Tribunal administratif N° 49776 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49776 3e chambre Inscrit le 4 décembre 2023 Audience publique du 18 septembre 2024 Recours formé par Madame … et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49776 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 décembre 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Afghanistan), demeurant à L-…, de Madame …, née le … à … (Afghanistan), demeurant actuellement en Afghanistan, de Madame …, née le … à … (Afghanistan), demeurant actuellement en Afghanistan, et de Madame …, née le … à … (Afghanistan), demeurant actuellement en Afghanistan, toutes de nationalité afghane et élisant domicile en l’étude de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, sise à L-1867 Howald, 27, rue Ferdinand Kuhn, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 mai 2023 rejetant la demande de regroupement familial de Madame … au bénéfice de sa mère, Madame …, et de ses deux sœurs, Madame … et Madame …, ainsi que d’une décision confirmative de refus du même ministre du 18 septembre 2023, intervenue sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 février 2024 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour le compte de ses mandantes, préqualifiées ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mai 2024.
Par décision du 28 juillet 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-
après par « le ministre », accorda à Madame … le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève ».
Par courrier de son mandataire du 20 janvier 2023, réceptionné le 24 janvier 2023 par la direction de l’Immigration, Madame … fit introduire une demande de regroupement familial au sens de l’article 69 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes 1et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », dans le chef de sa mère, Madame …, ainsi que de ses sœurs mineures à l’époque, … et …. A titre subsidiaire, elle sollicita la délivrance, en faveur de ces mêmes membres de famille, d’une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphe (1), point c) de ladite loi, sinon, à titre encore plus subsidiaire, d’un visa de court séjour (visa C).
Par décision du 2 mai 2023, le ministre rejeta lesdites demandes aux motifs suivants :
« […] J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 20 janvier 2023.
I.
Demande de regroupement familial en faveur de la mère ainsi que des sœurs mineures de votre mandante Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
En effet, conformément à l'article 73, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, « la demande en obtention d'une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies intégrales des documents de voyage des membres de la famille ».
Etant donné qu'aucun document prouvant les liens familiaux entre votre mandante et les personnes à regrouper a été joint à la demande, je ne suis pas en mesure d'établir le lien familial entre votre mandante et eux.
Même si conformément à l'article 73, paragraphe (3) : « lorsqu'un bénéficiaire d'une protection internationale ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant les liens familiaux, il peut prouver l'existence de ces liens par tout moyen de preuve. La seule absence de pièces justificatives ne peut motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familiale », il ressort de l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration « l'entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d'origine ».
Or, il n'est pas prouvé que Madame … est à charge de votre mandante, qu'elle est privée du soutien familial dans son pays de résidence respectivement de provenance et qu'elle ne peut pas subvenir à ses besoins par ses propres moyens.
Concernant le regroupement familial en faveur des sœurs mineures de votre mandante, je tiens à vous informer que le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
Par ailleurs, Madame … ainsi que les enfants … et … ne remplissent aucune condition qui leur permettrait de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
2Par conséquent, l'autorisation de séjour leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.
II.
Demande en obtention d'une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l'article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée Vous sollicitez à titre subsidiaire une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l'article 78 de la loi du 29 août 2008 précitée en faveur de la mère ainsi que des sœurs mineures de votre mandante.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis non plus en mesure de faire droit à cette requête.
En effet, afin de pouvoir bénéficier d'une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l'article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée, les intéressés doivent, conformément à l'article 78, paragraphe (2) de la loi, témoigner de ressources suffisantes ainsi que des liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité. Je ne dispose cependant d'aucune preuve que Madame … ainsi que les enfants … et … remplissent ces conditions.
Je vous rappelle que «l’article 8 de la CEDH garantit seulement l'exercice du droit au respect d'une vie familiale « existante ». Ainsi, la notion vie familiale ne se résume pas uniquement à l'existence d'un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d'une vie familiale effective, c'est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres et existante, voire préexistante, à l'entrée sur le territoire national. D'ailleurs une vie familiale n'existe pas du seul fait du soutien financier apporté par une personne à une autre sans qu'aucun autre rapport ne lie les deux personnes. De plus, une personne adulte voulant rejoindre sa famille dans le pays de résidence de celle-ci ne saurait être admise au bénéfice de l'article 8 de la CEDH que lorsqu'il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux ». Or, aucun document ne témoigne de liens familiaux au-delà d'éventuels liens affectifs normaux entre deux membres de famille.
