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01/10/2024 | LUXEMBOURG | N°47336

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 octobre 2024, 47336


Tribunal administratif N° 47336 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47336 4e chambre Inscrit le 20 avril 2022 Audience publique du 1er octobre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47336 du rôle et déposée le 20 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le

… dans le district de … (Afghanistan), demeurant à L-…, agissant en son nom propre et ...

Tribunal administratif N° 47336 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47336 4e chambre Inscrit le 20 avril 2022 Audience publique du 1er octobre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47336 du rôle et déposée le 20 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … dans le district de … (Afghanistan), demeurant à L-…, agissant en son nom propre et au nom et pour le compte de son frère mineur, … …, né le … dans le district de …, demeurant dans la province de …, en Afghanistan, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 décembre 2021 rejetant la demande de regroupement familial avec son frère … … et d’une décision confirmative du 21 mars 2022, rendue sur recours gracieux rejetant également les demandes subsidiaires de … en délivrance, en faveur de son frère, d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, respectivement pour des raisons privées basée sur les liens familiaux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique, erronément intitulé « mémoire en duplique », déposé au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2022 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, préqualifié, au nom et pour le compte de son mandant, préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 avril 2024.

En date du 6 mai 2019, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 », demande qui fut rejetée par décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », du 28 mai 2020.

1 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2020, Monsieur … fit déposer un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 28 mai 2020, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 15 juillet 2021, inscrit au numéro 44530 du rôle, le tribunal administratif, par réformation de la décision ministérielle, précitée, accorda à Monsieur … le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, tout en annulant l’ordre de quitter le territoire afférent.

Par courrier du 1er octobre 2021, le ministre informa Monsieur … qu’un titre de séjour en qualité de bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire allait lui être délivré pour une durée de validité du 3 septembre 2021 au septembre 2026.

Par courrier de son litismandataire du 27 août 2021, réceptionné par le ministre le 30 août 2021, Monsieur … fit introduire auprès du service compétent du ministère une demande de regroupement familial dans le chef de son épouse, Madame … …, de ses trois enfants mineurs, …, … et … …, et de son frère mineur, … ….

Par décision du 14 décembre 2021, le ministre refusa de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef du frère mineur du demandeur dans les termes suivants :

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 30 août 2021.

I.

Demande de regroupement familial en faveur de l'épouse de votre mandant Avant tout progrès en cause et sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l'obtention d'une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la prise de décision, je vous prie de bien vouloir me faire parvenir une copie de toutes les pages des passeports en cours de validité des quatre personnes à regrouper.

II.

Demande de regroupement familial en faveur du frère de votre mandant Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

Par ailleurs, Monsieur … … ne remplit aucune condition afin de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquence, l'autorisation de séjour lui est refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».

Par courrier de son litismandataire du 10 mars 2022, réceptionné par le ministre le 16 mars 2022, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision, précitée, du 14 décembre 2021, en ce qu’elle aurait rejeté la demande de regroupement familial dans le 2chef du frère de Monsieur …, … …, et sollicita, à titre subsidiaire, la délivrance, dans le chef du prédit frère, d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, sur le fondement de l’article 78, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », sinon d’une autorisation de séjour des raisons privées basée sur les liens familiaux en vertu de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la même loi.

Par décision du 21 mars 2022, le ministre confirma sa décision de rejet du 14 décembre 2021, tout en rejetant les demandes subsidiaires en obtention des autorisations de séjour précitées dans les termes suivants :

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 10 mars 2022.

I.

Recours gracieux contre ma décision du 14 décembre 2021 refusant le regroupement familial en faveur du frère de votre mandant Je tiens à vous informer qu'à défaut d'éléments nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 14 décembre 2022 dans son intégralité.

II.

Demande d'autorisation de séjour pour motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité Il y a lieu de soulever que le ressortissant d'un pays tiers doit se trouver en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois conformément à l'article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration pour solliciter une autorisation de séjour sur base de l'article 78(3).

Dans ce contexte, je me permets de citer une partie d'un arrêt de la Cour administrative du 25 juin 2015 (numéro 36058C du rôle) et une partie d'un jugement du 2 décembre 2015 (numéro 35581 du rôle) :

« Cette façon de procéder de la norme communautaire consiste à conférer aux Etats membres une option par rapport à laquelle ceux-ci ont conservé la possibilité d'en faire usage ou de ne pas en faire usage et, dans l'hypothèse où ils en font l'usage, de le faire avec une plus ou moins grande latitude, étant entendu que les raisons de la délivrance du titre de séjour à une personne, par hypothèse en séjour irrégulier, relèvent du spectre humanitaire au sens large.

Dès lors, les Etats membres ont gardé la latitude de prendre en considération des motifs du spectre humanitaire au sens large avec plus ou moins d'amplitude et ont dès lors conservé la possibilité d'encadrer plus ou moins strictement la délivrance de pareil titre de séjour, s'agissant par hypothèse de personnes en séjour irrégulier, pourvu toutefois que la base humanitaire n'en fasse pas défaut ».

«En ce qui concerne le refus de qualifier les faits invoqués de motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité, force est au tribunal de rappeler que cette disposition est le fruit de la transposition de l'article 6 paragraphe 4 de la directive européenne 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, prévoyant la possibilité pour les Etats membres d'accorder un titre de séjour autonome pour des « motifs charitables, humanitaires ou autres » à un ressortissant d'un pays 3 tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Le législateur luxembourgeois en prévoyant à ce titre une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité a limité ce pouvoir discrétionnaire aux cas d'espèces où les faits ou circonstances invoqués sont de nature à léser de manière gravissime des droits fondamentaux de l'Homme ».

