Tribunal administratif N° 46945 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46945 5e chambre Inscrit le 27 janvier 2022 Audience publique extraordinaire du 9 août 2024 Recours formé par l’association sans but lucratif A et consorts, Luxembourg, contre une décision du ministre de la Sécurité sociale et du ministre délégué à la Sécurité sociale en matière d’agrément
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 46945 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 janvier 2022 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH SA, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue J.F. Kennedy, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro B 186371, représentée par Maître Paul MOUSEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de • l’association sans but lucratif A, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … ;
• la société anonyme B, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … ;
• la société anonyme C, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … ;
• la société anonyme D, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro …, dont l’instance a été reprise suivant acte de reprise d’instance déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2024 par la société anonyme E, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … ;
tendant à l’annulation d’une « décision prise en date du 27 octobre 2021 conjointement par le Ministre de la Sécurité sociale et la Ministre déléguée à la Sécurité sociale, refusant de suspendre l’agrément de la « F» comme mutuelle au sens de l’art. 1er al. 1er de la loi du 1er août 2009 concernant les mutuelles » ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Kelly FERREIRA SIMOES, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, les deux demeurant à Luxembourg, du2 février 2022 portant signification de la requête introductive d’instance à la F, établie à L-…, représentée par son représentant légal en exercice ;
Vu la constitution d’avocat adressée au greffe du tribunal administratif par télécopie du 3 février 2022 par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la F ;
Vu la constitution d’avocat adressée au greffe du tribunal administratif par télécopie du 2 mars 2022 par la société en commandite simple ALLEN & OVERY SCS, inscrite sur la liste V du tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-
1855 Luxembourg, 5, avenue J.F. Kennedy, représentée pour la présente procédure par Maître Thomas BERGER, avocat à la Cour, au nom de de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu la demande en prorogation du délai légal pour déposer le mémoire en réponse présentée par Maître Steve HELMINGER en date du 4 mars 2022 ;
Vu l’ordonnance du 21 mars 2022 du vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président du tribunal administratif, portant rejet de la demande de prorogation du délai légal pour déposer le mémoire en réponse ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 avril 2022 par la société en commandite simple ALLEN & OVERY SCS, préqualifiée, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2022 par Maître Steve HELMINGER, préqualifié, au nom de la F, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2022 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH SA, préqualifiée, au nom de l’association et des sociétés requérantes ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2022 par Maître Steve HELMINGER, préqualifié, au nom de la F, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er juillet 2022 par la société en commandite simple ALLEN & OVERY SCS, préqualifiée au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Paul MOUSEL assisté de Maître Pierre–Michaël de WAERSEGGER, Maître Thomas BERGER, assisté de Maître Helena FINN, ainsi que Maître Adrian KARIGER en remplacement de Maître Steve HELMINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 janvier 2024.
Par courrier du 23 octobre 2020, l’association sans but lucratif A du Grand-Duché de Luxembourg, désignée ci-après par « A », s’adressa au ministre de la Sécurité sociale, ainsi qu’au ministre délégué à la Sécurité sociale, désignés ci-après par « les ministres », pour leurdemander de « vérifier si la F remplit encore les conditions pour être qualifiée d’organisme de prévoyance et de secours (…) » et en affirmant que « Si elle ne remplissait pas ou plus ces conditions, elle (…) se trouverait potentiellement en situation d’exercice illégal d’une activité d’assurance ».
Par arrêté du 8 octobre 2021, le ministre de la Sécurité sociale, agréa la mutuelle dénommée « F », désignée ci-après par la « F ». Ledit arrêté ministériel publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial B, n° 3886, du 19 octobre 2021, est libellé comme suit :
« Le Ministre de la Sécurité sociale, Vu la loi du 1er août 2019 concernant les mutuelles ;
Vu la demande d’agrément de la mutuelle dénommée « F », sise à L-…, du 26 août 2021 introduite conformément à l’article 3 de la loi du 1er août 2019 concernant les mutuelles ;
Considérant que les statuts de la F sont conformes aux dispositions de la loi du 1er août 2019 concernant les mutuelles ;
Arrête :
Art. 1er.
