorte qu’en raison de l'existence incontestable de l'atteinte à ses intérêts privés, du fait des décisions litigieuses, elle pourrait se prévaloir d'un intérêt personnel et direct pour introduire un recours à l’encontre desdites décisions.

6Madame …, dans son mémoire en réplique déposé dans l’affaire inscrite sous le numéro 47357 du rôle, conteste encore l’argumentation étatique consistant à soutenir qu’elle aurait abandonné son affaire introduite le 7 octobre 1993. Elle donne, dans ce contexte, à considérer que suite au dépôt de mandat de son précédent litismandataire, elle n’aurait plus eu d’informations au sujet de son recours du 7 octobre 1993 et qu’elle aurait dû chercher un nouvel avocat, la représentation par un litismandataire étant obligatoire devant les juridictions administratives. Par ailleurs, la circonstance d’avoir sollicité un avis juridique en 2015 au sujet de la résiliation de son stage établirait clairement qu’elle n’aurait jamais eu l’intention d’abandonner son affaire introduite en date du 7 octobre 1993.

Sur base de ces considérations, Madame … conclut à la subsistance d’un intérêt à agir dans son chef et partant au rejet du moyen d’irrecevabilité afférent soulevé par la partie étatique.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement maintient son moyen d’irrecevabilité tiré d’un défaut d’intérêt à agir dans le chef de Madame … en réfutant l’argumentation de cette dernière d’avoir gardé un intérêt à agir du fait de ses recherches de trouver un nouvel avocat pour la représenter, respectivement du fait d’avoir sollicité un avis juridique en 2015 quant aux chances de réussite d’un éventuel recours contre les décisions litigieuses, dans la mesure où elle serait restée inactive pendant 25 ans. La partie étatique conteste encore les affirmations de Madame … selon lesquelles cette dernière aurait ignoré le sort réservé à son recours introduit le 7 octobre 1993 devant le comité du contentieux du Conseil d’Etat, alors qu’elle aurait pu s’enquérir auprès du greffe du tribunal administratif, respectivement auprès de son précédent litismandataire.

Force est au tribunal de relever que se pose, en l’espèce, la question du maintien, dans le chef de Madame …, d’un intérêt à agir, et plus particulièrement d’un intérêt actuel à voir sanctionnés les actes faisant l’objet des recours sous analyse par leur annulation.

Le tribunal est tout d’abord amené à préciser que la recevabilité d’un recours est conditionnée en principe par l’existence et la subsistance d’un objet, qui s’apprécie du moment de l’introduction du recours jusqu’au prononcé du jugement, sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, les juridictions administratives n’ayant pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations1, ainsi que sous peine, le cas échéant, outre d’encombrer le rôle des juridictions administratives, d’entraver la bonne marche des services publics, en imposant à l’autorité compétente de se justifier inutilement devant les juridictions administratives et en exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier.

L’exigence de la subsistance de l’objet du recours est en général liée à l’exigence du maintien de l’intérêt à agir, et plus particulièrement de l’intérêt à voir sanctionner l’acte faisant l’objet du recours, étant précisé que l’existence d’un tel intérêt à agir présuppose que la censure de l’acte querellé soit de nature à procurer au demandeur une satisfaction personnelle et certaine2. Ainsi, le recours en annulation, recevable pour avoir rencontré notamment la condition de l’intérêt à agir au moment de son introduction, devient sans objet en cours 1 Trib. adm. 14 janvier 2009, n° 22029 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 65 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 20 octobre 2010, n° 26758 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 33 et les autres références y citées.

7d’instance contentieuse lorsque le demandeur est resté en défaut d’établir, voir seulement d’alléguer un quelconque avantage que l’annulation de l’acte litigieux pourrait lui procurer3.

Or, la première personne à déterminer s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande : non seulement il estime qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés, mais il considère que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès4.

Si cette volonté vient à disparaître en cours de procès, il n’est potentiellement plus satisfait à la condition qui doit être remplie en tout premier lieu pour que l’on puisse admettre que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite5. Cette première condition n’étant plus remplie, il y a lieu d’en conclure que le recours devient sans objet.

Or, le défaut de volonté de maintenir une demande peut résulter de la persistance avec laquelle le justiciable s’abstient de toute marque d’intérêt pour le déroulement du procès qu’il a engagé6. Cette absence de toute marque d’intérêt constitue dès lors un motif suffisant pour décider que l’intérêt requis en droit pour obtenir une décision sur la demande n’existe plus et qu’à défaut de cet intérêt, le recours doit être rejeté.

En l’espèce, le tribunal constate tout d’abord que suite au dépôt, en date du 4 mai 1994, de son mandat par le prédécesseur de l’actuel litismandataire de Madame …, celle-ci n’a manifesté plus aucun intérêt en relation avec l’affaire en cause, alors que, tel que retracé ci-

avant, celle-ci s’est limitée à solliciter, dans un premier temps, la refixation pour contrôle de son affaire, en indiquant être à la recherche d’un nouvel avocat afin de poursuivre son affaire, pour ensuite, après que son affaire fut mise au rôle général le 8 novembre 1995, demander son maintien au rôle général, étant relevé que Madame … a uniquement indiqué, dans son dernier courrier du 13 juillet 2002, de « (…) retenir l’affaire au rôle général (…) » sans fournir de raison à la base de sa demande. Suite à ce dernier courrier du 13 juillet 2002, Madame … ne s’est plus manifesté auprès du tribunal administratif si ce n’est que pour solliciter du greffe du tribunal administratif, par un courrier du 11 août 2020, la communication des pièces de son dossier, sans avancer une quelconque explication quant à cette démarche, avant de faire déposer le 26 avril 2022, par le biais de son nouveau litismandataire, le recours inscrit sous le numéro 47357 du rôle, contre la même décision ministérielle du 25 juin 1990.