La demande en obtention d'une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires d'une exceptionnelle gravité dans le chef de l'intéressé précité et séjournant hors territoire luxembourgeois n'est en conséquence pas recevable.

La présente décision est susceptible de faire l'objet d'un recours devant le Tribunal administratif. La requête doit être déposée par un avocat à la Cour dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision.

III.

Demande d'autorisation de séjour vie privée basée sur les liens familiaux Vous sollicitez à titre subsidiaire une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l'article 78 de la loi du 29 août 2008 précitée en faveur du frère de votre mandant.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis non plus en mesure de faire droit à cette requête. En effet, afin de pouvoir bénéficier d'une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l'article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée, l'intéressé doit, conformément à l'article 78, paragraphe (2) de la loi, témoigner de ressources suffisantes ainsi que des liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité. Je ne dispose cependant d'aucune preuve que la personne à regrouper remplit ces conditions.

Je vous rappelle que « l'article 8 de la CEDH garantit seulement l'exercice du droit au respect d'une vie familiale « existante ». Ainsi, la notion vie familiale ne se résume pas uniquement à l'existence d'un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d'une vie familiale effective, c'est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres et existante, voire préexistante, à l'entrée sur le territoire national. D'ailleurs une vie familiale n'existe pas du seul fait du soutien financier apporté par une personne à une autre sans qu'aucun autre rapport ne lie les deux personnes. De plus, une personne adulte voulant rejoindre sa famille dans le pays de résidence de celle-ci ne saurait être admise au bénéfice de l'article 8 de la CEDH que lorsqu'il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux ». Or, aucun document ne témoigne de liens familiaux au-delà d'éventuels liens affectifs normaux entre deux membres de famille.

Par ailleurs, le frère de votre mandant ne remplit aucune condition qui lui permettrait de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquent, l'autorisation de séjour lui est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 avril 2022, inscrite sous le numéro 47336 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation 4des décisions ministérielles, précitées, des 14 décembre 2021 et 21 mars 2022 quant au seul volet refusant une autorisation de séjour dans le chef de Monsieur … ….

Etant donné que ni la loi du 29 août 2008 ni aucune autre disposition légale ne prévoit de recours au fond en matière de regroupement familial, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière. Le recours sous examen est, par ailleurs, à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur rappelle en substance les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-avant, tout en indiquant qu’une attestation confirmant sa prise en charge de son frère mineur aurait été remise au ministre, que ledit frère ferait partie de son foyer familial depuis le décès de son père, soit depuis une dizaine d’années, pour en conclure qu’à la suite du regroupement familial accordé à son épouse et à ses enfants, son frère se trouverait livré à lui-même, dans un pays soumis au régime des talibans et rongé par un conflit armé perpétuel, où l’ethnie hazâra, à laquelle appartiendrait sa famille, ferait depuis de nombreux années l’objet des traitements inhumains et dégradants.

En droit, il sollicite l’annulation de la décision ministérielle déférée pour violation de la loi, respectivement pour erreur manifeste d’appréciation dans le chef du ministre.

1) Quant au recours visant le refus du regroupement familial dans le chef du frère du demandeur En tout premier lieu, le demandeur reproche au ministre d’avoir violé l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 en ce que les décisions ministérielles entreraient en contradiction avec l’esprit de cette disposition, puisqu’elles auraient, en l’espèce, pour effet la dislocation de sa famille et, ainsi, l’abandon de son petit frère, contraint de rester seul en Afghanistan.

Le ministre aurait, par ailleurs, méconnu le principe du maintien de l’unité familiale, notion essentielle au respect des droits des bénéficiaires de protection internationale souhaitant faire valoir leur droit au regroupement familial et sous-tendant la portée de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, désignée ci-après par « la directive 2003/86/CE », et l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », alors qu’aux termes du huitième considérant de la prédite directive, ce principe revêtirait une importance singulière au regard de l’obligation imposée aux autorités publiques des Etats membres d’interpréter leur droit national à l’aune de ce principe.

Il cite encore, dans ce contexte, un arrêt C-635/17 de la Cour de Justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE », du 13 mars 2019, E. contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, jurisprudence ayant permis de clarifier le but poursuivi par la directive 2003/86/CE et de faire ainsi émerger un objectif de protection accrue des personnes ayant obtenu la protection d’un Etat membre en facilitant leur demande de regroupement familial, par le biais de la prise en compte de leur vulnérabilité, « et ce, notamment lorsque la vie de mineur non-accompagné est en jeux ».

Dans cet ordre d’idées, le demandeur s’empare d’un jugement du tribunal administratif du 7 décembre 2021, inscrit sous le numéro 45054 du rôle, qui aurait adopté un raisonnement respectueux des buts poursuivis de ladite directive, en matière de protection au droit à la vie 5privée et familiale, notamment par le respect du principe de l’unité familiale, dans la mesure où ledit jugement aurait permis une interprétation de la notion d’ascendants directs, comprise dans la loi, moins restrictive que celle apportée par l’autorité étatique, puisqu’il aurait permis aux personnes à charge du regroupant et incapables à subvenir seules à leurs besoins, et notamment aux frères et sœurs, de bénéficier du regroupement familial.

Le demandeur donne à considérer que son frère se serait trouvé à ses côtés et à sa charge depuis son plus jeune âge, et notamment depuis une dizaine d’années, suite au décès de leur père et au remariage de leur mère, laquelle se serait totalement désintéressée de son fils …, voire qui l’aurait ouvertement abandonné, en lui transférant sa responsabilité parentale.

