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29/08/2024 | LUXEMBOURG | N°49660

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 août 2024, 49660


Tribunal administratif N° 49660 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49660 2e chambre Inscrit le 3 novembre 2023 Audience publique extraordinaire du 29 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49660 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 novembre 202

3 par Maître Cora Maglo, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à ...

Tribunal administratif N° 49660 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49660 2e chambre Inscrit le 3 novembre 2023 Audience publique extraordinaire du 29 août 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49660 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 novembre 2023 par Maître Cora Maglo, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Venezuela), de nationalité vénézuélienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 septembre 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 janvier 2024 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour du 28 mars 2024 de Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de Monsieur …, préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Yasmine Guebasi, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juin 2024.

Le 21 février 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 11 juillet 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 28 septembre 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 2 octobre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa l’intéressé que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée dans les termes suivants :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 21 février 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos motifs de fuite En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 21 février 2022 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 11 juillet 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Vous déclarez être né le …, de nationalité vénézuélienne, de confession chrétienne, avoir vécu à … dans l’Etat de … au Vénézuela avec votre mère et votre frère jusqu’à votre départ.

Monsieur, en cas de retour au Vénézuela, vous craindriez d’être tué ainsi que votre frère et votre mère par « des personnes payées par le Gouvernement pour tuer des opposants politiques » (p.8/12, rapport d’entretien) du fait de vos participations à des marches à partir de 2020.

Vous expliquez plus particulièrement que le 4 octobre 2021, vous auriez pris part aux côtés de « 30 à 35 » (p.7/12, rapport d’entretien) manifestants à une marche « contre l’injustice en général et contre le système du Gouvernement et pour obtenir plus (de) liberté d’expression » (p.6/12, rapport d’entretien), laquelle aurait été organisée à …, capital de l’Etat de …, par une association d’étudiants de votre université dont vous auriez également fait partie. Alors que votre association n’aurait pas obtenu d’autorisation de manifester au préalable, la « Garde nationale et les policiers » (p.5/12, rapport d’entretien) seraient intervenus en lançant du gaz lacrymogène pour mettre fin à ladite marche. En parallèle, vous auriez vu arriver une vingtaine de motards que vous auriez identifiés comme étant des colectivos, employés par l’Etat pour faire disparaître les opposants au gouvernement vénézuélien. Vous auriez couvert votre tête avec votre t-shirt pour ne pas être identifié. Les manifestants se seraient dispersés, et vous vous seriez caché jusqu’à ce que la situation se calme. Les deux mois suivants, vous auriez suivi vos cours normalement et auriez reçu vos notes en novembre. Puis, le 15 décembre 2021, accompagné d’un ami d’enfance, vous seriez revenus à pied d’une fête de noël lorsque quatre personnes masquées vous auraient interpellés, avant de casser vos téléphones portables. Vous seul, auriez été embarqué de force dans un véhicule pour vous emmener dans un cimetière où vos agresseurs vous auraient montré une photo de vous manifestant le 4 octobre 2021 et vous auraient dit que vous connaîtriez bien les « conséquences du fait d’être contre le Gouvernement » (p.5/12, rapport d’entretien). Vous expliquez que ceci aurait signifié que les « gens qui manifestent une opinion politique différente au Gouvernement peuvent disparaître ou être persécutés » (p.7/12, rapport d’entretien) au Vénézuela. A l’aide d’un pistolet, ces personnes vous auraient également menacé de vous tuer si vous n’aviez pas quitté le Vénézuela sous trois jours. Vous seriez rentré chez vous et auriez décidé de quitter le Vénézuela. Par ailleurs, vous déclarez ne pas avoir gardé de contact avec les membres de l’association ou d’autres manifestants car vous n’auriez personnellement connu personne. Enfin, vous affirmez ne pas être « membre d’un parti politique » mais avoir « juste participé à cette manifestation » (p.9/12, rapport d’entretien).