Par ailleurs, Madame … ainsi que les enfants … et … ne remplissent aucune condition qui leur permettrait de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Par conséquent, l'autorisation de séjour leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.
III.
Demande en obtention d'un visa de courte durée (visa C) dans le chef de la mère ainsi que des sœurs mineures de votre mandante Je tiens à vous informer que le Bureau des Passeports, Visas et Légalisations est compétent en matière de visas touristiques. Par conséquent, votre demande est à adresser au Bureau des Passeports, Visas et Légalisations. […] ».
Par courrier de son mandataire du 28 juillet 2023, réceptionné le 1er août 2023 par la direction de l’Immigration, Madame … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du 2 mai 2023, lequel fut rejeté le 18 septembre 2023 dans les termes suivants:
3 « […] J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 1er août 2023.
Après avoir procédé au réexamen du dossier de vos mandantes, je suis au regret de vous informer qu'à défaut d'éléments pertinents nouveaux ou non pris en considération, je ne peux que confirmer ma décision du 2 mai 2023 dans son intégralité. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 décembre 2023, Madame …, Madame …, Madame … et Madame … ont fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 2 mai 2023 refusant de faire droit à la demande de regroupement familial de Madame …, ainsi que de la décision ministérielle confirmative de refus du 18 septembre 2023, intervenue sur recours gracieux.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de regroupement familial, respectivement d’autorisations de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours et en fait, les demanderesses reprennent les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-avant.
En droit, et en ce qui concerne le refus du regroupement familial en faveur de Mesdames …, … et …, les demanderesses reprochent tout d’abord au ministre d’avoir méconnu l’article 75, paragraphes (2), point (c) et (6) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ». A cet égard, elles font valoir que les conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne devraient pas être remplies en l’espèce, dans la mesure où Madame … aurait introduit sa demande de regroupement familial dans le délai légal de six mois après l’obtention du statut de réfugié et que l’article 75 de la loi du 18 décembre 2015 lui serait, dès lors, applicable. Après avoir cité les dispositions dudit article 75, les demanderesses soulignent que la notion de « parent proche » serait à interpréter largement, de façon à inclure toutes les personnes issues de la famille, y compris les frères et sœurs, tout en expliquant que Mesdames …, … et … se trouveraient seules et sans ressources depuis le départ de Madame … et seraient entièrement à la charge de celle-ci, tel qu’en attesteraient les pièces versées à l’appui de leur recours.
Après avoir cité un extrait d’un arrêt de la Cour administrative du 15 mars 2018, inscrit sous le numéro 40345C du rôle, suivant lequel la protection prévue à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH », devrait s’appliquer chaque fois qu’il y a des liens de consanguinité suffisamment étroits, les demanderesses font valoir que ce serait notamment dans les pays où la religion musulmane serait prédominante qu’il serait fréquent que la famille proche s’étende au-delà des liens entre parents et enfants, ou entre frères et sœurs. Une famille aurait tendance à vivre ensemble, souvent sous le même toit, créant ainsi une cellule familiale élargie et renforcée. En l’espèce, elles estiment qu’elles seraient unies par un lien suffisamment étroit, dans la mesure où, avant le départ de Madame … de l’Afghanistan, elles auraient vécu toutes ensemble et n’auraient pu compter tant financièrement qu’affectivement que sur elles-
mêmes, le père étant décédé en 2011.
4 Les demanderesses soutiennent encore que le ministre aurait pareillement méconnu le paragraphe (6) de l’article 75 de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’il ressortirait du dossier administratif que Madame …, Madame … et Madame … auraient besoin de la protection de Madame …, notamment en raison de la situation politique et économique en Afghanistan, mais surtout en raison des discriminations liées à leur genre qu’elles devraient subir sous le régime des Talibans.
Elles déduisent de l’ensemble de ces considérations que les décisions ministérielles litigieuses encourraient l’annulation pour violation de l’article 75, paragraphes (2), point (c) et (6) de la loi du 18 décembre 2015.
