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04/10/2024 | LUXEMBOURG | N°47495

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 octobre 2024, 47495


Tribunal administratif N° 47495 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47495 4e chambre Inscrit le 1er juin 2022 Audience publique du 4 octobre 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47495 du rôle et déposée le 1er juin 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Karine BICARD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats au Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à â€

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Tribunal administratif N° 47495 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47495 4e chambre Inscrit le 1er juin 2022 Audience publique du 4 octobre 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47495 du rôle et déposée le 1er juin 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Karine BICARD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats au Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Togo), de nationalité togolaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 avril 2022, portant rejet de sa demande en obtention d’une carte de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2022 par Maître Karine BICARD, préqualifiée, au nom et pour le compte de sa mandante ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en sa plaidoirie à l’audience publique du 19 mars 2024, Maître Karine BICARD s’étant excusée.

Il ressort du dossier administratif que par courrier réceptionné par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », en date du 1er juillet 2016, Madame …, demeurant à L-…, introduisit, au nom et pour le compte de sa mère, Madame …, demeurant à l’époque à … (Togo), une demande en obtention d’un visa de long séjour en vue d’un regroupement familial, laquelle fut refusée par décision ministérielle du 3 octobre 2016, conformément à l’article 101, paragraphe (1), point 1 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », au motif que Madame … ne remplissait ni les conditions de l’article 12, paragraphe (1), 1point d) de la loi du 29 août 2008, ni celle du paragraphe (2) du même article en ce qu’elle n’était notamment pas à considérer comme étant à charge de sa fille, le ministre ayant, par ailleurs, estimé que la concernée ne remplissait pas non plus les conditions en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour pour une autre catégorie prévue à l’article 38 de la même loi.

Par courrier du 27 octobre 2016, le mandataire de l’époque de Madame … introduisit, au nom et pour le compte de sa mandante, un recours gracieux contre la décision ministérielle de refus, précitée, du 3 octobre 2016.

Par décision du 30 janvier 2017, adressée au mandataire de Madame …, le ministre confirma son refus du 3 octobre 2017.

Par courrier de son litismandataire du 10 mars 2022, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de carte de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union.

Par décision du 7 avril 2022, le ministre refusa de faire droit à cette demande, déclara le séjour de Madame … sur le territoire luxembourgeois irrégulier depuis la fin du mois de janvier 2017 et lui ordonna de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours à partir de la notification de la décision en question laquelle est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande citée sous objet.

Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête étant donné que votre mandante n'a jamais été en possession d'une carte de séjour de membre de famille d'un citoyen de l'Union et qu'elle n'est pas bénéficiaire du droit de séjour de membre de famille d'un citoyen de l'Union au Luxembourg.

En effet, il ne ressort pas du dossier que votre mandante serait à charge de ses filles au sens de l'article 12, paragraphe (1), point d) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration. Je vous signale que pour déterminer si des membres de la famille sont à charge, il convient d'apprécier si les intéressés sont tributaires du soutien matériel du regroupant dans leur pays d'origine ou le pays d'où ils venaient lorsqu'ils ont demandé à rejoindre le citoyen de l'Union (et non dans l'Etat membre d'accueil où séjourne ce dernier), ce qui n'est pas le cas de votre mandante.

En ce qui concerne le droit de séjour de membre de famille prévu à l'article 12, paragraphe (2) de la loi précitée, force est de constater que votre mandante ne satisfait à aucune des conditions exigées.

Etant donné que votre mandante ne remplit pas non plus les conditions de séjour de plus de trois mois pour les ressortissants de pays tiers, l'autorisation de séjour lui est refusée en application de l'article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi précitée.

Au vu de votre courrier, votre mandante est entrée sur le territoire luxembourgeois en date du 2 octobre 2016. Conformément à l'article 34 de la loi du 29 août 2008 précitée, elle 2n'avait le droit d'y séjourner que pour une période allant jusqu'à 3 mois sur une période de 6 mois.

Ce délai ayant pris fin en janvier 2017, votre mandante est depuis lors en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

Dès lors, en application de l'article 111, paragraphes (1) et (2) de la même loi votre mandante Madame … est obligée de quitter le territoire endéans un délai de trente jours à partir de la notification de la présente, soit à destination du pays dont elle a la nationalité, le Togo, soit à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d'un autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner.

