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09/08/2024 | LUXEMBOURG | N°46911

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 août 2024, 46911


Tribunal administratif N° 46911 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46911 5e chambre Inscrit le 18 janvier 2022 Audience publique extraordinaire du 9 août 2024 Recours formé par l’association sans but lucratif A et consorts, …, contre un arrêté du ministre de la Sécurité sociale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46911 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 janvier 2022 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH SA

, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats à Luxembourg, établie et ayant...

Tribunal administratif N° 46911 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46911 5e chambre Inscrit le 18 janvier 2022 Audience publique extraordinaire du 9 août 2024 Recours formé par l’association sans but lucratif A et consorts, …, contre un arrêté du ministre de la Sécurité sociale

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46911 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 janvier 2022 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH SA, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue J.F. Kennedy, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro B 186371, représentée par Maître Paul MOUSEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de • l’association sans but lucratif A, établie et ayant son siège social à …, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … ;

• la société B, établie et ayant son siège social à …, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … ;

• la société C, établie et ayant son siège social à …, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … ;

• la société D, établie et ayant son siège social à …, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro …, dont l’instance a été reprise suivant acte de reprise d’instance déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2024 par la société anonyme E, établie et ayant son siège social à …, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … ;

tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Sécurité sociale du 8 octobre 2021 publié au Mémorial B, n° 3886, du 19 octobre 2021 portant agrément de : « la mutuelle dénommée « X», sise à … » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Kelly FERREIRA SIMOES, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, les deux demeurant à Luxembourg, du 20 janvier 2022 portant signification de la requête introductive d’instance à la X, établie à …, représentée par son représentant légal en exercice ;

Vu la constitution d’avocat adressée au greffe du tribunal administratif par télécopie du 21 janvier 2022 par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la X, préqualifiée ;

Vu la constitution d’avocat adressée au greffe du tribunal administratif par télécopie du 2 mars 2022 par la société en commandite simple ALLEN & OVERY SCS, inscrite sur la liste V du tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1855 Luxembourg, 5, avenue J.F. Kennedy, représentée pour la présente procédure par Maître Thomas BERGER, avocat à la Cour, au nom de de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 avril 2022 par la société en commandite simple ALLEN & OVERY SCS, préqualifiée au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2022 par Maître Steve Helminger, préqualifié, au nom de la X, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2022 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH SA, préqualifiée, au nom de l’association sans but lucratif et des sociétés requérantes ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2022 par Maître Steve HELMINGER, préqualifié, au nom de la X, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 juin 2022 par la société en commandite simple ALLEN & OVERY SCS, préqualifiée au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Paul MOUSEL assisté de Maître Pierre-Michaël de WAERSEGGER, Maître Thomas BERGER, assisté de Maître Helena FINN, ainsi que Maître Adrian KARIGER en remplacement de Maître Steve HELMINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 janvier 2024.

Par courrier du 23 octobre 2020 l’association sans but lucratif A du Grand-Duché de Luxembourg, désignée ci-après par « A », s’adressa au ministre de la Sécurité sociale, désigné ci-après par « le ministre », ainsi qu’au ministre délégué à la Sécurité sociale pour leur demander de « vérifier si la X remplit encore les conditions pour être qualifiée d’organisme de prévoyance et de secours (…) » et en affirmant que « Si elle ne remplissait pas ou plus ces conditions, elle (…) se trouverait potentiellement en situation d’exercice illégal d’une activité d’assurance ».

Par arrêté du 8 octobre 2021, le ministre agréa la mutuelle dénommée « X», désignée ci-après par la « X ». Ledit arrêté ministériel publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial B, n° 3886, du 19 octobre 2021, est libellé comme suit :

« Le Ministre de la Sécurité sociale, Vu la loi du 1er août 2019 concernant les mutuelles ;

Vu la demande d’agrément de la mutuelle dénommée « X», sise à …, du 26 août 2021 introduite conformément à l’article 3 de la loi du 1er août 2019 concernant les mutuelles ;

Considérant que les statuts de la X sont conformes aux dispositions de la loi du 1er août 2019 concernant les mutuelles ;

Arrête :

Art. 1er.

Est agréée la mutuelle dénommée « X», sise à …. (…) ».

En réponse au courrier précité de l’A du 23 octobre 2020, le ministre ainsi que le ministre délégué à la Sécurité sociale, constatèrent par courrier du 27 octobre 2021 que suite à une analyse des différents points soulevés par ladite association, les services du ministère de la sécurité sociale étaient parvenus « à la conclusion que les dispositions de la Loi concernant les mutuelles sont respectées par la X ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2022 l’association sans but lucratif A, désignée ci-après par « l’A », la société anonyme B, désignée ci-après par « la société B », la société anonyme C, désignée ci-après par « la société C » et la société D, désignée ci-après par « la société C », dont l’instance a été reprise suite à une absorption par la société anonyme E, désignée ci-après par « la société E », firent introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 8 octobre 2021 publié au Mémorial B, n° 3886, du 19 octobre 2021 portant agrément de : « la mutuelle dénommée « X», sise à … ».

I.

Quant à la recevabilité du recours Moyens et arguments des parties Tant la partie étatique que la X concluent à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef des parties demanderesses. La partie étatique fait valoir à cet égard que les parties demanderesses ne seraient pas les destinataires directes de l’arrêté ministériel déféré mais qu’elles seraient des tiers par rapport audit acte administratif, de sorte qu’il leur appartiendrait de prouver pour quelle raison ledit arrêté leur ferait grief. Tant la partie étatique que la X argumentent ensuite en substance que ce serait l’activité de mutuelle de la X en tant que telle autorisée par la loi modifiée du 1er août 2019 concernant les mutuelles, désignée ci-

après par « la loi du 1er août 2019 », qui poserait problème aux parties demanderesses, et non point d’éventuelles activités accessoires exercées par la X relevant du secteur des assurances.

La volonté des parties demanderesses serait de faire cesser l’activité de mutuelle solidaire et volontariste opérée par la X dans le cadre de la loi du 1er août 2019. Or, la prise en charge de frais pour soins de santé de ses membres serait justement une des activités autorisées pour les mutuelles à travers l’article 3 de la loi du 1er août 2019. La partie étatique et la X insistent sur le fait que ce qui poserait problème aux parties demanderesses ne serait non point l’agréement ministériel déféré, mais la loi du 1er août 2019 en elle-même. Ainsi, le prétendu préjudice subi tirerait sa source dans la loi du 1er août 2019 et non point dans l’agrément ministériel déféré,dans la mesure où ce seraient les dispositions légales qui permettraient à la X de faire des activités dites mutualistes. Le recours sous examen ne pourrait ainsi aboutir à faire cesser l’activité principale de la X, de sorte que tout intérêt à agir des parties demanderesses serait à dénier puisque le recours ne permettrait pas d’atteindre l’objectif poursuivi par elles.

Dans le cadre de leurs mémoires en duplique, la partie étatique ainsi que la X argumentent que les parties demanderesses feraient état d’un préjudice issu d’une concurrence déloyale que lui ferait la X, ce qui démonterait, selon la X, leur réelle volonté, à savoir, de faire cesser l’activité mutualiste sur le territoire luxembourgeois. Ainsi, toujours selon la X, même à admettre qu’elle se livrerait à des activités assurantielles, seules lesdites activités devraient cesser mais « certainement pas la X dans son ensemble ». La partie étatique soulève dans le même contexte une incohérence dans l’argumentation des parties demanderesses dans la mesure où le prétendu préjudice de concurrence déloyale invoqué par elles découlerait de l'activité même de mutuelle de la X, tandis que les arguments à l'appui du recours auraient trait à des prétendus dépassements de cette activité de mutuelle par la X. Les parties demanderesses n’expliqueraient à aucun moment en quoi l’annulation de l’agréement de la X leur procurerait une satisfaction personnelle. Enfin, la partie étatique conteste toute concurrence déloyale en argumentant que les parties demanderesses resteraient en défaut de démontrer en quoi les activités de la X altéreraient de manière substantielle le comportement économique du consommateur.