Monsieur, vous auriez quitté illégalement le Vénézuela le 17 décembre 2021 en prenant un bus et en marchant jusqu’au Chili, puis vous seriez entré légalement en Argentine le 4 janvier 2022, muni de votre passeport vénézuélien. Vous auriez fait une demande de protection internationale en Argentine laquelle aurait été rejetée. Vous auriez contacté un ami de la famille vivant à Dublin qui vous aurait recommandé d’aller au Luxembourg et vous aurait également financé votre voyage. Vous auriez quitté légalement l’Argentine le 17 février 2022 pour le Luxembourg en transitant par Paris.

A l’appui de votre demande, vous remettez les documents suivants :

- Votre passeport vénézuélien, émis le … et expirant le … ;

- votre carte d’identité vénézuélienne, émise le … et expirant en … 2024.

2.

Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, il ressort de l’évaluation de votre unique motif de fuite qu’en cas de retour au Vénézuela, vous craindriez d’être tué par des malfrats, que vous présentez comme étant des membres de colectivos à la solde des autorités, suite à votre participation à une marche illégale de protestation, le 4 octobre 2021 à …. Vous justifiez cette crainte par l’ultimatum, qui vous aurait été donné par vos agresseurs présumés le 15 décembre 2021, de quitter le Vénézuela sous trois jours ou autrement d’être tué.

Avant tout progrès en cause, il échet ainsi de relever que vos déclarations concernant le motif qui vous aurait poussé à fuir votre pays d’origine, restent à l’état de pure allégation et ne sont corroborées par aucun élément de preuve. En effet, vous n’apportez aucune preuve quant à votre inscription à l’université de …, ni à votre adhésion ou rôle au sein de l’association d’étudiants laquelle aurait organisée des manifestations notamment ladite marche du 4 octobre 2021. Par ailleurs, vous déclarez n’avoir connu personnellement aucun des membres de l’association, alors que vous auriez non seulement participé à cinq marches entre 2020 et le 4 octobre 2021, mais auriez également organisé celles-ci en commun. Il est dès lors difficilement concevable que malgré avoir passé tout ce temps ensemble, en plus d’avoir fréquenté supposément la même université, vous ne connaitriez pas un seul de ces étudiants personnellement.

A cela s’ajoute que le seul lien tangible entre vos participations présumées à des marches dont celle du 4 octobre 2021 à … et votre supposée agression dans le cimetière à …, le 15 décembre 2021, est votre déclaration Monsieur, selon laquelle vos agresseurs présumés, vous auraient montré une photo de vous participant à ladite manifestation du 4 octobre 2021 et auraient mentionné que vous connaîtriez bien les « conséquences du fait d’être contre le Gouvernement » (p.5/12, rapport d’entretien). Or, vous déclarez également que pendant la marche du 4 octobre 2021, vous auriez mis votre t-shirt sur la tête afin de ne pas révéler votre identité et vous vous seriez également caché jusqu’à ce que « la situation se calme » (p.5/12, rapport d’entretien). En outre, il y aurait eu du gaz lacrymogène de lancé, ce qui aurait logiquement répandu beaucoup de fumée. Il appert de noter qu’il est fort curieux que malgré cela, des colectivos, que vous auriez reconnu car ils auraient été à « moto » (p.5/12, rapport d’entretien) et auraient porté « des cagoules » (p.5/12, rapport d’entretien), eurent réussi à vous photographier dans ce contexte.

Quand bien même les faits que vous invoquez seraient avérés, vos craintes de persécution ne sont pas liées à l’un des motifs de fond définis par la Convention de Genève respectivement par la Loi de 2015. En effet, vous expliquez que dans votre pays d’origine forcément tout opposant au gouvernement devrait disparaître ou être persécuté.

Renseignement pris, il s’avère que des coalitions et des partis d’opposition existent, et que certains groupes moins conflictuels ont été tolérés par les autorités, le PSUV au pouvoir utiliserait seulement les ressources de l’Etat, ainsi que les forces de sécurité et le système judiciaire pour perturber les partis qui contesteraient plus directement sa position dominante.

