Tribunal administratif N° 49126 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49126 2e chambre Inscrit le 5 juillet 2023 Audience publique du 15 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, Portugal, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49126 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2023 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Cap-Vert), de nationalité capverdienne, demeurant à … (Portugal), …, tendant, suivant son dispositif, d’une part, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 avril 2023 portant refus d’une d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, et d’autre part, à se voir accorder un « report de l’éloignement » prononcé à son égard ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Céline Schmitz, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Pascale Millim en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 avril 2024.
Par courrier du 20 octobre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait vraisemblablement perdu son droit au séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne en raison de la fin de son mariage avec Madame … et lui pria de présenter, dans un délai d’un mois, ses observations et pièces pour justifier le maintien dans son chef d’un tel droit de séjour conformément aux dispositions de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », et l’informa qu’à défaut, il perdrait ledit droit.
Par décision du 12 décembre 2022, le ministre l’informa de la perte de son droit de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne et lui ordonna de quitter le territoire endéans un délai de trente jours, cette décision étant libellée comme suit :
« […] En date du 20 octobre 2022, je vous ai informé que j’avais constaté que vous aviez vraisemblablement perdu votre le droit de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union en application de l’article 17, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, sauf preuve du contraire de votre part.
1 Je regrette de devoir constater qu’aucune observation de nature à justifier le maintien d’un droit de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union dans votre chef ne m’a été communiquée dans le délai indiqué dans le courrier précité.
Je vous informe partant que vous avez perdu le droit de séjour d’un membre de famille d’un citoyen de l’Union en raison de votre divorce avec Madame …, conformément à l’article 17 (3) précité et votre carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union vous est retirée conformément à l’article 25 (1) de la même loi.
Je vous invite à bien vouloir remettre votre carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union aux guichets de la Direction de l’Immigration.
Au vu de la perte susmentionnée de votre droit de séjour et en application de l’article 111 de la même loi, vous êtes obligé de quitter le territoire endéans un délai de trente jours à destination du pays dont vous avez la nationalité, le Cap-Vert, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d’un autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. A défaut, l’ordre de quitter sera exécuté d’office et vous serez éloigné par la contrainte. […] ».
Par courrier du 4 janvier 2023 de son litismandataire de l’époque, Monsieur … fit introduire, à titre principal, une demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, tout en demandant, à titre subsidiaire, à se voir accorder un « report de l’éloignement », ainsi qu’une autorisation temporaire de travail « en attente de la possible régularisation de sa situation administrative ».
Par décision du 6 avril 2023, le ministre rejeta la demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié sur base de l’article 42 (4) de la loi du 29 août 2008, dans les termes suivants :
« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié qui m’est parvenue en date du 6 janvier 2023.
Je tiens à vous informer que la demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié conformément à l’article 42, paragraphe (4) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ne saurait être délivrée à votre mandant, étant donné que votre mandant n’est plus affilié auprès de son employeur depuis le 11 janvier 2023.
J’attire également votre attention sur le fait que l’ordre de quitter le territoire du Grand-
Duché de Luxembourg est toujours en vigueur à l’encontre de votre mandant. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant aux termes de son dispositif, d’une part, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la seule décision ministérielle, précitée, du 6 avril 2023 portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, ainsi que, d’autre part, à se voir octroyer un report pour une durée de six mois de l’éloignement prononcé à son encontre à travers la décision ministérielle du 12 décembre 2022.
Il convient de prime abord de délimiter la portée de la décision du 6 avril 2023 faisant l’objet du recours, la portée de la décision délimitant nécessairement celle de l’examen à effectuer par le tribunal. Au regard de son libellé, le tribunal retient que la décision du ministre, telle que lui déférée, contient exclusivement un refus d’accorder une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, le ministre ayant pour le surplus précisé que l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’encontre de Monsieur …, notamment dans la décision du 12 décembre 2022, - qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse -, était toujours en vigueur. Il s’ensuit que l’examen du tribunal ne saurait porter que sur la légalité de cette décision de refus.
Ainsi, le tribunal n’est pas compétent en ce qui concerne la demande tendant à se voir accorder « un report de l’éloignement » pour une durée de six mois, telle que formulée au dispositif de la requête introductive d’instance. En effet, une telle demande est à adresser au ministre, seul compétent, pour statuer sur celle-ci.
Concernant le recours dirigé contre la décision de refus d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, étant donné que ni la loi du 29 août 2008 ni aucune autre disposition légale ne prévoit la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de ladite décision.
Le tribunal est dès lors incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
En revanche, le recours subsidiaire en annulation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend en substance les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-avant. Il précise encore que, contrairement à ce qui est indiqué dans le courrier du ministre du 12 décembre 2022, il aurait bien envoyé des documents attestant, selon lui, qu’il aurait été « en règle » et qu’il aurait été « un membre actif » au sein du Grand-
Duché de Luxembourg. Il aurait ensuite pris contact avec son précédent litismandataire qui aurait introduit une demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié dans son chef. Par décision ministérielle du 6 avril 2023, cette demande lui aurait été refusée au motif qu’il aurait arrêté de travailler en date du 11 janvier 2023. Il explique, à ce propos, qu’il aurait effectivement été contraint d’arrêter de travailler, étant donné qu’il n’y aurait plus été autorisé et qu’il se serait attiré de « nouvelles remontrances » en cas de poursuite de son activité salariale. Il ajoute qu’il chercherait un nouvel emploi au plus vite.