La partie étatique conteste l’argumentation des parties demanderesses selon laquelle l’activité de la X ne serait soumise à aucun contrôle si leur recours devait être déclaré irrecevable. Elle répète que les parties demanderesses tenteraient de contester la loi du 1er août 2019 à travers leur recours dirigé contre l’arrêté ministériel déféré. Les faits reprochés par les parties demanderesses ne seraient ainsi pas en lien avec le préjudice invoqué, dans la mesure où ledit préjudice tirerait sa source de l’existence même de la loi du 1er août 2019 et non point de la décision attaquée. En effet, ce seraient les dispositions de la loi du 1er août 2019 qui permettraient notamment à la X de faire des activités de mutualistes.

La partie étatique conteste encore plus particulièrement l’intérêt à agir de l’A contre la décision ministérielle portant agrément de la X au motif que l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 », n’ouvrirait le droit aux associations d’agir contre les seuls actes administratifs à caractère règlementaire à l’exclusion des actes individuels. L’intention du législateur de limiter la possibilité des associations d’introduire un recours contentieux ressortirait des travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 7 novembre 1996. Lesdits travaux parlementaires affirmeraient toutefois encore que l’intention du législateur aurait été nuancée, dans le sens qu’il aurait entendu laisser le soin aux juridictions administratives de préciser l’étendue de l’intérêt à agir des associations en matière de décisions administratives individuelles. A cet égard, la Cour administrative aurait certes admis, par un arrêt du 15 juillet 2010, inscrit sous numéro de rôle 26739C du rôle, la possibilité pour les associations d’introduire des recours contre des actes administratifs à caractère individuels, mais uniquement dans le cadre bien précis de la matière pour la défense de laquelle l’association aurait été agréée. En l’espèce, l’agrément déféré attribué à la X serait un acte administratif individuel, de sorte que la solution retenue par l’arrêt de la Cour administrative précité ne serait pas transposable puisque l’agrément n’aurait pas été pris dans le cadre de la matière pour la défense de laquelle l’association aurait été agréée.

Les parties défenderesse et tiers intéressé concluent en conséquence à l’irrecevabilité du recours.

Les parties demanderesses contestent toute irrecevabilité du recours. Contrairement aux affirmations des parties défenderesse et tierce intéressée, l’objet du recours ne serait pas de « faire cesser (…) l'activité de mutuelle solidaire et volontariste », mais consisterait à demander l'annulation de l’agréement attaqué au motif que les statuts de la X et les activités exercées concrètement par cette dernière ne s’inscriraient pas dans le cadre d'exception tracé pour les mutuelles par la loi du 1er août 2019, la loi modifiée du 7 décembre 2015 sur le secteur des assurances, désignée ci-après par « la loi du 7 décembre 2015 », ainsi que la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice, désignée ci-après par « la directive solvabilité II ».

Les parties demanderesses font en substance valoir que le grief leur causé trouverait sa cause dans l’exercice illégal par la X d’activités d’assurance prévues par la loi du 7 décembre 2015 sur base de son agrément qui ne porterait que sur l’exercice d’activités mutualistes sans s’inscrire d’ailleurs dans le cadre des activités autorisées à titre d’exception par la loi du 1er août 2019. Le grief serait donc incontestable et consisterait dans la concurrence illégale et déloyale que leur ferait la X, de sorte qu’elles disposeraient d’un intérêt à faire vérifier la légalité de la décision déférée, tandis que l’objet du recours serait de faire cesser une illégalité autorisée à travers l’agrément déféré.

Selon les parties demanderesses, un contrôle par le ministre et corrélativement du juge administratif de la conformité au cadre légal de l’agréement conféré à la X devrait être garanti, afin d’éviter que la X exerce des activités en violation de la loi du 1er août 2019.

Appréciation du tribunal A titre liminaire il convient de préciser que l'intérêt à agir n'est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu'il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l'appui d'une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés1. Les développements des parties défenderesse et tierce intéressée, relatives au bien-fondé de l’argumentation des demandeurs, ne sont donc pas pertinentes au niveau de l’analyse de la question de l’intérêt à agir des demandeurs.

Plus généralement, l’intérêt à agir est à vérifier dans le chef du demandeur comme étant personnel et direct, légitime et certain, né et actuel. Ces six qualités s’apprécient dans le temps au jour de l’introduction du recours. Elles se conjuguent par rapport à la matière en ce qu’un administré ne peut valablement recourir contre une décision administrative individuelle qu’à condition que celle-ci lui fasse grief, c’est-à-dire qu’elle aggrave effectivement et réellement, à la date de l’introduction du recours, sa situation2. Ainsi, un administré peut justifier d’un intérêt à agir contre un acte administratif, même s’il n’est pas le destinataire direct dudit acte, pour autant que sa situation en est affectée, c’est-à-dire, pour autant qu’il avance avoir été 1 Trib. adm. prés. 27-9-02, n°15373 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 3, ainsi que les autres références y citées.

2 Cour adm. 12 octobre 2017, n° 39490C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 6.atteint défavorablement dans ses intérêts touchant à une situation de droit ou de fait dans laquelle il se trouvait3.

Par ailleurs, il a été jugé qu’il est sans intérêt pour le juge saisi d’une requête collective dirigée contre une même décision administrative – hypothèse vérifiée en l’espèce – de rechercher si tous les demandeurs justifient d’une qualité leur donnant intérêt pour agir pour l’hypothèse ou plusieurs voire un demandeur ont intérêt et qualité pour agir.4 Il suffit donc qu’un des demandeurs justifie de l’intérêt requis pour que la requête collective soit déclarée recevable dans son ensemble5.

En l’espèce, l’agrément déféré a été délivré à la X, de sorte que les parties demanderesses n’en sont pas les destinataires directes, ce qui ne les prive toutefois pas, d’après les considérations qui précèdent, d’un intérêt à agir à son encontre, sous condition qu’elles établissent en avoir été défavorablement affectées dans leur situation.

A cet égard les demanderesses font valoir que la X ne remplirait pas les conditions légalement requises pour pouvoir être agréée en tant que mutuelle dans la mesure où elle exercerait des activités réservées aux seules entreprises d’assurances. Le fait d’avoir tout de même été agréée en qualité de mutuelle impliquerait que la X exercerait des activités réservées aux entreprises d’assurances en n’étant soumise qu’aux conditions de la loi du 1er août 2019 et non point aux conditions plus restrictives de la loi du 7 décembre 2015 auxquelles les entreprises d’assurances seraient soumises, de sorte à créer une situation de concurrence illégale et déloyale, affectant directement et défavorablement la situation des sociétés demanderesses en leur qualité d’entreprise d’assurance.

Dès lors, si l’intérêt essentiellement concurrentiel n’est à lui-seul pas nécessairement suffisant pour justifier un intérêt à agir, les sociétés B, C et C justifient en l’espèce à suffisance d’un intérêt personnel et direct, légitime et certain, né et actuel à faire vérifier la légalité de l’agréement accordé à la X en raison de l’affectation directe de leur situation par les effets de l’agréement déféré dont elles font état, étant souligné à cet égard, que le bien-fondé de l’argumentation ainsi soulevée n’est pas pertinent au niveau de l’analyse de l’intérêt à agir.

Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité sous analyse est à rejeter, sans qu’il y ait besoin de vérifier l’existence d’un intérêt à agir suffisant dans le chef de l’A sur base de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal venant, en effet, de préciser qu’en présence d’une requête collective, telle que celle introduite en l’espèce, il suffit que l’un des demandeurs justifie de l’intérêt requis pour que la requête collective soit déclarée recevable.

A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours en annulation est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

II.

Quant au fond Argumentation et moyens des parties 3 Rusen ERGEC, mise à jour Francis DELAPORTE, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, in Pas.

adm. 2023, n°111, p. 71.

4 Cour adm., 13 janvier 2009, n° 24501C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 26.

5 Rusen ERGEC, mise à jour Francis DELAPORTE, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, in Pas.

adm. 2023, n° 123bis, p. 79.

A l’appui de leur recours les parties demanderesses soulèvent plusieurs moyens qu’ils divisent dans le cadre de leur mémoire en réplique en deux catégories de violations de la loi, à savoir, d’une part, une violation de la procédure d’agrément prévue par l’article 3 de la loi du 1er août 2019 et d’autre part, une violation des conditions d’agrément prévues aux articles 1er et 4 de la loi du 1er août 2019.

