Tribunal administratif N° 50966 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50966 3e chambre Inscrit le 22 août 2024 Audience publique du 18 septembre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50966 du rôle et déposée le 22 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Syrie) et être de nationalité syrienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 9 août 2024 de le transférer vers la Pologne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 septembre 2024.
Le 13 juin 2024, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC le même jour révéla que Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale en Pologne en date du 24 mai 2024.
Le 17 juin 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de 1l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le 26 juin 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités polonaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités en date du 2 juillet 2024.
Par arrêté du 17 juillet 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois à partir de sa notification au concerné.
Par décision du 9 août 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Pologne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 13 juin 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1) b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Pologne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 13 juin 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 17 juin 2024.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 13 juin 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 24 mai 2024.
Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 17 juin 2024.
Sur cette base, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités polonaises en date du 26 juin 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités polonaises en date du 2 juillet 2024.
2 2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer I'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.
Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point b) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.
Un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 13 juin 2024 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 24 mai 2024.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Syrie le 1er août 2023 en direction du Liban. Arrivé au Liban, vous auriez obtenu un visa pour la Russie et vous seriez parti à Moscou. Aux alentours du 17 octobre 2023, vous seriez parti en Biélorussie, où vous auriez tenté pendant environ neuf mois de traverser la frontière polonaise sans succès. Selon vos déclarations, lors de chaque essai de passage, la police polonaise vous aurait maltraité et renvoyé à l'aide de chiens en Biélorussie. Entre le 20 et le 25 mai, vous déclarez que vous auriez finalement réussi à entrer en Pologne. Arrivé en Pologne vous auriez été contraint de donner vos empreintes aux autorités polonaises, mais vous n'auriez jamais eu l'intention d'introduire une demande de protection internationale, en raison des circonstances et du traitement infligé par les forces de l'ordre polonaises. Ensuite, vous auriez contacté un passeur qui vous aurait conduit à Varsovie.
3Après quelques jours, vous seriez parti ensemble avec le passeur et plusieurs personnes à la frontière germano-polonaise, où vous auriez vécu dans une maison pendant dix jours. Après les dix jours, un autre passeur serait venu et vous aurait conduit jusqu'au Luxembourg, où, selon vos déclarations, vous seriez arrivé en date du 12 juin 2024.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 17 juin 2024, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Pologne qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Monsieur, vous indiquez ne pas vouloir vous rendre en Pologne, car vous y auriez souffert et que les autorités polonaises continueraient à vous maltraiter.
Rappelons à cet égard que la Pologne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que la Pologne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que la Pologne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, la Pologne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Pologne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires polonaises.
Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Pologne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Pologne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles 4seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Notons dans ce contexte que bien qu'il soit compréhensible que vous voudriez rejoindre votre sœur qui réside ici au Luxembourg, il y a lieu de constater que vous êtes majeur d'âge et capable de vivre seul sans l'assistance d'un membre de famille. Ainsi, rien n'empêche votre transfert en Pologne.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers la Pologne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la Pologne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la Pologne en informant les autorités polonaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités polonaises n'ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 août 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 9 août 2024.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
5 Moyens des parties A l’appui de son recours, le demandeur retrace les faits et rétroactes gisant à la base de la décision ministérielle déférée, en reprenant, en substance, ses déclarations, telles qu’actées lors de son audition par un agent ministériel en date du 17 juin 2024. Il insiste plus particulièrement sur le fait que lors de ses essais itératifs pour traverser la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, il aurait été arrêté, battu et maltraité par la police polonaise, laquelle aurait utilisé « des chiens pour [l]e pourchasser ». Il donne par ailleurs à considérer que son beau-frère et sa sœur, tous deux de nationalité luxembourgeoise et résidents luxembourgeois, seraient disposés à prendre en charge « l’ensemble des frais inhérents à son séjour sur le sol luxembourgeois ».
En droit, le demandeur soulève en premier lieu une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, au motif de l’existence, en Pologne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, le concerné se prévalant à cet égard de plusieurs arrêts de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », qui auraient sanctionné le non-respect par la Pologne de l’Etat de droit, de l’indépendance de la justice et de la primauté du droit de l’Union européenne.
Il est d’avis que le non-respect par la Pologne de ses obligations internationales ressortirait du traitement lui infligé par la police polonaise lors de ses différents essais pour traverser la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. Ces violences policières auraient d’ailleurs été relevées par l’organisation internationale « Amnesty International » dans un document intitulé « Pologne – Rapport annuel 2023 », le demandeur ajoutant que les refoulements vers la Biélorussie par les autorités polonaises auraient encore été notés dans un article de presse du 14 février 2024.
