Tribunal administratif Numéro 47449 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47449 5e chambre Inscrit le 17 mai 2022 Audience publique extraordinaire du 9 août 2024 Recours formé par la société en commandite spéciale A SCSP, … contre une décision du bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts en matière de communication d’informations
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47449 du rôle et déposée le 17 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Virginie BROUNS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société en commandite spéciale A SCSP, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant commandité actuellement en fonctions, la société à responsabilité limitée B SARL, établie et ayant son siège social L-…, elle-même représentée par son conseil de gérance actuellement en fonction, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du décision du bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts du 18 février 2022 portant fixation d’une amende prise sur le fondement de la loi modifiée du 24 juillet 2015 relative à FATCA au titre de l’année d’imposition 2020 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 12 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Virginie BROUNS pour le compte de sa mandante, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 avril 2024, Maître Virginie BROUNS s’étant excusée.
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Par courrier du 28 octobre 2021, le bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau de la retenue d’impôt », adressa à la société en commandite spéciale A SCSP, ci-après désignée par la « société A », un premier et dernier rappel l’invitant à procéder à la communication d’informations se rapportant à l’année fiscale 2020, telle que prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 24 juillet 2015 relative à la FATCA1, ci-après désignée par la « loi du 24 juillet 1 Loi du 24 juillet 2015 portant approbation 1. de l’Accord entre le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique en vue d’améliorer le respect des obligations fiscales à l’échelle internationale et relatif aux dispositions des Etats-Unis d’Amérique concernant l’échange d’informations communément appelées le « Foreign Account Tax Compliance Act », y compris ses deux annexes2015 » et ce, au plus tard pour le 30 novembre 2021, sous peine d’ « une amende forfaitaire de 10.000 euros ».
Par courrier du 18 février 2022, le bureau de la retenue d’impôt infligea à la société A une amende d’un montant de « 10.000 EUR pour défaut de communication » et l’invita à payer ladite somme dans le mois de la réception dudit courrier.
Il ressort des éléments du dossier administratif que par courrier de son ancien litismandataire du 27 avril 2022, la société A fit introduire un « recours gracieux » auprès de la division Gracieux de l’administration des Contributions directes « à la suite du défaut de déclarations FATCA […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2022, la société A a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du 18 février 2022, précitée.
Par courrier du 6 mai 2022, le préposé du bureau de la retenue d’impôt rejeta la « [d]emande d’annulation de l’amende », tout en se référant à son courrier du 18 février 2022 pour rappeler les voies de recours afin de contester, le cas échéant, ladite amende.
I) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Conformément à l’article 3, paragraphe (1) de loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par la « loi du 7 novembre 1996 », « Le tribunal administratif connaître […] comme juge du fond des recours en réformation dont les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif ».
Aux termes de l’article 2, paragraphe (5) de la loi du 24 juillet 2015 : « En cas de défaut de respect des règles en matière de diligence raisonnable ou en cas de défaut de mise en place de mécanismes en vue de la communication d’informations, l’Institution financière déclarante luxembourgeoise peut encourir une amende d’un maximum de 250.000 euros.
En cas de défaut de communication, de communication tardive, incomplète ou inexacte d’informations, l’Institution financière déclarante luxembourgeoise peut encourir une amende d’un maximum de 0,5 pour cent des montants qui auraient dû être communiqués sans pouvoir être inférieure à 1.500 euros.
Ces amendes sont fixées par le bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts.
Contre cette décision, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif à l’Institution financière déclarante luxembourgeoise. ».
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation de la société A daté du 17 mai 2022 dirigé contre la décision du bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts daté du 18 février 2022 – à l’exclusion de la décision du 6 mai 2022 –, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
ainsi que le « Memorandum of Understanding » y relatif, signés à Luxembourg le 28 mars 2014 ; 2. de l’échange de notes y relatives, signées les 31 mars et 1er avril 2015.
II) Quant au fond Arguments et moyens des parties Dans sa requête introductive d’instance, la société demanderesse reprend, en substance, les fais et rétroactes exposés ci-avant et ajoute qu’elle aurait été constituée le 16 avril 2016 et que son objet social consisterait à investir dans la société en commandite par actions C SCA qui serait un « fond dédié aux entreprises innovantes dans des secteurs stratégiques tels que les biotechnologies et les écotechnologies ».
Elle explique que suite aux mesures de confinement décidées par le gouvernement dans le contexte de la crise sanitaire liée au COVID-19, sa fiduciaire, la société D, l’aurait informée par courrier du 26 mars 2020 qu’elle résiliait unilatéralement et sans préavis, le contrat de service qui les aurait liées au motif qu’elle aurait été dans l’impossibilité de finaliser l’établissement de ses comptes annuels concernant les exercices 2017 et 2018 et de maintenir ces dossiers en conformité avec ses procédures internes. La société D aurait par la suite refusé de finaliser et de déposer ses comptes annuels concernant les exercices 2018 et 2019 et de remplir ses obligations au motif que des factures seraient restées impayées, ce que la société demanderesse affirme contester. La société demanderesse poursuit en affirmant que la société D aurait fait une rétention abusive de ses documents comptables, qu’elle les lui aurait transmis tardivement par la suite, et qu’elle aurait omis de l’informer de la nature de ses diverses obligations déclaratives lui incombant en vertu de la législation luxembourgeoise, en ce compris la loi du 24 juillet 2015 et la loi modifiée du 18 décembre 2018 relative à la norme commune de déclaration, ci-après désignée par la « loi NCD », compte tenu de son statut de société en commandite spéciale. Ce serait dans ce contexte impliquant une attitude qu’elle qualifie d’abusive de la société D, qu’elle aurait dû reprendre la gestion de sa comptabilité, et ce en pleine période de confinement et sans disposer de tous les documents et informations utiles et nécessaires pour remédier aux défaillances de la société D.