Concernant en premier lieu l’allégation d’une violation de la procédure d’agrément les parties demanderesses affirment qu’en vertu des articles 1er et 3 de la loi du 1er août 2019 une mutuelle devrait notamment être constituée en personne morale avant de pouvoir être agréée par le ministre, ce qui ne serait pas le cas de la X laquelle serait dépourvue de la personnalité juridique. Ainsi, même si la loi modifiée du 7 juillet 1961 concernant les sociétés de secours mutuels aurait le cas échéant conféré la personnalité juridique à la X, ladite loi aurait été abrogée par la loi du 1er août 2019 impliquant que la X aurait perdu sa personnalité juridique.

La loi du 1er août 2019, quant à elle, ne contiendrait pas de disposition conférant la personnalité juridique à une mutuelle. De surplus, les statuts de la X n’auraient pas pu valoir acte constitutif d’une personne morale. Le ministre aurait dès lors agréé une entité dépourvue de la personnalité juridique en violation des articles 1er et 3 de la loi du 1er août 2019.

Dans le cadre de leur mémoire en réplique, les parties demanderesses, en se référant à la doctrine, soutiennent qu’afin d’obtenir la personnalité juridique les mutuelles au sens de la loi du 1er août 2019 devraient être formées par « acte-condition privé » lequel devrait correspondre aux exigences de la loi, de même que les formalités qui l’entourent. Aux yeux des parties demanderesses il ressortirait des travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 1er août 2019 que cet « acte-condition privé » aurait dû consister dans le procès-verbal de l’assemblée générale constitutive de la X. Il n’existerait toutefois dans le chef de la X aucun procès-verbal d’une assemblée générale constitutive manifestant l’intention de trois ou plusieurs personnes physiques de constituer une mutuelle.

Les parties demanderesses donnent encore à considérer que dans le cadre de son avis sur le projet de loi ayant abouti à la loi du 1er août 2019, le Conseil d’Etat aurait signalé qu’afin d’éviter toute imprécision, il aurait été préférable de prévoir que les mutuelles doivent se constituer en association sans but lucratif.

Les parties demanderesses contestent encore la théorie des parties défenderesse et tierce intéressée consistant à dire que l’agrément en lui-même conférerait la personnalité juridique à la mutuelle. Les parties demanderesses s’interrogent notamment dans ce contexte sur le sort de la personnalité juridique d’une mutuelle qui se verrait retirer son agrément. Elles insistent sur le fait que l’attribution d’un agrément devrait être précédée de l’obtention par la mutuelle de la personnalité juridique. Les parties demanderesses en concluent qu’à travers la décision déférée le ministre aurait conféré un agrément à une entité qui aurait été juridiquement inexistante.

Elles signalent dans le même contexte que la X n'aurait été immatriculée au registre de commerce et des sociétés qu’en date du 4 février 2022 donc postérieurement à la demande d’agrément et même postérieurement à la requête introductive d’instance.

Les parties demanderesses font en second lieu valoir que l’agrément attaqué constituerait une violation des conditions d’agrément prévues aux articles 1er et 4 de la loi du 1er août 2019 à plusieurs titres, à savoir :

• La partie IV de l’annexe I des statuts de la X prévoirait une affiliation par l’employeur au profit « des employeurs », permettant ainsi à un employeur, personne morale, de devenir affilié de la mutuelle. Toutefois, selon les parties demanderesses seules des personnes physiques pourraient composer un groupement susceptible de qualifier de mutuelle en application des articles 1er, alinéa 1er et 5 de la loi du 1er août 2019. Les parties demanderesses contestent à cet égard l’argumentation des parties défenderesse et ties intéressé en affirmant que le texte de l’article 5 de la loi du 1er août 2019 serait clair en ce qu’il ne parlerait que de « personnes physiques » en tant que membres d’une mutuelle et qu’il ne pourrait pas être contredit par « le clair-obscur » des déclarations de la commission parlementaire dans le cadre des travaux parlementaires relatifs à la loi du 1er août 2029, ayant fait référence à toute personne « physique ou morale » en tant que membre d’une mutuelle.

• Les parties demanderesses argumentent ensuite que l’article 1er de la loi du 1er août 2019 définirait les mutuelles comme personnes morales exerçant « des opérations de prévoyance et de secours ». En revanche, pour le secteur des assurances la directive solvabilité II ainsi que l’article 37 de la loi du 7 décembre 2015 excluraient « les opérations des organismes de prévoyance et de secours » de leur champ d’application. Afin d’être qualifié de mutuelle et de ne pas être soumis aux dispositions restrictives de la loi du 7 décembre 2015 ainsi que de la directive solvabilité II, un organisme ne devrait donc exercer aucune opération qui relèverait du secteur des assurances mais uniquement des opérations de prévoyance et de secours au sens desdites loi et directive. Toutefois, ni la loi du 7 décembre 2015 ni la directive solvabilité II ne définiraient la notion d’opération de prévoyance et de secours, contrairement à la Cour de Justice de l'Union Européenne, désignée ci-après par « la CJUE », laquelle aurait dans un arrêt rendu le 28 octobre 20106 retenu que « (…) les mutuelles belges exerceraient des activités économiques lorsqu'elles fournissent des services d'assurance maladie complémentaire, car, sur ce marché, le principe de solidarité ne pourrait être invoqué et les mutualités y seraient en concurrence avec les assureurs commerciaux, telles les banques et les compagnies d'assurances ». Selon les parties demanderesses, la CJUE aurait donc retenu que les activités d'assurance-maladie complémentaire seraient des activités économiques et ne seraient partant pas des opérations de prévoyance et de secours relevant du secteur des mutuelles. Toutefois, la X offrirait précisément des prestations d'assurance-maladie complémentaires à ses affiliés en leur payant le découvert restant à leur charge après l'intervention de l'assurance-maladie obligatoire. En agréant la X comme mutuelle offrant l'assurance-maladie complémentaire, le ministre aurait dès lors agréé un organisme exerçant des activités relevant du secteur des assurances, de sorte à avoir violé tant la loi du 1er août 2019 que la directive solvabilité II.

• Selon l’article 1er de la loi du 1er août 2019 une mutuelle devrait être un organisme exerçant des opérations de prévoyance et de secours en accordant des « prestations variables selon les ressources disponibles », ce qui distinguerait fondamentalement les mutuelles des entreprises d’assurance. Toutefois, à l’annexe B de ses statuts sous le point « Barème des prestations de la X », de même qu'à l'annexe I desdits statuts, la X promettrait à ses membres des prestations pécuniaires fixes pour les trois régimes d’affiliation offerts, sans le moindre mécanisme de réduction ou d'avertissement opposable aux membres et sans préciser que ces prestations pourraient varier ou diminuer, voire complètement disparaître, si les ressources ou réserves de la X n'en permettaient pas le versement. Ceci constituerait aux yeux des sociétés demanderesses non seulement une réticence trompeuse par rapport aux affiliés de la X et par 6 C-41/10, Commission européenne c. Royaume de Belgique.rapport à leurs propres clients potentiels, mais également une violation de l'article 1er de la loi du 1er août 2019.

Les statuts de la X ne feraient, d’ailleurs, nulle part ressortir le lien obligatoire entre la disponibilité des ressources et la variabilité des prestations. La simple indication dans les statuts de la possibilité de modification des dispositions des statuts « ayant une incidence sur les prestations à fournir » ne pallierait pas ce défaut, de sorte que le ministre n’aurait pas pu agréer une mutuelle dont les statuts ne respectent pas l’article 1er de la loi du 1er août 2019, ni d'ailleurs les dispositions protectrices des consommateurs.

• Contrairement à l’article 1er de la loi du 1er août 2019 lequel exigerait que les contributions à payer par une mutuelle soient forfaitaires, c’est-à-dire fixées par approximation globale pour tout paiement ainsi qu’invariables, dans l’hypothèse où elles sont fixées d'avance, les contributions exigées par la X ne seraient pas forfaitaires. Lesdites contributions varieraient, en revanche, suivant le régime des prestations, selon l'âge d'affiliation selon le nombre de salariés de l'employeur dans l’hypothèse où l’affiliation est faite par l'employeur. De surplus, la X accorderait une remise substantielle de contribution à ses nouveaux affiliés de moins de 30 ans.

Selon les parties demanderesses, le caractère forfaitaire des cotisations permettrait précisément de distinguer les organismes de prévoyance et de secours des entreprises d'assurance lesquelles demanderaient des primes différentes suivant le risque sous-jacent. En exigeant des contributions différentes suivant les caractéristiques de ses affiliés et en accordant des remises au cas par cas, la X utiliserait une technique assurantielle et violerait ainsi l'exigence de contributions forfaitaires typique pour les organismes de prévoyance et de secours.