Ensuite, après avoir cité l’article 8 de la CEDH, et en se référant à la jurisprudence européenne et luxembourgeoise en la matière, les demanderesses concluent à une violation dudit article en faisant valoir que le fait de refuser le regroupement familial à Madame …, Madame … et Madame … constituerait une ingérence disproportionnée dans leur vie privée et familiale, alors que ce refus conduirait inéluctablement à l’éclatement de leur cellule familiale, les demanderesses insistant, dans ce contexte, plus particulièrement sur le fait que ces dernières n’auraient personne d’autre que Madame … qui serait en mesure de les aider financièrement, ce qui ressortirait également de l’attestation testimoniale du beau-frère de Madame …, versée en cause.
Jurisprudence à l’appui, les demanderesses font encore état d’une violation du principe de l’égalité des administrés, alors que, dans des situations identiques, les parents, respectivement le frère, la sœur, le neveu ou la nièce mineur(e)/majeur(e) auraient été autorisé(e)s à rejoindre leur famille au titre d’un regroupement familial. De l’avis des demanderesses, les décisions ministérielles litigieuses contreviendraient aux principes consacrés par le droit positif du fait que l’autorité administrative les traiterait différemment par rapport à leurs homologues se trouvant dans la même situation et ayant obtenu une autorisation de séjour, de sorte que lesdites décisions auraient une portée disproportionnée par rapport au but poursuivi par l’autorité administrative.
En dernier lieu, les demanderesses reprochent au ministre d’avoir refusé l’octroi d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au sens de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 dans le chef de Madame …, Madame … et Madame …. A cet égard, elles citent un arrêt de la Cour administrative du 25 juin 2015, inscrit sous le numéro 36058C du rôle, lequel « interprète[rait] le sens du caractère « exceptionnel » à prendre en compte dans l’analyse d’une telle demande », pour soutenir qu’en l’espèce, n’ayant pas eu d’autre choix que de quitter son pays d’origine et de demander le regroupement familial, Madame … se trouverait dans une situation exceptionnelle alors que sa mère et ses sœurs, qui seraient de plus d’ethnie Hazara, seraient à sa charge et qu’elle n’aurait plus la possibilité de résider avec elles en Afghanistan, tout en renvoyant à différents articles de presse et notamment (i) à un communiqué de presse du 12 septembre 2022, publié par le Haut-
Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’Homme (UNHCR), intitulé « Le Conseil des droits de l’homme se penche sur la situation des droits humains, en particulier ceux des femmes et des filles, en Afghanistan », (ii) à un article de l’ « Organisation suisse d’Aide aux Réfugiés » (OSAR) du 6 septembre 2022, intitulé « Afghanistan : derniers développements », (iii) à un article de l’organisation « Human Rights Watch » du 31 octobre 2022, intitulé « CPI : Le travail d’enquête sur l’Afghanistan peut reprendre » et (iv) à un article publié le 10 mars 2023 sur le site internet de la Cour nationale du droit d’asile française, ci-après désignée par la « CNDA », 5intitulé « AFGHANISTAN : La CNDA juge que douze provinces afghanes connaissent une situation de violence aveugle, liée à un conflit armé », desquels il ressortirait notamment que les minorités ethniques en Afghanistan, telles que les Hazaras, feraient l’objet de persécutions par les talibans.
Dans leur mémoire en réplique, les demanderesses ajoutent que, contrairement à l’argumentation ministérielle, elles auraient fourni, par tous les moyens « étant raisonnablement à [leur] disposition », toutes les pièces justificatives prouvant les liens familiaux, financiers et affectifs entre elles, conformément à l’article 73 de la loi du 29 août 2008.
Elles invoquent, par ailleurs, une violation de l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », en ce que les décisions ministérielles litigieuses n’auraient pas suffisamment pris en compte l’intérêt supérieur des deux sœurs mineures de Madame …, en insistant sur le fait que celles-ci habiteraient, sans ressources financières, avec leur mère en Afghanistan, où les droits de la femme seraient bafoués.
Elles insistent finalement sur la bonne foi de Madame … et sur le fait que celle-ci aurait transmis l’ensemble des pièces à sa disposition, en donnant à considérer que le système administratif en Afghanistan demeurerait dysfonctionnel et inaccessible pour les femmes « non-accompagnées », et réitèrent, pour le surplus, leurs développements relatifs à une violation de l’article 8 de la CEDH.
Les demanderesses concluent, dès lors, à l’annulation des décisions ministérielles litigieuses.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
A titre liminaire, il échet de rappeler que le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais peut, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, les traiter suivant un ordre différent.