La société demanderesse indique, ensuite, que suite à la réception du courrier du bureau de la retenue d’impôt daté du 28 octobre 2021, la personne qu’elle aurait chargée de s’occuper de ses comptes annuels, en lieu et place de la société D, aurait alors vérifié et constaté qu’elle ne gérait aucun compte financier détenu directement ou indirectement par des citoyens américains et des personnes résidant aux Etats-Unis d’Amérique. Cette conclusion aurait amené la personne en charge de ses comptes à ne pas faire de « déclaration FATCA » au motif qu’elle aurait « légitimement » pu croire à une erreur de l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par l’« administration », d’autant plus qu’elle n’aurait disposé d’aucune information et d’aucun document relatif à sa comptabilité compte tenu de l’attitude de la société D.
La société demanderesse donne à considérer qu’elle n’aurait eu connaissance de sa qualification d’« institution financière déclarante » au sens de la loi du 24 juillet 2015 et de l’existence d’un numéro « GIIN actif » pour les besoins de cette loi et de la loi NCD qu’au moment de la réception du courrier du 18 février 2022 litigieux portant fixation d’une amende dans son chef, la société demanderesse soulignant que ledit courrier lui aurait été envoyé directement, et non à son associé-gérant commandité, la société à responsabilité limitée B SARL.
« De bonne foi », la société demanderesse aurait alors immédiatement réagi et aurait pris contact avec la personne en charge de son dossier auprès de l’administration. Sur base des informations communiquées et celles reçues le 21 mars 2022, elle aurait alors communiqué à l’administration les « déclarations FATCA et NCD » demandées avec « zero-reporting », tel que cela aurait été confirmée par l’administration par courrier électronique. Dès le 2 mars 2022, elle aurait par ailleurs demandé son désenregistrement en qualité d’« institution financière déclarante » au sens de la loi du 24 juillet 2015 et de la loi NCD, ainsi que l’annulation de l’amende lui infligée. La société demanderesse déplore que l’administration aurait refusé de faire droit à ses demandes malgré les « circonstances exceptionnelles » qu’elle lui aurait dûment expliquées, et alors même que le dépôt, certes tardif, qui aurait finalement été effectué avec indication d’une valeur « zéro » dans lesdites déclarations.
La société demanderesse se réfère à son courrier du 27 avril 2022 portant « recours gracieux » dans lequel elle aurait détaillé les raisons de « force majeure objectives et les circonstances exceptionnelles » concernant le retard dans le dépôt de sa déclaration visée dans la loi du 24 juillet 2015.
En droit et quant au fond, la société demanderesse conteste d’abord l’applicabilité de la version de l’article 2, paragraphe (5) de la loi du 24 juillet 2015 à laquelle le bureau de la retenue d’impôt se serait référé pour prendre sa décision. Elle affirme que dans sa version applicable avant le 1er janvier 2021, la loi du 24 juillet 2015 n’aurait pas prévu une « obligation de zero-reporting » annuelle à charge des institutions financières déclarantes luxembourgeoises. L’accord entre le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique en vue d’améliorer le respect des obligations fiscales à l’échelle internationale et relatif aux dispositions des Etats-Unis d’Amérique concernant l’échange d’informations communément appelé le « Foreign Account Tax Compliance Act », en abrégé « FATCA », ci-après désigné par l’« Accord FATCA », ne prévoirait pas non plus une telle « obligation de zero-reporting ». La société demanderesse en déduit qu’elle n’aurait eu aucune obligation de communiquer et de déclarer des informations dans le cadre de la loi du 24 juillet 2015 à défaut de comptes déclarables et que le bureau de la retenue d’impôt n’aurait, dès lors, pas pu lui infliger une amende au motif que l’article 2 de la loi du 24 juillet 2015, dans sa version applicable avant le 1er janvier 2021, n’aurait pas prévu de sanction en cas de défaut de déclaration. Une telle « obligation de zero-reporting » n’aurait été introduite que par l’article 5 de la loi du 18 juin 2020 portant modification de la loi du 24 juillet 2015 et de la loi NCD, ci-après désignée par la « loi du 18 juin 2020 », qui ne serait entrée en vigueur que le 1er janvier 2021, soit postérieurement à l’année d’imposition 2020 litigieuse en l’espèce. La société demanderesse fait valoir qu’en lui infligeant une sanction au titre de l’année d’imposition 2020, le bureau de la retenue d’impôt aurait conféré, sans justification, un effet rétroactif à la loi du 18 juin 2020 qui n’aurait pourtant pas été envisagé par le législateur.
A titre principal, la société demanderesse reproche au bureau de la retenue d’impôt de ne pas avoir pris en considération les « circonstances particulières de l’espèce » et se prévaut, dans ce contexte, d’une violation du « principe général de force majeure ». Elle se prévaut de l’article 3 de la loi NCD et du § 2 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, telle que modifiée, appelée « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », pour soutenir que le droit pour l’administration d’infliger une amende administrative relèverait de son pouvoir discrétionnaire qui devrait respecter les critères d’opportunité et d’équité, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce. Elle reproche au bureau de la retenue d’impôt de ne pas avoir pris en compte les « difficultés logistiques », ainsi que les retards générés pour toute entrepriseluxembourgeoise en raison du Covid-19, et ajoute que ledit bureau n’aurait pas non plus pris en considération les limites de l’applicabilité temporelle de « obligation de zero-reporting » qui n’aurait, en principe, été applicable qu’à compter de l’exercice 2021.
