Tribunal administratif N° 47398 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47398 5e chambre Inscrit le 4 mai 2022 Audience publique extraordinaire du 9 août 2024 Recours formé par la société anonyme A SA, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47398 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 2022 par Maître Georges SIMON , avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société anonyme A SA, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 3 février 2022, référencée sous le numéro C 24895 du rôle, déclarant irrecevable la réclamation introduite le 17 mai 2018 contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions portant fixation de compléments de retenue pour les années 2011, 2012, 2013, 2014, 2015 et 2016 émis en date du 25 avril 2018 par le bureau d’imposition RTS-Ettelbruck de l’administration des Contributions directes ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 25 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges SIMON au nom de la société anonyme A SA, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale critiquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART et Maître Cécile HENLE en remplacement de Maître Georges SIMON en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 mars 2024.
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Par trois courriers séparés du 29 juillet 2014, le bureau d’imposition Sociétés Diekirch, de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », informa, en application du § 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », la société anonyme A SA, ci-après désignée par « la société A », de son intention de s’écarter de ses déclarations de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour les années 2010 à 2012. Le bureau d’imposition expliqua à cet égard, notamment, que le montant de certaines gratifications dépassait largement le montant d’une gratification admissible, de sorte qu’il accepterait certains montants mais que le surplus serait ajouté hors bilan au résultat déclaré et soumis à une retenue d’impôt sur les revenus de capitaux en tant que distributions cachées de bénéfices.
Après une prise de position de la part de la société A, le bureau d’imposition émit le 12 novembre 2014, à l’égard de la société A des bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux pour les années 2010, 2011 et 2012, lesdits bulletins portant, chacun, la mention suivante s’agissant des points par rapport auquel l’imposition diffère de la déclaration :
« Imposition suivant notre lettre du 29.7.2014 » La société A estima être en présence d’une double imposition en ce qui concerne les gratifications précitées, considérées comme excessives par le bureau d’imposition, au motif qu’au prélèvement à la source au titre de rémunération salariale sur cette partie des gratifications se serait ajouté, pour le même revenu, un prélèvement à la source au titre de revenus de capitaux. Elle introduisit partant le 9 février 2015, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le directeur », contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités précités.
A défaut par le directeur de répondre à ladite réclamation, la société A introduisit le 6 novembre 2015 un recours contentieux au tribunal administratif contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 2010, 2011 et 2012 précités, lequel fut rejeté pour ne pas être fondé par un jugement du tribunal administratif du 6 février 2017, inscrit sous le numéro 37141 du rôle.
En date du 25 avril 2018, le bureau d’imposition RTS-Ettelbruck, Bureau de recette Ettelbruck émit un bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions portant fixation de compléments de retenue relatif aux années d’imposition 2011 à 2016 retenant un complément de retenue d’impôts d’un montant de … euros relatif à l’année 2011 à l’égard de la société A. Ledit bulletin est fondé sur les considérations suivantes :
« (…) En date du 18/04/2018 il a été procédé. en application des dispositions de l'article 136 L.I.R. de la loi du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, à une révision des retenues d'impôt à opérer, à déclarer et à verser par vos soins à l'Administration des contributions, du chef de rémunérations allouées à votre personnel salarié et retraité.
La révision portant sur les années d'imposition 2011 à 2016 inclusivement a eu lieu conformément aux dispositions de la section 5 du règlement grand-ducal du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d'impôt sur les salaires et les pensions.
D'après l'état récapitulatif du rapport de la révision, les compléments de retenue d'impôt et les suppléments y relatifs sont fixés aux montants ci-après, ceci sans préjudice des intérêts de retard grevant les arriérés conformément à l'article 155 L.1.R. ainsi que, le cas échéant, des retenues d'impôt déclarées mais non encore versées. (…) ».
Par courrier du 17 mai 2018 la société à responsabilité limitée B SARL introduisit une réclamation au nom de la société A auprès du directeur contre le bulletin précité de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions portant fixation de compléments de retenue émis le 25 avril 2018.
