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29/08/2024 | LUXEMBOURG | N°47921

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 août 2024, 47921


Tribunal administratif N° 47921 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47921 2e chambre Inscrit le 9 septembre 2022 Audience publique extraordinaire du 29 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47921 du rôle et déposée le 9 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par

Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avoca...

Tribunal administratif N° 47921 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47921 2e chambre Inscrit le 9 septembre 2022 Audience publique extraordinaire du 29 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47921 du rôle et déposée le 9 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 août 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et 2) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2022 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour du 6 septembre 2023 de Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de Monsieur …, préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 juillet 2024.

Le 10 janvier 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015, en se présentant comme étant mineur.

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche menée par les policiers dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … y était enregistré comme ayant introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 7 février 2019.

En date du 3 novembre 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 5 août 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 8 août 2022, le ministre informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 10 janvier 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 10 janvier 2020 ainsi que le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 3 novembre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Avant tout progrès en cause, il convient de noter que vous avez introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 7 février 2019 sous une autre identité, à savoir celle de …, né le … de nationalité afghane alors qu’au Luxembourg vous avez déclaré être né en …. Par après, vous êtes parti de Grèce, en direction du Luxembourg, sans avoir attendu l’issue de votre procédure de protection internationale y introduite. Vous expliquez avoir quitté la Grèce alors que « j’étais suivi également en Grèce » (p.8/13 de votre rapport d’entretien) et parce que « da es keine Sicherheit gibt es waren jeden Tag Schlägereien im Camp und ich musste in einem Zelt schlafen » (rapport du Service de Police Judiaciaire). Avant d’arriver au Luxembourg, vous seriez passé par l’Italie et la France, sans toutefois y introduire de demande de protection internationale.

En outre, lors de votre arrivée, vous avez donné plusieurs dates de naissances différentes, à savoir le …, le … et le …, avant de finir par dire ne pas connaître, ni votre jour, ni votre mois de naissance. En Grèce vous avez été enregistré comme étant né le …. Par conséquence, et étant donné que vous n’avez remis aucun document d’identité, vous aviez été enregistré avec la date de naissance 00/00/2002 sur base des dispositions de l’article 1er du règlement grand-ducal du 28 novembre 2013 fixant les modalités d’application de la loi du 19 juin 2013 relative à l’identification des personnes physiques.

Monsieur, vous déclarez être de nationalité afghane, d’ethnie …, de confession musulmane chiite et vous indiquez avoir vécu dans le quartier … du district de … situé dans la province de …. Vous expliquez qu’en 2014, un an après la mort de votre père, vous auriez quitté votre pays d’origine et vous vous seriez installé auprès d’un cousin en Iran pendant quatre ans, avant de vous rendre en Turquie pour deux mois, et puis en Grèce, où vous seriez resté pendant 10 mois. Vous précisez encore que votre mère ainsi que votre sœur vivraient 2 toujours à … en Afghanistan et que votre frère serait décédé en 2011, lors d’un attentat kamikaze à Kaboul.

Vous affirmez avoir peur d’être tué par un groupe en Afghanistan qui serait sous les ordres d’un dénommé …, alors que votre père aurait refusé de lui céder ses terrains. Selon vos dires, … aurait des liens étroits avec les Taliban.

En effet, vous expliquez que votre père aurait hérité des terrains de votre grand-père pour lesquels il aurait eu un acte de propriété. Cependant, les partisans de … auraient contesté l’authenticité de ce document et auraient affirmé que ces terrains leur appartiendraient. Vous précisez que ce conflit serait né avant votre naissance et que votre famille aurait été menacée depuis des années en raison de celui-ci. Vous prétendez cependant ne pas connaître la nature de ces menaces étant donné que vous n’auriez été qu’un enfant à l’époque.

Vous continuez vos dires en racontant que le conflit aurait dégénéré en 2013, lorsque le dénommé … aurait provoqué votre père en volant dans son épicerie. Furieux, votre père aurait frappé … et votre père aurait été assassiné quelques jours plus tard par ….

Après la mort de votre père, votre mère vous aurait envoyé vivre en Iran auprès de la famille de votre cousin de peur que les partisans de … ne reviennent pour vous tuer. En effet, vous relatez que des hommes armés se rendraient régulièrement à votre domicile en Afghanistan pour vous rechercher. Vous supposez que même si ces hommes s’étaient emparés des terrains après la mort de votre père, ils seraient toujours à votre recherche, par peur que vous décideriez de venger la mort de votre père, « comme je vous ai dit ils avaient peur que je porterais une arme pour les tuer quand je suis grand » (p.10/13 de votre rapport d’entretien).