Puisque la mère ne subviendrait plus aux besoins d’…, ce dernier serait entièrement à sa charge, tant financièrement qu’affectivement, le demandeur expliquant qu’il serait le seul membre de famille pouvant subvenir aux besoins primaires d’enfant dans le chef de son petit frère.

Le fait pour ce dernier d’être séparé de son frère aîné et de l’épouse de celui-ci, ainsi que de ses neveux, avec lesquels il aurait grandi, de sorte à pouvoir être assimilé à ses enfants biologiques, causerait à … une souffrance équivalente à l’abandon qu’il aurait ressenti suite à la perte de ses parents biologiques, et entraînerait, de surcroit, la conséquence d’être livré à lui-

même dans un pays plongé dans le climat de violence et la dépravation, c’est-à-dire dans un environnement particulièrement néfaste pour le développement d’un jeune adolescent laissé ainsi sans repères. En effet, compte tenu du temps passé par … dans son foyer familial et au vu de son jeune âge, le demandeur fait souligner que ce dernier n’aurait pas connu une autre figure paternelle à part lui et son épouse ayant, par ailleurs, assuré son éducation.

Le demandeur en conclut qu’il serait évident que son frère serait effectivement à sa charge en raison de son incapacité financière de subvenir lui-même à ses propres besoins, ainsi qu’en raison de sa dépendance affective, alors que son foyer représenterait pour … le seul point d’attache et son seul repère lui permettant de grandir convenablement, entouré du soutien et de l’amour dont un enfant aurait besoin pour devenir un adulte sain d’esprit et épanoui. Ainsi, le lien entre lui, son épouse, ses enfants et son frère … serait tel qu’ils ne pourraient être séparés sans qu’il y aurait une atteinte à leur unité familiale, au regard des dispositions prémentionnées.

En s’emparant ensuite, à nouveau, du jugement du tribunal administratif, précité, du 7 décembre 2021, le demandeur se livre à l’analyse de la portée de la notion de famille, tout en précisant qu’une interprétation restrictive de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 serait contraire à l’article 8 de la CEDH et qu’en suivant le raisonnement adopté par le tribunal administratif dans ledit jugement, il conviendrait de considérer … comme un membre de famille devant bénéficier du regroupement familial au motif qu’au-delà du lien biologique existant entre deux frères, il existerait entre eux, ainsi qu’à l’égard de son épouse et de ses enfants, un lien réel et suffisamment étroit.

Le demandeur soutient, par ailleurs, que les décisions ministérielles litigieuses, nuiraient à l’intérêt supérieur de l’enfant et seraient contraires à l’esprit des paragraphes 1er et 2 de l’article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, signée à New-

York le 20 novembre 1989, désignée ci-après par « la Convention de New-York », laquelle imposerait la prise en compte de cet intérêt dans toutes les décisions concernant un enfant, ainsi que l’adoption de toutes les mesures législatives et administratives appropriées, le demandeur 6soulignant encore une fois que le lien particulièrement étroit de son frère … avec le reste de sa famille lui permettrait d’être assimilé à ses enfants biologiques.

Il souligne que si … devait être abandonné, une seconde fois, cette fois-ci par ses parents de substitution, de graves conséquences pourraient s’en suivre, alors que depuis son plus jeune âge, cet enfant aurait d’ores et déjà subi de multiples traumatismes, liés au décès de son père, à l’abandon par sa mère, à la misère, à la guerre, en vivant constamment dans la crainte de la pénurie alimentaire, de son appartenance à l’ethnie hazâra et du fait que des Talibans persécuteraient le moindre opposant à leur régime.

Le demandeur souligne encore que l’appartenance de son frère à l’ethnie hazâra et le fait pour sa famille d’avoir fui les Talibans l’exposeraient à des persécutions et traitements inhumains et dégradants, voire à la mort, et son jeune âge le rendrait facilement manipulable, de sorte qu’il risquerait l’enrôlement dans une milice, alors que ses parents de substitution ne seraient plus à ses côtés pour l’encadrer et lui procurer la stabilité nécessaire.

En soutenant que la situation personnelle du mineur … … démontrerait que le refus ministériel de du regroupement familial violerait les dispositions, précitées, de la Convention de New-York, le demandeur sollicite l’annulation des décision ministérielles des 14 février et 29 mars 2022 pour violation des dispositions internationales visant la protection de l’unité familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement souligne, de prime abord, que le demandeur lui-même affirme être dans l’impossibilité d’apporter un soutien matériel à son petit frère en raison de ses difficultés de subvenir à ses propres besoins financiers au Luxembourg.

Après avoir cité l’article 70 de la loi du 29 août 2008, le délégué du gouvernement relève que cette disposition ne prévoirait pas le regroupement familial de la fratrie et conteste le transfert de l’autorité parentale de la mère du jeune … vers le demandeur, alors qu’aucune pièce justificative établissant l’instauration d’une tutelle sur … en faveur du demandeur, telle une décision judiciaire, n’aurait été soumise au ministre, la copie d’une attestation relative à la prise en charge du jeune … par son grand frère n’étant pas suffisante à cet égard.