Par décision du 3 février 2022, référencée sous le numéro C 24895, le directeur déclara ladite réclamation « irrecevable faute de qualité ». Cette décision est libellée comme suit :
« […] Vu la requête introduite le 18 mai 2018 par le sieur C, de la société à responsabilité limitée B, au nom de la société anonyme A, avec siège social à L-…, pour réclamer contre le bulletin complémentaire de la retenue d’impôt sur les traitements et salaires des années 2011, 2012, 2013, 2014, 2015 et 2016, émis en date du 25 avril 2018 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que le § 254, alinéa 2 AO autorise le directeur de l’Administration des contributions directes à exiger d’un mandataire une preuve écrite de son mandat (« Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen. ») ;
Considérant qu’en droit luxembourgeois, pour pouvoir exercer l’action d’autrui, il faut justifier en toutes matières d’un mandat ad litem exprès et spécial aux fins de l’instance ;
Considérant que « l’acte d’introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l’imposition revue le cas échéant in pejus, présente un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l’intéressé ; qu’une procuration afférente doit dès lors être non seulement expresse, mais encore de nature à renseigner clairement l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise » ;
Considérant qu’il est de jurisprudence constante qu’une procuration expresse et spéciale doit avoir existé antérieurement à l’introduction d’une réclamation ; qu’il a notamment été retenu « que le mandataire d’un contribuable doit prouver l’existence d’un mandat spécial et exprès au moment de l’introduction de la réclamation pour le compte de son mandant, le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en réformation, peut prendre en compte des pièces qui n’étaient pas à la disposition du directeur au moment où ce dernier a pris sa décision, sous condition que le mandat versé pendant la phase contentieuse ait été antérieur à l’introduction de la réclamation litigieuse » ;
Considérant qu’ « en effet que si le § 254 alinéa 2 de la loi générale des impôts (AO) porte que « Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen », disposition muette sur la date à laquelle devrait exister le pouvoir visé, il n’en est pas moins que l’invitation à verser une procuration doit être entendue en ce sens qu’il s’agit de communiquer à l’administration la procuration existante qui aura pu manquer au dossier, rendant ainsi incertaine l’existence de la qualité d’agir du mandataire et non pas de faire rédiger a posteriori une procuration, un mandataire n’ayant pu introduire la réclamation pour compte d’autrui qu’au cas où il était muni d’une procuration spéciale et expresse à cette fin » ;
Considérant qu’a été joint à la présente requête un mandat signé par deux administrateurs de la réclamante et prenant cours à partir du 1er novembre 2010, donc antérieurement aux réclamations introduites ; que d’ailleurs ladite procuration fait état d’un mandat de nature générale, alors qu’en matière fiscale, l’existence d’un pouvoir exprès et spécial est requise pour représenter et agir pour autrui au contentieux des impôts directs, notamment à cause du risque de se voir imposer plus lourdement qu’initialement, le directeur des contributions étant lié par le § 243 AO à revoir le cas d’imposition de manière intégrale, 3 c’est-à-dire tant en faveur qu’en défaveur du réclamant ; qu’en conséquence, l’existence d’un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l’introduction de la réclamation n’a pas été établie ;
Considérant qu’à défaut de répondre aux exigences d’un mandat ad litem en bonne et due forme, le déposant a dû être invité par lettre du 25 mai 2018 à justifier de son pouvoir d’agir en versant au dossier une procuration qui établit son mandat exprès et spécial pour l’instance introduite ;
Considérant qu’une « CONFIRMATION DE MANDAT » a été retournée en date du 29 mai 2018 ; que ladite confirmation a été signée le 29 mai 2018 par la dame D, administratrice déléguée de la réclamante que cette procuration est donc datée postérieurement à l’introduction de la requête du 18 mai 2018 ;
Considérant qu’il découle de ce qui précède que l’existence d’un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l’introduction de la réclamation n’est pas établie et que, partant, la réclamation contre le bulletin complémentaire de la retenue d’impôt sur les traitements et salaires des années 2011, 2012, 2013, 2014, 2015 et 2016 est irrecevable faute de qualité ;
PAR CES MOTIFS dit la réclamation irrecevable faute de qualité.(…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 2022, la société A a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du 3 février 2022.
