Tribunal administratif N°48231 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48231 5e chambre Inscrit le 2 décembre 2022 Audience publique du 27 septembre 2024 Recours formé par Monsieur X et Madame Y, … (France), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48231 du rôle et déposée en date du 2 décembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Monsieur X et Madame Y, demeurant ensemble à F-…, dirigée contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 16 novembre 2022, répertoriée sous le numéro GR 252.22, ayant rejeté leur demande de remise gracieuse introduite le 7 novembre 2022 au sujet de l’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2019 et 2021 ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 23 février 2023 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur X et Madame Y en leurs explications et Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 mai 2024.
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Par un courrier daté du 1er novembre 2022, reçu par la direction des Contributions directes - division Gracieux - le 7 novembre 2022, Monsieur X et Madame Y, dénommés ci-
après « les XY », introduisirent auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une demande de remise gracieuse visant l’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2019, 2020 et 2021.
Par décision datée du 16 novembre 2022, répertoriée sous le numéro GR 252.22 du rôle, le directeur rejeta la demande de remise gracieuse reçue le 7 novembre 2022 en les termes suivants :
« […] Vu la demande présentée le 7 novembre 2022 par les conjoints XY, demeurant à F-…, ayant pour objet une remise par voie gracieuse de l'impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2019 et 2021 ;
Considérant que d'après le paragraphe 131 AO une remise gracieuse n'est envisageable que dans la mesure où la perception d'un impôt dont la légalité n'est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l'équité soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;
1 Considérant que la demande est motivée par des considérations qui mettent en cause une situation financière difficile ;
Considérant qu'une remise pour rigueur subjective n'est justifiée que si la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l'impôt compromet son existence économique et le prive de moyens de subsistance indispensables ;
Considérant qu'une rigueur excessive, incompatible avec le principe d'équité au sens du paragraphe 131 AO, ne peut être admise au vu de la situation financière présentée par les requérants ;
Considérant que partant les conditions pouvant légalement justifier une remise gracieuse ne sont pas remplies ;
Considérant encore que les requérants devraient être en mesure de régler leur dette d'impôt, par versements réguliers, adaptés à leur situation de revenu et fixés de commun accord avec le receveur de l'Administration des Contributions ;
PAR CES MOTIFS, DECIDE :
La demande de remise gracieuse est rejetée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 2022, les XY ont introduit un recours à l’encontre de la décision directoriale, précitée, du 16 novembre 2022.
1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Lorsque la requête introductive d’instance omet - tel que c’est le cas en l’espèce -
d’indiquer si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision critiquée, il y a lieu d’admettre que les demandeurs ont entendu introduire le recours admis par la loi1.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 131 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur portant rejet d’une demande de remise gracieuse d’impôts.
Il y a partant lieu d’admettre que les demandeurs ont entendu introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision directoriale précitée du 16 novembre 2022.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
1 Trib. adm., 18 janvier 1999, n° 10760 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1286 et les autres références y citées.
22) Quant au fond Arguments et moyens des parties À l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir leur incompréhension face au rejet de leur demande de remise gracieuse des impôts dus. Ils exposent que leur situation financière serait « à la limite du catastrophique », les contraignant à se « content[er] de survivre une fois toutes [leurs] factures payées. ».
A l’audience des plaidoiries, les demandeurs ont insisté sur leur situation financière précaire. A cet égard, ils ont expliqué être en cours de négociation avec le service de recette du bureau « Luxembourg » de l’administration des Contributions directes, dénommé ci-après « le bureau de recette », pour la mise en place d’un échelonnement du paiement des impôts dus et être encore en attente d’un accord officiel.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour être non fondé.
Appréciation du tribunal Aux termes du § 131 AO, une remise gracieuse se conçoit « dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ».
Il résulte de cette disposition qu’une remise gracieuse n’est envisageable que (i) objectivement ratione materiae, c’est-à-dire lorsque l’application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l’intention du législateur, ou (ii) subjectivement ratione personae dans le chef du contribuable concerné, lorsque la perception de l’impôt apparaît comme constituant une rigueur incompatible avec le principe d’équité, la situation personnelle de ce dernier étant telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables.
Il échet encore de relever qu’une demande de remise d’impôt s’analyse exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte par nature aucune contestation de la légalité de la fixation de cette même dette. La fonction de la remise en équité ne saurait être d’abolir les délais pour exercer un droit2.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que les demandeurs ne contestent ni l’existence ni le bien-fondé de la dette fiscale. Par ailleurs, les demandeurs ont expliqué à l’audience publique des plaidoiries, qu’ils sont en cours de négociation avec le bureau de recette pour la mise en place d’un échelonnement du paiement des impôts dus, et qu’ils sont encore en attente d’un accord officiel, ce qui corrobore encore le constat que la légalité de la dette fiscale n’est pas contestée. Ils n’avancent pas non plus de moyen tiré d’une quelconque rigueur objective, mais se prévalent exclusivement d’une rigueur subjective liées à leur situation financière précaire, de sorte que le tribunal limitera son analyse à ce volet.
2 Trib. adm., 17 octobre 2001, n° 13099 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 839 (2e volet) et les autres références y citées.
3 Pour apprécier l’existence d’une rigueur subjective, il n’appartient pas au juge administratif de contrôler l’appréciation directoriale sur base de la situation telle qu’elle se présentait à l’époque où il a pris sa décision, mais le juge est appelé à statuer comme juge du fond, c’est-à-dire à se placer au jour où il est appelé à statuer, en tenant compte de la situation de fait telle qu’elle se présente au jour où il statue3.