Est agréée la mutuelle dénommée « F », sise à L-…. (…) ».
En réponse au courrier précité de l’A du 23 octobre 2020, les ministres constatèrent par courrier du 27 octobre 2021 que suite à une analyse des onze points soulevés par ladite association, les services du ministère de la sécurité sociale étaient parvenus « à la conclusion que les dispositions de la Loi concernant les mutuelles sont respectées par la F » Ledit courrier précise encore qu’ : « Il découle de ce qui précède que l’agrément de la F émis en application des dispositions en la matière n’est pas à suspendre. De même, les dernières modifications statutaires introduites par la F applicables à partir du 1er janvier 2021 ainsi que la demande pour un nouvel agrément introduite en application des dispositions de la Loi concernant les mutuelles ont été approuvées en date du 8 octobre 2021. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2022 l’association sans but lucratif A, désignée ci-après par « l’A », la société anonyme B, désignée ci-après par « la société B », la société anonyme C, désignée ci-après par « la société C » et la société anonyme D, désignée ci-après par « la société D », dont l’instance a été reprise suite à une absorption par la société anonyme E, désignée ci-après par « la société E », firent introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 8 octobre 2021 publié au Mémorial B, n° 3886, du 19 octobre 2021 portant agrément de : « la mutuelle dénommée « F», sise à L-… ».
Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2022, l’A Santé, la société B, la société C et la société D, dont l’instance a été reprise par la société E, firent introduire le recours sous examen tendant à l’annulation de la « décision prise en date du 27 octobre 2021 conjointement par le Ministre de la Sécurité sociale et la Ministre 3 déléguée à la Sécurité sociale, refusant de suspendre l’agrément de la « F» comme mutuelle au sens de l’art. 1er al. 1er de la loi du 1er août 2009 concernant les mutuelles ».
I.
Quant à la recevabilité du recours Moyens et arguments des parties Tant la partie étatique que la F concluent à l’irrecevabilité du recours à plusieurs égards.
Elles font, ainsi, valoir en premier lieu que le courrier déféré des ministres du 27 octobre 2021 ne constituerait pas une décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux, au motif qu’il ne s’agirait que d’une simple information à l’adresse de l’A, précisant que l’agrément de la F serait maintenu dans l’ordonnancement juridique. Selon les parties défenderesse et tierce intéressée, ledit courrier n’apporterait donc aucun nouvel élément, ni aucune conséquence en droit et les indications y contenues ne seraient pas de nature à produire des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale des parties demanderesses, de sorte à ne pas pouvoir être qualifié de décision administrative faisant grief.
Tant la partie étatique que la F soulèvent ensuite l’irrecevabilité du recours sous examen pour être dirigé contre un courrier dont les parties demanderesses n’auraient pas été le destinataire. Elles expliquent que le courrier déféré des ministres du 27 octobre 2021 constituerait une réponse à une demande formulée par l’A et non point par une des parties ayant introduit le recours sous examen. Ces dernières auraient dès lors introduit un recours contre un courrier dont elles ne seraient ni le destinataire direct ni le destinataire indirect, de sorte que le recours serait irrecevable.
La F conclut encore à l’irrecevabilité du recours sous examen pour être dépourvu d’objet. Ainsi, à travers l'introduction de leur recours en annulation, les parties demanderesses solliciteraient l’annulation d’une prétendue décision ministérielle de refus de la suspension d’un agrément qui n’aurait même plus existé au moment de la prise de position étatique. La F explique à cet égard que lorsque l'A se serait adressée en octobre 2020 au ministre afin de voir suspendre l'agrément de la F, cette dernière aurait disposé d'un agrément ou aurait tout de moins été reconnue en tant que mutuelle au Luxembourg de par l'effet de la loi du 7 juillet 1961 concernant les sociétés de secours mutuels, entretemps abrogée par loi modifiée du 1er août 2019 concernant les mutuelles, désignée ci-après par « la loi du 1er août 2019 ». La demande formulée par l’A sur base de la loi du 1er août 2019 aurait donc été sans objet, puisque ladite loi n’aurait à l’époque pas été applicable à la situation de la F.
