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15/07/2024 | LUXEMBOURG | N°48688

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 juillet 2024, 48688


Tribunal administratif N° 48688 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48688 2e chambre Inscrit le 14 mars 2023 Audience publique du 15 juillet 2024 Recours formé par Madame …,… (France), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48688 du rôle et déposée le 14 mars 2023 au greffe du tribunal administratif par Madame …, demeurant à F-… (France

), …, dirigée contre une décision du directeur de l’administration des Contributions direc...

Tribunal administratif N° 48688 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48688 2e chambre Inscrit le 14 mars 2023 Audience publique du 15 juillet 2024 Recours formé par Madame …,… (France), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48688 du rôle et déposée le 14 mars 2023 au greffe du tribunal administratif par Madame …, demeurant à F-… (France), …, dirigée contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 7 mars 2023 portant rejet de sa demande de remise gracieuse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale déférée ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 juin 2024.

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En date du 15 juillet 2020, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») sur le fondement du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, dénommée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’égard de Madame …, en sa qualité de gérante de la société à responsabilité limitée …, ledit bulletin déclarant Madame … débiteur d’un montant total de … euros, en principal et intérêts, au titre de l’impôt sur les traitements et salaires qui aurait dû être retenu et continué à l’administration des Contributions directes par ladite société pour l’année d’imposition 2016.

Par courrier du 3 mai 2022, Madame … exposa au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », sa position quant aux montants lui réclamés à travers le bulletin d’appel en garantie du 11 janvier 2019 émis à son égard tout en lui demandant « d’annuler cet impôt » au motif qu’elle ne serait pas en mesure de s’en acquitter.

Par courrier du 6 février 2023, l’administration des Contributions directes s’enquit auprès de Madame … quant à la portée exacte de son courrier du 3 mai 2022, afin de cerner si elle avait entendu formuler une demande de remise gracieuse ou une contestation relative au bulletin d’appel en garantie du 11 janvier 2019, tout en lui indiquant qu’elle avait omis de signer ledit courrier.

1 Par courrier du 18 février 2023, réceptionné par l’administration des Contributions directes le 2 mars 2023, Madame … confirma vouloir demander une remise gracieuse des impôts dus au titre du bulletin d’appel en garantie du 11 janvier 2019.

Par une décision du 7 mars 2023, répertoriée sous le numéro … du rôle, le directeur rejeta la demande de remise gracieuse présentée par Madame … sur base des motifs et considérations suivants :

« […] Vu la demande présentée le 2 mars 2023 par la dame …, demeurant à F-…, ayant pour objet une remise par voie gracieuse du bulletin d'appel en garantie émis en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition … en date 11 janvier 2019 ;

Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu'il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;

Considérant qu'en vertu du paragraphe 131 AO, sur demande justifiée endéans les délais du paragraphe 153 AO, le directeur de l'administration des contributions directes accordera une remise d'impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception de l'impôt dont la légalité n'est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l'équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;

Considérant que la demande de remise gracieuse est motivée par une situation financière difficile;

Considérant qu'en vertu du § 153 AO, les droits à une remise gracieuse/restitution permis en dehors des cas visés aux §§ 151 et 152 AO s'éteignent si la demande en remise gracieuse/restitution n'a pas été introduite avant la fin de l'année qui suit celle de la survenance des faits à l'origine du droit ;

Considérant que le bulletin d'appel en garantie a été émis en date du 11 janvier 2019 ;

Considérant qu'en l'espèce la demande en remise gracieuse, entrée le 2 mars 2023, n'a donc pas été introduite dans le délai précité ;

Considérant que le paragraphe 131 AO n'autorise pas le directeur à faire abstraction de la déchéance légale ainsi encourue par la demandeuse ;

PAR CES MOTIFS :

DÉCIDE :

Reçoit la demande en la forme ;

la rejette comme irrecevable. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2023, Madame … a introduit un recours contentieux contre la décision du directeur, précitée, du 7 mars 2023.

2Le tribunal relève en premier lieu que, lorsque la requête introductive d’instance omet, comme en l’espèce, d’indiquer si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision critiquée, il y a lieu d’admettre que le demandeur a entendu introduire le recours admis par la loi1.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 131 AO, et de l’article 8, paragraphe (3), point 1 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur portant rejet d’une demande de remise gracieuse d’impôts.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation, qui est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse explique qu’en 2015 elle aurait utilisé toutes ses économies pour créer une société au Luxembourg, que les « débuts furent difficile » et qu’« avec le temps et les charges du loyer du local, les choses ne se [seraient] pas amélioré[es] bien au contraire ». Elle aurait, faute d’expérience de gestion et de comptabilité, créé des fiches de salaires à son nom en espérant pouvoir un jour se verser un salaire, ce qui n’aurait cependant jamais été le cas. La demanderesse aurait alors cessé l’activité pour laquelle la société aurait été créée et aurait ignoré qu’elle aurait pu rectifier, avant la fin de l’année, les déclarations de salaire effectuées.