Le tribunal relève encore que les demanderesses n’ont formulé aucun moyen par rapport à l’affirmation du ministre selon laquelle aucune condition permettant à Madame …, Madame … et Madame … de bénéficier d’une autorisation de séjour en application de l’article 38 de la loi du 29 août 2008 ne serait remplie en l’espèce, de sorte que le tribunal n’est pas saisi de ce volet de la décision.
En ce qui concerne ensuite le moyen des demanderesses tendant à une violation de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, celui-ci est à rejeter pour défaut de pertinence, alors qu’il ne résulte d’aucun élément du dossier que Madame … aurait sollicité une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, telle que prévue par ladite disposition, et que cette demande aurait été refusée par le ministre, les décisions ministérielles déférées portant exclusivement rejet de la demande de cette dernière tendant à l’obtention d’un regroupement familial, sinon d’une autorisation de séjour pour raisons privées dans le chef de sa mère et de ses deux sœurs.
6Le même constat s’impose en ce qui concerne les développements des demanderesses ayant trait à une violation de l’article 75, paragraphes (2), point (c) et (6) de la loi du 18 décembre 2015. En effet, ledit article dispose dans ses paragraphes (1) et (2) que « (1) Le bénéficiaire de la protection temporaire peut solliciter le regroupement familial en faveur d’un ou de plusieurs membres de sa famille si la famille était déjà constituée dans l’Etat d’origine et qu’elle a été séparée en raison de circonstances entourant l’afflux massif.
(2) Sont considérés comme membres de la famille au sens du présent article:
a) le conjoint du regroupant;
b) les enfants mineurs célibataires du regroupant ou de son conjoint, qu’ils soient légitimes, nés hors mariage ou adoptés;
c) d’autres parents proches qui vivaient au sein de l’unité familiale au moment des événements qui ont entraîné l’afflux massif et qui étaient alors entièrement ou principalement à charge du regroupant. […] ».
Or, dans la mesure où il ressort clairement du paragraphe (1) de l’article 75 de la loi du 18 décembre 2015 que ladite disposition est applicable aux bénéficiaires d’une protection temporaire accordée par le ministre, c’est à bon droit que la partie étatique conclut au rejet du moyen y relatif, étant relevé qu’il est constant en cause pour ressortir du dossier administratif que Madame … s’est vue accorder, par une décision ministérielle du 28 juillet 2022, le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et non pas une protection temporaire au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Ledit moyen est dès lors également rejeté pour être dénué de tout fondement.
Le tribunal constate ensuite que la demande de regroupement familial formulée par Madame … vise, d’une part, sa mère, à savoir Madame …, et d’autre part, ses deux sœurs, … et …, mineures au moment de ladite demande.
S’agissant d’abord du refus de la demande de regroupement familial dans le chef de la mère de Madame …, il convient de préciser qu’aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :
1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d'aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;
2. il dispose d'un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;
3. il dispose de la couverture d'une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.
(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.
7(3) Le bénéficiaire d'une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l'article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l'octroi d'une protection internationale. ».
L’article 70 de cette même loi, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, est libellé comme suit : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l'article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu'ils ne représentent pas un danger pour l'ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l'entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :
a) le conjoint du regroupant ;
b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;
c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d'en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.
(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.
(3) Le regroupement familial d'un conjoint n'est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.
(4) Le ministre autorise l'entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d'une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.
(5) L'entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre:
a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d'origine ;
b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont objectivement dans l'incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;
c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d'une protection internationale, lorsque celui-ci n'a pas d'ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. ».
Enfin, en vertu de l’article 73, paragraphes (1) à (3), de la loi du 29 août 2008 :
« (1) La demande en obtention d'une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces 8justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.
(2) Pour obtenir la preuve de l'existence de liens familiaux, le ministre ou l'agent du poste diplomatique ou consulaire représentant les intérêts du Grand-Duché de Luxembourg dans le pays d'origine ou de provenance du membre de la famille, peuvent procéder à des entretiens avec le regroupant ou les membres de famille, ainsi qu'à tout examen et toute enquête jugés utiles.
(3) Lorsqu'un bénéficiaire d'une protection internationale ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, il peut prouver l'existence de ces liens par tout moyen de preuve. La seule absence de pièces justificatives ne peut motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familial ».
Les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 règlent dès lors les conditions dans lesquelles un membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci. L’article 69 concerne les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, tandis que l’article 70 définit les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membre de famille, susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.