Il estime, par ailleurs, que puisqu’il résulterait d’une pièce remise par le demandeur le 10 mars 2022 et du rapport de son entretien du 5 novembre 2019 portant sur sa demande de protection internationale que la mère d’… serait en vie et résiderait dans la même localité que ce dernier, « il serait logique » que ce soit elle qui devrait s’occuper de son fils, en vertu de la charge lui incombant de ce chef, et non pas le demandeur, de sorte que ce serait à bon droit que le ministre aurait refusé le regroupement familial dans le chef du frère du demandeur, les conditions de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 n’étant pas réunies, en l’espèce.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur réitère son analyse de la portée de l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 en ce que le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre en cette matière ne serait pas arbitraire et serait, par ailleurs, soumis au contrôle des juridictions administratives, tenues elles-mêmes au principe de la primauté du droit international et du droit de l’Union européenne et aux normes de protection des droits de l’homme, de sorte que ledit pouvoir ministériel devrait s’exercer sous réserve de l’intérêt supérieur de l’enfant, du principe de l’unité familiale, protégée par l’article 8 de la CEDH, ainsi 7que des articles 7 et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

Le demandeur conteste, encore, l’argumentation de la partie étatique concernant l’absence du transfert de l’autorité parentale de la mère d’… vers son frère, alors que la réalité de ce transfert se manifesterait à travers sa prise en charge effective du jeune ….

Par ailleurs, le demandeur estime que la notion d’être à charge, employée par l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008, pourrait se traduire par le lien qu’une personne adulte entretient avec un enfant, privé de ses parents biologiques pouvant subvenir à ses besoins, et que lors de l’analyse des conditions dudit article, il conviendrait de prendre en compte la mentalité afghane en matière de rapports de famille laquelle investirait la fratrie, à défaut de parents biologiques, d’une qualité similaire à celle d’un représentant légal, pour s’occuper d’un membre plus jeune de la fratrie. Tel serait son cas, alors qu’il se serait occupé de son petit frère, en raison du fait que sa mère ne remplirait plus ses obligations parentales depuis plusieurs années, ayant fait le choix de se remarier et de délaisser …, âgé à l’époque entre six et sept ans, lequel, de ce fait, n’aurait connu sa mère que très peu et n’entretiendrait avec elle aucune relation affective particulière, à l’opposé du lien qui l’unirait à lui.

Le demandeur soutient encore qu’en raison du dysfonctionnement des administrations afghanes depuis de nombreuses années, aggravé depuis l’avènement du régime taliban, il serait difficile de se procurer des pièces justificatives démontrant les liens de famille et que, de son côté, il aurait fourni la totalité des documents à sa disposition, compte tenu des défaillances dues au régime taliban et de l’urgence.

Il en conclut qu’il conviendrait de constater que la mère biologique d’… ne serait plus encline à s’occuper de son fils tant matériellement qu’affectivement, de sorte que le rôle parental de cette dernière serait fondamentalement contesté, contrairement à ce qui serait le cas pour lui et son épouse.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement conteste les allégations du demandeur concernant l’abandon du jeune … par sa mère et relève que la situation générale dans le pays d’origine, même si elle était, en l’espèce et en matière de droits de l’homme, critiquable, ne serait pas pertinente aux fins de l’analyse d’une demande de regroupement familial.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, le tribunal entend rappeler que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.

En ce qui concerne le moyen du demandeur tiré de la violation de la loi du 29 août 2008, le tribunal constate que par la décision du 14 décembre 2021, le ministre a refusé de faire 1 Cour adm., 4 mars 1997, n°9517C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 39 et les autres références y citées.

8droit à la demande de regroupement familial dans le chef du frère mineur de Monsieur … au motif que le regroupement familial avec la fratrie n’était pas prévu par l’article 70 de la loi du 29 août 2008, ladite décision ayant été confirmée par le ministre dans son intégralité par décision du 21 mars 2022.

Il échet de rappeler que le regroupement familial, tel qu’il est défini à l’article 68, point c) de la loi du 29 août 2008, a pour objectif de « maintenir l’unité familiale » entre le regroupant, en l’occurrence bénéficiaire d’une protection internationale, et les membres de sa famille.

Il convient ensuite de rappeler qu’aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008 « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».

Il ressort du prédit article que le bénéficiaire d’une protection internationale, lequel souhaite recourir au regroupement familial en faveur d’un membre de sa famille, jouit de conditions moins restrictives s’il sollicite ledit regroupement dans les six mois de l’obtention de son statut. Dans le cas contraire, il doit remplir cumulativement les conditions visées au premier paragraphe de l’article 69, précité, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. Dans le cas contraire, il doit remplir cumulativement les conditions visées au premier paragraphe de l’article 69 précité.

Dans la mesure où il n’est pas contesté que la demande de regroupement familial émanant de Monsieur … a été introduite dans les six mois de l’obtention de son statut de protection internationale, il échet de constater qu’il est dispensé de l’obligation de satisfaire aux conditions imposées par l’article 69, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008 pour 9prétendre au regroupement familial avec les membres de sa famille demeurant dans son pays d’origine.

L’article 70 de la même loi, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, est libellé comme suit : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants:

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. (…) ».

Ainsi, les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 règlent les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci. L’article 69 concerne les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, tandis que l’article 70 définit les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membre de famille, susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.

Le tribunal doit relever qu’il se dégage de l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 que cet article ne vise pas la fratrie au titre des membres de la famille susceptibles 10de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef du frère du demandeur sur base du prédit article 70, paragraphe (5).