Elle continue en expliquant qu’en 2019, soit trois ans après les faits, les « services des l’impôts » l’auraient contactée pour un « appel de cotisation d’impôts sur le revenu » qu’elle aurait tout de suite contesté. En 2022, elle aurait reçu un courrier du « service des impôts en France », lui réclamant ses cotisations « pour le Luxembourg » et en mai 2022, elle aurait contacté le « service concerné » et aurait à nouveau contesté « cette dette ».

La demanderesse explique qu’elle aurait, suite à un courrier lui remis le 7 février 2023 « lui demandant si [elle] souhaite demander une remise gracieuse » introduit, par courrier envoyé le 18 février « 2022 », une telle demande, en expliquant que sa situation financière ne lui permettrait pas de payer « des cotisations » sur des salaires qu’elle n’aurait jamais perçus.

Le directeur lui aurait toutefois répondu que sa demande de remise gracieuse n’aurait pas été introduite endéans les délais légaux.

Elle avance, finalement, que les « cotisations réclamées » ne seraient pas justifiées au motif qu’aucun salaire n’aurait été versé et qu’elles seraient la conséquence d’une erreur de déclaration de salaire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

En vertu du paragraphe 131 AO : « Sur demande dûment justifiée du contribuable endéans les délais du §153 AO, le directeur de l’administration des contributions directes ou de son délégué accordera une remise d’impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la 1 Trib. adm. 18 janvier 1999, n°10760 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°1286 et les autres références y citées.

3personne du contribuable. Sa décision est susceptible d’un recours au tribunal administratif, qui statuera au fond ».

Force est de constater que le paragraphe 131 AO renvoie aux délais du paragraphe 153 AO en vertu duquel : « Wo außer den Fällen der §§ 151 und 152 Erstattungsansprüche aus Rechtsmitteln zugelassen sind, erlöschen sie, falls nicht anders bestimmt ist, wenn sie nicht bis zum Schluss des Jahres geltend gemacht werden, das auf das Jahr folgt, in dem die Ereignisse, die den Anspruch begründen, eingetreten sind ».

Le délai pour introduire une remise gracieuse expire partant à la fin de l’année civile suivant l’année au cours de laquelle les évènements, sur lesquels la demande est fondée, se sont produits.

Concernant l’évènement déclencheur du délai d’introduction d’une demande de remise gracieuse, il y a lieu de souligner qu’il s’agit en principe de la date à laquelle la dette d’impôt devient exigible, soit la date de notification du bulletin d’imposition2. Le délai pour introduire une demande de remise gracieuse peut cependant également commencer à courir à partir de la survenance de faits qui, de par leur nature, sont susceptibles d’entrer en ligne de compte pour être invoqués à l’appui d’une demande de remise gracieuse. Aussi, si le contribuable estime que le délai d’introduction de sa demande a débuté à une date autre que celle de la notification du bulletin d’imposition, il ne saurait cependant invoquer des faits généralement quelconques mais il doit faire état d’éléments qui, par leur nature, sont susceptibles d’entrer en ligne de compte pour être invoqués à l’appui d'une demande de remise gracieuse3.

Comme en l’espèce, la demanderesse ne démontre, voire n’allègue même pas que le délai d’introduction de sa demande de remise gracieuse aurait débuté à une date autre que celle de la notification du bulletin d’appel en garantie émis le 11 janvier 2019 à son encontre - étant relevé qu’elle a admis, dans sa requête introductive d’instance, que « les services des impôts [l]’ont contacté en 2019 pour un appel de cotisation d’impôts sur le revenu soit 3 ans après les faits » - celle-ci doit être considérée comme ayant constitué l’évènement déclencheur du délai pour introduire une demande de remise gracieuse.

Il s’ensuit que le délai pour introduire une demande de remise gracieuse par rapport à la dette d’impôt réclamée à travers le bulletin d’appel en garantie en question a expiré en date du 31 décembre 2020. La demanderesse ayant sollicité une remise gracieuse par courrier du 18 février 2023, réceptionné par l’administration des Contributions directes le 2 mars 2023, celle-

ci est manifestement tardive.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle aurait, après réception du bulletin d’appel en garantie émis le 11 janvier 2019, « tout de suite contesté auprès des services des impôts ». En effet, outre le fait qu’il se dégage du dossier administratif qu’elle s’est adressée pour la première fois au directeur par courrier du 3 mai 2022, donc plus de trois ans après l’émission du bulletin d’appel en garantie, il y a encore lieu de constater, tel que relevé ci-dessus, que suite à la réception de ce courrier, l’administration des Contributions directes s’est adressée à elle par courrier du 6 février 2023, afin de s’enquérir sur la portée exacte de son courrier et de cerner si elle avait entendu formuler une demande de 2 Trib. adm., 26 février 2019, c. par Cour adm., 11 juillet 2019, n° 42643C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1256 et l’autre référence y citée.

3 Trib. adm. 5 mai 2020, n°41484 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°874 et l’autre référence y citée.

4remise gracieuse ou une contestation et qu’elle a, à cet égard, précisé, par courrier du 18 février 2023, vouloir demander une remise gracieuse.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le directeur a conclu au rejet de la demande de remise gracieuse pour cause de tardiveté, de sorte que le recours est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 15 juillet 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48688
Date de la décision : 15/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-15;48688 ?

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