Dans ce contexte, la société demanderesse ajoute que même si l’administration ne disposait pas de l’intégralité des informations lui permettant de prendre sa décision en opportunité et équité, elle aurait eu l’obligation de revoir sa décision après avoir reçu la communication des informations de sa part postérieurement à la fixation de l’amende, en l’occurrence les « circonstances exceptionnelles » intervenues au cours des mois de février, mars et avril 2022 qu’elle qualifie de « force majeure » et dont elle expose le régime juridique, notamment en se référant à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») et à un jugement du tribunal administratif du 2 février 2022, inscrit sous le numéro 45343 du rôle. Elle fait valoir que « le confinement lié à la crise de COVID, la résiliation unilatérale et, en l’occurrence fautive, du contrat de services […] par [la société D] et le refus de transmission par cette dernière des documents comptables et sociaux et les informations pertinentes et nécessaires relatives aux obligations déclaratives » lui incombant, représenteraient un événement imprévisible, irrésistible provenant d’une cause extérieure. Elle ajoute que le « principe général de tempérament de la rigueur de la loi en cas de force majeure », qui serait « indissociable du principe général de droit de la continuité du service public, corollaire du principe de la permanence de l ’Etat », devraient s’appliquer.
A titre subsidiaire, la société demanderesse réitère, à ce stade, que la décision du bureau de la retenue d’impôt devrait encourir la réformation au motif qu’il lui aurait infligé une amende avec effet rétroactif, alors que la loi du 18 juin 2020 n’aurait été applicable qu’à compter du 1er janvier 2021. Le bureau de la retenue d’impôt aurait ainsi violé la règle de non-rétroactivité des peines, « telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour constitutionnelle luxembourgeoise ».
A titre plus subsidiaire, la société demanderesse invoque une atteinte à son droit au respect des principes de sécurité juridique et de sa confiance légitime en sa qualité d’administré, en citant des extraits de la jurisprudence des juridictions administratives et en faisant valoir que ces principes s’appliqueraient en corrélation avec le principe de l’égalité devant l’impôt. Elle affirme qu’elle aurait légitimement pu s’attendre à ce que l’administration ne fasse pas « abstraction des règles applicables en la matière qui étaient applicables au moment où la déclaration était attendu ».
Dans sa réplique, la société demanderesse indique maintenir ses moyens et arguments tout en entendant prendre position par rapport aux développements du délégué du gouvernement.
Par rapport à la violation alléguée du « principe général de force majeure » et à l’absence alléguée d’équité et de proportionnalité dans la prise de la décision litigieuse par le bureau de la retenue d’impôt, la société demanderesse conteste l’affirmation du représentant étatique suivant laquelle elle ne contesterait plus qualifier d’« institution financière déclarante » au sens de l’article 1er de la loi du 24 juillet 2015 en faisant valoir, d’une part, que l’objet du présent litige porterait sur le caractère illégal, abusif et disproportionné de l’amende lui infligée, et non pas sur son statut actuel au sens de la loi FATCA, et, d’autre part, qu’elle aurait justement introduit une demande de « désenregistrement » en date du 21 mars 2022 à laquelle elle n’aurait, à ce jour, pas eu de réponse.
Elle reproche ensuite, en substance, au délégué du gouvernement de rejeter sans explications chacune des circonstances dont elle aurait fait mention pour justifier le dépôt tardif de sa « déclaration zero-reporting » au sens de la loi du 24 juillet 2015, en les analysant de façon isolée et discrétionnaire. Cette façon de faire irait à l’encontre de « l’esprit même de la réglementation en la matière » et du prédit « principe général de force majeure », et plus particulièrement du § 2 StAnpG, la société demanderesse se référant à un jugement du tribunal administratif du 22 avril 2010, inscrit sous le numéro 23418 du rôle.
Elle se réfère à la loi modifiée du 12 mai 2020 portant adaptation de certains délais en matière fiscale, financière et budgétaire dans le contexte de l’état de crise, ci-après désignée par la « loi du 12 mai 2020 », qui aurait prévu une prorogation des délais pour les déclarations relatives à l’année 2020 jusqu’au 31 décembre 2021. Elle estime que l’omission d’une mention des déclarations relatives à la loi du 24 juillet 2015 dans cette loi du 12 mai 2020 « p[ourrait] s’apparenter à un oubli » du législateur, mais en tout état de cause pas à un refus d’accorder une telle extension qui serait « normale en considération de la même situation de crise ». Cette omission de la part du législateur n’exclurait pas l’obligation pour l’administration d’apprécier la situation de chaque contribuable in concreto et d’exercer son pouvoir discrétionnaire, notamment lorsqu’il inflige une amende, en tenant compte des principes d’équité et de proportionnalité. Elle ajoute qu’une « interprétation flexible (par opposition à une interprétation stricte) » des dispositions de la loi s’imposerait en raison de la situation de confinement liée au COVID-19 et du blocage pendant plusieurs mois, « voire quelques années des services dans un contexte d’incertitude complète sur l’avenir ».
La société demanderesse admet, ensuite, qu’en vertu de l’effet relatif des contrats, l’administration et l’Etat n’auraient pas été partie au contrat signé avec la société D, mais conteste que l’existence et la résiliation, selon elle abusive, de ce contrat, en pleine période de confinement et de crise liée au COVID-19, de même que la rétention de documents par la société D, ne devraient pas être prise en considération. Elle ajoute que la résiliation du contrat de fiduciaire avant l’expiration du délai pour le dépôt des informations ne remettrait pas en cause que la société D aurait fait rétention abusive et illégale de ses documents sociaux et comptables, ce qui l’aurait empêchée de pourvoir à une solution et à la « déclaration FATCA » dans les délais.
La société demanderesse donne à considérer que si, dans son courrier du 28 octobre 2021, le bureau de la retenue d’impôt l’aurait invitée à l’en aviser par écrit au cas où elle estimerait ne pas être dans l’obligation de donner suite au rappel, ledit bureau n’aurait pas précisé la sanction potentiellement encourue cas de défaillance de sa part.
Elle fait valoir, en dernier lieu, que le montant de l’amende fixé à 10.000 euros serait excessif au motif qu’elle aurait finalement déposé sa « déclaration FATCA », quoi qu’en retard, et qu’elle aurait ainsi satisfait à son « obligation de zero-reporting ».
Pour le surplus, la société demanderesse réitère son argumentation portant sur une violation alléguée du principe de non-rétroactivité des peines, en ce compris de amendes fiscales.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
Analyse du tribunal En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
Le tribunal est amené à déterminer, dans un premier temps, la loi applicable, les parties étant en désaccord quant à la version de l’article 2 de la loi du 24 juillet 2015 applicable au présent litige.