I.
Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Conformément aux dispositions combinées du § 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, en appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO » et de l’article 8, § (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale du 3 février 2022, lequel étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Dès lors, il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
II.
Quant au bien-fondé du recours Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours, la société demanderesse rappelle en substance les faits tels que repris ci-avant.
De manière plus générale et en droit, la société demanderesse conclut à la réformation de la décision directoriale déférée en contestant l’irrecevabilité de sa réclamation. Elle argumente en substance que la procuration donnant mandat ad litem au mandataire pour introduire une réclamation au nom du contribuable devrait avoir existé au jour de l’introduction de la réclamation et devrait être expresse et spéciale. Selon la jurisprudence, l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée devrait clairement ressortir de la procuration. Toutefois, même si le mandat avait dû exister au jour de l’introduction de la réclamation, la preuve de son existence pourrait être apportée même postérieurement à l’introduction de la réclamation. Ceci vaudrait également pour les mandats ad litem verbaux.
La société demanderesse affirme ensuite que la jurisprudence récente des juridictions administratives selon laquelle une ratification ultérieure, par le mandant, de la réclamation, pourrait uniquement valoir comme preuve d’un mandat ayant déjà existé dès l’introduction de la réclamation auprès du directeur, serait relativisée par la jurisprudence plus ancienne selon laquelle à défaut d’un mandat ad litem au moment de l’introduction de la réclamation, la procédure pouvait néanmoins être régularisée par le biais d’une ratification ultérieure, laquelle devrait permettre de conclure à la volonté du mandant d’introduire la réclamation à travers son mandataire, pour autant qu’elle intervienne avant que les délais de recours ne soient écoulés.
La société demanderesse explique qu’il se dégagerait encore de la jurisprudence que la rigueur autour de l’application des conditions régissant la validité des mandats devrait rester guidée par la finalité desdites conditions. Ainsi, une rigueur excessive dans l’application des conditions régissant la validité du mandat causerait tort au contribuable et irait à l’encontre du but poursuivi. Selon la société demanderesse la Cour administrative aurait encore retenu que même si la procuration n’était pas expresse, il pourrait se dégager à suffisance des éléments de la cause y inclus ceux survenus postérieurement à l’introduction de la réclamation, qu’un mandat exprès et spécial aurait été accordé pour l’introduction de la réclamation litigieuse.
Enfin, la société demanderesse se réfère aux articles 1984 et suivants du Code civil, selon lesquels la validité d’un mandat ne serait pas conditionnée au respect de règles de forme particulières. Le mandat pourrait, ainsi, prendre la forme d’un simple écrit établissant la rencontre des volontés au sujet du mandat et attestant de son caractère exprès et spéciale.
Concrètement, en ce qui concerne le cas d’espèce, la société demanderesse reproche de prime abord à l’administration des Contributions directes, désignée ci-après par « l’administration », d’avoir été de mauvaise foi. Ainsi, en annexant à la demande de régularisation un document intitulé « confirmation de mandat » et en demandant au mandataire de la société demanderesse de verser « au dossier la procuration qui établit votre mandat exprès et spécial pour l’instance introduite », l’administration aurait indubitablement induit la société demanderesse et son représentant en erreur. L’administration aurait en effet incité la société demanderesse et son représentant à utiliser le document fourni pour ensuite, une fois obtenu, rester silencieuse pendant trois années, à savoir jusqu’en 2022, et finir par utiliser ledit document à son encontre.
La société demanderesse souligne que le formulaire intitulé « Confirmation de mandat » aurait été signé et envoyé à l’administration en date du 29 mai 2018, soit endéans les délais de recours admis à l’encontre du bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions précité, émis en date du 25 avril 2018.
La société demanderesse conclut que le formulaire intitulé « Confirmation de mandat », dûment rempli serait venu cristalliser son intention non équivoque d’investir son représentant du pouvoir de déposer une réclamation en son nom.