Vous ajoutez que vous auriez reçu des menaces indirectes en Grèce par le biais d’un ami, et que vous en concluez que les menaces ne peuvent venir que de … ou de ses partisans, étant donné que vous n’auriez pas d’autres ennemies.

Finalement, vous affirmez également que vous auriez peur d’être tué par les Taliban en raison de votre ethnie … et que selon les Taliban « les Hazâra sont des mécréants car nous sommes des Shiites et eux sont des Sunnites » (p.11/13 de votre rapport d’entretien) et qu’ils tueraient tous les ….

Vous ne présentez aucun document à l’appui de votre demande de protection internationale. Vous déclarez que vous n’auriez jamais été en possession d’une carte d’identité alors que vous auriez quitté l’Afghanistan à l’âge de douze ans, et qu’avant vous n’auriez jamais eu besoin d’une telle carte.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

3 Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des motifs de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous invoquez craindre en cas de retour dans votre d’origine de devenir victime de représailles de la part des hommes de main du dénommé …, qui aurait menacé toute votre famille et aurait assassiné votre père dans le cadre d’un conflit foncier l’opposant à votre famille il y a une dizaine d’années.

Il convient de noter qu’il est plus que douteux que des malfrats seraient à la recherche pendant presque 10 ans d’un jeune garçon pour une histoire de terrains. A cela s’ajoute que votre famille se trouve encore sur place et ne fait état d’aucun problème concret alors que Mohammed Ali se serait approprié les terrains après la mort de votre père. De ce fait, il n’aurait donc plus aucune raison de vous rechercher, alors qu’il aurait obtenu ce qu’il voulait.

A cela d’ajoute que votre crainte est dénuée de tout lien avec les motifs prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, votre appartenance à un groupe social ou vos opinions politiques.

En effet, vous indiquez vous-même que le conflit opposant votre famille à cet individu découlerait uniquement d’un différend concernant des terres qu’il aurait voulu s’approprier de force. Ainsi, il ne saurait être question dans votre chef de l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Il s’ensuit que la première des trois conditions cumulatives pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié fait défaut en l’espèce.

On ne saurait dès lors conclure à l’existence dans votre chef d’une crainte fondée de persécution alors que vos craintes sont manifestement purement hypothétiques.

Deuxièmement, Monsieur, vous indiquez craindre d’être tué par les Taliban en raison de votre appartenance à l’ethnie ….

Dans ce contexte, vous précisez que toutes les personnes d’ethnie … seraient dans la ligne de mire des Taliban et qu’il n’y aurait nulle part de la sécurité en Afghanistan pour les ….

4 Force est de constater que votre crainte d’être tué en Afghanistan à cause de votre confession musulmane chiite ou de votre ethnie …, relève du champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors que cette crainte est liée à votre religion respectivement à votre ethnie.

Or, il convient de constater que vous ne formulez aucune crainte concrète qui reposerait sur des faits ou éléments concrets et vous vous bornez à faire état de considérations générales et impersonnelles. Or, la seule appartenance à l’ethnie … n’est pas suffisante pour se voir octroyer une protection internationale. Il ne s’aurait en effet pas être question de l’existence de persécutions généralisées et systématiques touchant toute la population …, c’est-

à-dire plus de 4 millions de personnes.

Ainsi, à défaut d’établir en quoi vous seriez personnellement à risque d’être persécuté en raison de votre appartenance ethnique, il convient de conclure que les craintes que vous exprimez sont purement hypothétiques et traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité.

Or, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié, et notamment que vous auriez peur d’être tué par ….

Or, il convient de réitérer qu’il est invraisemblable que …, après avoir récupéré les terrains qui auraient été à l’origine du conflit l’opposant à votre famille, serait toujours après vous.

5 Ainsi, votre prétendue crainte ne saurait emporter la conviction du Ministre que vous courriez un risque réel de subir des atteintes graves dans votre pays d’origine.