1) Quant à la question de la loi applicable Force est de constater que la loi du 24 juillet 2015, publiée au Mémorial A145 du Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg le 29 juillet 2015, est entrée en vigueur 3 jours francs après cette publication2.
La loi du 18 juin 2020, qui a modifié certaines dispositions de la loi du 24 juillet 2015, a, quant à elle, été publiée au Mémorial A504 du Journal officiel en date du 19 juin 2020 et est entrée en vigueur, conformément à son article 7, « […] le 1er janvier suivant l’année civile au cours de laquelle la présente loi a été publiée au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, à l’exception de l’article 3, qui produit ses effets à la date d’entrée en vigueur de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la norme commune de déclaration (NCD). ». Il s’ensuit que la loi du 24 juillet 2015, dans sa version issue de la loi du 18 juin 2020, est entrée en vigueur le 1er janvier 2021, le présent litige n’étant pas concerné par l’article 3 dont l’entrée en vigueur correspond à celle de la loi NCD.
Toutefois, contrairement à ce que soutient la société demanderesse, l’applicabilité des dispositions de la loi du 18 juin 2020, entrées en vigueur le 1er janvier 2021, ne saurait être écartée au motif que le défaut de communication d’information lui reproché par le bureau de la retenue d’impôt porte, de façon non contestée, sur l’année d’imposition 2020, soit une année antérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2020.
En effet, tel que relevé à juste titre le délégué du gouvernement, il ressort du libellé de l’article 4, tant dans sa version originaire issue de la loi du 24 juillet 20153, que dans celle issue de la loi du 18 juin 20204, que les informations en question sont à communiquer à partir du 1er janvier de l’année qui suit celle à laquelle ces informations se rapportent, la date butoir étant fixée au 30 juin. Il s’ensuit que l’obligation déclarative d’une institution financière déclarante luxembourgeoise ne naît pas au cours de l’année par rapport à laquelle les informations à déclarer se rapportent, mais elle naît au 1er janvier de l’année suivante et expire le 30 juin de cette même année.
2 Article 2 de l’arrêté royal grand-ducal du 22 octobre 1842 n° 1943c/1297, I. G. réglant le mode de publication des lois, applicable à la date de publication de la loi du 24 juillet 2015 : « Les actes législatifs seront obligatoires dans toute l’étendue du Grand-Duché, trois jours francs après leur insertion au Mémorial, à moins qu’ils n’aient fixé un délai plus court ou plus long. […]. ».
3 « (4) Les informations sont à fournir, annuellement, dans la forme prescrite jusqu’au 30 juin après la fin de l’année civile à laquelle les informations font référence. ».
4 « (4) Les informations ou, selon le cas, le message à valeur zéro sont à fournir, annuellement, dans la forme prescrite jusqu’au 30 juin après la fin de l’année civile à laquelle les informations ou le message à valeur zéro font référence. ».
7 Cette solution correspond d’ailleurs à celle retenue par le législateur en matière d’impôt sur le revenu contrairement à ce que soutient la société demanderesse, alors qu’il ressort explicitement de l’article 117 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu que « [s]ans préjudice des dispositions de l’article 153 de la présente loi [visant le cas de revenus passibles de la retenue d’impôt sur les salaires], l’impôt est établi par voie d’assiette, après la fin de l’année d’imposition »5.
En l’espèce, le litige porte sur un défaut de communication d’informations relatives à l’année d’imposition 2020, de sorte que l’obligation déclarative afférente est née le 1er janvier 2021. Etant donné que cette même date correspond à la date d’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2020, tel que relevé ci-avant, le tribunal retient que la version applicable de l’article 2 de la loi du 24 juillet 2015 au présent litige est celle issue de la loi du 18 juin 2020.
Les contestations afférentes de la société demanderesse encourent, dès lors, le rejet.
En conséquence, le moyen de la société demanderesse tirée d’une application rétroactive de la loi du 18 juin 2020 est lui aussi à rejeter pour être non fondé, étant précisé que la circonstance que l’obligation déclarative porte sur des informations relatives à l’année d’imposition antérieure à la date d’entrée en vigueur de cette loi n’est pas de nature à conférer un effet rétroactif à la loi du 18 juin 2020.
La société demanderesse n’est pas non plus fondée à exciper, de façon tout à fait superficielle et générale, une quelconque rupture des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ainsi que du principe d’égalité, par le bureau de la retenue d’impôt qui n’a fait que se conformer aux prescriptions légales applicables.
2) Quant à la question de la violation par la société demanderesse d’une obligation déclarative mise à sa charge Aux termes de l’article 2 de la loi du 24 juillet 2015, telle que modifié par la loi du 18 juin 2020, « (1) Toute Institution financière déclarante luxembourgeoise est tenue de fournir à l’Administration des contributions directes les informations définies dans l’[Accord FATCA].
« En l’absence de Comptes américains à déclarer, les Institutions financières déclarantes luxembourgeoises communiquent un message à valeur zéro. ».
(2) […].
(3) […].
(4) Les informations ou, selon le cas, le message à valeur zéro sont à fournir, annuellement, dans la forme prescrite jusqu’au 30 juin après la fin de l’année civile à laquelle les informations ou le message à valeur zéro font référence.
(5) Sans préjudice de l’alinéa 2, une Institution financière déclarante luxembourgeoise peut encourir une amende d’un montant forfaitaire de 10 000 euros lorsqu’elle n’a communiqué ni d’informations ni de message à valeur zéro dans le délai légal de communication.
5 Souligné par le tribunal.[…] Ces amendes sont fixées par le bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts. […].
(6) […].
(7) […]. ».