C’est au contribuable qu’il appartient de rapporter la preuve de l’existence d’une rigueur subjective dans son chef conformément à l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après « la loi du 21 juin 1999 » qui dispose que « [l]a preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ».
Outre son état d’indigence, le contribuable doit être digne de la remise gracieuse, ce qui suppose que sa situation économique difficile ne lui soit pas imputable et qu’il ait toujours rempli consciencieusement ses obligations fiscales4. En effet, la fonction de la remise en équité ne saurait être de permettre au contribuable, ayant agi fautivement, de se voir libérer de sa charge d’impôt. La décision déférée n’étant pas fondée sur une telle considération, le point n’est pas litigieux en l’espèce.
En l’espèce, il ressort du décompte du 26 octobre 2022 émis par le bureau d'imposition qu’à cette dernière date, les XY étaient redevables d’un montant total de … euros au titre de l’impôt sur le revenu des années 2019 et 2021, aucun document plus récent n’ayant été fourni à cet égard.
Concernant leurs revenus pour les années d’imposition 2019 et 2021, les demandeurs font état, dans la lettre de demande de remise gracieuse datée du 1er novembre 2022 et adressée au directeur, que Madame Y aurait perçu « une pension luxembourgeoise ainsi qu’une petite pension française dont le total se monte[rait] à environ … €. [Son] mari quant à lui [percevrait] une indemnité de reclassement et une petite pension d’invalidité en France soit un montant approximatif de … €. ».
Il ressort en revanche des pièces versées en cause par les demandeurs, notamment des attestations de paiement de pension émises par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de Moselle, datées du 3 novembre 2022, que Madame Y a reçu un paiement de pension d’invalidité de … euros pour les mois d’octobre et novembre 2022. Quant à Monsieur X, il ressort des relevés des prestations de chômage de l’Agence pour le Développement de l’Emploi (ADEM), datés des 12 août 2022, 14 septembre 2022 et 14 octobre 2022, qu’il a perçu des prestations de chômage d’un montant de … euros au cours des mois de septembre, octobre et novembre 2022, ainsi qu’une pension d’un montant mensuel total de … euros depuis le 21 juillet 2021, selon la notification d’invalidité de la CPAM de Moselle émise le 6 octobre 2021.
Ainsi, le tribunal constate non seulement une discordance entre les affirmations des demandeurs et les pièces versées en cause, qui ne permet pas d’établir à suffisance les revenus exacts perçus par les demandeurs pour les années d’imposition 2019 et 2021, mais également 3 Cour adm., 27 octobre 2022, n° 47524C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 844.
4 A. Steichen, Manuel de droit fiscal, 6e éd., Legitech, 2023, p. 426.
4un défaut d’explications et d’éléments tangibles quant à l’existence éventuelle de sources de revenus qu’auraient perçus les demandeurs au titre de l’année d’imposition 2019.
Concernant les charges et frais mensuels, les demandeurs se contentent de les énumérer dans la lettre de demande de remise gracieuse datée du 1er novembre 2022, à savoir … euros pour le loyer et … euros pour les arriérés, … euros pour l’assurance automobile, … euros pour l’assurance habitation, … euros pour le téléphone (une ligne fixe et quatre téléphones portables), … euros pour la « Mutuelle », … euros pour le « Crédit Cofidis », … pour la « Créance », … euros pour la « Créance », … euros pour « EDF/GDF », … euros pour la « Protection juridique », … euros pour l’« eau » et approximativement … euros pour le « gasoil », sans toutefois fournir au tribunal des documents de nature à établir la matérialité de ces montants.
Force est également au tribunal de constater que les demandeurs sont restés en défaut de faire état des circonstances à l’origine du « Crédit Cofidis » ainsi que de la « Créance » mensuelle de … euros et de la « Créance » mensuelle de … euros dont il fait état dans la demande de remise gracieuse du 1er novembre 2022, de sortes qu’ils sont restés en défaut d’établir que la situation difficile ne leur était pas imputable, étant encore relevé que les décomptes dressés par les huissiers de justice les 24 mai et 13 juin 2022 versés en cause par les demandeurs ne fournissent pas d’explication non plus sur les paiements mensuels de … euros respectivement de … euros en tant qu’acompte ni sur la créance à l’origine des paiements.
Dans ces conditions, le tribunal retient que les demandeurs n’ont pas établi de manière circonstanciée leur situation financière globale et n’ont, par conséquent, pas permis au tribunal d’apprécier si, le cas échéant, le paiement de la dette d’impôts réclamée compromettrait leur existence économique en les privant des moyens de subsistances indispensables et, ce faisant, l’existence d’une rigueur subjective dans leur chef.
Par conséquent, le tribunal est amené à retenir qu’en l’état actuel du dossier, aucune rigueur subjective ne saurait être constatée.
Concernant, enfin, la demande des demandeurs tendant à pouvoir procéder à un paiement échelonné de leur dette d’impôt, outre le fait qu’elle a été formulée la toute première fois à l’audience publique des plaidoiries, il convient de constater que le tribunal n’est pas compétent pour en connaître. En effet, la compétence du tribunal est limitée à l’analyse de la décision lui déférée, en l’occurrence, la décision du directeur du 16 novembre 2022. Or, ladite décision n’a pas porté sur la question d’un paiement échelonné des dettes d’impôt, de sorte que le tribunal n’est pas compétent pour connaître de la demande afférente.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours des demandeurs doit, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, encourir le rejet pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 16 novembre 2022 ;
5au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais et dépens.
Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 27 septembre 2024 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 6