Ce constat n’est pas ébranlé par l’argumentation du demandeur tenant à la prétendue interprétation large, voire l’extension de la notion d’ascendant direct à la fratrie du regroupant, alors qu’une telle argumentation est manifestement erronée en ce qu’elle reflète une incompréhension, sinon une lecture incorrecte du jugement, précité, du tribunal administratif du 7 décembre 2021, lequel n’a jamais retenu la portée de la notion d’ascendant direct que lui tente de prêter le demandeur. En effet, l’extrait du jugement cité par le demandeur dans sa requête introductive d’instance se rapporte au volet du litige y toisé en ce qui concerne le refus de regroupement familial dans le chef des parents du demandeur à l’instance et non pas de sa fratrie, visée dans un autre volet du jugement, cette dernière étant qualifiée, non pas d’ascendant direct, mais de parent collatéral, ces deux qualifications n’étant pas équivalentes l’une de l’autre, de sorte que le moyen afférent du demandeur visant à étendre la notion d’ascendant direct à son frère n’est pas fondé et encourt, dès lors, le rejet.

Le tribunal est cependant amené à préciser que si la fratrie d’un ressortissant de pays tiers, disposant d’une protection internationale, n’est certes pas visée par l’article 70 précité de la loi du 29 août 2008, en vue de pouvoir bénéficier d’un regroupement familial, le refus d’un tel regroupement est toutefois susceptible de pouvoir, le cas échéant, violer les articles 7 de la Charte et 8 de la CEDH, dont les termes respectifs sont les suivants : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. », et « 1.

Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » A cet égard, il y a lieu de rappeler que le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative – telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH – est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne. Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale2.

Partant, le tribunal souligne que si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH.3 Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force 2 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 80 et les autres références y citées.

3 Voir par exemple en ce sens CourEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, (req. n° 1948/04), § 135, et trib. adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 476 et les autres références y citées.

11est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale en application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois4.

Incidemment, le tribunal souligne que « l’importance fondamentale »5 de l’article 8 de la CEDH en matière de regroupement familial est par ailleurs consacrée en droit de l’Union européenne et notamment par la directive 2003/86/CE, que transpose la loi du 29 août 2008, et dont le préambule dispose, en son deuxième alinéa, que « Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l'obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l'article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. ».

Il échet de conclure de ce qui précède qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives éventuellement contraires. En ce sens également, une lacune de la loi nationale ne saurait valablement être invoquée pour justifier de déroger à une convention internationale.

Ainsi, en ce qui concerne les faits de l’espèce, le tribunal rappelle qu’il est de jurisprudence que l’argumentation consistant à soutenir que le « parent collatéral » serait d’emblée exclu de la protection de l’article 8 de la CEDH est erronée. En effet, s’il est vrai que la notion de famille restreinte, limitée aux parents et aux enfants mineurs, est à la base de la protection accordée par ladite convention, il n’en reste pas moins qu’une famille existe, au-

delà de cette cellule fondamentale, chaque fois qu’il y a des liens de consanguinité suffisamment étroits6.

Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CourEDH », que si la notion de « vie familiale » se limite normalement au noyau familial, la CourEDH a également reconnu l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la CEDH, entre autres, entre frères et sœurs adultes7 et entre parents et enfants adultes8, mais aussi entre tantes ou oncles et nièces ou neveux9. La Cour précise dans ces cas que « les rapports entre adultes (…) ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l’article 8 sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux. »10.

4 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 477 et les autres références y citées.

5 Voir « Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial », COM/99/0638 final -

CNS 99/0258, 1er décembre 1999, point 3.5.

6 Trib. adm., 18 février 1999, n° 10687 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 524 et les autres références y citées.

7 Voir en ce sens CourEDH, 24 avril 1996, Boughanemi c. France, n° 22070/93, § 35.

8 Voir CourEDH, 9 octobre 2003, Slivenko c. Lettonie, n° 48321/99, §§ 94 et 97.

9 Voir CourEDH, 25 novembre 2008, Jucius et Juciuvienė c. Lituanie, n° 14414/03, §§ 20, 21 et 27, et CourEDH, 4 décembre 2012, Butt c. Norvège, n° 47017/09, § 76.

10 Commission EDH, 10 décembre 1984, S. et S. c. Royaume-Uni (req. n° 10375/83), D.R. 40, p. 201. En ce sens, voir également par exemple CEDH, 17 septembre 2013, F.N. c. Royaume-Uni (req. n° 3202/09), § 36 ; CEDH, 30 juin 2015, A.S. c. Suisse (req. n° 39350/13), § 49.

12Il échet, par ailleurs, de rappeler à ce stade-ci des développements que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national11. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour l’intéressé de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays12, à savoir, en l’occurrence, son pays d’origine, l’Afghanistan, que le demandeur a dû quitter pour solliciter et obtenir une protection internationale au Luxembourg.

De plus, il y a lieu de constater que cette conception de la notion de famille, étendue au-delà du noyau familial, pour prendre en compte l’existence d’éléments de dépendance supplémentaires entre parents proches, est cohérente avec les dispositions – certes non applicables à l’espèce – de l’article 56, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, concernant le contenu de la protection internationale, qui prévoit la possibilité pour le ministre d’étendre le bénéfice des droits découlant du statut de bénéficiaire de protection internationale aux membres de la famille du bénéficiaire, sur base d’une définition élargie de la notion de membre de famille. L’article 56, paragraphe (1) de ladite loi dispose en effet que « Le ministre veille à ce que l’unité familiale puisse être maintenue. Il peut décider que les dispositions du présent article s’appliquent aux autres parents proches qui vivaient au sein de la famille du bénéficiaire à la date du départ du pays d’origine et qui étaient alors entièrement ou principalement à sa charge ».