Il s’ensuit que de par l’attitude affichée par Madame … depuis le dépôt de mandat de la part son ancien litismandataire en mai 1994, celle-ci doit être considérée comme n’ayant pas 3 Trib. adm. 6 octobre 2004, n°17642 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 61 et les autres références y citées.

4 Trib. adm. 11 mai 2016, n°35579 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n°34 et les autres références y citées.

5 Idem 6 Voir notamment Conseil d’Etat belge, 6 avril 1982, n° 22183.

8témoigné le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de l’instance qu’elle a mue par sa requête introductive d’instance du 7 octobre 1993.

Ce constat se trouve corroboré par le fait que la demanderesse n’est pas en mesure d’expliquer dans quelle mesure, à l’heure actuelle, soit plus de 30 ans après la prise des actes litigieux et l’introduction d’un recours contentieux à l’encontre desdits actes, l’annulation de ceux-ci pourrait encore lui procurer une satisfaction personnelle et certaine.

Cette conclusion n’est, par ailleurs, pas remise en cause par la circonstance que Madame … avait sollicité un avis juridique en 2015 auprès d’un avocat quant à la régularité et la légalité de la résiliation de stage intervenu le 25 juin 1990, sans, par ailleurs, réserver une quelconque suite contentieuse audit avis.

En tout état de cause, le tribunal doit encore relever que le principe de sécurité juridique implique qu’un administré ne peut plus remettre en cause, sans condition de délai, des situations consolidées par l’effet du temps. Ainsi, ce principe, nonobstant la question d’un défaut d’indication dans une décision administrative des voies de recours, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle ayant été notifiée à son destinataire ou dont il a eu connaissance de manière certaine7. En vertu de ce principe, le tribunal est amené à retenir que Madame … n’était au moment de l’introduction du recours inscrit sous le numéro 47357 du rôle, plus recevable à introduire un recours contre la décision du 25 juin 1990, soit depuis plus de trente ans après la prise de ladite décision, dont elle a nécessairement eu connaissance plus particulièrement pour avoir déjà introduit, le 7 octobre 1993, un recours auprès du comité du contentieux du Conseil d’Etat à l’encontre du même acte.

A titre superfétatoire, il échet de préciser, quant au recours inscrit sous le numéro 47357 du rôle, qui vise la même décision que le recours inscrit sous le numéro 8986 du rôle, que si un recours complémentaire peut a priori se concevoir lorsqu'il tend à compléter l'objet d'un premier recours, notamment en matière de réformation, lorsqu'il tend par exemple à compléter la portée de la réformation sollicitée, il n'en est pas de même lorsque le recours complémentaire n'a pour seul objet que de produire, en sus du contenu du recours initial et du mémoire en réplique du demandeur, des nouveaux moyens, sans que le recours ne poursuive per se un quelconque objet autonome. Un tel recours ne constitue, sous la qualification artificielle de « recours », qu'un mémoire complémentaire pris en violation de l'article 7, alinéa 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », qui limite à deux le nombre de mémoires par partie, en ce compris la requête introductive d’instance. Le fait que ce prétendu recours ait été déposé dans le délai légal de recours n'énerve pas cette conclusion. En effet, un tel raisonnement équivaudrait à devoir accepter, en présence d'une décision à l'égard de laquelle a priori aucun délai ne court - s'agissant par exemple d'une décision implicite ou d'une décision qui aurait omis d'indiquer les voies et délai de recours - qu'un demandeur complète indéfiniment son recours initial par de multiples recours complémentaires, violant de la sorte non seulement l'article 7, alinéa 1er de la loi du 21 juin 1999, mais encore la ratio legis de cette loi, à savoir la recherche et la garantie d'une prompte évacuation des litiges pendant devant les juridictions administratives, et portant gravement atteinte à la sécurité juridique indispensable à l'action de l'administration, en prolongeant indûment le débat juridique8.

7 Conseil d’Etat belge, 13 juillet 2016, M.A.B., n° 387763, A.

8 Trib. Adm., 30 avril 2008, nos 22862, 22958 et 23252 du rôle, Pas adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 531 et les autres références y citées.

9Au vu de toutes les considérations qui précèdent, les recours sous examen sont à rejeter pour avoir perdu, respectivement pour être dépourvu de tout objet au motif que Madame … a perdu tout intérêt à agir contre les actes déférés.

Eu égard à l’issue du litige, la demande de Madame … tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000.- euros sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 est également à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

ordonne la jonction des affaires inscrites sous les numéros 8986 et 47357 du rôle pour y être statué par un seul et même jugement ;

déclare les recours irrecevables ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par Madame … ;

condamne Madame … aux frais et dépens des deux rôles.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 juillet 2024 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 8986,47357
Date de la décision : 12/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-12;8986.47357 ?

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