La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/07/2024 | LUXEMBOURG | N°48228

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2024, 48228


Tribunal administratif N° 48228 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48228 3e chambre Inscrit le 1er décembre 2022 Audience publique extraordinaire du 25 juillet 2024 Recours formé par Madame …, … (Thaïlande), contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48228 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2022 par Maître Jean TON

NAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mad...

Tribunal administratif N° 48228 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48228 3e chambre Inscrit le 1er décembre 2022 Audience publique extraordinaire du 25 juillet 2024 Recours formé par Madame …, … (Thaïlande), contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48228 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2022 par Maître Jean TONNAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Thaïlande), de nationalité thaïlandaise, demeurant en Thaïlande à …, ayant élu domicile en l’étude de son litismandataire, préqualifié, sise à L-4123 Esch-sur-Alzette, 29, rue du Fossé, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er juillet 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2023 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2023 par Maître Jean TONNAR au nom de sa mandante, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Brahim SAHKI, en remplacement de Maître Jean TONNAR, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 mai 2024.

Par courrier daté du 12 novembre 2021, réceptionné par le ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, le 16 novembre 2021, Madame … introduisit, au nom et pour le compte de Madame …, une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour travailleur salarié, en annexant à sa demande notamment un certificat de l’Agence pour le Développement de l’Emploi, ci-après désignée par « l’ADEM », du 30 juin 2021, l’autorisant « de recruter une personne de son choix […] pour le poste de :

MASSAGE THERAPEUTE […] faute de demandeur d’emploi qualifié remplissant le profil requis pour le poste déclaré et inscrit à l’ADEM », ainsi qu’une copie du contrat de travail conclu le 6 août 2021 à durée indéterminée avec Madame … pour un travail hebdomadaire de 40 heures en qualité de « masseuse Thai ».

1Par courrier du 16 mars 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accusa réception de ladite demande, tout en sollicitant des pièces supplémentaires.

Suite à un avis négatif de la commission consultative pour travailleurs salariés, ci-après désignée par la « commission consultative », du 12 mai 2022, le ministre refusa de faire droit à la demande susvisée par une décision du 1er juillet 2022, libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une autorisation de séjour conformément à l'article 42 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration qui m'est parvenue en date du 16 novembre 2021 et qui a été complétée en date du 11 avril 2022.

Je vous signale que votre demande en obtention d'une autorisation de séjour a été soumise à la commission consultative pour travailleurs salariés, qui a été entendue en son avis en date du 12 mai 2022, conformément à l'article 42, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 précitée.

Je suis au regret de vous informer que les membres de la commission consultative pour travailleurs salariés ont émis un avis négatif auquel je me rallie.

En effet, l'octroi de l'autorisation de séjour est subordonné à la condition prévue par l'article 42, paragraphe (1), point 3. de la loi du 29 août 2008 précitée. L'autorisation de séjour ne peut être accordée que si l'intéressé dispose des qualifications professionnelles requises pour l'exercice de l'activité visée.

Il y a lieu de noter que la profession de « massage thérapeute » est une profession réglementée au Grand-Duché de Luxembourg et l'exercice de ce métier est soumis à une autorisation d'exercer préalable délivrée par le ministère de la Santé.

Force est de constater que vous n'apportez pas la preuve que vous disposez de l'autorisation d'exercer une profession de santé au Luxembourg de sorte qu'il n'est pas prouvé que vous disposez des qualifications professionnelles requises pour l'exercice de l'activité visée. La condition énoncée à l'article 42, paragraphe (1), point 3. de la loi du 29 août 2008 précitée n'est en conséquence pas remplie.

Subsidiairement, il n'est pas prouvé que vous remplissez les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d'une des autres catégories d'autorisation de séjour prévues par l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L'autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié vous est en conséquence refusée sur base de l'article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. […] ».

Par courrier de son mandataire du 4 août 2022, réceptionné par la direction de l’Immigration le lendemain, Madame … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision de refus, précitée, du 1er juillet 2022.

2En date du 6 octobre 2022, la commission consultative émit un nouvel avis négatif quant à la demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié de Madame ….

