Tribunal administratif N° 51003 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51003 4e chambre Inscrit le 29 août 2024 Audience publique du 27 septembre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51003 du rôle et déposée le 29 août 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Erythrée) et être de nationalité érythréenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 19 août 2024 de le transférer vers la Pologne, comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 septembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale PETOUD et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 septembre 2024.
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Le 2 juillet 2024, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, sur base du résultat des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, que l’intéressé avait introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 4 juin 2024.
Le 5 juillet 2024, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable del’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le 17 juillet 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande de reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1) point b) du règlement Dublin III à leurs homologues polonais, demande qui fut acceptée par ces derniers en date du 19 juillet 2024, sur base de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III.
Par décision du 19 août 2024, notifiée à l’intéressé par un courrier recommandé envoyé le 21 août 2024, le ministre informa Monsieur … du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la Pologne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 2 juillet 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1) c) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Pologne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 2 juillet 2024 et le rapport d'entretien Dublin III du 5 juillet 2024 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 2 juillet 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 4 juin 2024.
Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 5 juillet 2024.
Sur base de ces éléments, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités polonaises en date du 17 juillet 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités polonaises en date du 19 juillet 2024 au titre de l'article 18(1)c du règlement DIII.
2 2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.
Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point c) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.
Un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 2 juillet 2024 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 4 juin 2024.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté l'Érythrée le 3 octobre 2018 pour vous rendre au Soudan, où vous seriez resté trois mois avant de vous rendre au Soudan du sud.
Vous auriez vécu pendant 5 ans au Soudan du sud avant de vous rendre en Ouganda d'où vous auriez pris un vol en direction de Minsk en Biélorussie. Vous auriez voyagé grâce à de faux documents que des passeurs vous auraient organisés. Vous seriez resté deux mois en Biélorussie avant d'avoir traversé la frontière polonaise et d'être entré sur le territoire des Etats membres en date du 4 juin 2024.
Vous avez introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 4 juin 2024. Vous auriez quitté la Pologne après deux semaines et sans connaître l'état de votre procédure, car votre objectif dès votre départ aurait été d'introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.
3 Vous auriez quitté la Pologne pour vous rendre au Luxembourg en passant par l'Allemagne. Après une semaine de voyage, vous seriez arrivé au Luxembourg en train le 1er juillet 2024.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 5 juillet 2024, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Pologne qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que la Pologne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que la Pologne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que la Pologne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, la Pologne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Pologne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires polonaises.
Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Pologne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Pologne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.
4 Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers la Pologne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la Pologne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la Pologne en informant les autorités polonaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités polonaises n'ont pas été constatées. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 août 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 19 août 2024.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, un recours au fond a valablement pu être introduit à l’encontre de celle-ci. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, outre de rappeler les rétroactes passés en revue ci-
avant, Monsieur … explique avoir quitté son pays d’origine le 3 octobre 2018, pour se rendre au Soudan, où il aurait passé trois mois à Khartoum. En raison de l’insécurité y régnant, il serait ensuite allé au Soudan du Sud, où il serait resté cinq ans à Juba, puis en Ouganda, pays d’où il aurait pris un avion pour la Biélorussie via une escale à Dubaï.
Il donne à considérer qu’il aurait, dès le départ, souhaité venir au Luxembourg et serait entré dans l’Union européenne par la Pologne, où il n’aurait jamais eu l’intention de déposer une demande de protection internationale, mais où il aurait été arrêté et obligé de donner ses empreintes digitales. Il aurait cependant continué sa route via l’Allemagne pour déposer une demande de protection internationale au Luxembourg le 2 juillet 2024.
En droit, le demandeur, après avoir cité l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, se prévaut d’abord de l’existence de défaillances systémiques en Pologne au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III de nature à entraîner, dans son chef, en cas de transfert vers ce pays, un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », compte tenu du traitement que subiraient les demandeurs de protection internationale en Pologne.
Dans ce contexte, tout en se référant à des articles de presse versés à l’appui de son recours, il fait valoir qu’il aurait personnellement été victime des pratiques systématiques de « pushbacks » de la part des gardes-frontières polonais qui consisteraient à repousser violemment les personnes vers la Biélorussie en leur refusant la possibilité de déposer une demande de protection internationale et en les obligeant de vivre dans des conditions inhumaines au cœur de la forêt de Bialowieza, ce qui aurait été son cas pendant environ deux mois.