À ce propos, la Commission européenne a encouragé les Etats membres à considérer également comme membres de famille les personnes qui n’ont pas de liens biologiques, mais qui sont prises en charge au sein de l’unité familiale, telles que les enfants recueillis, en soulignant que les Etats membres conservaient toute latitude à cet égard. Elle a également précisé que la notion de dépendance était l’élément déterminant13.

Il suit des considérations qui précèdent que les frères et sœurs d’un regroupant peuvent, en principe, être qualifiés de membres de sa famille, en tant que parents collatéraux, en application de l’article 8 de la CEDH.

Cependant, il ressort de la jurisprudence relative à l’article 8 de la CEDH qu’un regroupant ne peut invoquer l’existence d’une vie familiale à propos d’une personne ne faisant pas partie du noyau familial strict qu’à condition qu’il démontre qu’il est à sa charge et qu’un lien de dépendance autre que les liens affectifs normaux est établi.

Il ressort également de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CourEDH », et notamment de l’arrêt du 1er décembre 2005, Tuquabo-

Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, qu’à chaque fois qu’un mineur est concerné, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale et que l’Etat refusant le regroupement familial doit ménager un juste équilibre entre les intérêts des demandeurs d’une part, et son 11 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 (2e volet) et les autres références y citées.

12 Trib. adm., 8 mars 2012, n° 27556 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 (3e volet) et autres références y citées.

13 Commission européenne, 3 avril 2014, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, page 23.

13propre intérêt à contrôler l’immigration, d’autre part. La CourEDH y a encore indiqué que, pour mettre en balance ces différents intérêts, elle tenait compte de l’âge des enfants concernés, de leur situation dans leur pays d’origine et de leur degré de dépendance vis-à-vis de leurs parents. Elle y a également précisé qu’elle avait précédemment rejeté des affaires dans lesquelles les enfants concernés par le regroupement familial avaient atteint un âge où ils n’avaient vraisemblablement pas autant besoin de soins que de jeunes enfants et où ils étaient de plus en plus capables de se débrouiller seuls14.

Dans une autre affaire, la CourEDH a retenu que l’étendue des obligations pour l’Etat variait en fonction de la situation particulière de la personne concernée et de l’intérêt général, et que les facteurs à prendre en considération dans ce contexte étaient la réalité de l’entrave à la vie familiale, l’étendue des liens des personnes concernées avec l’Etat en cause, la question de savoir s’il existait ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine d’une ou plusieurs des personnes concernées et celle de savoir s’il existait des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion15, tout en précisant que lorsqu’il y avait des enfants, les autorités nationales devaient, dans leur examen de la proportionnalité aux fins de la CEDH, faire primer leur intérêt supérieur16, le tribunal prenant en considération, dans le cadre de son analyse en l’espèce, lesdits éléments. Il est à retenir de cet arrêt que, dans le cadre de la demande de regroupement familial avec un mineur, il est nécessaire de prendre en compte l’âge de l’enfant concerné, sa situation dans son pays d’origine et son degré de dépendance vis-à-vis du regroupant, puis de vérifier la réalité de l’entrave à la vie familiale, notamment l’étendue des liens des personnes concernées avec le Luxembourg, s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine de l’une de ces personnes et s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion, tout en considérant l’intérêt supérieur de l’enfant.

En l’espèce, dans la mesure où il n’est pas allégué qu’il existerait des éléments touchant à des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion à l’encontre du frère du demandeur, le tribunal n’analysera pas ce point.

En ce qui concerne, ensuite, les liens entre le demandeur et son frère, il convient de relever qu’outre le fait que leur consanguinité n’est pas contestée, de sorte qu’ils sont à considérer comme avérés, il ressort des affirmations réitérées du demandeur, non remise en cause par le délégué du gouvernement, que son frère … a été pris en charge au sein du foyer familial du demandeur dès le remariage de sa mère, suite au décès de son père, à savoir depuis qu’… était âgé de sept ans, c’est-à-dire à partir de l’année 2012. Cette affirmation, de part d’ores et déjà de son cadre temporel, est concordante avec les autres affirmations du demandeur, respectivement avec les déclarations de ce dernier actées lors de ses entretiens menés dans le cadre de sa demande de protection internationale, lesquelles situent le départ de la mère de son foyer familial à sept ans avant l’introduction de la demande de protection internationale en question, en date 6 mai 2019, ce qui correspond à l’époque où … avait, effectivement, l’âge de sept ans, respectivement à l’année 2012, étant précisé qu’aux termes des récits des époux …, actés lors de l’instruction de leurs demandes respectives de protection internationale, ils forment un noyaux familial depuis le 23 juin 2007, date de leur mariage, élément qui rend d’autant plus plausible l’affirmation desdits époux d’avoir accueilli le jeune … dans leur foyer depuis le départ de sa mère en 2012.

14 CourEDH, 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, §§ 44 et 49.

15 CourEDH, 10 juillet 2014, Mugenzi c. France, n° 52701/09, § 44.

16 Ibidem, § 45.

14 Il échet de noter qu’… était âgé de treize ans, lorsque son frère aîné a fui Afghanistan, et était resté auprès de l’épouse du demandeur jusqu’au départ de cette dernière, ensemble avec ses trois enfants, en date du 22 août 202217, pour rejoindre le demandeur au Luxembourg, suite à l’accord du regroupement familial dans leur chef par les décisions ministérielles du 4 juillet 2022. Force est partant de constater que même si le demandeur a quitté Afghanistan à la fin de l’année 201818, son frère a continué d’être pris en charge au sein de son foyer familial jusqu’au 22 août 2022, date de départ de son épouse d’Afghanistan, tout en étant relevé que même si le jeune … ne bénéficiait pas à ce moment-là du regroupement familial avec son frère, un recours a été introduit par les soins de ce dernier à l’encontre du refus dudit regroupement afin de tenter de permettre à … de réintégrer, malgré tout, son unité familiale.