Il échet de relever qu’effectivement des députés de l’Assemblée nationale auraient fait l’objet d’une certaine répression et de menaces de la part des médias publics, et des figures de l’opposition auraient été arrêtés ou seraient devenues inéligibles. Cependant, aucune recherche ministérielle laisse conclure que tout opposant, réel ou supposé, au régime puisse valablement se prévaloir de raisons de craindre d’être persécuté du seul fait de sa présence sur le territoire vénézuélien. Or, votre activisme se serait limité uniquement à l’organisation et la participation à cinq marches d’une trentaine de participants, ayant eu seulement lieu aux abords de votre université à …. Au surplus, vous ne semblez pas non plus détenir des informations ou tout autre élément pouvant justifier avec raison que vous seriez visées par les autorités vénézuéliennes, alors que vous ne connaîtriez même pas les personnes qui ont manifesté à vos côtés. Enfin, vous-même déclarez « je ne suis pas membre d’un parti politique, j’ai juste participé à cette manifestation ». Eu égard à ce qui précède, force est de conclure que vous ne devriez pas être qualifié d’opposant politique et risquer de vous retrouver dans le collimateur des autorités vénézuéliennes.

Partant, vos prétendues craintes ne sont pas liées à votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social, tel que prévu par la Convention de Genève et la Loi de 2015.

Quand bien même votre crainte rentrerait dans le champ d’application de la Convention de Genève, ce qui reste contesté, toujours est-il que vous restez en défaut d’établir qu’une seule menace verbale, effectuée certes lors d’une mise en scène macabre, par des personnes non autrement identifiées que par vous, revêtirait un degré de gravité tel à pouvoir être qualifié d’acte de persécution au sens des textes précités. De toute évidence, ce groupe en particulier de colectivos n’avaient pas l’intention de vous causer un préjudice grave, car ils auraient eu suffisamment de possibilités de le faire, mais il s’agissait juste de vous intimider.

Il appert que vous n’auriez subi aucun dommage concret pouvant être qualifié d’acte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015. En effet, les actes considérés comme une persécution au sens de la Convention de Genève doivent être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Force est par ailleurs de noter que des faits commis par des acteurs non étatiques ne peuvent être considérés comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

Vous affirmez catégoriquement que les personnes qui vous auraient menacées, seraient des colectivos à la solde du gouvernement vénézuélien. Pourtant, d’après les renseignements pris, des experts notent que le terme colectivo est très souvent utilisé dans des circonstances infiniment variées au point d’en vider sa substance. La référence à ce terme de colectivo a pris une force bien plus importante dans l’esprit des personnes que ce qu’il est réellement.

D’ailleurs, les opposants tout comme les sympathisants des colectivos ont tendance à attribuer des dimensions presque mythiques à leur importance. Les colectivos ne seraient pas homogènes et tous n’agiraient pas comme des forces paramilitaires, mais certains feraient du travail communautaire et promouvraient des programmes sociaux gouvernementaux tels que le fonctionnement de stations de radio communautaires, l’organisation d’activités sportives pour les jeunes à risque, la distribution de primes envoyés par le gouvernement, ou l’organisation de marchés locaux de base à des prix plus bas.

Partant, il ne peut être indéniablement conclu que vos agresseurs auraient effectivement été des membres d’un colectivo, mandatés par le gouvernement pour vous nuire et non de simples malfrats, agissant pour leurs propres comptes. Ceci est d’autant plus vrai qu’aucun élément ne permet de conclure que ceux-ci auraient été mandatés par le gouvernement pour vous retrouver et vous chasser du Vénézuela. En effet, il appert que vous ne connaissez en réalité pas avec exactitude l’identité des personnes vous ayant menacé et qu’il n’est pas possible de les identifier autrement que par vos suppositions.

Dès lors, il y a lieu d’en conclure que vous auriez été victime d’infractions de droit commun commises par des personnes privées, punissables selon la législation vénézuélienne.

Or, il ressort de votre récit que vous n’auriez pas cherché à porter plainte auprès d’une autorité de votre pays, de sorte qu’il n’est pas établi que les autorités de votre pays d’origine ne seraient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant ou tolèreraient voire encourageraient des agressions à votre encontre.

Partant, vous avez nécessairement mis les autorités compétentes dans l’impossibilité d’accomplir leurs missions. Aucune défaillance ou inefficacité ne saurait dès lors leur être reprochée.