De surplus, les contributions sollicitées par la X ne seraient pas « appropriées » puisque ses statuts n'indiqueraient pas dans quelle mesure les contributions seraient susceptibles de faire face aux dépenses et engagements fixes de celle-ci à l'égard de ses affiliés Par ailleurs, en accordant la gratuité des prestations aux nouveaux membres de moins de 30 ans et en ne respectant pas le caractère forfaitaire des contributions, les statuts de la X violeraient les articles 1er et 2 de la loi du 1er août 2019qui prévoiraient que chaque membre doit payer une cotisation.

• L’article 1er de la loi du 1er août 2019 exigerait encore que les activités des mutuelles soient soumises au principe de solidarité, correspondant au sein d’une collectivité au lien d’entraide unissant tous les membres de ladite collectivité. Toutefois, selon les parties demanderesses la possibilité offerte aux employeurs d’affilier leurs salariés à la X violerait ce principe de solidarité puisque les employeurs seraient généralement des commerçants agissant dans un but de lucre et non point par solidarité.

• Les parties demanderesses reprochent encore au ministre, en substance, d’avoir agréé la X alors même qu’elle exercerait des activités dépassant son objet et manifestement réservées aux entreprises d’assurance, en proposant à ses membres une assistance en cas de déplacement à l’étranger de même qu’une garantie d’annulation voyage.

• En guise de conclusion les parties demanderesses estiment qu’en prenant la décision litigieuse le ministre n’aurait pas uniquement dû respecter les dispositions de la loi du 1er août 2019 mais encore celles de la loi du 7 décembre 2015 ainsi que celles de la directive solvabilité II. L’agrément déféré violerait ces dispositions sur trois points au moins. Ainsi, l’assurance-

9 maladie complémentaire devrait respecter la directive solvabilité II ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, ensuite, la X offrirait des prestations dans des branches réservées aux entreprises d’assurance et, enfin, la X presterait des services à des membres non-résidents du Grand-Duché de Luxembourg mais habitants les pays limitrophes dans lesquels la X ne disposerait pas du statut de mutuelle.

Enfin, les parties demanderesses reprochent à la partie étatique de n’avoir versé en cause que certains documents mais non point l’intégralité du dossier administratif alors même qu’il s’agirait d’une obligation légale aux termes de l’article 8 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 ».

Tant la partie étatique que la X contestent l’argumentation des parties demanderesses et concluent au rejet du recours en argumentant qu’aucun des moyens avancés ne serait fondé.

• Concernant la question relative à la personnalité juridique de la X, la partie étatique, rejointe en ses propos par la X, argumente qu’une mutuelle ne devrait pas disposer de la personnalité juridique préalablement à l’introduction de sa demande d’agrément, alors que ce serait précisément l’agrément qui conférerait la personnalité juridique à la mutuelle. En effet, la loi du 1er août 2019 créerait une nouvelle catégorie de personnes morales, à savoir les mutuelles agréées, laquelle serait également reprise par les dispositions de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises. La procédure d’agrément d’une mutuelle serait donc spécifique et ne saurait être rapprochée de la procédure d’agrément d’une banque ni de celle d’une société commerciale. D’ailleurs, les travaux parlementaires relatifs à la loi du 1er août 2019 préciseraient qu’à la suite d’un retrait ou de la suspension de l’agrément une mutuelle redeviendrait une association de fait. La X ajoute que faire droit à l’argumentation des parties demanderesses reviendrait à retirer la personnalité juridique à toutes les mutuelles du pays, ce qui n’aurait pas pu être l’intention du législateur. Elle affirme encore que même si la loi du 1er août 2019 ne prévoirait pas de disposition conférant de manière expresse la personnalité juridique aux mutuelles, il résulterait de manière implicite tant des dispositions de la loi elle-

même que des travaux parlementaires afférents que les mutuelles seraient dotées de la personnalité juridique, dans la mesure où toute lecture contraire reviendrait à dire que le législateur aurait du jour au lendemain privé de la personnalité juridique l’ensemble des mutuelles du pays.

• Tant la partie étatique que la X contestent l’argumentation des parties demanderesses selon laquelle seules des personnes physiques pourraient faire partie d’une mutuelle. L’alinéa 2 de l’article 5 limiterait en effet, certes, les membres effectifs d’une mutuelle aux personnes physiques, l’alinéa 1er du même article prévoirait toutefois que toute personne pourrait faire partie d’une mutuelle. Le texte du premier alinéa de l’article 5 de la loi du 1er août 2019 serait donc parfaitement clair en ce qu’il y aurait lieu de comprendre par « toute personne » tant les personnes physiques que les personnes morales. Une première version du premier alinéa dudit article, laquelle se serait référée de manière explicite aux personnes physiques, aurait d’ailleurs été modifiée au cours des travaux d’élaboration de la loi afin de permettre justement qu’une personne morale puisse faire partie de la mutuelle.

• S’agissant de la définition des seules activités de prévoyance et de secours qu’une mutuelle serait autorisée à exercer, la partie étatique estime que l’arrêt précité de la CJUE du 28 octobre 2010 auquel les demandeurs se réfèrent aurait examiné l'applicabilité aux mutuellesbelges de l'exception pour les activités rentrant dans le cadre du régime légal de sécurité sociale prévu à la directive 73/239/CEE du Conseil du 24 juillet 1973 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, et son exercice, désignée ci-après par « la directive 73/239/CEE », et non pas de l'exception prévu pour les opérations de prévoyance et de secours. La directive 73/239/CEE prévoirait d'ailleurs un régime d'exclusions des mutuelles particulièrement différent de celui de la directive solvabilité II.

La X, de son côté, argumente que si les mutuelles belges exerceraient des activités plus larges que les activités de prévoyance et de secours de sorte à être assujetties à la directive solvabilité II, tel ne serait pas le cas des mutuelles luxembourgeoises s’inscrivant dans le cadre des exceptions à l’application de ladite directive. Elle conclut à son tour que la solution retenue par la CJUE dans l’arrêt précité ne serait pas transposable en l’espèce.

La partie étatique argumente qu’en tout état de cause, les mutuelles ne seraient pas régies par la directive solvabilité II, mais tomberaient dans la compétence nationale de chaque Etat membre. Il conviendrait dès lors de se référer à la législation luxembourgeoise pour déterminer si une mutuelle luxembourgeoise effectue - ou non - des activités autorisées par la législation applicable. La loi du 1er août 2019 prévoirait à cet égard que les mutuelles effectuent des « opérations de prévoyance et de secours » sans qu’elle n’impose que les statuts d'une mutuelle prévoient expressément que la mutuelle en question fournisse des activités de prévoyance et de secours. Il conviendrait uniquement de s'assurer que les statuts de la mutuelle ne violent pas ce principe, ce qui serait le cas des statuts de la X.

Selon la partie étatique il serait « généralement considéré » que les mutuelles œuvrent dans le cadre de la prévoyance en vue de couvrir les risques dans lesquels l'affilié ou sa famille pourraient se trouver en cas de maladie, décès ou invalidité. L'objectif serait de se protéger contre les conséquences de certains aléas prédéfinis à travers la constitution d'un « capital social » qui serait alimenté par la cotisation versée par ses membres sans requérir de financement externe. Les statuts de la X n’iraient en aucun cas à l'encontre de ce principe, et la mention de cette mise en place du capital social de la mutuelle pour couvrir les risques de ses affiliés se retrouverait à plusieurs reprises dans les statuts.

• S’agissant de la question soulevée, par les parties demanderesses, relative aux « prestations variables selon les ressources disponibles », la partie étatique estime que les parties demanderesses opéreraient une confusion entre les conditions énoncées par l'article 4 de la loi du 1er août 2019 et celles énoncées par l'article 1er de la loi du 1er août 2019. Ainsi, l’article 1er de ladite loi tracerait simplement le cadre du champ d'application de ladite loi sans imposer que ces mentions devraient figurer dans les statuts. Ce serait, en revanche l’article 4 de ladite loi qui énumérerait les mentions devant figurer dans les statuts. Or, ledit article n’imposerait pas que les statuts indiquent expressément que les prestations de la mutuelle varient en fonction des ressources disponibles. Par ailleurs, aucune mention des statuts irait à l'encontre du principe de variabilité des prestations. De surplus, l’article 47 des statuts de la X prévoirait la possibilité pour la X de modifier ses statuts via une procédure accélérée dans le cas d'une modification qui « aurait une incidence sur les prestations à fournir par la X », ce qui permettrait à la X de modifier ses statuts notamment pour faire varier les prestations en cas de besoin.