Monsieur … en conclut que l’Etat luxembourgeois ne pourrait se prévaloir de la présomption selon laquelle la Pologne respecterait le droit communautaire pour justifier la décision litigieuse et qu’il lui aurait appartenu de prouver que les autorités polonaises ont pris les mesures nécessaires pour lui assurer des conditions d’accueil conformes aux critères européens.
Le demandeur en conclut que la décision litigieuse devrait encourir la réformation pour avoir été prise en violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.
Dans un deuxième temps, le demandeur se prévaut d’une violation de l’article 17 du règlement Dublin III, en arguant, jurisprudence à l’appui, que le pouvoir discrétionnaire du ministre en la présente matière n’échapperait pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire. En l’espèce, et compte tenu du fait que la Pologne ne serait « actuellement très probablement » pas en mesure de lui assurer un traitement respectueux de ses droits de demandeur de protection internationale, l’Etat luxembourgeois aurait dû se déclarer compétent pour traiter sa demande de protection internationale.
6Le demandeur donne encore à considérer que sa sœur, avec laquelle il entretiendrait des relations étroites, se trouverait également au Luxembourg et serait prête à prendre en charge les frais de son séjour.
Au vu de l’ensemble de ces considérations, le demandeur conclut à la réformation de la décision litigieuse, le concerné étant en effet d’avis que le ministre aurait dû faire application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal En vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités polonaises pour examiner la demande de protection internationale du demandeur, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale qui est toujours en cours d’examen.
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision ministérielle déférée a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … est la Pologne, en ce que le demandeur y avait introduit une demande de protection internationale en date du 24 mai 2024 et que les autorités polonaises ont accepté sa reprise en charge en date du 2 juillet 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers cet Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
7Force est ensuite de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe des autorités polonaises, ni l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais invoque l’existence, en Pologne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, l’exposant à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte, tout en faisant encore plaider que le ministre aurait dû faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.
Il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans le pays de transfert qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat et doit poursuivre la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, dispose que « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ».
Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre1.
A cet égard, le tribunal relève que la Pologne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 92.
8système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.
Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article8, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.
2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-
493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.
3 Ibidem, point. 79 ; voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, Trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que Trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591 du rôle, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.
8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
9Quant à la preuve à rapporter, en l’espèce, par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.
En l’espèce, il incombe au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation en Pologne atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.
Le tribunal relève que pour sous-tendre son affirmation selon laquelle il existerait des dysfonctionnements graves dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Pologne, le demandeur fait état des violences policières dont il aurait fait l’objet en essayant de traverser la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, le concerné s’appuyant notamment sur un rapport de l’organisation internationale « Amnesty International » intitulé « Pologne – Rapport annuel 2023 », sur un article de presse du 14 février 2024, ainsi que sur diverses jurisprudences de la CJUE.
Or, et s’il est vrai qu’il ressort certes de l’article de presse en question ainsi que du prédit rapport de l’organisation internationale « Amnesty International » que les autorités polonaises semblent connaître de sérieux problèmes quant à leur politique d’asile actuelle, dans la mesure où il est fait référence, notamment, à certaines pratiques inacceptables de la part de ces autorités, telles que des « pushbacks » violents aux frontières du pays et aux conditions de vie difficiles régnant dans les centres d’hébergement pour des personnes réfugiées ou migrants ayant réussi à entrer en Pologne depuis la Biélorussie, le tribunal constate toutefois que les problèmes ainsi mis en avant sont étrangers à la situation du demandeur, lequel fera l’objet d’un transfert dans le cadre du règlement Dublin III et ne se trouvera dès lors dans une situation similaire à celle des migrants visés dans le prédit rapport, conclusion qui s’impose d’autant plus que les autorités polonaises ont explicitement accepté de le reprendre en charge et d’examiner sa demande de protection internationale.
Quant aux diverses jurisprudences de la CJUE invoquées par le demandeur, d’ailleurs non versées au tribunal, force est de constater, outre que celles-ci datent, à l’exclusion d’une seule d’entre elles, de 2019 à 2021 et ne sont dès lors en tout état de cause pas susceptibles de refléter la situation actuelle existant en Pologne, que le demandeur reste en défaut d’expliquer 10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
91.
11 Ibidem, pt. 92.
12 Ibidem, pt. 93.
10dans quelle mesure ces mêmes arrêts auraient trait à sa propre situation, le concerné omettant en effet de mettre en relation les situations y visées avec celle dans laquelle il se trouve.