Finalement, Monsieur, il convient de souligner qu’après avoir quitté la Grèce, vous vous seriez rendu en Italie, et puis en France sans y introduire de demande de protection internationale. Ce tourisme de l’asile est de nature à mettre en doute la gravité de votre situation dans votre pays d’origine, alors qu’il est légitime d’attendre d’une personne se sentant réellement en danger qu’elle accepte la protection d’un pays dès qu’elle a l’occasion de le faire plutôt que de quitter le pays d’accueil en quête de nouvelles possibilités, faisant ainsi un usage abusif de la procédure de demande de protection internationale. Un tel comportement est incompatible avec un réel besoin de protection.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre 5 août 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 5 août 2022, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur indique avoir introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en tant que mineur non accompagné. Lors de ses entretiens au ministère, il aurait précisé être né le … dans la province de …, appartenir à l’ethnie … et être musulman de confession chiite. Son père aurait été assassiné en 2013 pour des raisons liées à un conflit foncier après qu’un groupe de personnes connues dans leur quartier, qui auraient été des alliés des talibans, auraient voulu les exproprier de leurs terres agricoles. Suite à ce conflit, il aurait dû quitter l’Afghanistan dès l’âge de 12 ans sur conseil de sa mère alors que les prédits individus auraient proféré des menaces par crainte qu’il vienne un jour venger l’assassinat de son père et récupérer leurs terres. Il fait valoir qu’après son départ d’Afghanistan, ces personnes alliées aux talibans auraient été à sa recherche et auraient menacé sa mère. Ces menaces, qui émaneraient des talibans et de leurs alliés, se seraient même poursuivies en Grèce alors qu’un ami l’aurait informé qu’il aurait été recherché par un inconnu.

S’agissant de la protection des autorités actuelles de son pays d’origine contre les actes depersécution redoutés, il aurait indiqué que sa mère aurait déposé une plainte à laquelle aucune suite n’aurait été donnée par les autorités locales de l’époque. Il explique qu’en raison de la prise de pouvoir des talibans, il ne pourrait imaginer déposer une plainte contre ses persécuteurs, alors qu’il serait de notoriété publique que les membres de la communauté … feraient l’objet de persécutions par les talibans. Quant à une alternative de fuite interne en Afghanistan, il soutient que si les talibans étaient à sa recherche en Grèce suite à l’information donnée par sa mère sous la menace, il ne ferait aucun doute que les talibans pourraient également le retrouver dans n’importe quelle province d’Afghanistan.

En droit, concernant le refus d’octroi du statut de réfugié, le demandeur, après avoir cité l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 et rappelé les critères pour l’obtention dudit statut, fait valoir que l’article 37 (5) prévoirait un allègement de la preuve que le demandeur doit rapporter concernant ses déclarations et se réfère, dans ce contexte, à un rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile, à présent dénommée l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA) de 2018, intitulé « Analyse juridique. Évaluation des éléments de preuve et de la crédibilité dans le contexte du régime d’asile européen commun ». Il soutient ensuite qu’il remplirait les conditions pour l’obtention du statut de réfugié, dans la mesure où il craindrait d’être persécuté par les talibans en cas de retour dans son pays d’origine en raison de son appartenance ethnique …, de sa confession musulmane chiite et de son appartenance à un certain groupe social, à savoir celui des propriétaires terriens expropriés par les talibans et leurs alliés.

Ainsi, concernant son appartenance à l’ethnie …, le demandeur donne à considérer que l’ethnie … en tant que « sous-ensemble de la tradition musulmane chiite » serait depuis longtemps victime de discriminations, de marginalisation et d’attaques ciblées en raison de leur ethnie et de leur appartenance religieuse qui diffèreraient de celles de la majorité de la population afghane sunnite. Les talibans, sunnites, considèreraient que tout individu ne pratiquant pas le sunnisme serait un mécréant, qu’il soit chrétien, athée ou chiite. L’ensemble des faits de violence à l’égard de la communauté … relatés par des sources sûres et publiques ne constitueraient qu’une partie de la réalité beaucoup plus meurtrière. Ainsi, de graves persécutions seraient subies sans pour autant que les …s ne puissent bénéficier d’une quelconque protection étatique. La chute du gouvernement afghan en août 2021 coïncidant avec la prise de pouvoir par les talibans, devenus autorité de facto sur l’ensemble du territoire afghan, aurait rendu la situation dramatique pour la minorité … qui subirait des arrestations arbitraires, des massacres, des déplacements massifs forcés et des confiscations de leurs terres, ce qui serait « un signe » d’une persécution d’une gravité particulière pour entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève », et de la loi du 18 décembre 2015. Le demandeur cite, à titre d’exemple, le fait que le mois d’août 2022 aurait connu une série d’attaques perpétrées contre les …s à l’occasion de rassemblements religieux chiites, qui auraient causé 120 victimes et auraient été revendiquées par l’Etat islamique au Khorassan.