La X rejette à son tour l’argumentation des demandeurs en affirmant que les statuts ne mentionneraient certes pas expressément que les prestations seraient susceptibles de varier en fonction des ressources, mais que tel serait le cas, puisque la variabilité des prestations serait un élément intrinsèque au caractère mutualiste de la X qu’il ne serait « pas nécessaire de rappeler ». Ainsi la variabilité des prestations au prorata des ressources disponibles découlerait du mode de fonctionnement même de la mutuelle. Chaque individu serait libre d’adhérer à la X et connaîtrait directement en consultant ses statuts la prestation forfaitaire qu’il serait susceptible de toucher en contrepartie de la contribution annuelle forfaitaire. D’ailleurs si la X ne devait plus disposer des fonds nécessaires aux paiements de certaines prestations, celles-ci seraient nécessairement réduites, la X pourrait revoir chaque année en considération de ses ressources les prestations qu’elle serait à même d’offrir.

La X rejette encore tout reproche de « rétention trompeuse » à son égard au motif que les sociétés demanderesses elles-mêmes n’indiqueraient pas dans leurs statuts qu’elles seraient susceptibles d’encourir une faillite qui l’empêcherait, le cas échéant, de payer les sommes dues aux assurés.

Enfin, elle précise que la X budgétiserait ses dépenses et préviendrait les risques, notamment d’insolvabilité susceptibles de survenir. Il serait ainsi clair qu’une mutuelle de la taille de la X ne serait jamais du jour au lendemain en défaut de paiement puisqu’elle pourrait anticiper les prestations à offrir à ses membres.

• Concernant le caractère « forfaitaire » et « approprié » des contributions à verser par les membres de la X, les parties demanderesses renvoient à l’article 2 de la loi du 1er août 2019 lequel imposerait trois conditions à remplir par les contributions afin d’être qualifiées de forfaitaires et d’appropriés. Ainsi, la contribution devrait être nominale, elle devrait être définie par les statuts et elle devrait permettre de faire face aux dépenses de la mutuelle. Les contributions prévues par les statuts de la X respecteraient parfaitement ces trois critères et, de surplus, leur montant ne serait pas lié à un risque.

La X précise que dans le cadre d’une pratique assurantielle, les critères pris en compte pour la fixation de la cotisation seraient des critères subjectifs dépendant de la situation individuelle de l’assuré. Tel ne serait toutefois pas le cas du système mutualiste, dans le cadre duquel des critères seraient certes fixés, mais il s’agirait de critères objectifs permettant d’attirer une mixité sociale ne variant pas en fonction de chaque individu.

• La partie étatique tout comme la X contestent toute violation du principe de solidarité en expliquant, en substance, que les employeurs ne deviendraient pas membres en tant que tels de la X mais que leur rôle se limiterait à payer la cotisation des affiliations souscrites au nom de leurs employés.

• La partie étatique ainsi que la X rejettent ensuite tout reproche tiré de l’exercice d’activités illégales dans le contexte de contrats d’assurances groupe ainsi que d’assurances annulation voyage. Elles argumentent que les contrats d’assurances groupe proposés par la X correspondraient aux exigences de l’article 2 de la loi du 1er août 2019. Le contrat serait, ainsi souscrit au profit des membres de la mutuelle et en relation directe avec l’objet de cette dernière. En effet, les contrats ne couvriraient que les dommages en lien avec l'objet de la mutuelle à savoir des frais pour soin de santé en lien avec l'assurance maladie et les polices d'assurances couvriraient toujours, à titre principal, le dommage aux personnes et les dégâts matériels en lien avec des dommages corporels ne seraient couverts qu’à titre accessoire. Ilserait donc indubitable que les assurances en cause auraient un lien direct avec l'objet de la X et que ce serait à juste titre que le ministère les aurait agréées.

• Enfin, quant au reproche des parties demanderesses à l’égard de la partie étatique de ne pas avoir versé en cause le dossier administratif, cette dernière estime avoir versé en cause les « pièces pertinentes » permettant au tribunal d’apprécier la légalité de l’agrément déféré.

Elle signale encore que les parties demanderesses ne seraient pas les destinataires de l’agrément déféré mais uniquement des tiers intéressés. Il conviendrait ainsi de s’interroger sur leur « motivation réelle » à vouloir accéder à des documents ne concernant que la X. La partie étatique conclut que les parties demanderesses sous le couvert de la demande de dépôt du dossier administratif chercheraient à avoir accès à des données confidentielles sur un concurrent, raison pour laquelle la partie étatique n’aurait versé en cause que des extraits des contrats d’assistance conclu avec la société F, désignée ci-après par la « F », et G, désignée ci-

après par « la société G ». Selon la partie étatique le dossier administratif tel que sollicité par les parties demanderesses rentrerait dans la catégorie des documents visés par les exceptions énumérées par la loi modifiée du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte, désignée ci-après par « la loi du 14 septembre 2018 », selon lesquelles une demande visant à obtenir des informations, sans qu’il ne soit avéré qu’elles concernent un document administratif existant, ne serait pas recevable. La demande devrait donc permettre d’identifier le document sollicité, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, étant donné que les parties demanderesses se contenteraient de solliciter sans autre précision « le dossier administratif ».

Enfin, la partie étatique renvoie à l’article 1er du règlement (UE) 2016/679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, désigné ci-après par « le règlement UE 2016/679 », pour affirmer que tout document comportant des données à caractère personnel sur des personnes physiques ne pourrait être rendu accessible aux parties demanderesses.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, il convient de rappeler qu’il appartient au tribunal de déterminer la suite du traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent, sans être lié par l’ordre dans lequel ils ont été présentés par les parties.

Ceci étant rappelé, le tribunal constate que le désaccord des parties porte en l’espèce sur la question de la légalité de la décision ministérielle du 8 octobre 2021 ayant agréé la X et, plus concrètement, sur la question de savoir si la X a rempli les conditions légalement requises pour avoir pu être agréée en tant que mutuelle.

L’examen de ces questions appelle de prime abord la détermination de la définition de la notion de mutuelle ainsi que des critères légalement requis pour la qualification de mutuelle.

Aux termes de l’article 1er de la loi du 1er août 2019, les mutuelles sont : « des personnes morales de droit privé sous forme de groupements de personnes physiques qui exercent des opérations de prévoyance et de secours en accordant des prestations variables selon les ressources disponibles en exigeant de chacun de leurs adhérents une contribution forfaitaire appropriée. Leurs activités sont régies par le principe de la solidarité.

Les mutuelles n’ont pas de but lucratif.

13 Les mutuelles peuvent avoir pour seuls objets :

1. le versement d’indemnités en nature ou en espèces en cas de maladie, d’accident, d’invalidité, de vieillesse ou de décès ;

2. la prise en charge de frais pour soins de santé non couverts par l’assurance maladie obligatoire ;

3. le versement d’une indemnité en cas de naissance d’enfants ;

4. le versement d’allocations pour prendre en charge des frais de famille et d’éducation ;

5. la conclusion d’assurances de groupe auprès d’une entité dûment agréée. ».

Il ressort dès lors dudit article de la loi du 1er août 2019 que les conditions légalement requises pour pouvoir bénéficier d’un agrément en tant que mutuelle sont (i) d’être dépourvu de but lucratif, (ii) de poursuivre un des objets limitativement énumérés, (iii) d’être une personne morale de droit privé sous forme de groupements de personnes physiques, (iv) d’exercer des opérations de prévoyance et de secours, (v) d’accorder des prestations variables selon les ressources disponibles, (vi) d’exiger des membres une contribution forfaitaire appropriée et (vii) d’être régi par le principe de la solidarité.