Enfin, son intention de contester le bulletin précité ressortirait de manière incontestable du fait qu’elle aurait introduit le recours sous examen.
A titre subsidiaire, pour autant qu’une ratification ultérieure d’un mandat, même endéans les délais de recours, ne serait pas admissible, la société demanderesse fait valoir qu’il ressortirait à suffisance des pièces versées en cause qu’un mandat exprès et spécial aurait été donné préalablement à l’introduction de la réclamation. Elle renvoie à cet égard à différents échanges de courriers électroniques entre ses membres du conseil d’administration et la fiduciaire l’ayant représentée pour l’introduction de la réclamation. Elle rappelle dans ce contexte qu’un mandat écrit ne serait soumis à aucune exigence de forme particulière de sorte qu’un échange de courriers électroniques suffirait pour établir l’existence d’un mandat en forme écrite.
Le délégué du gouvernement répond qu’en vertu du § 254 AO, le directeur serait en droit d’exiger la production d’un mandat ad litem en raison tant du risque d’une reformation in pejus, conséquence éventuelle du réexamen intégral du dossier que déclenche la réclamation ainsi que du risque d’atteinte au secret fiscal en cas d’intervention comportant la communication des éléments du dossier à une personne non munie d’une procuration spéciale.
Le délégué du gouvernement précise que le mandat daté au 1er novembre 2010 signé par les administrateurs-délégués de la société demanderesse d’après lequel ils avaient chargé la fiduciaire d’ « effectuer en lieu et place du conseil d’administration les opérations suivantes relevant toutes de la gestion ordinaire de l’entreprise », sans mentionner une réclamation contre un bulletin d’imposition, ne pourrait pas valoir comme mandat ad litem exprès et spécial donnant mandat de réclamer, Ce serait la raison pour laquelle la société demanderesse aurait été fut invitée à en produire un suivant courrier du 25 mai 2018.
La confirmation de mandat signé par Madame D et produite quatre jours après que l’administration avait invité la société demanderesse de ce faire, aurait été postérieure à la date d’introduction de la réclamation, de sorte qu’aucun mandat ad litem en bonne et due forme n’aurait existé au jour de l’introduction de la réclamation laquelle aurait donc été déclarée tardive.
Le délégué du gouvernement rejette les reproches de mauvaise foi à l’égard de l’administration et insiste sur le fait qu’au jour de l’introduction de la réclamation aucun mandat valable n’aurait été fourni et qu’une régularisation ultérieure ne saurait être admise.
Quant au formulaire intitulé « Confirmation de mandat » du 29 mai 2018, le délégué du gouvernement fait valoir qu’il serait postérieur à la réclamation de sorte qu’en date du 18 mai 2018, le bureau d’imposition n’aurait pas été en possession d’une procuration expresse et spéciale. A cela s’ajouterait que le mandat ne serait signé que par Madame D alors que d’après les statuts de la société demanderesse, une signature conjointe de deux administrateurs serait requise.
Au vu des éléments ainsi relevé, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Dans le cadre de son mémoire en réplique, la société demanderesse insiste sur la mauvaise foi qu’aurait affichée l’administration dans ce dossier. Elle rappelle que la double imposition à son égard perdurerait à l’heure actuelle en raison de l’inaction de l’administration.
Ainsi, il aurait pesé une obligation de remboursement automatique du trop-payé à l’origine de la double imposition sur l’administration en application de l’article 154, alinéa (4) loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR ». Selon la société demanderesse, ce remboursement aurait dû intervenir de manière automatique, sans qu’une demande de restitution de sa part n’aurait été requise. Malgré l’obligation de remboursement, le bureau d’imposition RTS Ettelbruck lui aurait demandé de procéder par voie de réclamation contre la décision directoriale. La société demanderesse explique ensuite avoir été induite en erreur une seconde fois par l’administration par la transmission du formulaire intitulé « Confirmation de mandat ». Elle-même ainsi que sa fiduciaire auraient, en effet, cru qu’il suffisait de remplir et de dater ledit formulaire avant de le retourner à l’administration. Enfin, elle explique qu’il aurait fallu plus de trois années au directeur pour déclarer sa réclamation irrecevable faute de mandat valable. Le laps de temps écoulé aurait fait naître dans son chef une croyance légitime que la réclamation aurait été valablement introduite et que l’acceptation de sa demande de restitution des montants payés en trop serait une formalité.