A défaut de quitter le territoire volontairement, l'ordre de quitter sera exécuté d'office et votre mandante sera éloignée par la contrainte. (…) ».

Par courrier du 11 mai 2022, le ministre convoqua Madame … au ministère pour le 19 mai 2022, en vue de l’organisation de son retour vers son pays d’origine, convocation à laquelle cette dernière ne donna pas de suite, ce qui ressort d’une note au dossier administratif du 19 mai 2022.

Par requête déposée au tribunal administratif en date du 1er juin 2022, inscrite sous le numéro 47495 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 7 avril 2022 portant rejet de sa demande d’octroi d’une carte de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union, ayant déclaré son séjour sur le territoire luxembourgeois irrégulier et lui ayant ordonné de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de décision de refus de séjour et d’ordre de quitter le territoire et au regard de l’article 113, par renvoi à l’article 109 de la prédite loi, prévoit expressément un recours en annulation contre les décisions de refus de séjour et d’ordre de quitter le territoire, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle du 7 avril 2022.

Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse passe en revue les faits et rétroactes exposés ci-avant et soutient que ses deux filles seraient de nationalité française et résideraient toutes les deux sur le territoire luxembourgeois, qu’elle vivrait auprès de sa fille … et de son époux depuis le 2 octobre 2016 et que l’autorisation de séjour lui aurait à tort été refusée au motif qu’elle serait à charge de ses filles résidant légalement sur le territoire luxembourgeois et non pas dans son pays d’origine. La carte de séjour en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union lui aurait encore été à tort refusée alors qu’elle serait en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois depuis la fin du mois de janvier 2017.

3En droit, la demanderesse se rapporte à prudence de justice quant à la motivation retenue par le ministre pour lui refuser l’octroi d’une carte de séjour d’un membre de famille d’un citoyen de l’Union.

S’agissant de l’ordre de quitter le territoire, contenu dans la décision du 7 avril 2022, la demanderesse reproche au ministre de l’avoir prononcé de manière automatique, suite au constat du caractère irrégulier de son séjour sur le territoire luxembourgeois, sans tenir compte du droit au respect de sa vie privée et familiale et de l’absence, dans son chef, d’une menace pour l’ordre public luxembourgeois.

A cet égard, la demanderesse soutient que l’ordre de quitter le territoire litigieux serait contraire à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en raison d’un lien réel et suffisamment étroit l’unissant à ses filles, Mesdames … et …, installées toutes les deux au Luxembourg, lesquelles se seraient occupées d’elle avant son arrivée sur le territoire luxembourgeois et dont elle serait entièrement dépendante, alors que les frais et son affiliation auprès du Centre commun de la sécurité sociale seraient à charge de ses filles et qu’elle serait hébergée par l’une d’elles.

En faisant valoir que plus aucun membre de sa famille ne se trouverait au Togo pour s’être tous installés au Luxembourg et que les soins disponibles au Luxembourg ne pourraient pas lui être prodigués dans son pays d’origine, la demanderesse estime que l’ordre de quitter le territoire litigieux constituerait une ingérence disproportionnée dans sa vie privée et familiale.

En se prévalant, par ailleurs, de l’absence dans son chef d’une menace à l’ordre public luxembourgeois, alors qu’elle n’aurait pas fait parler d’elle auprès des autorités judiciaires depuis son arrivée au Luxembourg le 2 octobre 2016, tout en restant auprès de sa famille pour s’occuper de sa santé et de ses petits-enfants, la demanderesse soutient que l’ordre de quitter le territoire déféré serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dans le chef du ministre.

Enfin, la demanderesse sollicite, encore, l’octroi d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500.-euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée « la loi du 21 juin 1999 ».

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse critique les conclusions du délégué du gouvernement mettant en doute la nécessité dans son chef des soins médicaux indisponibles au Togo et de l’assistance d’une tierce personne, alors qu’elle souffrirait d’une pathologie affectant ses reins, ainsi que d’une infirmité touchant sa colonne vertébrale et nécessitant une rééducation orthopédique complexe.