En complément à la définition légalement consacrée des mutuelles, le Conseil d’Etat souligne dans le cadre de son avis relatif aux travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 1er août 2019, l’esprit ainsi que les grands principes caractéristiques selon lesquels sont créées les mutuelles « (…) qui sont, à côté du but non lucratif mentionné à l’alinéa 3, le caractère obligatoire d’une solidarité entre tous les membres, l’interdiction d’une exclusion liée à l’âge ou à l’état de santé préexistant, l’absence de segmentation des cotisations, mis à part une segmentation liée à l’âge ou à des risques modulables, des garanties identiques pour tous les membres et une gouvernance citoyenne en bon père de famille en toute transparence par l’assemblée générale » 7. Une mutuelle présente donc différentes particularités et se caractérise surtout par la solidarité entre ses membres, par l’exercice d’activités dépourvu de tout but de lucre, par les prestations variables selon les ressources disponibles, ainsi que par les contributions forfaitaires et appropriées.

La mutuelle se distingue, dès lors, foncièrement d’une entreprise d’assurance. En effet, tandis que la première est dépourvue de tout but de lucre dans l’exercice de ses activités, la seconde constitue une société commerciale laquelle est évidemment guidée par l’intention de dégager un bénéfice. Le Conseil d’Etat n’a, d’ailleurs, pas manqué de souligner la différence entre la mutuelle et l’entreprise d’assurance en affirmant que : « À l’opposé du contrat d’assurance, la mutuelle telle que définie au projet de loi sous avis fournit « des prestations variables selon les ressources disponibles », le contrat d’assurance stipulant au contraire au profit de l’assuré des prestations contractuelles prédéfinies. Les risques auxquels se voit exposer la mutuelle, et plus particulièrement le risque d’insolvabilité, sont dès lors moindres »8.

Les particularités d’une mutuelle impliquent qu’elle bénéficie d’un statut légal et d’un régime juridique, moins restrictifs et distincts de ceux des entreprises d’assurances. Ainsi, les mutuelles tombent sous le champ d’application de la loi du 1er août 2019, tandis que les 7 Doc parl. n°7058/04, Avis du Conseil d’Etat, Commentaire des articles, ad. article 1er, p. 4 8 Doc parl. n°7058/04, Avis du Conseil d’Etat, Commentaire des articles, ad. article 1er, p. 4 et 5entreprises d’assurances sont régies par la loi du 7 décembre 2015. De même, la directive solvabilité II, applicable aux entreprises d’assurance, exclut à travers son article 9 de son champ d’application les « organismes de prévoyance et de secours qui accordent des prestations variables selon les ressources disponibles et exigent de chacun de leurs adhérents une contribution forfaitaire appropriée ; », c’est-à-dire, les mutuelles. Le statut juridique favorable, distinct et moins restrictif des mutuelles implique en contrepartie que les candidats au statut de mutuelle doivent remplir méticuleusement les conditions légales requises pour être agréés en tant que mutuelle et que les dispositions légales relatives auxdites conditions sont à interpréter de manière restrictive.

Sur la toile de fond ainsi tracée, il convient d’analyser la question opposant concrètement les parties en cause, à savoir celle de savoir si la X a rempli les conditions légalement requises pour avoir pu être agréée par le ministre en tant que mutuelle.

A cet égard, et même indépendamment des questions non dépourvues de pertinence soulevées, par ailleurs, par les parties demanderesses au sujet, notamment, de la personnalité juridique d’une mutuelle, ainsi que de la définition des opérations de prévoyance et de secours, le tribunal est de prime abord amené à analyser l’affirmation des demandeurs selon laquelle il ne ressortirait d’aucun élément du dossier que les prestations de la X seraient « variables selon les ressources disponibles » au sens de l’article 1er de la loi du 1er août 2019, de sorte que le ministre n’aurait pas été en mesure d’apprécier si la condition des « prestations variables selon les ressources disponibles » était remplie dans le chef de la X et qu’il n’aurait partant pas valablement pu agréer la X, étant rappelé à cet égard que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre selon lequel les moyens ont été présentés par les parties, mais qu’il peut les analyser selon la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent.

Dans le contexte de la question du respect de la condition relative aux « prestations variables selon les ressources disponibles », les parties sont d’abord en désaccord sur l’étendue du pouvoir de contrôle du ministre saisi d’une demande d’agrément d’une mutuelle. Ainsi, la X et la partie étatique argumentent que les parties demanderesses opéreraient une confusion entre l’article 4 et l’article 1er de la loi du 1er août 2019 en ce que « en aucun cas la Loi de 2019 ne [requerrait] que les statuts prévoient expressément que les prestations de la mutuelle varient en fonction des ressources disponibles », mais que ladite loi se limiterait à prévoir à son article 4 que les statuts mentionnent « le ou les montants des contributions forfaitaires » et « les prestations à offrir aux membres par les mutuelles », de sorte qu’il suffirait au ministre de vérifier si les statuts contiennent les mentions requises par l’article 4 de la loi en question.

L’article 3 de la loi du 1er août 2019, intitulé « L’agrément », prévoit les modalités relatives à la délivrance d’un agréement à une mutuelle et dispose dans son second alinéa qu’« Avant d’agréer la mutuelle, le ministre vérifie si les statuts sont dressés conformément aux articles 1er et 4 ».

Ledit article 1er, précité in extenso, de la loi du 1er août 2019, trace le champ d’application de ladite loi et définit la notion de mutuelle ainsi que les conditions précitées qu’elle doit remplir, à savoir (i) d’être dépourvu de but lucratif, (ii) de poursuivre un des objets limitativement énumérés, (iii) d’être une personne morale de droit privé sous forme de groupements de personnes physiques, (iv) d’exercer des opérations de prévoyance et de secours, (v) d’accorder des prestations variables selon les ressources disponibles, (vi) d’exiger des membres une contribution forfaitaire appropriée et (vii) d’être régi par le principe de la solidarité.

L’article 4 de ladite loi, intitulé « Les statuts », énumère les mentions que les statuts d’une mutuelle doivent comporter9.

Aux termes du second alinéa précité de l’article 3, il incombe donc au ministre de vérifier non seulement si les statuts du candidat à l’agrément de mutuelle indiquent explicitement les mentions exigées par l’article 4 de la même loi, mais encore si les statuts répondent de manière générale aux critères et conditions imposés par le premier article de ladite loi. En effet, dans la mesure où l’article 3, alinéa 2 de la loi du 1er août 2019 exige expressément une vérification de la conformité des statuts tant à l’article 1er qu’à l’article 4 de la même loi, la seule indication dans les statuts des mentions exigées par l’article 4 de la loi en question n’est pas suffisante pour les rendre conformes à ladite loi, encore faut-il que les statuts fassent ressortir, si ce n’est pas explicitement, du moins implicitement, que les conditions prévues par l’article 1er soient remplies. Considérer que l’obligation de contrôle du ministre ne porte que sur l’indication explicite dans les statuts des mentions indiquées à l’article 4 de la loi du 1er août 2019, viendrait, en effet, à vider l’article 3, alinéa 2 de la même loi de son sens.

Appliquées au recours sous examen, les considérations qui précèdent impliquent que le ministre, lors de son contrôle des statuts lui soumis par la X en vue de la délivrance d’un agrément, n’a pas pu se limiter à vérifier si les statuts indiquent expressément les éléments prescrits par l’article 4 de la loi du 1er août 2019, mais qu’il a encore dû contrôler si lesdits statuts ont fait ressortir, si ce n’est explicitement, du moins implicitement, les éléments prévus par l’article 1er de la même loi, et donc notamment si les prestations de la X étaient « variables selon les ressources disponibles » au sens de l’article 1er de la loi du 1er août 2019.

La question de l’étendue du pouvoir de contrôle du ministre au sens de l’article 3, alinéa 2 de la loi du 1er août 2019 étant ainsi résolue, il y a ensuite lieu d’analyser concrètement si les ministre a pu retenir si les statuts ont fait ressortir, si ce n’est explicitement, du moins implicitement, les éléments prévus par l’article 1er de la même loi, et notamment si les prestations de la X étaient « variables selon les ressources disponibles », étant rappelé que le tribunal vient de retenir que l’interprétation des conditions énoncées par l’article 1er de la loi du 1er août 2019 était à opérer de manière restrictive en raison du régime juridique particulier dont bénéficient les mutuelles.