Ces attaques auraient été fermement condamnées par des instances internationales, le demandeur se référant à cet égard à diverses publications. La situation serait ainsi alarmante pour la communauté …, qui ferait l’objet d’un « génocide », de sorte que le fait de ne pas lui octroyer le statut de réfugié serait constitutif d’une grave méconnaissance du « risque avéré de génocide » et de persécutions à l’égard de la communauté ….

Concernant ses craintes de persécution en raison de son appartenance à un certain groupe social, Monsieur … renvoie à divers articles de presse pour soutenir que les …s feraientl’objet de persécutions depuis de nombreuses années et qu’ils craindraient, à raison, d’être persécutés par les talibans depuis leur prise de pouvoir.

Ensuite, après s’être emparé de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, il explique qu’à la suite de l’assassinat de son père, sa mère et lui-même auraient régulièrement fait l’objet de menaces de la part des talibans les ayant expropriés de leurs terres. Ces menaces seraient, dès lors, à considérer comme étant une atteinte grave à son intégrité psychique et mentale et seraient constitutives d’une persécution au sens de l’article 42 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015, et comme une violation suffisamment grave d’autres droits fondamentaux, en l’occurrence, ceux consacrés à travers les articles 3 et 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». Par ailleurs, ces actes seraient à considérer comme ayant atteint par leur nature un seuil de gravité tel qu’ils seraient constitutifs d’une persécution. Il ajoute encore, dans ce cadre, (i) que d’après le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) le sort subi par des parents ou des amis ou d’autres membres du même groupe racial ou social pourrait attester que la crainte du demandeur d’être lui-même tôt ou tard victime de persécutions serait fondée et (ii) que d’après la jurisprudence du tribunal administratif, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies, instaureraient une présomption que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiraient en cas de retour dans le pays d’origine au sens de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, pour reprocher finalement au ministre de ne pas avoir démontré qu’il existerait de bonnes raisons de penser que les actes de persécution mentionnés ne se reproduiraient plus.

Enfin, quant aux acteurs de persécutions, Monsieur … cite l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, pour se prévaloir de l’absence de protection des autorités afghanes actuelles, étant donné qu’il aurait été persécuté et craindrait encore d’être persécuté par les talibans et leurs alliés, en s’appuyant sur l’arrêt Abdulla e.a. contre Bundesrepublik Deutschland de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 2 mars 2010, numéro C-175/08.

Il en conclut qu’il remplirait les critères pour se voir octroyer le statut de réfugié et requiert la réformation de la décision litigieuse en ce sens.

Quant au volet de la décision lui refusant le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, après avoir cité les articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur explique qu’il risquerait, en se référant à des jurisprudences de la CJUE, aux lignes directrices du HCR, à des rapports d’organisations non gouvernementales, telles que l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) et l’association Asylos, de faire l’objet d’atteintes graves de la part des talibans en raison de son occidentalisation. En effet, les demandeurs d’asile afghans, du fait de leur exil en Europe et de leur absence du territoire afghan, seraient perçus comme étant en lien avec les pays occidentaux. Cette caractéristique les exposerait à un danger en cas de retour en Afghanistan. A cet égard, le demandeur s’appuie sur un arrêt Sufi et Elmi c. Royaume-

Uni de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 28 juin 2011, portant le numéro 8319/07 du rôle, ayant retenu qu’un risque accru aurait existé dans le chef d’un ressortissant somalien qui n’aurait pas pu rejoindre ou traverser une zone sous le contrôle des milices Al-shabaab du fait de son profil « occidentalisé », pour soutenir que le raisonnement tenu par la CourEDH dans ladite affaire devrait être transposé à son cas.