Il résulte de ces dispositions qu’une institution financière déclarante luxembourgeoise au sens de la loi du 24 juillet 2015 est tenue de fournir annuellement des informations définies dans l’Accord FATCA, tel qu’y défini, en l’occurrence des « Comptes américains », ou en l’absence de tels comptes, de fournir « un message à valeur zéro ». Dans les deux cas, la communication est à faire dans la forme prescrite à compter du 1er janvier de l’année qui suit celle à laquelle les informations se rapportent, la date limite de communication étant fixée au 30 juin, sous peine de se voir infliger une amende forfaitaire d’un montant de 10.000 euros par le bureau de la retenue d’impôt.
A titre liminaire, le tribunal relève que la qualification d’institution financière déclarante luxembourgeoise de la société demanderesse ne fait certes pas directement l’objet du présent litige – tel qu’elle l’affirme elle-même –, étant donné que la décision déférée du bureau de la retenue d’impôt porte sur la fixation d’une amende dans le chef de la société demanderesse. Pour autant, en contestant par ailleurs sa qualification d’institution financière déclarante luxembourgeoise, la société demanderesse remet en cause, in fine, toute obligation déclarative dans son chef visée dans la loi du 24 juillet 2015. Cela étant, ces contestations de la société demanderesse ne sont pas invoquées dans le contexte de la question de l’applicabilité de l’article 2 de la loi du 24 juillet 2015, mais, selon ses propres explications, dans le contexte de celui de la force majeure, en ce sens que le dépôt tardif de son « message à valeur zéro » serait dû au fait qu’elle aurait estimé qu’elle ne qualifierait pas d’institution financière déclarante luxembourgeoise. En conséquence, le tribunal analysera lesdites contestations dans ledit contexte de la force majeure, analyse qui sera faite ci-après.
Le tribunal relève, ensuite, qu’il est constant en cause pour être expressément admis par la société demanderesse et pour ressortir des explications non contestées du délégué du gouvernement, de même que de la décision déférée du bureau de la retenue d’impôt, que la société demanderesse n’a ni fourni d’informations sur des « Comptes américains », ni communiqué de « message à valeur zéro » pour l’année d’imposition 2020 endéans le délai légal de communication, en l’occurrence avant le 30 juin 2021. La société demanderesse explique, en effet, avoir procédé à un « dépôt tardif » du « message à valeur zéro » après avoir reçu certaines informations en date 21 mars 2022. Il ressort d’ailleurs d’un courrier électronique figurant au dossier fiscal qu’elle a envoyé au bureau de la retenue d’impôt les « déclarations FATCA et NCD de 2020 avec zeroreporting » par courrier électronique du 21 mars 2022.
Dans ces conditions, la société demanderesse doit être considérée comme tombant dans le champ d’application de l’article 2, paragraphe (5), précité, de la loi du 24 juillet 2015 pour n’avoir « communiqué ni d’informations ni de message à valeur zéro dans le délai légal de communication », de sorte que le bureau de la retenue d’impôt a valablement pu infliger une amende à la société demanderesse, tel que cette disposition le permet.
La société demanderesse entend s’opposer à l’application de cette amende, dans son principe, en se prévalant, en substance, (i) d’un cas de force majeure et (ii) d’une « interprétation flexible » de la loi du 24 juillet 2015 et de la loi du 12 mai 2020.
(i) Quant au cas allégué de force majeure Le tribunal relève que dans la mesure où il ne s’agit que d’une faculté offerte au bureau de la retenue d’impôt d’infliger une amende à une institution financière déclarante luxembourgeoise en cas de non-respect de son obligation déclarative (« peut encourir »), cette décision doit, à l’instar de toute décision discrétionnaire, nécessairement répondre aux critères d’équité et d’opportunité du § 2 StAnpG. En exerçant son pouvoir d’appréciation ainsi légalement prévu, le au bureau de la retenue d’impôt doit, d’une part, tenir compte de tous les éléments se trouvant en sa possession au moment de prendre la décision afférente, et, d’autre part, procéder à une appréciation des circonstances particulières susceptibles de justifier sa décision en équité et en opportunité.
Or, en l’espèce, le tribunal ne saurait déceler une quelconque violation du § 2 StAnpG par le bureau de la retenue d’impôt, alors qu’au moment où il a infligé l’amende litigieuse à la société demanderesse, il ne disposait, d’après les pièces et éléments se trouvant à la disposition du tribunal, d’aucun élément de nature à établir l’existence de « circonstances exceptionnelles » susceptible d’excuser le comportement fautif de la société demanderesse et de répondre aux conditions d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité de la force majeure.
A cet égard, il y a lieu de relever qu’un cas de force majeure sous-tend toujours une configuration de dureté, voire de rigueur et, comme tel, est à prendre en considération dans l’application des règles de droit, même en l’absence de texte formel prévoyant une clause de dureté ou de rigueur, laquelle relève à la fois du concept d’équité et de l’application du principe général d’ordre constitutionnel de proportionnalité, en ce qu’une application d’une disposition de l’ordonnancement juridique ne tenant pas compte de la rigueur engendrée par les effets du cas de force majeure équivaudrait à une charge manifestement disproportionnée à l’encontre des personnes visées et partant inadmissible au regard des principes ci-avant retenus6.
Toutefois, les circonstances de l’espèce ne révèlent aucunement une charge manifestement disproportionnée dans le chef de la société demanderesse qui l’aurait légitimement empêchée de satisfaire à l’obligation déclarative mise à sa charge par l’article 2 de la loi du 24 juillet 2015.