Après l’échec de deux premières tentatives pour entrer en Pologne, dans le cadre desquelles les gardes-frontières polonais l'auraient frappé tout en détruisant son téléphone portable, il aurait finalement réussi à entrer sur le territoire polonais où il aurait dû être assisté par la Croix-Rouge. Il aurait encore été amené à un poste de police où, en l'absence de traducteur, il aurait dû donner ses empreintes et signer des documents dont il n’aurait pas compris la teneur.
Le demandeur relève qu’il aurait ensuite été placé dans un camp fermé où il aurait passé deux à trois semaines.
Ces pratiques seraient documentées et dénoncées par de nombreuses organisations internationales, dont l’association Amnesty International, qui auraient relevé que les droits humains des migrants seraient bafoués et que les demandeurs de protection internationale vivraient dans des conditions insalubres, souvent détenus arbitrairement dans des centres fermés. Il donne encore à considérer que les dernières mesures mises en place par le gouvernement polonais ne seraient guère de nature à démontrer une amélioration des conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale puisqu'en juin 2024 la Pologne aurait mis en place une nouvelle zone tampon sur sa frontière avec la Biélorussie et que depuis juillet 2024 la Pologne aurait adopté une loi permettant aux gardes-frontières de tirer plus facilement sur les migrants.
Le demandeur se réfère, dans ce contexte, à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, dénommée ci-après « la CourEDH », du 4 novembre 2014, dans une affaire n° 29217/12 Tarakhel c/ Suisse, ayant précisé que l'expulsion d'un demandeur d'asile par un Etat contractant pourrait soulever un problème au regard de l'article 3 de la CEDH, et donc engager la responsabilité de l'Etat en cause, ce qui impliquerait, le cas échant, l'obligation dene pas expulser la personne en question vers ce pays. Dans un arrêt du 16 février 2018, affaire C.K. et autres c/ Republika Slovenja, la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », aurait adopté la même position en retenant que le transfert de demandeurs d'asile dans le cadre du système du règlement Dublin III pourrait, dans certaines circonstances, être incompatible avec l'interdiction prévue à l'article 4 de la Charte et que les Etats membres seraient liés, dans l'application de celui-ci, par la jurisprudence de la CourEDH relative à l'article 3 de la CEDH. Il invoque finalement un l'arrêt de la CJUE Abubacarr Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland du 19 mars 2019, selon lequel l'article 4 de la Charte devrait être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à un tel transfert du demandeur de protection internationale, à moins que la juridiction saisie d'un recours contre la décision de transfert ne constate, sur la base d'éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l'Union, la réalité de ce risque pour ce demandeur, en raison du fait qu'en cas de transfert, celui-ci se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême.
Ainsi, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir demandé aux autorités polonaises de fournir des garanties individuelles quant à une prise en charge adaptée afin d’exclure tout risque réel de traitements inhumains ou dégradants en cas de transfert, tel que cette possibilité aurait été souligné par la CJUE, dans son arrêt du 29 février 2024 dans l'affaire C-392/22.
En deuxième lieu, le demandeur reproche au ministre une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, dans la mesure où il serait à considérer comme une personne vulnérable au sens de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire.
A cet égard, il souligne qu’il n’aurait été interrogé que succinctement sur son vécu à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne et il estime qu’il aurait été utile de prendre en considération les traitements inhumains et dégradants subis au cours de cette période, qui auraient causé des traumatismes qui nécessiteraient le cas échéant une prise en charge.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse en tous ses moyens.
L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III, sur lequel le ministres’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités polonaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale du demandeur, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l’apatride qui a retiré sa demande en cours d’examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre; (…) ».
Le tribunal constate, dans ce contexte, qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée par les considérations non énervées par le demandeur que ce dernier a déposé une demande de protection internationale en Pologne en date du 4 juin 2024 et que les autorités polonaises ont accepté de le reprendre en charge en date du 19 juillet 2024 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers la Pologne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
En effet, il échet de relever que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Etat polonais, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais fait plaider que son transfert serait de nature à violer les articles 3, paragraphe (2) et 17 du règlement Dublin III.
Le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), précité, du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En ce qui concerne d’abord le moyen du demandeur relatif à l’existence de défaillances systémiques en Pologne, le tribunal relève que l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil desdemandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - corollaire de l’article 3 de la CEDH -, une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre1.
A cet égard, le tribunal relève que la Pologne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH et le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.
Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 92.
2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt. 78.
3 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pt. 95.n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.
En l’espèce, il incombe au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation en Pologne, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.
Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.