Enfin, il s’empare d’une publication de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 22 janvier 2022, intitulée « Afghanistan : La situation des …s depuis le retour au pouvoir des talibans », qui démontrerait que les …s feraient l’objet d’exécutions,d’arrestations, d’expropriations foncières, pour conclure qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour en Afghanistan, il courrait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il devrait, en conséquence, se voir accorder une protection subsidiaire.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement réitère en substance les développements contenus dans la décision ministérielle entreprise et conclut au rejet du recours.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou 9 b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel était le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, le tribunal relève que Monsieur … invoque différents motifs à la base de sa demande du statut de réfugié, à savoir le risque d’être persécuté par les talibans (i) en raison d’un conflit foncier et de son appartenance au groupe social « des propriétaires terriens expropriés par des talibans et leurs alliés », (ii) en raison de son appartenance ethnique … et de sa religion musulmane chiite, et (iii) en raison de son occidentalisation.

En ce qui concerne la crainte de persécutions de la part des talibans en raison d’un conflit foncier et de son appartenance au groupe social « des propriétaires terriens expropriés par des talibans et leurs alliés », il y a lieu de relever que la notion de groupe social est définie à l’article 43 (1) d) de la loi du 18 décembre 2015 comme suit : « […] un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier:

- ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour 10 l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce; et - ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante. […] ».

Or, le tribunal constate que la situation du demandeur ne répond pas à cette définition du groupe social, dans la mesure où il ne ressort pas des éléments à la disposition du tribunal que les propriétaires terriens expropriés puissent être considérés comme formant un groupe ayant une identité propre en Afghanistan parce qu’il serait perçu par la société environnante comme étant différent.

Le conflit foncier mentionné par le demandeur étant, par ailleurs, un conflit privé qui n’est pas motivé par un des autres critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité et les opinions politiques du demandeur, ce dernier ne peut s’en prévaloir pour prétendre à l’obtention du statut de réfugié.

Quant aux craintes de subir des persécutions de la part des talibans en tant qu’… chiite, si ces motifs relèvent de la Convention de Genève pour être en lien avec la religion et l’appartenance ethnique du demandeur, le tribunal est néanmoins amené à relever que, dans un arrêt du 5 décembre 2023, la Cour administrative a décidé que « […] Concernant ensuite les craintes de persécutions ou d’atteintes graves de la part des Talibans en raison de sa confession musulmane chiite et son appartenance à l’ethnie …, les premiers juges se sont à juste titre appuyés sur la jurisprudence de la Cour administrative par rapport à la situation générale des membres de cette communauté en Afghanistan, ayant retenu que s’il se dégage certes des sources à sa disposition que les membres de l’ethnie … font l’objet de la persistance d’actes de violence et de harcèlements de la part des Talibans, il ne ressort néanmoins pas des éléments d’informations lui soumis que les …s feraient l’objet de persécutions généralisées et systématiques du seul fait de leur origine ethnique ou de leur confession musulmane chiite. Tel que déjà retenu par la Cour dans ses arrêts des 19 mai 2022 (n° 46363C du rôle) et 30 juin 2022 (n° 46108C du rôle), les attaques menées contre les …s sont pour la plupart l’œuvre de l’organisation terroriste EIK et visent surtout les lieux de culte chiites respectivement des civils … en raison de leur profil de fonctionnaires, de journalistes ou encore de personnel d’organisations non gouvernementales, attaques qui sont pour le surplus très ponctuelles, non quotidiennes et perpétrées dans les grandes villes du pays.

La Cour a encore retenu dans des arrêts du 21 février 2023 (n° 48083C du rôle) et 9 mars 2023 (n° 48007C du rôle) qu’un rapport « EUAA Country Guidance : Afghanistan » d’avril 2022 recommande de vérifier si la personne concernée … présente d’autres éléments qui permettraient de conclure qu’elle correspond à un profil plus à risque que d’autres.

Il s’ensuit que le seul fait d’être … et de confession chiite n’est pas suffisant en soi pour justifier une crainte de persécution dans le chef de l’appelant.

Cette conclusion n’est pas invalidée par les sources d’informations additionnelles invoquées par l’appelant en instance d’appel. En effet, s’il est certes vrai que certaines publications évoquent un sérieux risque de génocide des …s chiites en Afghanistan, il n’en demeure pas moins que la Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments permettant de retenir que la situation actuelle puisse être qualifiée de telle. […] » 1, analyse qui a été 1 Cour adm., 5 décembre 2023, n° 48946C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.confirmée notamment dans un arrêt récent de la Cour administrative du 30 mai 2024, inscrit sous le numéro 50089C du rôle2.