En droit, le demandeur soutient que la décision du 6 avril 2023 lui causerait torts et griefs, dans la mesure où elle l’obligerait à quitter un pays dans lequel il aurait établi sa vie depuis plusieurs années. Il serait, en effet, installé au Luxembourg depuis plus de deux ans et y aurait constamment travaillé depuis son arrivée en mars 2021. Il ajoute vouloir avoir l’opportunité de prouver qu’il s’y serait bien intégré et qu’il compterait ne pas être une charge pour le système luxembourgeois.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève, tout d’abord, que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés, étant préciséqu’il ne peut prendre en considération que les éléments se rapportant à la situation de fait telle qu’elle existait au jour de la décision attaquée à laquelle le tribunal doit limiter son analyse dans le cadre du recours en annulation dont il est saisi.
En l’espèce, il convient de relever que la décision déférée a été adoptée sur base de la considération que, comme le demandeur ne serait plus affilié auprès de son employeur depuis le 11 janvier 2023, une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié ne pourrait lui être délivrée conformément à « l’article 42, paragraphe (4) » de la loi du 29 août 2008. Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement précise que les conditions visées à l’article 42 (1), qui seraient cumulatives, ne seraient pas remplies dans le chef du demandeur.
Aux termes de l’article 42 de la loi du 29 août 2008 « (1) L’autorisation de séjour et l’autorisation de travail dans les cas où elle est requise, sont accordées par le ministre au ressortissant de pays tiers pour exercer une activité salariée telle que définie à l’article 3, après avoir vérifié si, outre les conditions prévues à l’article 34, les conditions suivantes sont remplies:
1. il n’est pas porté préjudice à la priorité d’embauche dont bénéficient certains travailleurs en vertu de l’article L. 622-4, paragraphe (4) du Code du travail;
2. l’exercice de l’activité visée sert les intérêts économiques du pays;
3. il dispose des qualifications professionnelles requises pour l’exercice de l’activité visée;
4. il est en possession d’un contrat de travail conclu pour un poste déclaré vacant auprès de l’Agence pour le développement de l’emploi dans les formes et conditions prévues par la législation afférente en vigueur.
[…] (3) Le ministre statue sur la demande complète comportant les informations et documents énumérés par règlement grand-ducal dès que possible et en tout état de cause dans un délai de quatre mois suivant la date de dépôt de la demande. […] (4) Le délai visé au paragraphe (3) qui précède est suspendu durant le délai imparti par le ministre au demandeur pour la communication d’informations ou de documents complémentaires si la demande est incomplète, jusqu’à ce que le ministre ait reçu les informations complémentaires requises. Si les informations ou documents complémentaires ne sont pas fournis dans le délai imparti, le ministre peut rejeter la demande. ».
Ainsi, les conditions visées à l’article 42 (1) de la loi du 29 août 2008 doivent être remplies cumulativement et dans l’hypothèse contraire, l’absence d’une de ces conditions entraînera le rejet de la demande d’autorisation de séjour pour l’exercice d’une activité salariée.
Si, en l’espèce, la décision ministérielle litigieuse vise expressément le quatrième paragraphe de l’article 42 de la loi du 29 août 2008, précité, concernant la communication d’informations ou de documents en cas d’introduction d’une demande incomplète, il y a néanmoins lieu d’admettre au regard des termes de la décision du 6 avril 2023 qu’il s’agit d’une erreur matérielle et que le ministre a entendu viser le quatrième point du premier paragraphe dudit article prévoyant que le demandeur doit être « […] en possession d’un contrat de travail conclu pour un poste déclaré vacant auprès de l’Agence pour le développement de l’emploi dans les formes et conditions prévues par la législation afférente en vigueur […] », le ministrereprochant, en effet, au demandeur plus précisément de ne plus être affilié auprès de son employeur depuis le 11 janvier 2023.
Dans la mesure où le demandeur ne fournit aucun document démontrant que cette condition aurait été remplie dans son chef au moment de la prise de la décision litigieuse, et qu’il concède en outre, dans sa requête introductive d’instance, ne pas avoir eu de contrat de travail depuis le 11 janvier 2023 pour ne pas s’attirer de « nouvelles remontrances », et rechercher activement un emploi, le tribunal est amené à conclure que le ministre pouvait, sur base du seul constat que la quatrième condition de l’article 42 (1) de la loi du 29 août 2008 n’était pas remplie, refuser de faire droit à la demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié dans le chef de Monsieur ….
Ce constat n’est pas énervé par l’affirmation péremptoire que le demandeur vivrait depuis plusieurs années au Luxembourg, qu’il s’y serait intégré et qu’il entendrait ne pas devenir une charge pour le système luxembourgeois, puisqu’il n’appartient pas au tribunal administratif de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base des conclusions de ce dernier1. Comme le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à des moyens simplement suggérés sans être soutenus effectivement, et à défaut de moyens invoqués spécifiquement par rapport au refus ministériel fondé sur l’absence de contrat de travail conclu pour un poste déclaré vacant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour statuer sur la demande tendant à se voir accorder un « report de l’éloignement » ;
pour le surplus, se déclare incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal contre la décision ministérielle du 6 avril 2023 portant refus d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié ;
reçoit, en la forme, le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette même décision ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Benoît Hupperich, juge, 1 Trib. adm., 5 juillet 2000, n° 11527 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 508 et les autres références y citées et lu à l’audience publique du 15 juillet 2024 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 6