En tout dernier lieu, la société demanderesse rappelle que les faits de l’espèce, ainsi que les documents versés en cause démontreraient à suffisance l'existence d'un mandat au moment de l'introduction de la réclamation et qu’en tout état de cause, le but des dispositions légales en matière de mandat serait de protéger le contribuable contre un mandataire qui aurait agi en dehors des compétences lui attribuées et partant de protéger le contribuable contre le risque d'une réformation in pejus qu'il n'a jamais voulu assumer.
Au vu de ces considérations, la société demanderesse conclut à la réformation de la décision directoriale litigieuse.
Appréciation du tribunal A titre liminaire, il y a lieu de préciser que dans la mesure où la décision sur réclamation déférée s’est limitée à déclarer irrecevable la réclamation introduite par la société B au nom de la société demanderesse, sans prendre position par rapport au fond de la réclamation, le litige sous examen porte sur la seule question de la recevabilité de la réclamation introduite auprès du directeur et plus particulièrement sur la question de savoir si la société B a valablement pu introduire une réclamation au nom de la société A auprès du directeur contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions portant fixation de compléments de retenue relatif aux années d’imposition 2011 à 2016.
Il convient, à cet égard, de rappeler que le § 238 AO, qui prévoit notamment que le destinataire d’un bulletin d’impôt est autorisé à introduire une réclamation contre celui-ci, dispose que ce destinataire peut se faire représenter conformément au § 102, alinéa (2) AO, en vertu duquel les règles du droit civil sont applicables en droit fiscal quant à la capacité d’agir des personnes privées.
Ce § renvoie donc aux règles du Code civil sur le mandat en l’absence de dispositions spécifiques contenues dans l’AO. L’article 1987 du Code civil distingue entre le mandat spécialpour une affaire ou certaines affaires seulement et le mandat général pour toutes les affaires du mandant, tandis que l’article 1988 du même Code spécifie que le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration et que s’il s’agit d’aliéner ou d’hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès. L’article 1989 du Code civil précise en outre que le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat1.
Dans la mesure où l’introduction d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt déclenche un réexamen de l’imposition par les soins du directeur et que ce réexamen peut, le cas échéant, aboutir, par application du § 243 AO, à une décision qui est au détriment de celui qui a introduit la réclamation («Sie können die Entscheidung auch zum Nachteil dessen, der das Rechtsmittel eingelegt hat, ändern.»), l’introduction d’une réclamation est à considérer comme excédant un simple acte d’administration, de sorte à requérir l’établissement d’un mandat exprès.
Dès lors, l’acte d’introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l’imposition revue, le cas échéant, in pejus, présentant un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l’intéressé, une procuration afférente doit être expresse et spéciale et renseigner clairement l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise2.
En vertu du § 254 AO, le mandataire a l’obligation de justifier de son mandat sur demande afférente de l’administration.
Il convient encore de relever que le contribuable est en droit de produire matériellement une procuration, même suite à la demande du directeur, en vue de la soumission d’une preuve écrite du mandat dans le chef de celui qui a introduit une réclamation. Néanmoins ce mandat doit avoir existé dès l’introduction de la réclamation auprès du directeur et cette antériorité au dépôt de la réclamation, voire l’intention de ratifier un tel acte déjà accompli, doit ressortir clairement du libellé de la procuration émanant du contribuable concerné3.
Il s’ensuit que la seule circonstance qu’une procuration écrite n’est produite qu’après l’introduction de la réclamation n’entraîne pas ipso facto l’irrecevabilité de la réclamation pour défaut de mandat, le réclamant étant en droit d’établir, même ex post, l’existence d’un mandat au jour de l’introduction de la réclamation.