Il échet, encore, de relever qu’il ressort, par ailleurs, des éléments du dossier administratif, et plus précisément des rapports des entretiens menés par les agents du ministère dans le cadre des demandes respectives de protection internationale des époux … qu’… faisait bien partie du foyer familial de ces derniers, alors qu’à la question de l’agent tenant à la composition de leur ménage en Afghanistan19/20, tant Monsieur …, que Madame … ont chacun répondu qu’ils y vivaient ensemble avec leurs enfants et le frère du demandeur21. Ces déclarations se trouvent encore confirmées par les autres éléments du récit des époux …, alors que tout au début de son entretien, le demandeur a spontanément déclaré, après avoir fourni les éléments d’identité de son frère, « Je suis devenu responsable de lui quand ma mère s’est remariée il y a environ sept ans »22. Il a ensuite pris position, par rapport aux questions y posées par son mandataire, comme suit : à la question « Pour quelles raisons est-ce que vous êtes devenu responsable de votre frère quand votre mère s’est remariée »23, le demandeur a répondu « Parce qu’il n’a avait personne d’autre pour le garder. Et ma mère s’est remariée. Et comme je suis son grand frère… »24 ; à la question « Pour quelle raison est-ce que votre frère n’est pas parti vivre avec votre mère chez son nouveau mari ? »25, le demandeur a répondu « C’est son mari qui ne voulait pas. Et ma mère m’a dit « Maintenant tu es un grand et tu dois garder ton petit frère. » »26 ; à la question subséquente « Est-ce que ce transfert de responsabilité ou de garde a été acté quelque part ? »27, le demandeur a répondu « Vous savez très bien qu’en Afghanistan ça ne se passe pas comme ça. Ça n’existe pas »28 et à l’interrogation « Vous dites que dans votre équipe vous ainsi qu’un mineur de quatorze, quinze ans étiez les deux seules personnes à ne pas avoir été armées. Pour quelles raisons est-ce que votre frère n’avait-il pas dû rejoindre les combattants suite aux ordres des barbes blanches vu qu’il a le même âge que le mineur de votre équipe ? »29, le demandeur a répondu : « Il avait dix-sept dix-huit ans la personne qui se trouvait dans notre équipe. Il était plus âgé que mon frère. Et moi-même je ne l’ai pas laissé, j’ai dit qu’il devait rester à la maison avec ma femme et mes enfants. Ils voulaient que tout le monde participe à cette guerre. Et protéger ma femme et mes enfants.

17 Rapports d’entretien de Madame …, p.4.

18 Ibidem, p. 5.

19 Rapports d’entretien de Monsieur …, p.2, question « Avec qui avez-vous vécu ? ».

20 Rapports d’entretien de Madame …, p.2, question « Avec qui avez-vous vécu ? ».

21 Ibidem, p.2.

22 Rapports d’entretien de Monsieur …, p.4.

23 Rapports d’entretien de Monsieur …, p.10.

24 Ibidem, p. 10.

25 Ibidem, p. 10.

26 Ibidem, p. 10.

27 Ibidem, p. 11.

28 Ibidem, p. 11.

29 Ibidem, p. 11.

15Parce que notre quartier est vide. C’est pour ça. Ils étaient réfugiés ailleurs dans les villages à côté. »30. Quant à l’épouse du demandeur, elle a déclaré, lors de son entretien portant sur sa demande de protection internationale, introduite en date du 12 octobre 2022, ce qui suit :

« j’étais responsable de mes enfants et du frère de mon mari, …. (…) je m’occupais de lui après le départ de mon mari. »31. Il ressort, par ailleurs, de son récit, de manière non équivoque, que son beau-frère faisait partie de son ménage, alors qu’elle le mentionne à plusieurs reprises, à l’occasion de la description de son vécu en Afghanistan, et notamment dans le contexte des agressions, dont elle a été victime à son domicile de la part des talibans : « (…) Les talibans sont venus 3-4 fois chez moi à la maison. Les talibans ont embêté moi et mes enfants. Ils ont frappé … et moi. (…) Ils ont frappé … afin qu’il retrouve son frère. »32/33.

Au stade de son recours gracieux, le demandeur a encore versé la copie d’une « attestation relative à la prise en charge du jeune … par son grand frère …, accompagné de sa traduction en anglais » pour tenter de démontrer l’existence de liens de dépendance de son frère à son égard.

En ce qui concerne l’argumentation étatique, tout en ne contestant ni les liens de consanguinité, ni l’existence d’une vie familiale effective entre les deux frères, préexistante à la demande de regroupement familial, voire à la demande de protection internationale du demandeur, selon laquelle l’attestation de prise en charge d’… par son frère, versée par le demandeur, ne suffirait pas pour prouver le transfert de l’autorité parentale, de sorte que « le droit de garde dont se prévaut le requérant à l’égard de son frère mineur n’est prouvé par aucun document », force est au tribunal de relever qu’en l’espèce, la discussion porte sur l’existence ou non de liens entre le demandeur et son frère pouvant être protégés par l’article 8 de la CEDH, étant rappelé qu’une vie familiale effective, ainsi qu’un lien de dépendance peut, le cas échéant, exister même en absence d’un jugement accordant la garde et l’autorité parentale de la personne à regrouper au regroupant, de sorte que l’argument de la partie étatique tenant à l’absence d’une pièce justificative, telle une décision de justice en matière de tutelle, justifiant du transfert de la garde de la mère d’… vers son fils aîné, pièce justificative éventuellement difficile à obtenir dans le pays d’origine, tel que l’a, d’ailleurs, soutenu le litismandatataire du demandeur à l’audience des plaidoiries du 23 avril 2024, encourt le rejet.