La F ajoute qu’en date du 8 octobre 2021, le ministre de la Sécurité sociale lui aurait accordé un nouvel agrément sur base de la loi du 1er août 2019. Ainsi, l’agrément précédent fondé sur la loi précitée du 7 juillet 1961 n’aurait tout simplement plus existé et le recours dirigé contre un courrier relatif audit agrément fondé sur la loi du 7 juillet 1961 devrait par conséquent encourir l’irrecevabilité faute d’objet.
La partie étatique ainsi que la F estiment ensuite, en substance, que le préjudice allégué par les parties demanderesse ne trouverait pas son origine dans le courrier déféré du 27 octobre 2021 mais dans les dispositions de la loi du 1er août 2019 elle-même. Les parties demanderesses tenteraient en effet de faire cesser à travers le recours sous examen l’activitéexercée par la F en application de la loi du 1er août 2019. Le courrier déféré ne constituerait partant pas une décision administrative faisant grief, de sorte que le recours serait encore irrecevable à cet égard.
Tant la partie étatique que la F soulèvent encore l’irrecevabilité du recours au motif que l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 », n’ouvrirait le droit aux associations d’agir contre les seuls actes administratifs à caractère règlementaire à l’exclusion des actes individuels. L’intention du législateur de limiter la possibilité des associations d’introduire un recours contentieux ressortirait des travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 7 novembre 1996. Lesdits travaux parlementaires affirmeraient toutefois encore que l’intention du législateur aurait été nuancée, dans le sens qu’il aurait entendu laisser le soin aux juridictions administratives de préciser l’étendue de l’intérêt à agir des associations en matière de décisions administratives individuelles. A cet égard, la Cour administrative aurait certes admis, par un arrêt du 15 juillet 2010, inscrit sous numéro de rôle 26739C du rôle, la possibilité pour les associations d’introduire des recours contre des actes administratifs à caractère individuels, mais uniquement dans le cadre bien précis de la matière pour la défense de laquelle l’association aurait été agréée. En l’espèce, l’agrément déféré attribué à la F serait un acte administratif individuel, de sorte que la solution retenue par l’arrêt de la Cour administrative précité ne serait pas transposable puisque l’agrément n’aurait pas été pris dans le cadre de la matière pour la défense de laquelle l’association aurait été agréée.
Les parties défenderesse et tiers intéressé concluent en conséquence à l’irrecevabilité du recours.
Les parties demanderesses contestent toute irrecevabilité du recours.
Elles affirment que le courrier du 27 octobre 2021 constituerait un acte administratif unilatéral à caractère décisionnel leur causant grief et qu’il serait susceptible de faire l’objet d'un recours en annulation devant les juridictions administratives. Le recours serait ainsi dirigé contre « un refus du Ministre de sanctionner un comportement illégal de la F ».
Elles contestent l’irrecevabilité du recours en estimant en substance que la situation de droit et de fait à l’époque de la lettre de l’A, soit au 23 octobre 2020, ne serait pas importante, mais celle au jour de la prise de la décision déférée par le ministre de la Sécurité sociale. Il appartiendrait, en effet, au ministre de la Sécurité sociale d’appliquer d’office le droit applicable au moment de la prise de sa décision. En l’espèce, en date du 27 octobre 2021, la loi du 1er août 2019 aurait d’ores-et-déjà été en vigueur et l’arrêté ministériel du 8 octobre 2021 portant agrégation de la F aurait d’ores-et-déjà été pris. Il aurait donc appartenu au ministre de la Sécurité sociale de vérifier spontanément la conformité de l’agrément délivré à la F le 8 octobre 2021 ainsi que les statuts de la F avec la loi du 1er août 2019. Les parties demanderesses font par ailleurs valoir que leur intérêt à agir contre le courrier déféré du 27 octobre 2021 persisterait indépendamment de l’issue du recours contentieux qu’elles auraient entretemps introduit contre la décision du ministre de la Sécurité sociale du 8 octobre 2021 portant agrément de la F en application des dispositions de la loi du 1er août 2019.