Il se dégage encore de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 que lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille, tel que défini à l’article 70, notamment avec un ascendant en ligne directe au premier degré, dans un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale, il ne doit pas remplir les conditions du paragraphe (1) de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. Cette demande doit en principe contenir toutes les indications nécessaires concernant les membres de la famille à regrouper et, en vertu de l’article 73, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, être accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives officielles prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille, sous réserve de la dérogation relative aux pièces justificatives officielles établies à l’article 73, paragraphe (3).
En l’espèce, s’il n’est pas contesté que Madame … a introduit sa demande de regroupement familial endéans le délai de six mois prévu à l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, de sorte à ne pas devoir rapporter la preuve des conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1) de la même loi, force est de constater que la partie étatique conteste principalement l’existence de liens familiaux entre celle-ci et les personnes à regrouper et conclut, subsidiairement, au rejet du recours sous analyse au motif que les conditions de fond relatives à la demande de regroupement familial ne seraient pas remplies.
S’agissant de la preuve des liens familiaux, le tribunal relève d’abord que l’article 73, paragraphe (3), précité, de la loi du 29 août 2008 doit être compris en ce sens que dans l’hypothèse où l’auteur de la demande de regroupement familial n’est pas en mesure d’annexer 9les pièces officielles attestant les liens familiaux à sa demande soumise dans le délai de six mois, sa demande ne saurait être rejetée de plano par le ministre de ce seul fait. Il incombe plutôt à l’auteur de la demande de faire état, dans sa demande, soit d’une impossibilité dûment motivée de fournir les pièces officielles en principe requises et de soumettre d’autres moyens de preuve ou de les proposer, soit de difficultés afin de se procurer lesdites pièces qui entraînent la nécessité de les déposer ultérieurement1.
Le tribunal relève ensuite qu’en l’espèce, il ne résulte pas des pièces justificatives officielles versées en cause, à savoir des copies des cartes d’identité de Mesdames …, … et …, des copies d’extraits de casier judiciaire de celles-ci, ainsi qu’une copie de l’acte de décès du défunt époux de Madame …, à supposer ces documents authentiques, que Madame … serait unie à celles-ci par un quelconque lien de parenté.
Si Madame … a, dans le cadre de son gracieux du 28 juillet 2023, certes fait état d’une impossibilité de se procurer les pièces justificatives requises en se prévalant de la « situation en Afghanistan », laquelle « rend[rait] impossible sinon largement difficile toute possibilité […] de prétendre auprès de l’Administration afghane à un quelconque document officiel faisant état de ses liens familiaux », impossibilité qui se trouverait renforcée par son départ de son pays d’origine, il n’en demeure pas moins qu’elle a bien pu se procurer d’extraits du casier judiciaire des personnes à regrouper, ainsi que d’un acte de décès, sans expliquer pour quelle raison il lui a été impossible de se procurer un quelconque document, tel que des actes de naissance, établissant son lien de parenté avec les personnes à regrouper.
Par ailleurs, les attestations testimoniales versées en cause, établies par Monsieur …, d’une part, et par Monsieur … et Madame …, d’autre part, outre de ne pas respecter les formes d’une attestation testimoniale telles que prévues par l’article 402 du Nouveau Code de Procédure Civile, ne sauraient, à elles seules, établir à l’exclusion de tout doute l’existence de liens familiaux entre les intéressées. Ce constat n’est pas énervé par les captures d’écran de téléphone portable montrant prétendument des échanges de messages et d’appels entre les demanderesses, alors que non seulement le tribunal n’est pas en mesure d’en identifier les auteurs, mais lesdits messages sont encore, pour la plus grande partie, illisibles.
Même à supposer que les liens familiaux entre les demanderesses soient établis, force est au tribunal de constater que, tel que soulevé à juste titre par la partie étatique, Madame … ne remplit, en tout état de cause, pas les conditions cumulatives figurant à l’article 70, paragraphe (5), point a) de la loi du 29 août 2008, à savoir la circonstance que l’ascendant est à charge du regroupant et qu’il est privé du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine.
En ce qui concerne plus particulièrement la condition d’être « à charge », il échet de rappeler que cette notion est à entendre en ce sens que le membre de la famille désireux de bénéficier d’un regroupement familial doit nécessiter le soutien matériel du regroupant à un tel point que le soutien matériel fourni est nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels dans le pays d’origine de l’intéressé, respectivement que l’absence de ce soutien aurait pour conséquence de priver le membre de la famille des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels, ce qui n’est en l’espèce pas établi par la demanderesse.