9 Article 4 de la loi du 1er août 2019 :

« Les statuts mentionnent :

1. la dénomination qui comprend soit le terme de « mutualité », soit le terme de « mutuelle », soit le terme de « mutualiste » accompagnée de la précision que la mutuelle agréée fera usage de ce terme dans tous, les actes, annonces, publications et autres pièces qu’elle émet ;

2. le siège qui doit être fixé sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg ;

3. l’objet ou les objets en vue desquels elle est formée sans qu’une condition d’âge puisse être incluse pour des personnes autres que les mineurs d’âge ;

4. le nombre minimum des membres qui ne peut être inférieur à trois ;

5. les conditions mises à l’entrée et à la sortie des membres ;

6. le ou les montants des contributions forfaitaires appropriées à verser par les membres et les prestations à offrir aux membres par la mutuelle ;

7. les délais et les formes dans lesquelles les cotisations sont à verser par les membres ;

8. les attributions et le mode de convocation de l’assemblée générale ainsi que les conditions dans lesquelles ses décisions sont portées à la connaissance des membres et des tiers ;

9. les modalités du vote des membres et du vote par procuration ;

10. le mode de nomination et les pouvoirs des membres du conseil d’administration, dont la qualité en laquelle ils agissent et signent les actes, ainsi que la durée de leur mandat, et 11. les règles à suivre pour modifier les statuts ».

Concernant, dans ce contexte, d’abord les mentions explicites des statuts, il échet à titre liminaire de préciser que la discussion opposant les parties en cause dans ce contexte relative à la version des statuts que le ministre aurait dû prendre en compte n’est pas pertinente pour l’analyse du recours sous examen, étant donné que les dispositions des statuts auxquelles se sont référées de part et d’autre les parties en cause à l’appui de leurs affirmations, ne divergent pas selon les différentes versions des statuts versées en cause.

Il convient ensuite de constater qu’aucune disposition explicite des statuts de la X ne mentionne expressément un lien de corrélation direct entre les prestations offertes par la X et les ressources auxquelles elle peut recourir. Bien au contraire, le chapitre V des statuts de la X, intitulé « Les prestations de la X » comporte sous son sous-chapitre I, intitulé « Dispositions communes à toutes les couvertures », des « généralités » - consistant dans l’indication notamment des domaines dans lesquelles la X intervient, l’alignement du calcul des prestations sur le les prestations servies par l’assurance maladie obligatoire etc - les dispositions relatives à la situation de « fraude », au « délais de forclusion », aux « modalités du versement des prestations », aux « frais non couverts » ainsi qu’aux « prestations complémentaires », sans pour autant comporter une quelconque disposition indiquant expressément que les prestations à fournir par la X seraient variables en fonction de ses ressources disponibles.

De même, l’annexe B des statuts de la X, intitulé « Barème des prestations », indique que les prestations fixées varieraient en fonction du nombre-indice 100 du coût de la vie, sans pour autant indiquer d’une quelconque manière que les prestations pourraient varier en fonction des ressources disponibles. Bien au contraire, ladite annexe aux statuts de la X indique concrètement et de manière chiffrée les forfaits, ainsi que les plafonds des remboursements accordés par la X sans aucune nuance ou indication relative à une éventuelle limitation ou diminution des prestations en fonction des ressources disponibles.

Force est ensuite de constater que les statuts de la X ne font pas non plus ressortir de manière implicite que les prestations à fournir seraient variables selon les ressources disponibles. L’argumentation de la X ainsi que de la partie étatique selon laquelle l’article 47 des statuts prévoirait une procédure accélérée de modification des statuts, ce qui laisserait sous-

entendre que les prestations pourraient être adaptées en fonction des ressources, n’est ainsi pas fondée. En effet, le seul fait que les statuts prévoient une possibilité de modification accélérée des statuts ne fait en tout état de cause pas ressortir un quelconque lien entre les prestations à fournir par la X et ses ressources disponibles. Par ailleurs, si la X et la partie étatique insistent sur l’article 47 des statuts de la X pour en déduire qu’une modification accélérée des statuts serait susceptible d’intervenir en cas de « modification » ayant une incidence sur les prestations à fournir, elles omettent de citer l’intégralité dudit article 47 b) des statuts aux termes duquel « En cas de modification des statuts de la Caisse Nationale de Santé ayant une incidence sur les prestations à fournir par la X, le délai de 60 jours est réduit à 30 jours. ». Par la « modification » à laquelle la X ainsi que la partie étatique se réfèrent, il y a partant lieu d’entendre une « modification des statuts de la Caisse nationale de Santé » et non pas ses propres statuts. Or, il ressort, ainsi, certes dudit article 47 des statuts de la X que les prestations de la X peuvent être adaptées en cas de modification des statuts de la Caisse nationale de Santé sans pour autant établir un quelconque lien corrélatif direct entre les prestations de la X et les ressources dont elle dispose.

De même, une corrélation direct entre les prestations fournies et les ressources disponibles ne saurait pas non plus être déduite de l’article 8 des statuts de la X relatif àl’« organisation financière » de la X, énonçant la composition des recettes et des dépenses de la X, cet article restant en effet, à son tour, muet sur toute variabilité des prestations en fonction des recettes.

Par ailleurs, l’explication de la X selon laquelle les prestations variables selon les ressources disponibles constitueraient un élément « intrinsèque au caractère mutualiste » qui ne serait « pas nécessaire de rappeler », constitue une simple affirmation laquelle est manifestement insuffisante pour établir la réalité de la variabilité des prestations selon les ressources disponibles de la X. De surplus, la X admet elle-même à travers cette argumentation que ni ses statuts ni un quelconque autre document ne font état d’une variabilité des prestations en fonction des ressources disponibles.

De même, l’argument soulevé par la X selon lequel elle « budgétise ses dépenses et prévient les risques notamment d’insolvabilité susceptibles de subvenir » n’est pas pertinent dans le cadre de la question de la variabilité des prestations. En effet, comme la X l’indique elle-même, le fait de prévoir ses dépenses dans le budget constitue un moyen de prévention de problèmes financiers, donc un moyen de gestion des finances, n’ayant toutefois pas trait aux caractéristiques mêmes des prestations à fournir par la mutuelle, ni a fortiori à leur variabilité.

Eu égard aux considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la conclusion qu’il ne ressort ni d’un élément explicite ni d’un élément implicite du dossier soumis en cause que les prestations de la X seraient « variables selon les ressources disponibles » au sens de l’article 1er de la loi du 1er août 2019, de sorte qu’au vu des éléments soumis au tribunal, le ministre n’a pas valablement pu retenir que ladite condition était remplie dans le chef de la X et qu’il n’a partant pas valablement pu agréer la X.

Cette conclusion n’est pas énervée par les affirmations de la partie étatique laquelle tente d’établir que le ministre aurait tout de même vérifié et constaté que les prestations fournies par la X étaient effectivement variables en fonction des ressources disponibles, et ce sur base de l’ensemble des éléments ayant figuré dans le dossier de demande d’agréement lui soumis.

La partie étatique s’est, en effet, à tort limitée dans le cadre de la présente instance contentieuse à déposer certains documents seulement au tribunal administratif, qu’elle estime de manière subjective être « les pièces pertinentes aux fins de répondre aux moyens invoqués par les Requérants » limitant de fait et de sa propre initiative l’étendue de l’analyse à laquelle le tribunal devrait procéder selon elle. Toutefois, lesdits documents consistant dans (i) les statuts de la X, (ii) un extrait du contrat d’assurance pour compte entre la X et la société F, (iii) un extrait du contrat d’assurance annulation conclu entre la X et la société G, (iv) la composition du conseil d’administration de la X et (v) la proposition de modification statutaires de la X entrée en vigueur le 1er janvier 2020, n’ont pas pu permettre, tel que le tribunal vient de le retenir, au ministre de retracer que les prestations de la X étaient variables en fonction des ressources disponibles au sens de l’article 1er de la loi du 1er août 2019.

L’argumentation de la partie étatique fondée sur d’autres éléments contenus dans le dossier administratif reste, quant à elle, à l’état de pure allégation pour n’être aucunement corroborée par des éléments concrets versés en cause, étant donné que la partie étatique est restée en défaut de verser en cause l’intégralité du dossier administratif relatif à la décision d’agrément déférée et notamment le dossier de demande d’agrément auquel elle se réfère dans le cadre de son argumentation. Elle prive ainsi le tribunal de toute possibilité de vérification des éléments du dossier administratif auxquels elle se réfère, de sorte que son argumentationafférente ne permet pas d’établir que le ministre aurait pu vérifier ni a fortiori constater que les prestations de la X étaient variables en fonction des ressources disponibles.

