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16/08/2024 | LUXEMBOURG | N°46903

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 août 2024, 46903


Tribunal administratif N° 46903 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46903 1re chambre Inscrit le 14 janvier 2022 Audience publique extraordinaire du 16 août 2024 Recours formé par Madame A et consort, …, contre deux décisions du bourgmestre de la commune de Heffingen, en présence de Monsieur C, …, en matière de permis de construire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46903 du rôle et déposée le 14 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif p

ar Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocat...

Tribunal administratif N° 46903 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46903 1re chambre Inscrit le 14 janvier 2022 Audience publique extraordinaire du 16 août 2024 Recours formé par Madame A et consort, …, contre deux décisions du bourgmestre de la commune de Heffingen, en présence de Monsieur C, …, en matière de permis de construire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46903 du rôle et déposée le 14 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame A et de Monsieur B, demeurant tous les deux à …, tendant à l’annulation de l’« […] [a]utorisation de bâtir n°56/2021 délivrée en date du 13 août 2021 habilitant Monsieur C à construire une pergola sur la terrasse existante au … […] » et de la « […] décision du 1er décembre 2021 prise sur recours gracieux […] confirmant l’autorisation de construire du 13 août 2021 à la suite du recours gracieux introduit par les parties requérantes en date du 24 août 2021 […] et du 19 octobre 2021 […] » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick KURDYBAN, demeurant à Luxembourg, du 12 janvier 2022 portant signification de ce recours 1) à l’administration communale de Heffingen, établie à L-7651 Heffingen, 2, am Duerf, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, et 2) à Monsieur C, demeurant à … ;

Vu l’ordonnance du premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président du tribunal administratif, du 31 janvier 2022, inscrite sous le numéro 46904 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2022 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Heffingen, préqualifiée ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour de la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1470 Luxembourg, 7-11, route d’Esch, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B265322, représentée aux fins de la présente instance par Maître Albert RODESCH, déposée au greffe du tribunal administratif le 6 décembre 2022, au nom de l’administration communale de Heffingen, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

1Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Adrien KARIGER, en remplacement de Maître Steve HELMINGER, et Maître Stéphane SUNNEN, en remplacement de Maître Albert RODESCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 mars 2024.

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Le 13 août 2021, le bourgmestre de la commune de Heffingen, ci-après désigné par « le bourgmestre », délivra à Monsieur C, en sa qualité de propriétaire de la parcelle sis à …, une autorisation, référencée sous le numéro 56/2021, pour « […] construire une pergola sur la terrasse existante à … […] ».

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 août 2021, Madame A et Monsieur B, ci-après désignés par « les consorts AB », introduisirent auprès du bourgmestre un recours gracieux à l’encontre de l’autorisation de construire, précitée, du 13 août 2021, en leur qualité de propriétaires de la maison sise à …, accolée à la maison faisant l’objet de l’autorisation de construire en question. Par courrier recommandé avec accusé de réception de leur litismandataire du 19 octobre 2021, les consorts AB complétèrent leur recours gracieux.

Le 1er décembre 2022, le bourgmestre confirma la susdite autorisation de construire par une décision rédigée en les termes suivants : « […] Le projet soumis est parfaitement conforme aux dispositions règlementaires en matière d’urbanisme en vigueur.

Je maintiens donc le permis de construire n°56/2021 du 13 août 2021. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2022, inscrite sous le numéro 46903 du rôle, les consorts AB firent introduire un recours tendant à l’annulation de la décision, précitée, du bourgmestre du 13 août 2021, ainsi que de la décision confirmative sur recours gracieux du 1er décembre 2021.

Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 46904 du rôle, ils introduisirent encore une demande tendant à voir prononcer un sursis à exécution des décisions déférées en attendant la solution du recours au fond, demande dont ils furent déboutés par ordonnance du premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président du tribunal administratif, du 31 janvier 2022.

Par courrier électronique du 10 avril 2022, Monsieur C s’adressa à l’administration communale de Heffingen, ci-après désignée par « l’administration communale », en les termes suivants : « […] Comme convenu par téléphone et sur les conseils avec votre service technique, je vous confirme par le présent mail que nous allons renoncer à installer une pergola sur notre terrasse.

Dans ce contexte, nous demandons l’annulation de l’autorisation de construire. […] ».

A titre liminaire, le tribunal constate que la requête introductive d’instance a été signifiée en date du 12 janvier 2022 à Monsieur C.

2Si ce dernier n’a pas constitué avocat, il n’en reste pas moins qu’en application de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », le tribunal statue à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’un jugement contradictoire.