Elle conteste, encore, lesdites conclusions pour retenir, dans son chef, l’absence d’un lien de dépendance économique à l’égard de ses filles dans son pays d’origine, nonobstant l’ensemble des transferts d’argent dont la somme aurait atteint un montant de 8.106,38.-euros et malgré le coût de vie au Togo, pays dans lequel le salaire social minimum s’élèverait à 45.-

euros à l’époque de la demande initiale de regroupement familial, en 2016, et à 53.-euros à l’époque du recours.

4La demanderesse fait finalement valoir, dans son mémoire en réplique, qu’elle risquerait une atteinte à sa vie en cas de retour dans son pays d’origine, alors qu’elle aurait été la compagne d’un certain … …, un homme politique et le principal opposant au régime au pouvoir au Togo, ayant fait l’objet d’un mandat de dépôt en date du 3 août 2001 et d’une condamnation à une peine d’emprisonnement ferme de six mois du chef d’une prétendue diffamation à l’égard du premier ministre en fonction à l’époque, Agbéyomé KODJO, procès et condamnation dénoncés pour violation des droits de l’Homme par la Fédération Internationale des droits humains, de sorte que ce serait également des raisons politiques et vitales qui l’empêcheraient de rentrer au Togo.

Elle sollicite, finalement, qu’il lui soit donné acte de l’affirmation du délégué du gouvernement que l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre ne serait pas basé sur un motif tenant à une menace à l’ordre public.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, le tribunal rappelle que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.

Le tribunal doit constater en tout premier lieu que la décision ministérielle déférée a un triple volet, mais que la demanderesse, dans son recours ne forme aucune critique à l’égard de la décision ministérielle déclarant son séjour irrégulier, de sorte que la légalité dudit volet n’est pas remise en cause par la demanderesse et que l’analyse du tribunal devra se limiter aux deux autres volets.

Quant à la légalité interne de la décision de refus du ministre de faire bénéficier la demanderesse d’une carte de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union, il échet de relever qu’elle s’est rapportée à prudence de justice quant à la motivation de ladite décision.

Or, force est au tribunal de constater que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions, étant précisé que par moyen juridique on entend la raison de droit ou de fait invoquée devant le tribunal à l’appui d’une prétention2. Dès lors, étant donné que la demanderesse est restée en défaut de préciser dans quelle mesure la motivation du refus ministériel de la faire bénéficier d’une carte de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union serait susceptible d’annulation, le 1 Cour adm., 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 39 et les autres références y citées.

2 Voir en ce sens Trib. Adm., 11 mai 2011, n° 27182 du rôle, Pas. adm., 2023, V° Procédure contentieuse, n° 389 et l’autre référence y citée.

5moyen afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’annulation d’ordre public qui serait à soulever d’office.

En ce qui concerne l’ordre de quitter le territoire litigieux, contenu dans la décision du 7 avril 2022, il échet de relever que le ministre a constaté que la demanderesse se trouvait en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois depuis la fin du mois de janvier 2017, à savoir depuis l’expiration de son autorisation de séjour de courte durée, de sorte qu’elle s’est vue notifier, par le biais de la même décision, un ordre de quitter le territoire au sens de l’article 111, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 lequel disposait, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, que « (1) Les décisions de refus visées aux articles 100, 101 et 102, déclarant illégal le séjour d’un étranger, sont assorties d’une obligation de quitter le territoire pour l’étranger qui s’y trouve, comportant l’indication du délai imparti pour quitter volontairement le territoire, ainsi que le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé en cas d’exécution d’office.

(2) Sauf en cas d’urgence dûment motivée, l’étranger dispose d’un délai de trente jours à compter de la notification de la décision de retour pour satisfaire volontairement à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire et il peut solliciter à cet effet un dispositif d’aide au retour. Si nécessaire, le ministre peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée du séjour, l'existence d'enfants scolarisés et d'autres liens familiaux et sociaux. (…) ».

Il convient, ensuite, de relever qu’aux termes de l’article 100, paragraphe (1) de la loi du 28 août 2009, « (1) Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour, la présence d’un ressortissant de pays tiers :

a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34;

b) qui se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire;

c) qui n’est pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail si cette dernière est requise d) qui relève de l’article 117 ».