Il s’ensuit, compte tenu du seuil de gravité fixé par la CJUE, que les documents invoqués par le demandeur ne sont pas suffisants pour permettre de retenir, de manière générale, l’existence, à l’heure actuelle, de défaillances systémiques en Pologne, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’affirmation du demandeur selon laquelle « l’Etat de droit polonais serait à ce point fragilisé qu’il ne présente plus de garanties suffisantes concernant le respect des droits individuels de l’individu et plus particulièrement du demandeur de protection internationale », alors qu’il ressort du prédit rapport de l’organisation internationale « Amnesty International » que les tribunaux polonais ont sanctionné certaines pratiques des autorités polonaises, dont celle de la détention arbitraire de certains migrants en ordonnant des réparations pour détention illégale, ce qui laisse à conclure que la Pologne est, contrairement aux affirmations du demandeur, un Etat de droit doté d’un système judiciaire qui fonctionne.
Par ailleurs, le tribunal relève que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme relative à une suspension générale des transferts vers la Pologne, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ci-après dénommé « l’UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la Pologne dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile polonaise qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.
Il y a ensuite lieu de relever que le demandeur n’apporte pas non plus d’éléments de nature à établir qu’il risquerait personnellement des mauvais traitements en cas de transfert en Pologne, de même qu’il n’apporte pas la preuve que, personnellement, ses droits n’y seront pas garantis, ni qu’il n’aurait aucune possibilité de les faire valoir.
Le demandeur n’a pas non plus avancé ni lors de l’entretien Dublin III ni dans le recours sous analyse des éléments suffisamment concrets et plausibles tenant à sa situation personnelle de nature à démontrer qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités polonaises avant de le transférer.
11A cela s’ajoute qu’il ne se dégage pas non plus des éléments soumis au tribunal que les autorités polonaises refuseraient de traiter sa demande de protection internationale, lesdites autorités ayant, au contraire et tel que relevé ci-avant, accepté la reprise en charge du demandeur sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.
Il ne se dégage pas davantage des éléments de la cause que les autorités polonaises compétentes risquent de violer le droit du demandeur à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles risquent de refuser de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, notamment et en particulier au vu des risques éventuellement encourus par lui dans son pays d’origine, le demandeur n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile n’y serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« directive Accueil »).
Outre le fait qu’il n’a, ainsi, pas établi que, dans son cas précis, ses droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Pologne, il n’a pas non plus prouvé que, de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale en Pologne ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Pologne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités polonaises en usant des voies de droit adéquates13, étant rappelé à cet égard que la Pologne est signataire de la Charte, de la CEDH, du Pacte international des droits civils et politiques, de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de la Convention de Genève et devrait, à ce titre, en appliquer les dispositions.
Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’asile polonais est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités polonaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système d’accueil et d’aide polonais n’était pas conforme aux normes européennes.
Dans ces circonstances, le tribunal est amené à conclure que le demandeur reste en défaut d’établir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil en Pologne de nature à être qualifiées de traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III ensemble l’article 4 de la Charte.
S’agissant ensuite du moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».
13 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.
12A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres14, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201715.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend, tel que relevé à juste titre par le demandeur, toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge16, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration17.
En l’espèce, le demandeur conclut à une violation de l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, en renvoyant, en substance, à son argumentaire développé à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III et par conséquent de l’article 4 de la Charte.
Or, cet argumentaire vient d’être rejeté ci-avant, le tribunal ayant plus particulièrement retenu qu’un transfert du demandeur vers la Pologne n’est pas de nature à l’exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors qu’il n’a pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, un transfert en Pologne l’exposerait à un tel risque.
Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III en raison de la présence de sa sœur sur le territoire luxembourgeois, celle-ci est également à rejeter compte tenu des circonstances de l’espèce, et notamment de l’âge du demandeur et de l’absence de vulnérabilité dans son chef. En effet, et tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, le demandeur, âgé d’une trentaine d’années et n’ayant pas fait état d’un quelconque problème de santé ou autre susceptible de laisser conclure à une quelconque vulnérabilité dans son chef, ne dépend pas de l’aide de sa sœur, mais est apte à subvenir à ses propres besoins, de sorte que le ministre a valablement pu décider, sans pour autant dépasser son pouvoir d’appréciation, que l’examen de la demande de protection internationale du concerné revient aux autorités polonaises.
Dans ces circonstances et en l’absence d’autres éléments, le tribunal conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.
14 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, pt. 65.
15 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.
16 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.
17 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.
13 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers la Pologne, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, de sorte qu’en l’absence d’autres moyens, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 septembre 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 14