Aucun recours au fond n’étant prévu en matière d’autorisation de construire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce.

A l’audience publique des plaidoiries du 27 mars 2024, le litismandataire de l’administration communale a soutenu que l’affaire serait devenue sans objet, compte tenu de la renonciation du bénéficiaire de l’autorisation de construire déférée à l’exécution de celle-ci, tout en soulignant qu’eu égard à cette renonciation, une annulation de l’acte attaqué serait purement stérile et serait contraire à l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

Le litismandataire des consorts AB a fait valoir, en substance, que l’affaire ne serait pas devenue sans objet, étant donné que, malgré la renonciation de Monsieur C à l’installation de la pergola litigieuse, la décision attaquée existerait toujours et que ce dernier pourrait changer d’avis.

Par ailleurs, il a insisté sur la demande en obtention d’une indemnité de procédure de 3.500 euros, telle que formulée dans la requête introductive d’instance, en soulignant que l’administration communale n’aurait pas pris position quant au fond du litige.

Le tribunal précise d’abord que la recevabilité d’un recours est conditionnée en principe par l’existence et la subsistance d’un objet, qui s’apprécie du moment de l’introduction du recours jusqu’au prononcé du jugement, cette exigence de la subsistance de l’objet du recours étant en général liée à l’exigence du maintien de l’intérêt à agir, et plus particulièrement de l’intérêt à voir sanctionner l’acte faisant l’objet du recours.1 Le tribunal relève ensuite que dans un arrêt du 7 mars 2024, inscrit sous le numéro 49659C du rôle, rendu à propos d’un cas similaire, où le bénéficiaire de l’autorisation de construire attaquée avait expressément renoncé à l’exécution de l’autorisation en question, sans que celle-ci ait cependant été retirée par l’autorité compétente, la Cour administrative a confirmé le jugement de première instance ayant rejeté le recours pour défaut d’objet. Pour arriver à cette conclusion, la Cour a noté ce qui suit :

« […] L’article 37, paragraphe 5, de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ci-après « la loi du 19 juillet 2004 », prévoit que si dans le délai d’un an le récipiendaire d’une autorisation de construire n’a pas procédé à des éléments d’exécution consistants tels qu’y visés, l’autorisation se trouve être périmée.

Il est constant qu’en vertu du principe du préalable, une autorisation de construire est exécutoire même si un recours est dirigé contre celle-ci de la part de parties tierces, sauf si celles-ci ont réussi à faire revêtir ce recours de l’effet suspensif par ordonnance du président du tribunal en application de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

1 Trib. adm., 20 octobre 2010, n° 26758 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 33 et les autres références y citées.

3Or, un pareil recours constitue toujours un risque pour le bénéficiaire de l’autorisation, l’issue du procès étant incertaine, et l’encombrement du tribunal administratif est tel qu’un recours devant celui-ci n’est, en règle générale, pas résorbé dans le délai d’un an.

Dès lors, l’administré prudent et consciencieux ayant préféré attendre l’issue du litige ni de pareil recours, se voyait confronté à une péremption de son autorisation de construire, une fois le délai d’un an visé par l’article 37, alinéa 5, de la loi du 19 juillet 2004 révolu.

Par son arrêt de principe précité du 13 décembre 2018, la Cour a fait application de l’ancienne maxime « contra non valentem agere non currit praescriptio » reprise aux articles 2252 et 2253 du Code civil et signifiant en substance que la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir en justice, pour appliquer un correctif jurisprudentiel consistant à dire que chaque fois qu’un tiers intéressé introduit un recours en annulation contre un permis de construire délivrée à un bénéficiaire, le délai d’un an prévu en matière de péremption par article 37, alinéa 5, de la loi du 19 juillet 2004, se trouve automatiquement suspendu à partir de l’introduction du recours jusqu’à ce que le tribunal ait définitivement toisé ce recours ou jusqu’à ce que, sur appel, la Cour ait définitivement statué.

Tout comme les autres textes de l’ordonnancement juridique, également les correctifs jurisprudentiels doivent être appliqués en vue de faire du sens.

Le cas de figure de l’espèce a encore ceci de particulier que la bénéficiaire de l’autorisation délivrée a expressément déclaré renoncer à son exécution, ceci, en plus, avant que le recours en annulation des appelants ne lui eût été signifié en première instance.

Du fait de cette renonciation expresse à exécution, l’autorisation de construire litigieuse était appelée dès ce moment à rester sans effet et devint en quelque sorte caduque.