Il se dégage des dispositions qui précèdent, telles qu’elles étaient en vigueur au moment de la prise de la decision déférée, que les personnes relevant d’une des conditions fixées à l’article 100, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, à savoir, celles qui ne remplissent pas les conditions fixées à l’article 34, celles qui se maintiennent sur le territoire au-delà de la durée de validité de leur visa ou, si elles ne sont pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de leur entrée sur le territoire, celles qui ne sont pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail et celles qui relèvent de l’article 117, sont à considérer comme étant en séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour. L’article 111, paragraphe (1) de la même loi précise que les décisions visées entre autres à l’article 100, précité, sont assorties d’une obligation de quitter le territoire et que l’intéressé dispose d’un délai pour satisfaire volontairement à cette obligation. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique de la decision déclarant irrégulier le séjour d’un étranger sur le territoire luxembourgeois.

6En l’espèce, il n’est pas contesté en cause pour encore ressortir des éléments du dossier administratif qu’au moment de la prise de la décision déférée, Madame … se maintenait sur le territoire luxembourgeois au-delà de la durée de validité de son visa, telle que visée à l’article 100, paragraphe (1), point b) de la loi du 29 août 2008, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a déclaré irrégulier le séjour de la demanderesse et lui a ordonné de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Il s’ensuit que le moyen de la demanderesse tendant à reprocher au ministre d’avoir prononcé à son contre l’ordre de quitter le territoire litigieux de manière automatique encourt le rejet pour ne pas être fondé.

Ce constat n’est pas énervé par l’argument de la demanderesse tirée de l’absence, dans son chef, d’une menace pour l’ordre public luxembourgeois, lequel manque de pertinence dans la mesure où la décision ministérielle déférée portant ordre de quitter le territoire dans le délai de trente jours n’est pas basée sur le paragraphe (3) de l’article 111 de la loi du 29 août 2008.

Il échet, ensuite, de relever qu’un ordre de quitter le territoire, en tous points conforme à la législation nationale peut, cependant heurter, dans certaines hypothèses, des dispositions internationales d’essence supérieure auxquelles il se voit soumis en vertu du principe de primauté du droit international, selon lequel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative, telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH, est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne.

Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale.3 Partant, le tribunal souligne que si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH.4 Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale en application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois5.

Or, la demanderesse reproche justement au ministre d’avoir méconnu, en prononçant l’ordre de quitter le territoire litigieux, son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé en vertu de l’article 8 de la CEDH.

3 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 80 et les autres références y citées.

4 Voir par exemple en ce sens CourEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, (req. n° 1948/04), § 135, et trib. adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 476 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 477 et les autres références y citées.

7Dans ce contexte, elle invoque son état de dépendance économique envers ses filles établies au Luxembourg tant lorsqu’elle vivait au Togo que postérieurement à son arrivée au Luxembourg en octobre 2016.

En ce qui concerne la période antérieure à l’arrivée de la demanderesse au Luxembourg, force est au tribunal de constater, tel que relevé par la parie gouvernementale, que par décision du 30 janvier 2017, rendue sur recours gracieux, le ministre a définitivement rejeté la demande de visa de long séjour en vue du regroupement familial de la demanderesse avec sa fille, Madame …, décision revêtant l’autorité de chose décidée pour ne pas avoir fait l’objet d’un recours contentieux, au motif que la condition d’être à charge n’avait pas valablement été remplie par Madame …, de sorte qu’une situation de dépendance économique n’existait déjà pas à l’époque.

Le même constat s’impose quant à l’existence d’un lien de dépendance économique pour la période postérieure, dans la mesure où la demanderesse est restée en défaut d’apporter des pièces concrètes à l’appui de ses prétentions, étant encore relevé que cette dernière s’est limitée à se rapporter à prudence de justice concernant le refus du ministre de lui octroyer une carte de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union, refus motivé, entre autres, par l’absence d’un lien de dépendance économique requis par la loi.