Tout d’abord, la société demanderesse n’est pas fondée à soutenir qu’elle n’aurait eu connaissance de son obligation déclarative qu’au moment de la réception du courrier du 18 février 2022 lui ayant infligé l’amende litigieuse, alors qu’elle a été avertie près de trois mois avant, par le courrier du 28 octobre 2021, que l’article 2 de la loi du 24 juillet 2015 lui imposait de communiquer des informations ou un « message à valeur zéro » se rapportant à l’année d’imposition 2020. Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’affirmation de la société demanderesse selon laquelle son ancien comptable, la société D, aurait retenu abusivement des informations et documents relatifs à sa comptabilité tout en faisant croire à la nouvelle personne en charge de ses comptes à une erreur de l’administration. En effet, même en admettant que la société demanderesse ait valablement pu croire à une erreur de l’administration, il lui aurait 6 Cour adm., 10 mars 2022, n° 46378C du rôle, Pas. adm. 2023, V Lois et règlements, n° 75.alors incombé, non pas d’ignorer le courrier du 28 octobre 2021, mais d’en aviser l’administration, tel qu’indiqué par le bureau de la retenue d’impôt dans ledit courrier par la mention « Si vous estimez ne pas être dans l’obligation de donner suite à la présente, vous devez sans retard en aviser par écrit, le bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts avec indication des motifs », ce que la société demanderesse a décidé de ne pas faire.
La société demanderesse ne saurait d’ailleurs raisonnablement soutenir que dans son courrier du 28 octobre 2021, le bureau de la retenue d’impôt ne l’aurait pas informée que tout défaut de communication d’informations ou d’un « message à valeur zéro » lui ferait encourir le risque de se voir infliger une amende, alors que ledit courrier, lequel ne contient que cinq phrases, indique manifestement et explicitement ce risque par une phrase y dédiée spécialement : « Je tiens à vous signaler que si, à la date du 30 novembre 2021, je n’étais pas en possession du fichier y relatif, une amende d’un montant forfaitaire de 10.000 euros pour défaut de communication d’informations ou d’un message à valeur zéro, vous sera infligée, en vertu de l’article 2 (5) de la loi précitée ».
Concernant, ensuite, les développements de la société demanderesse relatifs à des « circonstances exceptionnelles de l’espèce » qui seraient constitutives d’un cas de force majeure, le tribunal retient que les considérations avancées par la société demanderesse ne sont pas constitutives d’un cas de force majeure pour ne pas remplir, à tout le moins, la condition d’extériorité, ces circonstances étant, au contraire, imputables à la société demanderesse elle-
même.
Premièrement, aucun reproche ne saurait être fait au bureau de la retenue d’impôt de ne pas avoir tenu compte des « circonstances exceptionnelles » liées au comportement allégué de la société D et à l’argumentation de la société demanderesse suivant laquelle elle estime ne pas qualifier d’institution financière déclarante luxembourgeoise au sens de la loi du 24 juillet 2015.
Il ne ressort, en effet, d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que la société demanderesse aurait fourni ces informations au bureau de la retenue d’impôt préalablement à la notification du courrier portant fixation de l’amende dans son chef daté du 18 février 2022.
Au contraire, d’après les éléments dont dispose le tribunal, la société demanderesse ne s’est manifestée auprès du bureau de la retenue d’impôt, pour la première fois, que par courrier électronique du 2 mars 2022 pour demander son « dé-enregistrement » – de l’entendement du tribunal, en tant qu’institution financière déclarante luxembourgeoise au titre de la loi du 24 juillet 2015 –, ainsi que l’annulation de l’amende. Ce n’est que suite à la réponse du bureau de la retenue d’impôt lui adressée par courrier électronique du 14 mars 2022, que la société demanderesse a, ensuite et pour la première fois, par courrier électronique daté du 21 mars 2022, porté à la connaissance du bureau de la retenue d’impôt (i) que la société D l’aurait enregistré, à son insu, en tant qu’institution financière déclarante luxembourgeoise sur le « portail IRS » – sans d’ailleurs que la société demanderesse n’ait invoqué une quelconque rétention abusive de documents par la société D qui l’aurait mise dans l’impossibilité de satisfaire à ses obligations déclaratives sous la loi du 24 juillet 2015 –, et (ii) que cet enregistrement en tant qu’institution financière déclarante luxembourgeoise ne serait pas justifié au motif qu’elle ne disposerait d’aucun compte déclarable américain au motif que l’ensemble des investisseurs concernés ne serait pas amené à changer et qu’ils seraient tous Luxembourgeois, voire basés en Europe.
11 Dans ces conditions, la société demanderesse ne saurait actuellement reprocher au bureau de la retenue d’impôt d’avoir agi de façon inéquitable en lui imposant une amende administrative sans prendre en compte ce cas de « force majeure » allégué dans le cadre du présent recours, étant donné qu’il ne disposait tout simplement pas de ces informations au moment où il a pris sa décision déférée.
Le tribunal est d’ailleurs lui aussi amené, dans le cadre de son pouvoir de réformation, à rejeter l’existence d’une cause justificative dans l’affirmation de la société demanderesse suivant laquelle elle ne qualifierait pas d’institution financière déclarante luxembourgeoise au sens de la loi du 24 juillet 2015. Etant donné que cette argumentation revient in fine à remettre en cause toute obligation déclarative dans son chef en application de la loi du 24 juillet 2015, il aurait appartenu à la société demanderesse de fournir des explications au tribunal et en amont au bureau de la retenue d’impôt au moment de la réception du courrier du 28 octobre 2021 quant aux raisons pour lesquelles elle estimerait ne pas, voire ne plus qualifier d’institution financière déclarante luxembourgeoise. Ce cas de figure était d’ailleurs justement envisagé par le bureau de la retenue d’impôt dans ledit courrier, par la phrase précitée suivante : « Si vous estimez ne pas être dans l’obligation de donner suite à la présente, vous devez en aviser par écrit, le bureau de la retenue d’impôt sur les intérêts avec indications des motifs ». Par ailleurs, dans la mesure où il ressort des explications non contestées du bureau de la retenue d’impôt que la société demanderesse s’est non seulement enregistrée auprès du « portail IRS » en juin 2018, mais qu’elle a également soumis des « rapports FATCA » pour les années d’imposition 2017 à 2019, ledit bureau a valablement pu considérer qu’il était opportun et équitable d’exiger le dépôt d’une déclaration au titre de l’année d’imposition 2020, à défaut d’autres éléments lui soumis avant la fixation de l’amende en date du 18 février 2022. A défaut d’éléments probants et d’explications circonstanciées lui soumis par la société demanderesse quant aux raisons pour lesquelles elle ne qualifierait plus d’institution financière déclarante luxembourgeoise au titre de l’année d’imposition 2020, le tribunal ne saurait conclure à une quelconque violation du § 2 StAnpG.