Enfin, il convient de préciser que l’article 1985 du Code civil4 consacre la liberté de la forme d’un mandat et renvoie seulement pour la preuve du mandat par la voie testimoniale aux articles 1341 et suivants du même code5.
1 trib. adm. 20 juillet 2009, n° 25156 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°1141 ainsi que les autres références y citées.
2 Cour adm., 5 novembre 2002, n° 15043C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1134 et les autres références y citées.
3 trib. adm., 1er octobre 2001, n° 12879 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1142 (1er volet) et les autres références y citées.
4 article 1985 du Code civil : « Le mandat peut être donné ou par acte public, ou par écrit sous seing privé, même par lettre. Il peut aussi être donné verbalement; mais la preuve testimoniale n'en est reçue que conformément au titre «Des contrats ou des obligations conventionnelles en général. (…) ».
5 trib. adm. 1er août 2007, n° 22361 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1136.
Au regard des principes dégagés ci-avant, il convient d’examiner si compte tenu des circonstances de l’espèce, il y a lieu d’admettre qu’un mandat en vue d’introduire une réclamation contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions portant fixation de compléments de retenue relatif aux années d’imposition 2011 à 2016 a existé au moment de l’introduction de la réclamation par la société B.
A cet égard, il y d’abord lieu de constater que la procuration datée au 1er novembre 2010 annexée à la réclamation, signée par les administrateurs-délégués de la société demanderesse, conférant mandat à la société B, n’est pas à considérer comme mandat spécial, dans la mesure où elle vise tant la matière comptable, que la matière fiscale et, enfin, la matière de la TVA. De surplus, en ce qui concerne la matière fiscale, ladite procuration se limite à viser la « rédaction et signature de tout courrier à l’attention de l’Administration des Contributions », l’« Etablissement et signature de la déclaration fiscale annuelle » ainsi que la « Diligence en matière de fiscalité personnelle », sans pour autant viser l’introduction de réclamations auprès du directeur, ni a fortiori un bulletin déterminé contre lequel la réclamation serait à introduire ni encore une année fiscale précise.
Force est ensuite de constater que suite à l’introduction de la réclamation par la société B au nom de la société demanderesse en date du 17 mai 2018, la direction de l’administration, division du Contentieux, s’est adressée par courrier du 25 mai 2018, à la société B pour l’inviter à justifier son mandat, en annexant à son courrier un formulaire intitulé « Confirmation de mandat » à remplir par la société demanderesse.
Il n’est pas contesté en cause, et il ressort d’ailleurs des documents soumis au tribunal, que la version remplie dudit formulaire a été renvoyée par la société B par courrier électronique du 29 mai 2018 à l’administration, d’ailleurs endéans le délai de réclamation de trois mois.
Il ressort dudit document intitulé « Confirmation de mandat » qu’il a été rempli et signé le 29 mai 2018, par Madame D, en tant qu’administrateur délégué de la société demanderesse, laquelle « confirme avoir donné mandat » à Monsieur C, en tant que gérant de la société B, pour introduire une « réclamation devant le Directeur des contributions directes » contre le bulletin de « Retenue sur salaires et pensions » de l’année d’imposition « 2011 à 2016 » ainsi que pour formuler une « demande restitution RAS 2010 à 2014 ».
Force est d’abord au tribunal de constater, au vu du libellé dudit formulaire, en ce qu’il est intitulé « Confirmation de mandat » et en ce qu’il contient la formulation « confirme avoir donné mandat à », qu’il ne tend pas à conférer un mandat, mais, qu’il tend, nécessairement, à confirmer l’existence d’un mandat d’ores-et-déjà conféré antérieurement.