Quant à l’existence, dans son chef, d’une vie privée et familiale effective sur le territoire luxembourgeois, susceptible d’être protégée par l’article 8 de la CEDH, il échet de constater que pour effectivement constituer un éventuel obstacle à la prise d’une décision de retour, encore faut-il évaluer la gravité de l’ingérence éventuellement opérée en prenant en considération la situation de séjour concrète des personnes concernées. En effet, si un étranger en situation irrégulière demeurant pendant plusieurs années sur le territoire luxembourgeois et y ayant créé une vie privée effective, peut certes alléguer qu’une décision de retour constitue une ingérence dans sa vie privée, il n’en reste pas moins que le caractère précaire de de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité d’une décision administrative refusant un titre de séjour avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8 de la CEDH, étant entendu que ledit article 8 ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis6 et que la Cour européenne des droits de l’homme n’accorde qu’une faible importance aux évènements de la vie d’immigrants qui se produisent durant une période où leur présence sur le territoire est contraire à la loi nationale, voire couverte par un statut de séjour précaire7. Il a ainsi été jugé que le seul fait que pendant l’instruction de ses différentes demandes ayant tendu à régulariser son séjour au pays ainsi que pendant le temps nécessaire pour l’évacuation des recours contentieux exercés à l’encontre des différentes décisions de refus, un étranger a pu demeurer sur le territoire luxembourgeois et y bénéficier d’un certain degré d’intégration caractérisant sa vie privée actuelle, est insuffisant pour établir une ingérence disproportionnée par les autorités luxembourgeoises dans sa vie privée et de celle de ses enfants, étant donné que ce développement est inhérent au fait même de séjourner pendant un certain temps dans un pays, même si c’est à titre précaire.8 6 Trib. adm., 11 juillet 2012, n° 29199 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 527.

7 Trib. adm., 10 octobre 2005, n° 19821 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 500.

8 Trib. adm., 11 juillet 2012, n° 29199 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 527.

8En l’espèce, force est au tribunal de constater que la vie privée et familiale effective au Luxembourg dont la demanderesse se prévaut dans le cadre du présent recours constitue le corollaire de son séjour illégal sur le territoire luxembourgeois, de sorte que cette vie ne saurait d’ores et déjà bénéficier du même degré de protection que celle constituée au cours d’un séjour légal.

Il échet, ensuite, de retenir qu’à défaut pour la demanderesse d’avoir contestée par voie contentieuse le refus de regroupement familial et, dès lors, de séjour sur ce fondement, matérialisé par les décisions ministérielles des 3 octobre 2016 et 30 janvier 2017, coulées en force de chose décidée, il convient de considérer que la demanderesse a accepté le refus en question. S’étant ensuite maintenue sur le territoire luxembourgeois nonobstant ce refus et sans être munie d’une quelconque autorisation de séjour en cours de validité, la demanderesse ne saurait soutenir utilement que l’ordre de quitter le territoire litigieux méconnaît le principe de proportionnalité inscrit au second paragraphe de l’article 8 de la CEDH, de sorte que son moyen tiré d’une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale résultant de l’ordre de quitter le territoire litigieux est à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant, encore, des problèmes de santé dont fait état la demanderesse et du prétendu manque de soins appropriés dans son pays d’origine, force est au tribunal de constater que cette affirmation reste en l’état de pure allégation pour n’être étallée par un quelconque élément probant soumis à l’analise du tribunal. Or, le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport aux moyens simplemente suggérés, sans être soutenu effectivement, d’autant plus qu’aucune violation des principes juridiques invoqués ne se dégage à partir des pièces et éléments se trouvant à disposition du tribunal9.

En ce qui concerne, enfin, l’affirmation de la demanderesse, soutenue pour la première fois dans son mémoire en réplique, concernant l’existence dans son chef de « raisons politiques et vitales » lesquelles l’empêcheraient de retourner dans son pays d’origine, alors qu’elle y risquerait une atteinte à sa vie en raison notamment de sa relation avec un ancien opposant politique, force est de relever que cette affirmation, non autrement étayée, constitue tout au plus une crainte hypothétique de cette dernière, se traduisant en un sentiment général d’insécurité, en ce que la demanderesse reste en défaut d’affirmer et a fortiori d’établir en quoi consisterait concrètement le risque d’atteinte à sa vie, en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte que cette allégation est dépourvue de toute pertinence. La demanderesse est, par ailleurs, restée en défaut de développer un quelconque moyen juridique y relatif.

Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Madame … de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.500.-euros sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

9 Trib. adm., 14 octobre 2002, n° 14825 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 509.

9Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 7 avril 2022 portant refus d’octroyer à la demanderesse la carte de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union, ainsi que à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 octobre 2024 par :

Paul Nourissier, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 47495
Date de la décision : 04/10/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-10-04;47495 ?

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