Par décision du 1er décembre 2022, le ministre rejeta le recours gracieux de Madame … dans les termes suivants :

« […] J'accuse réception de votre recours gracieux du 4 août 2022 concernant ma décision de refus de l'autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié pris à l'encontre de votre mandante Madame …, demande qui a été soumise pour réexamen à la commission consultative pour travailleurs salariés du 6 octobre 2022.

Tout d'abord, je comprends que la demande de Madame … vise un poste de « masseuse bien-être ». Or, il y a lieu de constater que, selon le poste déclaré vacant auprès de l'Agence pour le développement de l'emploi, et pour lequel l'employeur … a été autorisé de recruter une personne de son choix, est celui de « massage thérapeute ».

Par conséquent, l'attestation autorisant la société … de recruter une personne de son choix pour le poste de « massage bien-être » fait défaut.

Subsidiairement, l'octroi de l'autorisation de séjour est subordonné à la condition prévue par l'article 42, paragraphe (1), point 2. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration. L'autorisation de séjour ne peut être accordée que si l'exercice de l'activité visée sert les intérêts économiques du pays. Cette condition s'apprécie en fonction des besoins économiques du pays et plus précisément des besoins spécifiques du marché du travail.

Force est cependant de constater que le dossier ne renseigne pas davantage sur une future intégration durable dans le marché de l'emploi luxembourgeois et le profil, plus précisément l'activité à main-d’œuvre peu qualifiée en tant que « masseuse bien-être » ne ramène pas de savoir-faire apportant un avantage compétitif pour le secteur d'activité visé.

Par conséquent, il n'est pas établi en quoi l'activité salariée visée sert les intérêts économiques du pays de sorte que la condition énoncée à l'article 42, paragraphe (1), point 2.

de la loi du 29 août 2008 précitée n’est pas remplie.

Aucun élément du dossier ne permet d'établir en quoi l'embauche de Madame … en tant que masseuse bien-être serait justifiée pour le bon fonctionnement de l'entreprise.

En conséquence, et au vu de ce qui précède, j'ai le regret de vous informer que je maintiens la décision de refus du 1er juillet 2022. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 1er juillet 2022.

A l’audience des plaidoiries du 14 mai 2024, le tribunal a soulevé d’office la question relative à l’objet du recours sous analyse au regard de la survenance de la décision ministérielle en date du 1er décembre 2022, soit le même jour de l’introduction du recours contentieux sous 3analyse, à la suite de l’émission d’un nouvel avis par la commission consultative le 6 octobre 2022.

Le litismandataire de Madame … a confirmé que seule la décision initiale du 1er juillet 2022 serait attaquée.

Le délégué du gouvernement a, quant à lui, expliqué que le ministre n’aurait pas pu faire droit à la demande initiale de Madame …, alors qu’elle n’aurait pas disposé des qualifications professionnelles requises pour exercer la profession de « massage thérapeute », et que, suite au recours gracieux dans lequel elle aurait argumenté qu’elle n’aurait pas sollicité d’exercer comme « massage thérapeute », mais comme « masseuse bien-être », une nouvelle décision de refus aurait été prise par le ministre aux motifs que le poste en question ne correspondrait pas à celui visé par le certificat de l’ADEM du 30 juin 2021 et qu’il ne répondrait pas aux besoins économiques du pays.

Il y a tout d’abord lieu de relever que si l’autorité administrative, après nouvelle instruction du dossier, prend une nouvelle décision, celle-ci remplace par la force des choses les décisions antérieurement prises et le recours contentieux, même introduit antérieurement à la nouvelle décision, devient sans objet et partant irrecevable1.

En l’espèce, dans la mesure où le recours sous analyse est, tel que confirmé par la partie demanderesse à l’audience des plaidoiries, dirigé contre la seule décision initiale du 1er juillet 2022, il appartient au tribunal de vérifier si la décision du 1er décembre 2022 constitue une décision confirmative de la décision initiale ou si, au contraire, elle est à qualifier de décision nouvelle, prise sur base d’éléments nouveaux, auquel cas le recours introduit contre la décision du 1er juillet 2022 serait sans objet.