En effet, force est au tribunal de constater que les demanderesses ne versent aucune pièce, ni dans le cadre de la demande de regroupement familial, ni dans le cadre du présent 1 Cour adm. 8 décembre 2022, n°47326C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 372.
10recours, qui démontrerait qu’en tant que regroupant, Madame … apporterait à sa mère un quelconque soutien financier, les demanderesses restant ainsi en défaut de prouver que Madame … serait à la charge de Madame … et que sans son soutien matériel, elle ne pourrait pas subvenir à ses besoins essentiels.
La première des deux conditions cumulatives prévues par l’article 70 de la loi du 29 août 2008, précité, ne se trouvant pas remplie en l’espèce, il devient surabondant d’examiner le respect de la deuxième condition tenant à l’existence d’un soutien familial auquel Madame … pourrait prétendre dans son pays d’origine.
C’est partant a priori à bon droit que le ministre a refusé le regroupement familial à Madame … au regard des dispositions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.
Force est toutefois de relever que l’analyse du ministre ne saurait s’arrêter au constat que lesdites conditions ne sont pas remplies pour refuser purement et simplement sur base de ce seul constat le regroupement familial sollicité dans le chef de la mère de Madame …, la demande afférente devant encore être examinée sous l’angle de l’article 8 de la CEDH invoqué en cause par les demanderesses, dont les termes sont les suivants :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
A cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative - telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH - est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne. Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale2.
Partant, si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH3.
Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale en 2 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 80 et les autres références y citées.
3 Voir par exemple en ce sens CEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-Bas, (req. n° 1948/04), § 135, et trib.
adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 476 et les autres références y citées.
11application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois4.
Incidemment, il y a lieu de souligner que « l’importance fondamentale »5 de l’article 8 de la CEDH en matière de regroupement familial est par ailleurs consacrée en droit de l’Union européenne et notamment par la directive 2003/86/CE, transposée par la loi du 29 août 2008, et dont le préambule dispose, en son deuxième alinéa, que « Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. ».
Il échet de conclure de ce qui précède qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives éventuellement contraires.
Il échet, par ailleurs, de rappeler à ce stade-ci des développements, que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national6. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays7, à savoir, en l’occurrence, leur pays d’origine que le regroupant a dû quitter pour solliciter une protection internationale au Luxembourg.
En l’espèce, force est de constater que les liens étroits que Madame … déclare entretenir avec sa mère restent à l’état de pure affirmation, les demanderesses n’ayant, en effet, rapporté aucun élément de nature à démontrer l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux entre celles-ci, étant rappelé à cet égard qu’une simple parenté biologique dépourvue de tous éléments juridiques ou factuels indiquant l’existence d’une relation personnelle étroite est insuffisante pour entraîner la protection de l’article 8 de la CEDH8.
En effet, les demanderesses se limitent à affirmer que Madame … aurait un « lien spécial et étroit » avec sa mère, dans la mesure où (i) elle aurait habité ensemble avec celle-ci et ses deux sœurs en Afghanistan et (ii) elle serait, seule, en mesure de les protéger, accueillir et soutenir financièrement. Or, tel que relevé ci-avant, il ne ressort d’aucune pièce versée en cause 4 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 477 et les autres références y citées.
5 Voir « Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial », COM/99/0638 final -
CNS 99/0258, 1er décembre 1999, point 3.5.
6 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 (2e volet) et les autres références y citées.
7 Trib. adm., 8 mars 2012, n° 27556 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 (3e volet) et les autres références y citées.
8 CourEDH, 1ier juin 2004, L. c. Pays-Bas, n°45582/99, §§ 37-40.
12que Madame … aurait apporté un quelconque soutien à sa mère, financier ou autre, que ce soit avant ou après son départ de l’Afghanistan.
A cet égard, et s’agissant des extraits de conversations sur l’application WhatsApp versés en cause et accompagnés d’une traduction française, ceux-ci ne sont pas de nature à établir l’existence de liens familiaux allant au-delà des liens affectifs normaux entre Madame … et sa mère, alors que, tel que relevé ci-dessus, au-delà du fait qu’une grande partie desdites conversations n’a pas pu être traduite au motif qu’elles seraient « incompréhensible[s] », il n’en ressort pas qui était le destinataire des messages, ni à quelle date les messages ont été envoyés.