Force est encore au tribunal de constater que, dans la mesure où ledit formulaire a été transmis par l’administration elle-même à la société B en vue de la confirmation de son mandat, la société demanderesse, ainsi que la société B, ont valablement pu partir du principe que l’existence en elle-même du mandat n’était pas mise en question par l’administration, mais qu’il ne s’agissait que de confirmer ledit mandat. Lesdites sociétés ont partant valablement pu admettre que le fait de remplir et de renvoyer ledit document était suffisant pour confirmer le mandat conféré à la société B pour introduire une réclamation auprès du directeur au nom de la société demanderesse contre le bulletin litigieux. D’ailleurs, à l’audience publique des plaidoiries le délégué du gouvernement a lui-même admis la formulation malencontreuse du formulaire en question, lequel est susceptible d’induire le contribuable en erreur.
C’est partant à tort que tant le directeur que le délégué du gouvernement déduisent du seul fait que la confirmation de mandat a été signée le 29 mai 2018 que le mandat n’aurait été conféré qu’à cette même date. Toutefois, même s’il peut, ainsi, être exclu que le mandat n’aurait été conféré que le 29 mai 2018, la question de savoir si le mandat a existé antérieurement au jour de l’introduction de la réclamation, soit au 17 mai 2018, reste toujours ouverte.
A cet égard, la société demanderesse se réfère à son échange de courriers avec la société B. Il ressort ainsi des documents soumis au tribunal que par courrier électronique du 5 avril 2018, Madame E, de la société B, a informé Monsieur F, administrateur-délégué de la société demanderesse, que suite à sa demande, l’administration lui avait confirmé que le dossier de la société demanderesse se trouvait bien au bureau d’imposition RTS Ettelbruck en vue de son traitement. Monsieur F a accusé réception dudit courrier par retour de courrier électronique du même jour.
Par courrier électronique du 24 avril 2018, Madame E a de nouveau contacté Monsieur F pour l’informer que l’administration lui avait confirmé que le dossier « d’impôts sur salaires » de la société demanderesse avait été traité et que les bulletins d’impôts parviendraient en cours de semaine à la société demanderesse. Dans le même courrier, Madame E expliquait à Monsieur F que les bulletins en question ne prendraient pas en compte la demande de rectification pour double imposition, tout en précisant que « Dès réception des bulletins, suivant les instructions du préposé, nous allons introduire une réclamation contre ceux-ci (…) ». Par courrier électronique du 26 avril 2018, Monsieur F a remercié Madame E pour les informations ainsi communiquées, sans autre commentaire ni critique, marquant de cette manière son accord à l’introduction d’une réclamation au nom de la société demanderesse par la société B.
Il ressort encore de manière incontestée des documents versés en cause que par courrier électronique du 26 avril 2018, Madame D, administrateur délégué de la société demanderesse, a transmis « un courrier des contributions reçus ce jour » à Madame E. Par un courrier électronique du même jour, Monsieur C de la société B, s’est adressé à Madame D, ainsi qu’en copie à Monsieur F, dans les termes suivants :
« (…) Ces bulletins ont été émis suite à notre demande de contrôle d’impôts sur salaire afin de régler le problème de double imposition (dividendes/gratification).
Pour l’instant, le bureau d’imposition des société a imposé les revenus comme un dividende. Le bureau de retenue sur les salaires a imposé les revenus comme des gratifications (salaires). Les deux bureaux sont donc restés chacun sur leur position et la double imposition est donc clairement établie.
Comme expliqué à Monsieur F hier, la prochaine étape consiste à réclamer auprès du bureau de la direction des contributions contre la double imposition. Cette nouvelle démarche ne pouvait pas être faite sans ce documents que vous venez de recevoir.
Nous allons donc préparer un courrier courant de semaine prochaine afin de réclamer officiellement contre cette double imposition et demander à la direction de procéder à l’annulation et au remboursement des impôts sur les salaires, le tribunal administratif ayant établi que ces revenus correspondaient à des dividendes et non des salaires.
10 Nous vous ferons parvenir une copie de ce courrier. (…) ».
Par courrier électronique du même jour, Madame D a remercié Monsieur C pour son courrier et l’a informé qu’elle avait mis « les documents originaux dans [sa] case courrier », approuvant de cette manière clairement la manière de procéder suggérée par Monsieur C, dont l’intention d’introduire une réclamation auprès du directeur contre le bulletin litigieux.