Cette conclusion s’impose, en l’espèce, au tribunal, en ce qui concerne les craintes de persécutions du demandeur à l’égard des talibans, mais également en ce qui concerne les attaques perpétrées par l’Etat islamique, dans la mesure où il reste en défaut de fournir des éléments personnels qui permettraient de retenir qu’il aurait un profil plus à risque de subir des persécutions que les autres …s. Partant, le seul fait qu’il soit un … chiite n’entraîne pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

En ce qui concerne le risque de persécutions par les talibans en raison de son occidentalisation, la Cour administrative, dans un arrêt du 30 mai 2024, inscrit sous le numéro 50080C du rôle, s’est basée sur un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) du 26 mars 2021, intitulé « Afghanistan : risques au retour liés à l’occidentalisation », ainsi que sur un rapport de l’AUEA du 23 janvier 2023, intitulé « Country Guidance : Afghanistan Common analysis and guidance January 2023 », pour retenir qu’il incombait au concerné qui entend se prévaloir de craintes de persécutions en cas de retour en Afghanistan du fait de son profil « occidentalisé » de fournir des éléments propres à sa situation personnelle de nature à établir qu’il a acquis pareil profil, respectivement de démontrer la crédibilité du risque d’une pareille imputation. Elle s’est également référée, dans le cadre de son analyse des craintes de persécutions liées à l’occidentalisation, à un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge (CCE) du 14 novembre 2023, inscrit sous le numéro 297112 du rôle, notamment en ce qu’il a retenu que « dans le cadre d’une analyse de risque de la probabilité raisonnable d’un demandeur d’être exposé à la persécution lors de son retour en Afghanistan, une évaluation individuelle impose de prendre en compte des facteurs de risque tels que, entre autres, le sexe, l’âge, la région d’origine et son caractère conservateur, la durée du séjour en Occident, la nature de l’emploi du demandeur, les comportements qu’il a adoptés, la visibilité de ceux-ci et la visibilité des éventuelles transgressions commises, y compris à l’étranger »3.

Le tribunal procède, dès lors, à l’analyse des éléments individuels mis en avant par le demandeur pour faire valoir qu’il serait occidentalisé et qu’il pourrait, de ce fait, être persécuté par les talibans qui le percevraient comme hostile à leur régime.

Or, force est de constater que Monsieur … reste en défaut de fournir des explications circonstanciées quant à un risque personnel de subir des persécutions en raison de sa prétendue « occidentalisation ». Ainsi, la seule circonstance d’avoir vécu à l’étranger n’entraîne pas l’octroi du statut de réfugié au demandeur.

Partant, au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à constater que le ministre a, à bon droit, retenu que les faits relatés par le demandeur ne permettaient pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef, de sorte que le recours encourt le rejet pour ne pas être fondé sur ce point.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que 2 Cour adm., 30 mai 2024, n° 50089C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

3 Cour adm., 30 mai 2024, n° 50080C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.

Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, il échet de relever que le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Il convient, de prime abord, de relever, que Monsieur … ne mentionne pas le risque d’être victime d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, mais invoque une crainte de faire l’objet d’atteintes graves au sens des points a) et b) du même article, de sorte que le tribunal limitera son analyse au risque allégué par le demandeur de subir la peine de mort, l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d’origine.

En ce qui concerne le risque de faire l’objet d’atteintes graves de la part du dénommé … et des talibans en raison d’un conflit foncier, le tribunal est, tout d’abord, amené à constater que le récit du demandeur reste lacunaire. Il ressort, en effet, de ses dires que le prédit conflit aurait existé entre son père et un dénommé … avant la naissance du demandeur, soit au moinsdepuis 2001-2002. Cependant, son père aurait été victime d’un meurtre qui serait lié au prédit conflit et qui aurait été perpétré par le dénommé …, en 2013, soit plus de dix années après le début du conflit foncier, suite à une altercation avec un dénommé …, après que ce dernier ait commis un vol dans l’épicerie de son père. Par la suite, le dénommé …, qui se serait approprié les terrains familiaux, aurait été animé par la peur que Monsieur …, qui aurait alors été âgé de douze ans, se venge de la mort de son père et veuille récupérer les terrains, et l’aurait recherché pour le tuer en premier. A présent, les hommes de … seraient toujours à sa recherche, plus de dix années après la mort du père du demandeur, et l’auraient même menacé, alors qu’il se serait trouvé en Grèce. Or, force est de constater que le demandeur ne fournit aucun détail sur le contenu de ces menaces, sur les circonstances dans lesquelles elles auraient été proférées, et sur les raisons pour lesquelles le dénommé … serait encore à l’heure actuelle à sa recherche plus d’une décennie après avoir obtenu ce qu’il convoitait depuis de nombreuses années.