En tout état de cause, il existe une alternative de fuite interne, car le risque d’être à nouveau agressé, s’il en existe un, ce qui reste contesté, n’existerait que dans l’Etat de …. Or, en tant que jeune homme instruit et capable de travailler, vous êtes en mesure d’assurer un niveau de subsistance équivalent dans d’autres régions de votre pays d’origine. En guise d’exemple, il existe une telle possibilité de protection interne en déménageant dans une grande ville comme Maracaibo ou Valencia, qui comptent plus de deux millions d’habitants et demi.

En effet, il appert que les colectivos seraient des « stark lokal ausgerichtete Gruppierungen » lesquels auraient des relations bilatérales avec des représentants du gouvernement ou des forces de sécurité. Cependant, rien n’indique que les colectivos opèreraient dans une structure centralisée, organisée au niveau régional ou national. D’ailleurs, les colectivos ne sont pas présents dans tout le pays. Peu de colectivos opèrent au-delà de leurs zones d’influences, car ils sont hyperlocalisés exerçant un contrôle local, en ce sens qu’un groupe de colectivos n’exerce pas forcément un contrôle sur tout un quartier, mais seulement sur quelques rues. Il s’avère aussi que les colectivos sont très autochtones et respectent les territoires des autres colectivos. Seul le gouvernement et non un groupe de colectivos aurait eu les ressources pour mettre un dispositif de recherches au niveau national en place, mais comme susmentionné, il est difficilement concevable, que le gouvernement ait eu un réel intérêt à vous poursuivre. En effet, il ne ressort pas de votre récit que vous auriez occupé une fonction importante au sein de l’association d’étudiants, ni fait partie d’un parti politique d’opposition, de surcroît ayant été particulièrement visé par le gouvernement en place.

Eu égard à ce qui précède, le risque, s’il en existe un, serait limité à … et …, tout au plus à l’Etat de …. L’hypothèse d’un risque réel encouru sur tout le territoire national par les colectivos qui vous auraient eu dans leur collimateur à … et …, alors qu’ils auraient été employés par le gouvernement n’est ni étayée par vos déclarations, ni confirmée par les recherches ministérielles effectuées. A cela s’ajoute que le groupe de colectivos vous ayant supposément menacé, ne connaissaient même pas votre adresse à …, et qu’ils ont mis deux mois pour vous retrouver dans un rayon de 15km, alors que vous n’auriez rien changé à votre routine habituelle et notamment auriez continué à fréquenter régulièrement vos cours à l’université, démontre que ce groupe particulier de colectivos n’a, ni la volonté, ni le soutien gouvernemental ou encore moins les ressources pour vous poursuive à l’échelle nationale. Il n’y a donc pas d’obstacles à votre réinstallation dans une autre ville respectivement dans un autre Etat au Vénézuela.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Monsieur, il y a lieu de souligner qu’à l’appui de votre demande de protection subsidiaire, vous invoquez en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de votre demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Au vu des conclusions ci-dessus, il y a de même, lieu de retenir qu’il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015.

En effet, vous omettez d’établir qu’en cas de retour au Vénézuela, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, respectivement que les autorités vénézuéliennes ne pourraient ou ne voudraient vous protéger contre des atteintes graves commises par des acteurs non étatiques, voire que votre réinstallation dans une autre ville au Vénézuela ne serait pas possible. Enfin, vous n’établissez pas de menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors rejetée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Vénézuela ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 28 septembre 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 28 septembre 2023, prise dans son double volet, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur renvoie en substance aux faits et rétroactes tels qu’ils ont été retranscrits dans son rapport d’audition auprès de la direction de l’Immigration.