Les parties demanderesses concluent encore à la recevabilité de leur recours en affirmant que le courrier déféré du 27 octobre 2021 revêtirait un caractère décisionnel et s’analyserait en décision administrative faisant grief. Le ministre de la Sécurité sociale auraitainsi décidé que la F respectait les dispositions de la loi du 1er août 2019 et il n’aurait pas seulement fournit des indications générales sur la teneur de la loi ou la situation de droit. De même, selon les parties demanderesses, le courrier déféré leur causerait grief, lequel trouverait sa cause dans l’exercice illégal par le F d’activités prévues par la loi modifiée du 7 décembre 2015 sur le secteur des assurances, désignée ci-après par « la loi du 7 décembre 2015 », sur base de son agrément de mutuelle, sans s’inscrire dans le cadre des activités autorisées par exception par la loi du 1er août 2019.
Les parties demanderesses affirment encore disposer d’un intérêt à agir contre le courrier du 27 octobre 2021 en renvoyant à leur argumentation selon laquelle l’objet de leur recours ne serait pas de contester les dispositions de la loi du 1er août 2019, mais de faire cesser les effets d’une décision qui leur causerait grief, lequel trouverait sa cause dans l’exercice illégal par le F d’activités prévues par la loi du 7 décembre 2015, sur base de son agrément de mutuelle. Le grief causé serait donc indiscutable et consisterait dans la concurrence illégale et déloyale que leur ferait la F. L’annulation du courrier déféré du 27 octobre 2021 ferait nécessairement cesser le grief leur causé étant donné qu’elles ressaisiraient « nécessairement le ministre de la Sécurité sociale » d’une demande de suspension voire de retrait de l’agrément de la F.
Les parties demanderesses concluent encore à l’intérêt à agir contre le courrier du 27 octobre 2021 de l’A, en faisant valoir en substance qu’une association ou un groupement serait admis à agir pour défendre ses droits ou intérêts propres ou les droits et intérêts de ses membres, ce qui serait le cas en l’espèce, étant donné que l’A aurait été constituée entre autres pour promouvoir le secteur de l’assurance non-vie dans certaines branches et qu’elle disposerait dans ce contexte du pouvoir d’ester en justice pour la défense de ses intérêts et de ceux de ses membres. L’intérêt corporatif devrait ainsi être distingué de l’intérêt général en ce qu’il serait spécifique aux membres de l’association.
Appréciation du tribunal Le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel les moyens ont été présentés par les parties à l'instance, mais il peut les traiter dans un ordre différent suivant la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent.
Force est d’abord au tribunal de constater que les parties défenderesse et tierce intéressée concluent à juste titre à l’irrecevabilité du recours sous examen en raison de l’absence de caractère décisionnel dudit courrier.
Ainsi, un acte administratif pour être susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de celui qui réclame. Ainsi, aux termes de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-
après par « la loi du 7 novembre 1996 », : « (1) Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements ».
Il s’ensuit que la compétence des juridictions administratives en même temps que la recevabilité du recours sont conditionnées par l’existence d’une décision administrative. En effet, cette disposition limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administrativesnotamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.
L’acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l'intention de l’autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2.
grief, comme n'étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l'administration, tout comme les déclarations d'intention ou les actes préparatoires d'une décision3.
En l’espèce, le courrier du 27 octobre 2021 se limite, tel que le tribunal vient de le retenir, à informer l’A sur la situation juridique de la F par rapport aux dispositions de la loi du 1er août 2019 et à arriver à la conclusion que les statuts de la F respectent les dispositions de la loi en question. Ledit courrier s’analyse donc en simple information des ministres de leur appréciation de la situation juridique de la F. En effet, il est dépourvu de tout élément décisionnel, dans la mesure où il ne produit à lui seul aucun effet juridique et dans la mesure où il n’affecte pas la situation personnelle ou patrimoniale de son destinataire, en l’occurrence de l’A, ni, d’ailleurs, celle des parties demanderesses en l’espèce, ni, enfin, celle de la F. En l’absence de tout caractère décisionnel, ledit courrier ne s’analyse donc pas en acte de nature à faire grief et ne constitue dés lors pas un acte susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux, de sorte que le recours est encore irrecevable à cet égard.