Deuxièmement, aucun élément soumis à l’appréciation du bureau de la retenue d’impôt et au tribunal ne corrobore l’existence d’un quelconque litige qui aurait existé entre la société demanderesse et la société D, ni que cette dernière aurait manqué à ses obligations, le contrat de prestation de services n’ayant pas été soumis à l’appréciation du tribunal. Ces éléments restent, dès lors, en l’état actuel du dossier, à l’état de pure allégation. Cette conclusion n’est pas remise en cause par les courriers électroniques échangés entre le représentant de la société D et la société demanderesse qui portent sur la question de l’approbation des comptes annuels et l’impossibilité pour la société D de les achever, des factures qui seraient restées impayées et une impossibilité pour la société D de poursuivre les relations de travail avec la société demanderesse au regard des « procédures internes ». Même à admettre l’existence d’une telle relation de travail, ainsi que d’une résiliation « abusive » et « unilatérale » du contrat de prestation par la société D, et d’une rétention « abusive » d’information de sa part, voire d’un enregistrement erroné de la société demanderesse, par la société D, en tant qu’institution financière déclarante luxembourgeoise, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement se réfère à l’article 2, paragraphe (3) de la loi du 24 juillet 2015 qui dispose que « Conformément à l’article 5, paragraphe 3 de l’Accord, l’Institution financière déclarante luxembourgeoise est autorisée à déléguer l’exécution de ses obligations à un prestataire de service tiers », et, d’autre part, audit article 5 de l’Accord FATCA qui reprend, en substance, le même libellé tout en y ajoutant que « but these obligations shall remain the responsibility of the Reporting Financial Institutions. ». Il s’ensuit qu’en tout état de cause, les éléments mis en avant par la société demanderesse au sujet de la société D ne sont pas de nature à constituer une excusevalable justifiant le dépôt tardif des déclarations litigieuses. La société demanderesse reste personnellement responsable du défaut de communication. En conséquence, aucune violation des critères d’équité et d’opportunité visés au § 2 StAnpG ne saurait être constatée par le tribunal.
Les considérations relatives au COVID-19 ne sont pas non plus de nature à remplir les conditions de la force majeure dans le chef de la société demanderesse.
Si le tribunal peut concevoir que la recherche d’un nouveau prestataire, en lieu et place de la société D, en période de confinement lors de la crise du COVID-19 puisse avoir soulevé des difficultés, il n’en reste pas moins que la société demanderesse n’a fourni aucun élément tangible de nature à démontrer qu’elle aurait contacté de nouveaux prestataires pour s’occuper de ses comptes annuels et de ses obligations déclaratives issues de la loi du 24 juillet 2015, ni qu’elle aurait été confrontée à des réponses négatives de leur part, ce qui l’aurait contrainte de désigner la personne en charge de ses comptes annuels en interne pour ce faire. Les « difficultés logistiques » liées au COVID-19 ne sont, dès lors, pas non plus de nature à remettre en cause la décision du bureau de la retenue d’impôt d’infliger une amende administrative à la société demanderesse.
Cette dernière fait certes encore valoir, dans ce contexte, que le bureau de la retenue d’impôt aurait dû reconsidérer sa décision après avoir obtenu ces informations – en ce compris celles fournies audit bureau le 8 avril 2024 en réponse aux 13 questions soulevées par lui dans son courrier électronique du 28 mars 2022 en réponse à sa demande précitée de « dé-
enregistrement » et d’annulation de l’amende du 2 mars 2022 –, de même que les informations relatives à la société D.
Or, force est de constater qu’il ressort expressément du dispositif de sa requête introductive d’instance que la société demanderesse sollicite exclusivement la réformation de « la décision datée du 18 février 2022 portant fixation d’une amende », sans mentionner d’une quelconque façon la décision du bureau de la retenue d’impôt du 6 mai 2022 prise sur recours gracieux du 27 avril 2022, la société demanderesse ayant d’ailleurs erronément considéré qu’elle n’aurait jamais eu de réponse à son recours gracieux, la décision du 6 mai 2022 susmentionnée ayant été rendue plus de 10 jours avant le dépôt de son recours contentieux au greffe du tribunal administratif. Il s’ensuit que le tribunal ne se trouve pas saisi de la question de la prise en compte de ces informations par le bureau de la retenue d’impôt dans le cadre de sa décision confirmative. En tout état de cause, le bureau de la retenue d’impôt doit être considéré comme ayant tenu compte de ces nouvelles informations avant de prendre sa décision sur recours gracieux le 6 mai 2022, étant donné que ledit bureau s’y réfère « à votre courrier du 27 avril 2022 » portant recours gracieux dans lequel la société demanderesse a justement avancé des considérations liées à la société D et à la pandémie du COVID-19. Il s’ensuit que l’argumentation afférente de la société demanderesse encourt également le rejet de ce point de vue.
Le tribunal est amené à préciser, dans ce contexte, que c’est à tort que la société demanderesse affirme ne jamais avoir eu de réponse à sa demande de « dé-enregistrement » introduite par courrier électronique du 2 mars 2022, alors que les multiples échanges écrits avec le bureau de la retenue d’impôt, tels que relevés ci-avant, révèlent que ledit bureau a tout simplement refusé d’y procéder, à défaut pour la société demanderesse de lui avoir fourni suffisamment d’éléments de nature à établir qu’elle ne qualifierait plus d’institution financière déclarante au sens de la loi du 24 juillet 2015.