L’explication fournie par le demandeur selon laquelle … craindrait qu’il vienne se venger de ses agissements au bout de tout ce temps est, en effet, peu convaincante. En outre, le fait qu’il avance avoir été recherché en Grèce par les hommes de …, où il se trouvait pendant 10 mois, après avoir passé quatre années en Iran, pays voisin au sien, apparaît comme peu plausible et comme ayant été ajouté pour dramatiser son récit et voir augmenter ses chances d’obtenir une protection internationale. Ainsi, le tribunal est amené à retenir que les craintes avancées par le demandeur vis-à-vis du dénommé …, et indirectement des talibans, en raison d’un conflit foncier sont essentiellement hypothétiques, de sorte qu’ils ne peuvent pas permettre l’octroi d’une protection subsidiaire sur base des points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Concernant l’appartenance ethnique et religieuse du demandeur, le tribunal estime qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes motifs que ceux développés dans le cadre de l’analyse du recours dirigé contre la décision de refus du statut de réfugié, qu’il y aurait de sérieuses raisons de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur encourrait un risque réel de subir des atteintes graves visées à l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

Quant à l’occidentalisation du demandeur, le tribunal est encore amené à reprendre ses précédentes constatations, en ce sens que si les personnes « occidentalisées », majeures et de sexe masculin, qui retournent en Afghanistan peuvent faire l’objet de suspicions ou peuvent faire face à la stigmatisation ou au rejet, ces faits ne sont cependant pas susceptibles d’être considérés comme pouvant constituer des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur restant pour le surplus en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles son propre mode de vie le rendrait plus à risque de subir personnellement des atteintes graves.

Partant, il échet de conclure, au vu des développements qui précèdent, que le demandeur reste en défaut de démontrer que les conditions de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, seuls invoqués par le demandeur, seraient remplies dans son chef. C’est, dès lors, à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection subsidiaire de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur conclut à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, en se prévalant des articles 3 de la CEDH et 4 et 19 (2) de la Charte desdroits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », tout en citant la jurisprudence de la CourEDH, suivant laquelle l’Etat doit veiller à ce que les expulsions n’exposent pas les personnes concernées à des risques de torture ou d’autres formes de mauvais traitements dans le pays de renvoi. En effet, il estime devoir bénéficier de la protection contre l’éloignement vers l’Afghanistan où il encourrait un risque réel et suffisamment grave d’atteintes à sa vie et à son intégrité physique et morale ou d’autres formes de traitements inhumains et dégradants. Il soutient encore que l’exécution de l’ordre de quitter le territoire impliquant son retour vers l’Afghanistan violerait les prédits articles, dans la mesure où il n’existerait pas de point d’entrée terrestre ou aérien lui permettant de rejoindre l’Afghanistan sans risquer d’être arrêté par les autorités talibanes et requiert de la part du tribunal, dans l’hypothèse où il retiendrait le contraire, de déterminer la province de fixation du centre de ses intérêts avant d’envisager son trajet de retour sans aucun risque.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, dans la mesure où l’ordre de quitter le territoire découlerait directement de la décision rejetant l’octroi d’une protection internationale.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour du demandeur dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il convient ensuite de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, ainsi que son corollaire l’article 4 de la Charte, proscrivent la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Afghanistan, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur de craintes de persécutions et de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens notamment de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH4, le tribunal n’estime pas, au vu des éléments lui soumis, qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit incompatible avec l’article 3 de la CEDH ou l’article 4 de la Charte, ni avec le principe de non-refoulement consacré à l’article 19 (2) de la Charte, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet pour être non fondé.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour être également non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 5 août 2022 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 5 août 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, 4 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59. Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 29 août 2024 par le vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47921
Date de la décision : 29/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-29;47921 ?

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