En droit, après avoir énuméré les conditions d’octroi du statut de réfugié telles que prévues par la loi du 18 décembre 2015, le demandeur reproche, tout d’abord, au ministre d’avoir retenu que ses déclarations n’auraient été corroborées par aucun élément de preuve et s’empare de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015 pour soutenir qu’il aurait dû profiter du bénéfice du doute. Il verse, à cet effet, une pièce datant de 2019 qui prouverait son inscription à l’Université Catholique de … à … et sa qualité d’étudiant. Il précise encore que le fait de ne pas connaître les étudiants membres de l’association à laquelle il aurait adhéré ne pourrait pas remettre en cause la crédibilité de ses dires, étant donné que les manifestations se seraient déroulées avec une mobilisation étudiante conséquente et que les étudiants en faisant partie auraient été nombreux. Enfin, concernant le fait qu’il ait pu être pris en photo malgré le fait qu’il ait affirmé avoir passé son t-shirt sur sa tête et que des bombes lacrymogènes aient été lancées durant la manifestation du 4 octobre 2021, il explique que sa photo aurait pu être prise avant même qu’il n’ait pu dissimuler son visage et que les prédites bombes n’auraient pas été projetées immédiatement sur les manifestants. Il en conclut que la décision litigieuse aurait violé le principe du bénéfice du doute et qu’en conséquence, elle devrait faire l’objet d’un réexamen.

Ensuite, le demandeur soutient que la décision litigieuse serait à réformer pour violation des articles 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 et 10 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, désignée ci-après par « la directive 2011/95 », étant donné que les motifs à la base de sa demande de protection internationale seraient liés à ses opinions politiques. En effet, même s’il ne se reconnaissait dans aucun parti politique au Venezuela, cela ne signifierait pas que son militantisme, qu’il aurait exprimé en participant aux marches étudiantes, n’aurait pas de « coloration politique ».

De même, les persécutions qu’il aurait subies, notamment « l’expédition punitive au cimetière », aurait fait suite à sa participation aux manifestations. Cet évènement laisserait ainsi penser que les acteurs des persécutions, à savoir les colectivos, le percevraient bien comme un opposant politique.

Concernant la gravité des faits relatés, le demandeur s’empare de l’article 9 (1) a) de la directive 2011/95, repris en droit interne à l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, pour soutenir que les menaces de mort proférées à son encontre, l’agression et l’enlèvement dont il aurait été victime pour se retrouver dans un cimetière seraient des faits de violence physique et mentale. Le prédit lieu n’aurait, en effet, pas été choisi au hasard et ce serait par crainte de subir le « funeste sort » qui l’aurait attendu, qu’il aurait quitté son pays d’origine. Il reproche, dans ce contexte, au ministre de minimiser la gravité de ces faits, en les qualifiant d’intimidation, et s’interroge sur le seuil que devraient atteindre les menaces pour être qualifiées de graves.

Après avoir cité l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait également valoir que des sources publiques fiables et consultables reconnaitraient la dangerosité des colectivos et leur lien avec le gouvernement. Il renvoie à cet effet, à un rapport publié par Human Rights Watch sur le Venezuela, intitulé « World Report 2023 », et à un rapport publié par Human Rights Council le 18 septembre 2023, intitulé « Report of the independent international fact-finding mission on the Bolivarian Republic of Venezuela », pour soutenir que les colectivos devraient être considérés comme des acteurs de persécutions au sens du prédit article 39.

Le demandeur réfute enfin toute possibilité de fuite interne dans son chef au sens de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 en faisant valoir que les colectivos seraient présent à l’échelle nationale. Il ajoute que même s’il n’a été retrouvé par ces derniers qu’au bout de deux mois, il aurait également pu l’être s’il s’était installé dans une des villes citées par le ministre.