S’il ressort certes de la requête introductive d’instance que le demandeur aurait fait l’objet de violences lors de son passage de la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, ainsi que des documents versés à l’appui du recours que les autorités polonaises connaissent de sérieux problèmes quant à leur politique actuelle d’asile, dans la mesure où il y est fait référence à la situation de certains demandeurs de protection internationale qui rencontrent des difficultés aux frontières polonaises en y faisant notamment l’objet de « pushbacks », force est toutefois de constater que le demandeur n’a, ni dans ses déclarations auprès de la police grand-ducale au jour de son arrivée au Luxembourg, ni dans le cadre de son entretien Dublin II du 5 juillet 2024, fait état d’avoir subi des agressions au moment de franchir la frontière polonaise, au contraire, à la question spéciale lui demandant s’il a vécu quelque chose de spécifique lors de son trajet, le demandeur se limite à répondre qu’il aurait une fois 6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.
8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.
9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.
10 Ibid., pt. 92.
11 Ibid., pt. 93.subi une agression dans le magasin dans lequel il aurait travaillé au Soudan12. Il ne ressort pas non plus des déclarations du demandeur figurant dans le dossier administratif, contrairement aux affirmations de la requête introductive d’instance, qu’il aurait été retenu pendant trois semaines dans un centre fermé en Pologne, alors que le demandeur, sans préciser qu’il s’agissait d’un camp fermé, se contredit à ce sujet en affirmant, d’un côté, avoir séjourné dans un camp pendant trois semaines (rapport de la police grand-ducale) et, d’un autre côté, y avoir résidé pendant seulement deux jours (entretien Dublin) avant de passer le reste du temps à la rue. Par ailleurs, son affirmation selon laquelle il aurait, dès le départ uniquement voulu déposer une demande de protection internationale au Luxembourg est encore contredite par ses propres explications devant la police grand-ducale selon lesquelles il aurait encore séjourné en Allemagne pendant un semaine avant de venir au Luxembourg, mais que la situation ne lui y aurait pas convenu13.
Par ailleurs, il échet de relever que le demandeur ne risquera a priori pas de subir les actes de refoulement à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, auxquels il fait référence, alors qu’il ne se retrouvera pas dans une telle situation en cas d’exécution de la décision déférée, étant donné qu’il fera l’objet d’un transfert dans le cadre du règlement Dublin III, suite à l’acceptation expresse de sa reprise en charge par les autorités polonaises.
Force est encore de relever que le tribunal ne s’est pas non plus vu soumettre un quelconque élément de preuve dont il se dégagerait que concrètement, les autorités polonaises compétentes risqueraient de violer le droit du demandeur à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles risqueraient de refuser de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, le demandeur n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile ne serait pas conduite conformément aux normes imposées par le droit européen, mais s’étant limité à expliquer que la procédure relative à sa demande de protection internationale en Pologne aurait toujours été en cours au moment de son départ, mais qu’il n’aurait pas voulu attendre l’issue de cette dernière.
Le tribunal relève également que le demandeur n’établit pas non plus que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale en Pologne ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que la Pologne est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Pologne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être 12 Rapport d’entretien du demandeur du 5 juillet 2024, p. 5.
13 Rapport de la police grand-ducale du 2 juillet 2024, p. 2.exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable14.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte15, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant16.
En l’espèce, le tribunal constate que Monsieur … ne prouve pas que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés en Pologne, respectivement qu’ils ne seraient pas respectés en cas de transfert en Pologne.
En ce qui concerne son argumentation, basée sur ses affirmations mises en doute ci-
avant, selon laquelle il aurait subi des violences à la frontière polonaise, respectivement qu’il aurait été retenu dans un centre fermé pendant trois semaines, de sorte qu’il serait à considérer comme une personne vulnérable, il échet de constater, encore une fois, que le demandeur n’a pas fait état d’un quelconque état de vulnérabilité, affirmant même, lors de son entretien Dublin III du 5 juillet 2024, qu’il irait « très bien »17.
Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres éléments, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert vers la Pologne, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
Il suit des considérations qui précèdent que l’argumentation du demandeur ayant trait à l’existence, dans son chef, d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, 4 de la Charte et 3 de la CEDH, en cas de transfert vers la Pologne, est à rejeter dans son ensemble.
En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection 14 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
15 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.
16 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
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17 Rapport d’entretien du demandeur du 5 juillet 2024, p. 2.internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201718.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge19, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration20.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est, en substance, sur base de cette même argumentation qu’il estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que les problèmes mis en avant par Monsieur … ne sauraient pas davantage s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 septembre 2024 par :
Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, 18 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.
19 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.
20 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.
en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 septembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 14