A cet égard, il convient de rappeler qu’une décision prise par l’autorité compétente est à qualifier de décision nouvelle, qui se substitue à la première décision, si elle consent à rouvrir l’instruction et à réexaminer la cause, à condition toutefois qu’elle se trouve en présence d’éléments nouveaux qui sont de nature à modifier la situation juridique et prenne position quant à ceux-ci. Ainsi, une décision qui se prononce sur des éléments non pris en considération dans la première décision, n’est pas à considérer comme une décision purement confirmative2.

En l’espèce, il y a tout d’abord lieu de constater qu’il résulte du libellé de la décision ministérielle initiale du 1er juillet 2022, que la demande de Madame … tendant à se voir octroyer une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié a été refusée sur base d’un avis négatif de la commission consultative du 12 mai 2022, auquel le ministre s’est rallié, au motif que l’intéressée ne dispose pas des qualifications professionnelles requises pour exercer la profession réglementée de « massage thérapeute ».

Il ressort ensuite des termes de son recours gracieux du 4 août 2022 que la demanderesse a précisé que sa demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié viserait, non pas la profession de « massage thérapeute », mais celle de « masseuse bien-être qui est spécialisée dans les massages thaï ».

1 Trib. adm. 25 septembre 2003, n° 15972 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 411 (1er volet) et les autres références y citées.

2 Trib. adm. 7 janvier 1999, n° 10054 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 113 et les autres références y citées.

4Force est encore de constater que la commission consultative a, en date du 6 octobre 2022, adopté un nouvel avis défavorable quant à la demande de Madame …, au motif cette fois que la condition légale relative à l’intérêt économique du pays, telle que prévue à l’article 42, paragraphe (1), point 2 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ne serait pas remplie.

Quant à la décision ministérielle du 1er décembre 2022, celle-ci est, d’une part, basée sur ledit avis du 6 octobre 2022 et, d’autre part, motivée, à titre principal, par l’absence d’attestation de l’ADEM « autorisant la société … de recruter une personne de son choix pour le poste de « massage bien-être » » et, à titre subsidiaire, par l’absence de preuve que l’activité de « masseuse bien-être » servirait les intérêts économiques du pays.

Au vu de tout ce qui précède, force est au tribunal de constater que le ministre a pris en date du 1er décembre 2022 une nouvelle décision de refus à l’égard de Madame …, étant donné qu’il a, au vu de l’argumentation présentée par celle-ci dans le cadre de son recours gracieux, suivant laquelle elle aurait sollicité l’autorisation de séjour en question pour le poste de « masseuse bien-être » et non pas pour celui de « massage thérapeute », accepté de rouvrir l’instruction et de réexaminer la cause, en soumettant le dossier pour réexamen à la commission consultative, laquelle a adopté un nouvel avis le 6 octobre 2022. Le ministre a donc eu à apprécier les nouvelles conclusions tirées par la commission consultative et s’est, partant, basé sur des éléments nouveaux qui l’ont poussé à procéder à un réexamen du dossier et à prendre une nouvelle décision basée sur d’autres considérations, ce qui ressort, par ailleurs, des développements de la demanderesse-même qui affirme dans son mémoire en réplique que la décision du 1er décembre 2022 repose sur des motifs de refus nouveaux, à savoir (i) l’absence d’attestation de l’ADEM autorisant la société « … » à recruter une personne de son choix pour le poste de « masseuse bien-être » et (ii) l’absence de preuve que le poste en question servirait les intérêts économiques du pays, motifs non invoqués dans le cadre de la décision attaquée du 1er juillet 2022, laquelle est motivée par la seule considération que l’intéressée ne disposerait pas des qualifications professionnelles requises pour l’exercice de l’activité de « massage thérapeute ».

Par conséquent, dans la mesure où le présent recours est dirigé contre la seule décision du 1er juillet 2022, laquelle n’a plus d’existence, alors que la décision nouvelle du 1er décembre 2022 s’est substituée à celle-ci, le recours est à rejeter faute d’objet.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours sans objet, partant le rejette ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 25 juillet 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, 5en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 48228
Date de la décision : 25/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-25;48228 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award