En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur donne à considérer qu’il aurait « été antérieurement l’objet de violences et appréhende[rait] des persécutions politiques en cas de renvoi au Venezuela », avant de s’emparer de l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015 pour faire valoir que le fait qu’il aurait déjà subi des « persécutions » constituerait un indice sérieux de sa « crainte fondée », à moins qu’il ne soit établi de manière crédible que de telles « persécutions » ne se reproduiraient pas. Il renvoie, à cet égard, au rapport du Human Rights Council, précité, pour soutenir que la recrudescence de la violence étatique dans un contexte de prochaines élections ne lui laisserait aucune perspective d’établissement sûr sur le territoire vénézuélien. Il conteste également l’affirmation du ministre selon laquelle la situation tendue au Venezuela ne serait pas équivalente à un conflit armé interne et s’appuie sur un article d’Amnesty International du 29 août 2023, intitulé « Faits et chiffres. Détentions arbitraires à caractère politique au Venezuela », pour soutenir que 25 % de la population totale aurait fui le Venezuela, ce qui démontrerait « l’aggravation de la crise des droits humains » dans ledit pays. Enfin, le demandeur explique, en renvoyant à un arrêt de la Cour administrative du 29 novembre 2018, inscrit sous le numéro 41166C du rôle, qu’il y aurait lieu d’observer les circonstances politiques et sociales du pays d’origine, avant d’affirmer que ces circonstances actuelles montreraient que le Venezuela serait un pays dangereux pour les ressortissants qui y retourneraient, ce qui serait d’autant plus le cas dans son chef, étant donné qu’il se trouverait dans une catégorie « particulièrement vulnérable aux agressions et persécutions dans son pays » en tant qu’étudiant militant.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Force est au tribunal de constater que la notion de « réfugié » implique nécessairement des persécutions ou à tout le moins un risque de persécution dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de penser que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal relève de prime abord que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Indépendamment de la question de la crédibilité du récit du demandeur, le tribunal est amené à constater qu’il invoque à la base de sa crainte de subir des persécutions les opinions politiques qui lui seraient imputées par les autorités vénézuéliennes, représentées par des colectivos, en raison de sa participation à des manifestations contre le régime en place à partir de 2020.

Il échet de relever que si les faits ainsi mis en avant par le demandeur ont essentiellement comme toile de fond ses convictions politiques, de sorte à être a priori susceptibles de tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », force est néanmoins de constater, au vu des déclarations de l’intéressé lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, que celui-ci reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à laisser conclure dans son chef à une crainte actuelle justifiée de subir des persécutions.

En effet, le demandeur n’apporte aucun élément permettant de retenir qu’il aurait été dans le collimateur des autorités vénézuéliennes et considéré par celles-ci comme étant un opposant politique. Au contraire, il ressort de ses déclarations qu’il n’était pas membre d’un parti politique1 et qu’il a seulement participé à cinq manifestations illégales organisées par des associations estudiantines.

1 Page 9 du rapport d'audition.

Si, dans ce contexte, le demandeur déclare avoir participé à des réunions pour l’organisation de ces manifestations dans son université depuis 2020, force est de constater qu’il reste essentiellement vague dans ses affirmations à ce propos, ce qui manque de convaincre de son rôle dans l’organisation desdites manifestations.

En outre, il y a lieu de relever que le demandeur précise avoir eu des altercations avec la police2 durant les manifestations illégales auxquelles il a pris part depuis 2020, sans qu’il n’ait été autrement inquiété par les autorités vénézuéliennes jusqu’à son départ en décembre 2021.

Le constat selon lequel Monsieur … n’est pas dans le collimateur des autorités de son pays d’origine n’est pas remis en cause par le fait que des inconnus, qu’il considère comme étant des colectivos, l’aient menacé pour avoir participé à la manifestation du 4 octobre 2021.

Les craintes du demandeur restent, en effet, hypothétiques, dans la mesure où il ressort de ses déclarations que depuis son départ du Venezuela, il n’a pas été recherché par les autorités vénézuéliennes ou même par les colectivos, sa mère n’ayant été approchée ni par les uns ni par les autres3. Par ailleurs, bien que le demandeur affirme craindre que des persécutions soient commises à l’encontre de sa mère et de son frère par les autorités vénézuéliennes en raison de son engagement politique, ces derniers n’ont pas été inquiétés depuis décembre 2021. Le demandeur reste ainsi en défaut de démontrer la réalité des persécutions qu’il estime risquer en cas de retour dans son pays d’origine.