Par ailleurs, s’agissant des attestations testimoniales de Monsieur …, de Madame … et de Monsieur …, le tribunal constate que ces derniers déclarent, en substance, que Madame … manifesterait une préoccupation constante à l’égard de sa mère et de ses sœurs, qui se trouveraient seules en Afghanistan où leur sécurité serait en danger. Or, les attestations en question, outre de ne pas respecter les formes d’une attestation testimoniale telles que prévues par l’article 402 du Nouveau Code de Procédure Civile, ne permettent pas non plus de conclure à l’existence d’éléments particuliers supplémentaires de dépendance, mais témoignent tout au plus de liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne adulte avec sa famille d’origine.
Il s’ensuit qu’aucune ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée et familiale ne saurait être constatée, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé la demande de regroupement familial dans le chef de la mère de Madame ….
En ce qui concerne ensuite la demande de regroupement familial dans le chef des deux sœurs de Madame …, il y a d’abord lieu de relever que la fratrie est exclue de la possibilité de bénéficier d’un regroupement familial sur base de l’article 70, précité, de la loi du 29 août 2008.
Il convient cependant de souligner que si l’article 70, précité, de la loi du 29 août 2008 ne prévoit pas le regroupement familial de la fratrie, il n’en reste pas moins qu’en l’espèce, la demande de regroupement familial a été introduite par Madame … non seulement dans le chef de ses deux sœurs, mais également dans le chef de sa mère. Il n’est pas non plus contesté en l’espèce que la demande de regroupement familial, en ce qu’elle vise la fratrie de Madame …, n’est pas à examiner de manière autonome, le sort de la demande des sœurs de celle-ci, mineures à l’époque de la demande de regroupement familial, devant suivre celle de leur mère et ce, conformément à l’article 8 de la CEDH, étant rappelé à ce sujet qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives éventuellement contraires9.
Ainsi, et dans la mesure où il vient d’être retenu que c’est à bon droit que la demande de regroupement en faveur de la mère de Madame … a été refusée, la même conclusion s’impose en ce qui concerne les sœurs de la concernée.
Le moyen tendant à une violation de l’article 8 de la CEDH est dès lors rejeté pour être non fondé.
9 Trib. adm., 19 juin 2019, n° 41572 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
13Dans ces conditions et à défaut d’autres éléments, les demanderesses restent, par ailleurs, en défaut de démontrer que les décisions de refus litigieuses méconnaîtraient l’intérêt supérieur de … et …, tel que garanti notamment par l’article 24, paragraphe (2) de la Charte, celles-ci se trouvant en Afghanistan ensemble avec leur mère, de sorte que le moyen afférent encourt également le rejet.
En ce qui concerne finalement le moyen ayant trait à une violation du principe d’égalité de traitement, il échet de relever que le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi, tel qu’il était inscrit à l’article 10bis de la Constitution dans sa version applicable au moment de la prise de la décision de refus initiale du 2 mai 2023 et tel qu’inscrit à l’article 15, paragraphe (1) de la Constitution révisée au moment de la prise de la décision confirmative de refus en date du 18 septembre 2023, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité, et par extension, si les droits extrapatrimoniaux sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon. Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent, aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but10. Pour que le principe d’égalité puisse être valablement mis en œuvre, il convient de pouvoir dégager deux situations comparables par rapport auxquelles une inégalité de traitement puisse être utilement invoquée11.
Or, en l’espèce, il échet de constater que les demanderesses sont restées en défaut de soumettre au tribunal des éléments suffisants quant à des personnes qui se seraient trouvées dans une situation similaire, voire identique à la leur. Celles-ci se sont en effet limitées à affirmer qu’« un certain nombre d’administrés se trouvant exactement dans la même situation, ont reçu une autorisation de séjour en qualité de membre de famille d’un bénéficiaire de protection internationale », sans même faire une quelconque référence à un cas concret et sans fournir un quelconque élément probant qui démontrerait la similitude de la situation entre ce même cas et leur propre dossier.
Le moyen afférent est partant rejeté pour manquer de fondement.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé des décisions déférées, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
10 Trib. adm., 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 9 (2e volet) et les autres références y citées.
11 Cour adm., 22 juin 2017, n° 39166C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 5.
14 au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne les demanderesses aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 septembre 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 15