Par conséquence c’est à juste titre que les premiers juges ont pu dégager de cette situation de fait que le recours des appelants actuels n’avait plus d’objet et que l’autorisation de construire par eux attaquée n’était plus de nature à leur faire un grief quelconque.

L’autorisation de construire litigieuse cessant de produire des effets et devenant de la sorte caduque, la suspension de la péremption prévue par l’article 37, paragraphe 5, de la loi du 19 juillet 2004 était devenue de son côté également sans fondement, de sorte qu’entre-temps, la péremption en question se trouve largement acquise également.

Dès lors, dans le cas de figure de l’espèce d’une renonciation expresse et non équivoque du bénéficiaire de l’autorisation attaquée, le correctif jurisprudentiel de la suspension de la péremption est à regarder comme ne s’appliquant plus à partir du moment où le bénéficiaire de l’autorisation a déclaré expressément ne plus vouloir la porter à exécution, de sorte que la conclusion du tribunal suivant laquelle l’affaire était devenue sans objet est à confirmer également sous cet aspect.

La question du retrait de l’autorisation litigieuse en application de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre pour les administrations recevait de l’Etat et des communes, manque encore de pertinence, la partie bénéficiaire ayant expressément renoncé à l’exécution de cette autorisation et le retrait administratif supposant une illégalité vérifiée de la décision retirée, question de fond qui ne se pose pas de manière pertinente en l’occurrence vu que de toute manière le recours est devenu sans objet.

4En analyser néanmoins le bien-fondé relèverait ici de l’incohérence et serait pour le surplus contraire à une manière efficiente d’organiser le service public de la justice. […] ».

En appliquant ces principes au cas d’espèce, le tribunal arrive à la conclusion que dans la mesure où il se dégage du susdit courriel de Monsieur C du 10 avril 2022 que le bénéficiaire de l’autorisation de construire litigieuse a renoncé de manière expresse et sans équivoque à l’exécution de l’autorisation en question, celle-ci est devenue en quelque sorte caduque et le recours des consort AB est devenu sans objet, de sorte à encourir le rejet.

Nonobstant le caractère sans objet du recours, il appartient encore au tribunal de toiser la demande d’indemnité de procédure formulée par les consorts AB sur base de l’article 33 de loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».

En effet, une demande en obtention d’une indemnité de procédure n’est pas atteinte par les effets de la disparition de l’objet du recours, dès lors que ladite demande, procédant d’une cause juridique particulière et autonome, à savoir l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, a une individualité propre et doit être toisée à la demande du demandeur. Ainsi, la renonciation au recours, respectivement la disparition de l’objet du recours ne rend pas le demandeur non recevable à réclamer une telle indemnité.2 Etant donné qu’en l’espèce, d’une part, le bourgmestre a, par sa décision du 1er décembre 2021, rejeté le recours gracieux des consorts AB en indiquant de manière lapidaire que « […] Le projet soumis [serait] parfaitement conforme aux dispositions règlementaires en matière d’urbanisme en vigueur. […] », sans autrement prendre position quant aux illégalités soulevées par les demandeurs, forçant ainsi ces derniers à se pourvoir en justice et, d’autre part, au cours de la procédure contentieuse, la partie communale n’a pas non plus pris position quant aux moyens soulevés par les demandeurs, mais s’est bornée à affirmer dans son mémoire en réponse qu’eu égard à ces moyens, elle serait « […] en train de réévaluer sous toutes réserves certains éléments de la décision litigieuse […] », le tribunal arrive à la conclusion qu’il serait inéquitable de laisser à l’unique charge des demandeurs les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens.

Il y a partant lieu d’allouer aux consorts AB une indemnité de procédure que le tribunal fixe ex aequo et bono au montant de 800 euros.

Pour les mêmes motifs, et en application de l’article 32 de la loi du 21 juin 1999, aux termes duquel « Toute partie qui succombera sera condamnée aux dépens, sauf au tribunal à laisser la totalité, ou une fraction des dépens à la charge d’une autre partie par décision spéciale et motivée », le tribunal retient qu’il y a lieu d’imposer les frais et dépens à la partie communale.

2 Trib. adm., 15 juillet 2015, n° 34244 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1264 et les autres références y citées.

5Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours sans objet, partant le rejette ;

condamne l’administration communale de Heffingen à payer aux demandeurs une indemnité de procédure de 800 euros ;

condamne l’administration communale de Heffingen aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 16 août 2024 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier en chef Xavier DREBENSTEDT.

s. Xavier DREBENSTEDT s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46903
Date de la décision : 16/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-16;46903 ?

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