Le tribunal constate, dès lors, qu’il ressort sans équivoque de l’échange de courriers précité, d’une part, que les deux administrateurs-délégués de la société demanderesse ont chacun été tenus au courant par la société B tant de la procédure fiscale en cours que, de manière expresse, de son intention d’introduire une réclamation auprès du directeur au nom de la société demanderesse et, d’autre part, que les deux administrateurs-délégués ont approuvé le projet d’introduire une réclamation contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions portant fixation de compléments de retenue relatif aux années d’imposition 2011 à 2016, préalablement à l’introduction d’une telle réclamation.
Dans la mesure où, tel que le tribunal vient de le préciser, la forme du mandat est libre en application de l’article 1985 du Code civil, le tribunal est amené à conclure qu’il ressort à suffisance des éléments versés en cause par la société demanderesse qu’un mandat en vue de l’introduction d’une réclamation, par la société B au nom de la société demanderesse, contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions portant fixation de compléments de retenue relatif aux années d’imposition 2011 à 2016 a bien existé au plus tard au jour de l’introduction de ladite réclamation le 17 mai 2018.
Dans ce contexte, le tribunal donne, enfin, à considérer que la finalité du mandat est de permettre aux instances saisies de contrôler que la décision d’introduire la réclamation en matière fiscale a été cautionnée par le contribuable et que l’exigence de la justification d’un mandat par le mandataire est une mesure destinée à protéger le contribuable envers les agissements d’un mandataire qui dépasserait, le cas échéant, ses pouvoirs en déposant une réclamation à son insu. En l’espèce, le tribunal vient justement de retenir que la société demanderesse a établi à suffisance avoir conféré mandat à la société B pour l’introduction d’une réclamation auprès du directeur contre le bulletin de la retenue d’impôt litigieux au moment de l’introduction de ladite réclamation. Admettre le contraire serait sans doute faire preuve d’un formalisme excessif qui aurait pour effet que la mesure qui est censée protéger le contribuable se retourne contre lui6.
Il suit, dès lors, de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision directoriale déférée est à réformer en ce sens que la réclamation introduite le 17 mai 2018 auprès du directeur par la société B au nom de la société demanderesse n’est pas irrecevable faute de qualité et qu’il y a lieu de renvoyer le dossier en prosécution de cause devant le directeur.
III.
Quant à la demande en allocation d’une indemnité de procédure 6 trib. adm. 13 novembre 2013, n° 31962 du rôle, confirmé par 3 avril 2014, n° 33764C du rôle, Pas.
adm. 2023, V° Impôts, n° 1139 (1er volet) ainsi que l’autre référence y cités.La société demanderesse sollicite l’allocation d’une indemnité de procédure sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Compte tenu de la formulation malencontreuse du formulaire intitulé « Confirmation de mandat », du fait que la société demanderesse s’est conformée sans délai à la demande de l’administration de confirmer son mandat et, enfin, du fait que l’administration a mis presque trois années, entre la réception le 29 mai 2018 de la version remplie dudit formulaire et la décision directoriale du 3 février 2022 pour finalement déclarer la réclamation irrecevable sur base du formulaire en question qu’elle a elle-même transmis à la société demanderesse ainsi qu’au vu de l’article 33 de la loi précitée du 21 juin 1999, il paraît inéquitable de laisser en l’espèce à la charge des demandeurs les frais exposés par eux et non compris dans les dépens, de sorte qu’il y a lieu de faire droit à leur demande et de leur accorder une indemnité de procédure évaluée ex æquo et bono au montant de 1.000 euros.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation ;
au fond, le déclare justifié, partant, par réformation de la décision du directeur du 3 février 2022, inscrite sous le numéro C24895 du rôle, dit que la réclamation introduite le 17 mai 2018 auprès du directeur par la société B au nom de la société A n’est pas irrecevable faute de qualité et renvoie le dossier en prosécution de cause au directeur ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne la partie étatique à payer une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros à la société A ;
condamne la partie étatique aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 9 août 2024 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s. Lejila ADROVIC s. Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 12