Il échet dans ce contexte de préciser que si la non-communication de l’intégralité du dossier administratif ne constitue pas nécessairement et automatiquement une cause d’annulation de la décision litigieuse, il n’en demeure pas moins que toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux devant avoir existé au moment où elle a été prise, motifs dont le juge administratif est appelé à vérifier tant l'existence que la légalité. Ces motifs doivent être rétraçables, à la fois par la juridiction saisie et par les administrés intéressés, afin de permettre l'exercice effectif tant des droits de la défense que du contrôle juridictionnel de légalité prévu par la loi. Si toutefois l’administration refuse de verser en cause les éléments sur lesquels elle explique avoir fondé la décision déférée, elle empêche l’exercice des droits de la défense que le contrôle juridictionnel de la légalité et il y a lieu de conclure que l’autorité administrative n’a pas valablement pu prendre la décision déférée laquelle est dépourvue de motivation.

Si la partie étatique tente de justifier le fait de ne pas avoir déposé l’intégralité du dossier administratif au tribunal administratif en se référant aux dispositions de la loi du 14 septembre 2018, respectivement du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », cette argumentation est à rejeter pour ne pas être fondée.

S’agissant, tout d’abord, de la référence à la loi du 14 septembre 2018 opérée par la partie étatique, il convient de constater que ladite loi a été adoptée, tel que son nom l’indique, dans un objectif de transparence et plus particulièrement de la mise en œuvre d’une politique d’ouverture aux citoyens des documents qui sont détenus par les autorités administratives10 au sens large. Elle consacre, ainsi, un droit d’accès généralisé aux documents détenus par les autorités administratives dans la mesure où les documents sont relatifs à l’exercice d’une activité administrative, tout en énumérant sous son article 1er, paragraphe (2) certains documents qui sont exclus du droit d’accès11.

10 Doc. parl. n°6810, Projet de loi relative à une administration transparente et ouverte, Exposé des motifs, p.2 11 Article 1er de la loi du 14 septembre 2018 : « 1) Les personnes physiques et les personnes morales ont un droit d’accès aux documents détenus par les administrations et services de l’État, les communes, les syndicats de communes, les établissements publics placés sous la tutelle de l’État ou sous la surveillance des communes ainsi que les personnes morales fournissant des services publics, dans la mesure où les documents sont relatifs à l’exercice d’une activité administrative. Elles ont également accès aux documents détenus par la Chambre des Députés, le Conseil d’État, le Médiateur, la Cour des comptes et les Chambres professionnelles, qui sont relatifs à l’exercice d’une activité administrative.

(2) Sont toutefois exclus du droit d’accès, les documents relatifs :

1.

aux relations extérieures, à la sécurité du Grand-Duché de Luxembourg ou à l’ordre public ;

2.

à la sécurité des personnes ou au respect de la vie privée ;

3.

au déroulement des procédures engagées devant les instances juridictionnelles, extrajudiciaires ou disciplinaires ou d’opérations préliminaires à de telles procédures ;

4.

à la prévention, à la recherche ou à la poursuite de faits punissables ;

5.

à des droits de propriété intellectuelle ;

6.

à un secret ou une confidentialité protégés par la loi ;

7.

aux missions de contrôle, d’inspection et de régulation des organismes visés au paragraphe 1er ;

8.

au caractère confidentiel des informations commerciales et industrielles communiquées aux organismes visés au paragraphe 1er ;

19 Contrairement aux affirmations de la partie étatique, le dossier administratif n’entre pas « dans le domaine administratif auquel on applique la loi du 14 septembre 2018, et plus particulièrement les exceptions prévues par la loi en matière de documents administratifs ».

Le champ d’application de ladite loi est clairement limité aux activités administratives des autorités administratives et ne s’étend pas à la procédure contentieuse devant les juridictions administratives laquelle est essentiellement régie par la loi du 21 juin 1999. En ce qui concerne plus particulièrement la question de la communication du dossier administratif par l’autorité administrative au cours de l’instance contentieuse, l’article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999 impose expressément à l’autorité administrative, dans des termes sans équivoque et sans exception possible, de déposer le dossier administratif au greffe du tribunal, en disposant que :

« L’autorité qui a déposé l’acte visé par le recours dépose le dossier au greffe sans autre demande, dans le délai de trois mois à partir de la communication du recours ». La loi du 14 septembre 2018 n’est donc pas applicable en matière de procédure contentieuse, de sorte que les exceptions énoncées sous son article 1er, paragraphe (2) n’ont pas pu faire échec à l’obligation imposée par l’article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999 à l’autorité administrative de déposer le dossier administratif au tribunal administratif. La partie étatique n’a donc pas pu se fonder sur lesdites exceptions pour soutenir qu’elle aurait été dispensée de verser le dossier administratif en cause dans son intégralité. Au contraire, un pareil procédé empêcherait le juge administratif de retracer la motivation à la base de la décision déférée tant en droit qu’en fait et constituerait une atteinte précisément au principe de transparence, mais encore une atteinte aux principes du contradictoire et de respect des droits de la défense.

L’argumentation de la partie étatique selon laquelle elle aurait été dispensée de verser en cause le dossier administratif sur base de l’article 13 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est à son tour à rejeter, et ce, à un double titre.

De prime abord, le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est applicable, comme son intitulé l’indique, aux procédures menées par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en d’autres termes, aux procédures non contentieuses. Ledit règlement grand-ducal ne s’applique pas aux procédures contentieuses devant les juridictions administratives de sorte que l’argumentation de la partie étatique fondée sur ledit règlement grand-ducal est d’ores et déjà à rejeter.

Au-delà de ces considérations et à titre superfétatoire il y a lieu de constater qu’aux termes dudit article 13 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la communication ne peut être refusée que dans certaines situations, à savoir si « des intérêts publics importants exigent que le secret soit gardé; des intérêts privés importants, notamment ceux des parties ayant des intérêts opposés, exigent que le secret soit gardé ou lorsque les pièces contiennent des informations pouvant constituer une atteinte à l´intimité de la vie privée d´autres personnes » ou encore s’ « il y a péril en la demeure et que la décision ne peut être différée. (…) ». La partie étatique reste toutefois en défaut d’établir qu’une des situations ainsi énumérées serait vérifiée en l’espèce.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que les éléments lui soumis ne permettent pas de retenir que le ministre a valablement pu 9.

à la capacité des organismes visés au paragraphe 1er de mener leur politique économique, financière, fiscale et commerciale si la publication des documents est de nature à entraver les processus de décision y relatifs ;

10.

à la confidentialité des délibérations du Gouvernement.

20 décider que les statuts de la X étaient dressés conformément aux articles 1er et 4 de la loi du 1er août 2019, au sens de l’article 3, alinéa 2 de la même loi et plus particulièrement qu’il n’a pas valablement pu vérifier, ni a fortiori constater que les prestations fournies par la X seraient variables selon les ressources disponibles au sens de l’article 1er de la loi du 1er août 2019, étant relevé que l’importance pour le ministre de contrôler si les prestations à fournir par un candidat au statut de mutuelle sont effectivement variables en fonction des ressources disponibles, résulte, d’un côté, de manière évidente de la nécessité de garantir la transparence et la sécurité des membres d’une mutuelle et d’un autre côté du fait que, tel que le tribunal vient de le préciser, le régime juridique particulier et moins restrictif auquel sont soumis les mutuelles face aux entreprises d’assurances implique qu’un candidat au statut de mutuelle doit respecter strictement les conditions pour accéder audit statut et que les dispositions législatives relatives audit statut sont à interpréter de manière restrictive.

Il s’ensuit que l’arrêté ministériel déféré du 8 octobre 2021 portant agrément de la X encourt l’annulation pour avoir été adopté en violation des articles 1er et 3, alinéa 2 de la loi du 1er août 2019.

III. Quant aux demandes tendant à l’obtention d’une indemnité de procédure Tant la partie étatique que la X sollicitent l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de respectivement 5.000 euros sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

Ces demandes sont cependant à rejeter au vu de l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule l’arrêté ministériel du 8 octobre 2021 portant agrément de la mutuelle dénommée « X », publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial B, n° 3886, du 19 octobre 2021 ;

rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées par la partie étatique ainsi que par la X ;

fait masse des frais et dépens et les impose pour moitié à la partie étatique et pour moitié à la X.

Ainsi jugé par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, juge Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique extraordinaire du 9 août 2024 par le premier vice-président, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 22


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 46911
Date de la décision : 09/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-09;46911 ?

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