A défaut d’autres motifs invoqués par la société demanderesse, le tribunal retient que les « circonstances exceptionnelles » dont se prévaut la société demanderesse ne sont pas de nature à justifier, voire expliquer le dépôt tardif du « message à valeur zéro », respectivement à qualifier la décision du bureau de la retenue d’impôt comme étant contraire au § 2 StAnpG, de sorte que les contestations afférentes sont à rejeter pour être non fondées.
(ii) Quant à la demande tendant à un « interprétation flexible » des dispositions de la loi du 24 juillet 2015 et de la loi du 12 mai 2020 Force est de constater qu’aucun reproche ne saurait être fait au bureau de la retenue d’impôt d’avoir procédé à une quelconque lecture ou application erronée des dispositions de la loi du 12 mai 2020. Contrairement à ce que semble soutenir la société demanderesse, il n’appartient manifestement pas à l’administration d’adopter une « interprétation flexible » d’une disposition légale claire et non-équivoque fixant un délai légal précis voulu par le législateur – en l’occurrence la date butoir du 30 juin visée dans la loi du 24 juillet 2015 – ni d’étendre le champ d’application d’une loi, en l’espèce la loi du 12 mai 2020 dans laquelle le législateur n’a, de façon non contestée, pas prévu d’adaptation des délais visés dans la loi du 24 juillet 2015.
La même limite s’impose au tribunal, alors qu’il n’appartient pas au juge d’interpréter une disposition légale au-delà des termes y employés, étant entendu qu’il appartient au seul pouvoir législatif de modifier une disposition légale contenant un prétendu illogisme, étant donné qu’il s’agit là d’une décision exclusivement politique, échappant au champ de compétence des juridictions7. D’ailleurs, si le législateur s’est exprimé de façon claire et précise, il n’appartient au juge ni de suspendre l’exécution de la loi, ni de se substituer au législateur, fût-ce pour remédier à des conséquences iniques que l’application de la loi peut entraîner8.
Dès lors, si le législateur n’a pas jugé utile de proroger les délais pour la déclaration et l’échange d’informations relatives à l’année d’imposition 2020 pour les besoins de la loi du 24 juillet 2015, et qu’il s’est limité à le faire au sujet des informations relatives à l’année d’imposition 2019 conformément à une loi du 24 juillet 20209, tel que relevé par le délégué du gouvernement, il n’appartient ni au pouvoir exécutif, ni au pouvoir judiciaire d’adopter une volonté contraire au législateur, indépendamment de la question de savoir s’il s’agit d’une omission – tel que le soutient la société demanderesse – ou d’une volonté certaine.
7 Cour adm., 1er avril 2004, n° 17089C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 189 et les autres références y citées.
8 Cour adm., 13 juillet 2006, n° 21143C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 180 et les autres références y citées.
9 Loi du 24 juillet 2020 portant modification de 1° la loi modifiée du 24 juillet 2015 relative à FATCA ; 2° la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la Norme commune de déclaration (NCD) ; 3° la loi du 25 mars 2020 relative aux dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration ; 4° la loi du 12 mai 2020 portant adaptation de certains délais en matière fiscale, financière et budgétaire dans le contexte de l’état de crise ; en vue de transposer la directive (UE) 2020/876 du Conseil du 24 juin 2020 modifiant la directive 2011/16/UE afin de répondre au besoin urgent de reporter certains délais pour la déclaration et l’échange d’informations dans le domaine de la fiscalité en raison de la pandémie de COVID-19 , article 1er : « (4bis) Par dérogation au paragraphe 4 [de la loi du 24 juillet 2015], les informations sont à fournir jusqu’au 30 septembre 2020 en ce qui concerne les informations se rapportant à l’année civile 2019. ».En conséquence, la société demanderesse n’est pas fondée à réclamer, au nom de l’équité, et sous couvert d’une « interprétation flexible » d’une disposition légale, l’extension d’un délai légal auprès du bureau de la retenue d’impôt et du tribunal.
Il s’ensuit que le moyen afférent de la société demanderesse est à rejeter pour être non fondé.
Il résulte des considérations qui précèdent que le bureau de la retenue d’impôt a valablement pu, dans son principe, infliger une amende administrative à la société demanderesse pour défaut de communication d’un « message à valeur zéro » endéans le délai légal conformément à l’article 2 de la loi du 24 juillet 2015.
3) Quant à la question du montant de l’amende Force est au tribunal de constater que si la société demanderesse conteste, à titre subsidiaire, le montant de l’amende fixé par le bureau de la retenue d’impôt, soit 10.000 euros, au motif qu’il serait excessif ou disproportionné et qu’elle sollicite sa réduction à un montant de 1.500 euros, il n’en reste pas moins qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 24 juillet 2015, précité, le bureau de la retenue d’impôt ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire pour fixer le montant de l’amende, une fois qu’il a exercé ledit pouvoir pour la retenir dans son principe, alors que ladite disposition mentionne expressément une « amende d’un montant forfaitaire de 10 000 euros ».
L’intention du législateur dépeinte dans les travaux parlementaires gisant à la base de la loi du 18 juin 2020 relève que ce montant a été fixé de manière « suffisamment élevé[e] pour avoir un effet dissuasif, sans pour autant être excessif »10.
Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au bureau de la retenue d’impôt de s’être conformé à la volonté du législateur qui ne lui a octroyé qu’une compétence liée en matière de fixation de l’amende administrative, bien que le législateur lui ait, en amont, conféré un pouvoir discrétionnaire pour décider de l’application d’une amende dans son principe.
Les contestations afférentes de la société demanderesse sont, partant, à rejeter pour être non fondées.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est non fondé et qu’il encourt le rejet.
III) Quant à l’indemnité de procédure Eu égard à l’issue du litige, la demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros formulée par la société demanderesse, de l’entendement du tribunal, sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, à laquelle le délégué du gouvernement s’oppose, est à rejeter.
10 Projet de loi 7527, Commentaire des articles, page 6.Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non fondé, partant le rejette ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 3.000 euros formulée par la société demanderesse ;
condamne la société demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 9 août 2024 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s. Lejila ADROVIC s. Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 16