Il en est de même s’agissant de l’argumentation du délégué du gouvernement tendant à attribuer à la mère d’… l’obligation de s’occuper de son fils cadet, dans la mesure où, lors de l’analyse d’une vie familiale, ce sont les éléments de faits concrets et réels qui doivent être pris en considération aux fins de l’établissement de son existence et non pas une situation purement théorique, étant, par ailleurs, relevé qu’au-delà d’un bref reproche de la partie étatique tenant à l’absence, en l’espèce, d’une pièce justificative susceptible de prouver l’abandon d’… par sa mère, le délégué du gouvernement ne fournit aucun élément de nature à remettre en cause la réalité de sa prise en charge par le demandeur en Afghanistan, telle qu’elle ressort des récits concordants de ce dernier et de son épouse à l’appui de leurs demandes de protection internationale.

Il échet dès lors en conclure qu’il existait entre le frère du demandeur et ce dernier, respectivement sa famille, des liens de dépendance particuliers, tant matériels qu’affectifs, résultant de leur communauté de vie, de la situation générale dans le pays d’origine, en proie 30 Ibidem, p. 11.

31 Rapports d’entretien de Madame …, p.6.

32 Ibidem, p. 7.

33 Ibidem, p. 8.

16au conflit armé et aux persécutions contre l’ethnie à laquelle appartiennent les deux frères, de la perte des parents communs et du jeune âge d’…. Dans cet ordre, d’idées, le tribunal entend rejeter l’argumentation de la partie étatique consistant à soutenir que la situation générale dans le pays d’origine serait indifférente pour l’analyse de la demande de regroupement familial dans la mesure où c’est le contraire qui a été retenu par la jurisprudence de la CourEDH citée ci-avant.

C’est encore à bon droit que le demandeur se réfère à l’arrêt, précité, de la CJUE du 12 décembre 2019 ayant retenu que dans l’hypothèse où le demandeur ne serait pas en mesure de procurer le soutien financier aux membres de sa famille à regrouper à la date de la demande du regroupement familial, il devrait, au moins, démontrer que « compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes, telles que le degré de parenté du membre de la famille concerné avec le réfugié, la nature et la solidité de ses autres liens familiaux ainsi que l’âge et la situation économique de ses autres parents, le réfugié apparaît comme étant le membre de la famille le plus à même à assurer le soutien matériel requis »34. Il s’ensuit que nonobstant la contestation de la part de la partie étatique de la valeur probante de l’« attestation relative à la prise en charge du jeune … par son grand frère … », il échet au tribunal de constater qu’au vu du lien familial établi et non contesté, de l’absence de la solidité des autres liens familiaux en Afghanistan, de la vulnérabilité du jeune … résultant, d’une part, de sa minorité et d’autre part, de son appartenance à l’ethnie hazâra, le demandeur est à considérer, au-delà des principes de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, comme le membre de famille le plus à même d’assurer le soutien matériel requis, ce dernier s’étant, tel qu’il ressort de son rapport d’entretien sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale, avant son départ de l’Afghanistan chargé de pourvoir à ses besoins.

Quant à l’obligation incombant au ministre de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, il convient de rappeler qu’au vu du raisonnement développé dans l’arrêt de la CourEDH, précité, du 1er décembre 200535, consistant à prendre en compte l’âge du mineur, sa situation dans son pays d’origine et le degré de dépendance avec les personnes demandant le regroupement familial, et compte tenu des développements qui précèdent, il y a dès lors lieu de retenir que l’intérêt supérieur du frère mineur du demandeur n’a, en l’espèce, pas suffisamment été pris en compte.

Au vu des considérations qui précèdent et des circonstances spécifiques de l’espèce, le tribunal est amené à retenir que le ministre, en refusant le regroupement familial dans le chef du frère mineur du demandeur, a porté atteinte à son intérêt supérieur d’enfant et au droit à la vie privée et familiale du demandeur et de son frère tel que protégée par l’article 8 de la CEDH.

La décision encourt dès lors l’annulation en ce qu’elle a refusé le regroupement familial en faveur du frère mineur du demandeur, Monsieur … ….

2) Quant au recours visant le refus d’une autorisation de séjour pour des raisons privées basée sur les liens familiaux, ainsi que d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité Eu égard à la conclusion à laquelle le tribunal vient de parvenir en ce qui concerne le recours visant le refus du regroupement familial dans le chef du frère du demandeur, il n’y a 34 CJUE, C- C-519/18, 12 décembre 2019, TB contre Bevandorlasi et Menekültügyi Hivatal.

35 CourEDH », et notamment de l’arrêt du 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00 17pas lieu de statuer sur le recours de ce dernier visant, dans le chef du prédit frère, le refus d’une autorisation de séjour pour des raisons privées basée sur les liens familiaux, respectivement pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, alors qu’une telle analyse est devenue surabondante.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule les décisions ministérielles des 14 décembre 2021 et 21 mars 2022 en ce qu’elles refusent le regroupement familial dans le chef de Monsieur … … et renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre des Affaires intérieures, entretemps compétent ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er octobre 2024 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 18


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 47336
Date de la décision : 01/10/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-10-01;47336 ?

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