Par ailleurs, quant à la référence faite par le demandeur à la situation générale régnant dans son pays d’origine, force est de constater que si, certes, il ne peut être nié que le Venezuela connaît une situation sécuritaire problématique, notamment en raison de la violence criminelle de droit commun qui y est très répandue, il n’en reste pas moins qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que cette situation serait telle que tout ressortissant du Venezuela s’étant rendu en Europe et retournant dans son pays d’origine serait considéré comme un opposant au régime en place et qu’il risquerait de ce fait de se retrouver dans le collimateur des autorités vénézuéliennes, de sorte que les craintes du demandeur à cet égard restent également hypothétiques.

Le tribunal est, dès lors, amené à conclure que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par le demandeur comme étant non fondée, de sorte que le recours dirigé contre le refus dudit statut est à rejeter pour être non fondé.

En ce qui concerne la demande en obtention d’une protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

2 Page 9 du rapport d'audition.

3 Page 8 du rapport d'audition.

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant rappelé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits qu’il avance, du risque réel de subir des atteintes graves que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate d’abord qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

En ce qui concerne plus particulièrement sa crainte d’être exécuté ou de subir des traitements inhumains et dégradants de la part des autorités vénézuéliennes pour avoir participé à des manifestations contre le régime en place, le tribunal est amené à réitérer ses conclusions faites dans le cadre des développements concernant le statut de réfugié, à savoir que les craintes de Monsieur … vis-à-vis des autorités vénézuéliennes sont essentiellement hypothétiques.

Il résulte des développements qui précèdent qu’en l’état actuel d’instruction du dossier et des moyens exposés de part et d’autre, Monsieur … n’a pas démontré qu’il existe de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015.

Si le demandeur a entendu, en soutenant que le ministre aurait, à tort, considéré que la situation au Venezuela n’équivaudrait pas à un conflit armé interne, viser l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international », il convient de relever que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé dans le considérant 43 de son arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c. Pays-Bas », numéro C-465/07, que « […] l’article 15, sous c), de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de la même directive, doit être interprété en ce sens que :

- l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que ce dernier rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle ;

- l’existence de telles menaces peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours, apprécié par les autorités nationales compétentes saisies d’une demande de protection subsidiaire ou par les juridictions d’un État membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée, atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces. ».

Elle a également retenu, dans le considérant 39 du prédit arrêt, que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire ».

Le conflit armé interne a été défini par la CJUE dans son arrêt du 30 janvier 2014, « Diakité c. Belgique », numéro C-285/12, et plus particulièrement en son considérant 35, de la manière suivante : « […] lorsque les forces régulières d’un État affrontent un ou plusieurs groupes armés ou lorsque deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné. ».

Quant aux violences aveugles, elles ont été définies par la CJUE dans le susdit arrêt « Elgafaji c. Belgique », notamment dans les considérants 34 et 35, comme étant des violences qui s’étendent à des civils sans considération de leur situation personnelle ou de leur identité.

Or, si, tel que relevé ci-avant, il ne peut être nié qu’il existe un degré élevé de violence criminelle de droit commun au Venezuela, il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que la situation sécuritaire au Venezuela est telle qu’elle réponde aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, tels que clarifiés par la jurisprudence de la CJUE, précitée.

C’est, dès lors, également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande de Monsieur … tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que le recours en ce qu’il est dirigé à l’encontre du refus ministériel d’octroyer ledit statut est également à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre en conséquence de la réformation de la décision de refus d’une protection internationale. Il invoque également qu’un retour dans son pays d’origine entraînerait dans son chef une violation des articles 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », 3 de la CEDH et de son corollaire, l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », ainsi qu’ une violation du principe de non-refoulement prévu dans la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.

Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre pouvait a priori valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, ainsi que son corollaire l’article 4 de la Charte, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à son article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte qu’il existe a fortiori un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants. Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Venezuela, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la peine de mort ou l’exécution, ou encore la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH4, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, voire avec l’article 2 de la CEDH relatif au droit à la vie, ainsi qu’avec le principe de non-refoulement, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Il s’ensuit que le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 28 septembre 2023 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, déclare ledit recours en réformation non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 28 septembre 2023 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare ledit recours en réformation non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 29 août 2024 par le vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 août 2024 Le greffier du tribunal administratif 4 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, point 59.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49660
Date de la décision : 29/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-08-29;49660 ?

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