Pour autant qu’à travers leurs développements les parties demanderesses tentent d’argumenter que l’élément décisionnel du courrier déféré du 27 octobre 2021 aurait consisté dans le fait de ne pas avoir fait droit à une demande de retirer l’agréement de la F formulée par l’A à travers son courrier du 23 octobre 2020, cette argumentation est à son tour à rejeter.
En effet, le courrier de demande de l’A du 23 octobre 2020 ne visait non point le retrait de l’agrément de la F, mais il se limitait aux termes de son libellé non équivoque explicitement à demander aux ministres de « vérifier si la F remplit encore les conditions » pour être qualifiée de mutuelle. La demande de l’A adressée aux ministres se limitait donc à solliciter la vérification de la situation de la F par rapport aux dispositions de la loi du 1er août 2019. Ladite demande a été amplement rencontrée par le courrier déféré du 27 octobre 2019 à travers lequel les ministres ont informé l’A que leurs services avaient « analysé chaque point » de son courrier précité du 23 octobre 2020, pour ensuite expliquer sur 24 pages leur position par rapport aux différents points invoqués par l’A et pour arriver à la conclusion que les dispositions de la loi du 1er août 2019 avaient été respectés par la F. L’argumentation afférente des parties demanderesses est donc à rejeter pour ne pas être fondée.
Enfin, il convient de constater que le recours sous examen est encore irrecevable, faute d’objet.
1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, édition mise à jour janvier 1996, n° 46, p. 28.
2 trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 44, et les autres références y citées.
3 trib. adm. 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, c. sur ce point par Cour adm. 19 février 1998, n° 10263C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n°69 (1er volet) et les autres références y citées.
Ainsi, par arrêté du 8 octobre 2021, le ministre de la Sécurité sociale a agréé la F en tant que mutuelle sur base des dispositions de la loi du 1er août 2019. Cet arrêté ministériel est donc venu se substituer à la situation juridique antérieure de la F, de sorte que la demande formulée le 23 octobre 2020 par l’A aux ministres, tendant à faire vérifier la situation juridique antérieure de la F par rapport aux dispositions de la loi du 1er août 2019, voire même, tel que soutenue par les sociétés demanderesses, à retirer l’éventuel agrément antérieur de la F, a perdu son objet dès la prise de la décision ministérielle du 8 octobre 2021 portant agrément de la F. De manière corollaire, il convient de constater qu’au moment de l’introduction du recours sous examen, le 27 janvier 2022, ce dernier était d’ores et déjà dépourvu d’objet, étant donné qu’il tendait à faire vérifier la légalité du courrier déféré du 27 octobre 2021 relatif à la situation juridique de la F antérieure à la prise de la décision d’agrément de la F par le ministre de la Sécurité sociale le 8 octobre 2021. Dès lors, outre les différents chefs d’irrecevabilité d’ores et déjà retenus par le tribunal, le recours sous examen est encore irrecevable pour avoir été dépourvu d’objet dès son introduction au greffe du tribunal administratif, étant relevé à cet égard que la recevabilité d’un recours auprès des juridictions administratives s’apprécie au jour de son introduction.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation dirigé contre le courrier des ministres du 27 octobre 2021 est à déclarer irrecevable.
III. Quant aux demandes tendant à l’obtention d’une indemnité de procédure Tant la partie étatique que la F sollicitent l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de respectivement 5.000.- euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Ces demandes sont cependant à rejeter étant donné qu’elles ne précisent pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge des parties demanderesses.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en annulation irrecevable ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées par la partie étatique ainsi que par la F ;
condamne les parties demanderesses aux frais et dépens de l’instance ;
Ainsi jugé par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique extraordinaire du 9 août 2024 par le premier vice-
président, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 9