Tribunal administratif N° 47704 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI: LU:TADM:2024:47704 1re chambre Inscrit le 18 juillet 2022 Audience publique du 9 octobre 2024 Recours formé par Madame (A1), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47704 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2022 par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A1), née le … à … (Biélorussie), de nationalité bélarusse, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 avril 2022 portant rejet de sa demande d’autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravite ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2022 ;
Vu le courrier électronique de Maître Charles KAUFHOLD du 27 février 2024 informant le tribunal du dépôt de son mandat ;
Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour du 12 mars 2024 de Maître Eric SAYS, avocat à la cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de Madame (A1), préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN à l’audience publique du 13 mars 2024.
Le 24 juin 2019, Madame (A1) déposa une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-
après désigné par « le ministère ».
Par décision du 11 juin 2020, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre informa Madame (A1) que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Le recours contentieux introduit par Madame (A1) contre la prédite décision fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 15 juillet 2021, inscrit sous le numéro 44645 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 7 octobre 2021, inscrit sous le numéro 46337C du rôle.
En date du 5 novembre 2021, Madame (A1) introduisit une « demande de grâce pour une protection pour de raisons politiques », à laquelle elle renonça par courriel de son litismandataire de l’époque du 22 novembre 2021.
Par courrier daté du 16 novembre 2021, réceptionné par le ministère en date du 19 novembre 2021, Madame (A1) introduisit une demande d’autorisation de séjour pour vie privée.
Par décision du 22 avril 2022, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre refusa de faire droit à cette demande sur base des motifs et considérations suivants :
« […] Par la présente, j’ai l’honneur de revenir à votre courrier du 19 novembre 2021 par lequel vous sollicitez un titre de séjour pour raisons privées en vous basant sur l'article 78(3) alinéa 2 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration et sur la Convention d'Istanbul.
Un courrier de … a.s.b.l du 16 novembre 2021 joint à votre demande fait état de plusieurs violences domestiques que vous auriez subies dans votre pays d’origine, à Saint Pétersbourg et au Luxembourg de la part de votre ex-conjoint surnommé « (B1) » et de (C1), l’homme qui vous a accompagné au Luxembourg. Vous avez fait état de ces violences dans le cadre de votre demande de protection internationale, mais il ressort du prédit courrier que les violences subies à Saint Pétersbourg auraient été le fait de (C1) et non de « (B1) », fait que vous n'auriez pas osé soulever lors de votre demande de protection internationale par peur d’(C1). Ce dernier, à la suite de nouvelles violences à votre égard a été expulsé de votre domicile en date du 25 novembre 2019 sur décision du Parquet du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg. Par ailleurs, par ordonnance du 20 décembre 2019 la juge aux affaires familiales a prononcé une interdiction de retour au domicile pour une durée de trois mois consécutive à l’expiration de la mesure d'expulsion. Des copies de ces décisions sont jointes à votre demande. Vous auriez reçu des menaces de (C1), retourné en Biélorussie en janvier 2020.
En cas de retour dans votre pays d’origine vous craignez de subir à nouveau des violences de la part de « (B1) » et de (C1). Vous invoquez entre autre que la Biélorussie n’a pas ratifié la Convention d'Istanbul, que le cadre légal serait « lacunaire » et « (…) les pratiques policières ne sont pas adaptées pour répondre aux cas de violences domestiques ».
Enfin, les efforts fournis de votre part pour sortir du cycle de violence auront été vains.
Vous présentez une attestation de ASSOCIATION (D1) Luxembourgeoise d’Hygiène Mentale du 14 octobre 2021 selon laquelle vous êtes en consultation auprès d'une psychologue/psychothérapeute depuis décembre 2020 pour, je cite « (…) une prise en charge pour une problématique d'Etat de Stress Post-traumatique. Cet état est survenu suite aux nombreuse violences et agressions que Mme subi de la part de son ex-compagnon ». De même, l’attestation fait état de vos craintes en cas de retour en Biélorussie. Sont également jointes à votre courrier des photos de vos blessures passées et des ordonnances médicales.
2 Vous auriez suivi des cours et faites état d'une promesse d'embauche signée en date du 20 août 2021.
Il y a lieu de rappeler que vous avez déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 24 juin 2019, demande dont vous avez été définitivement déboutée en date du 17 octobre 2021. Les violences subies de la part de « (B1) » et de (C1) y ont été soulevées.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre demande en obtention d'une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au sens de l'article 78 (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
En effet, il ressort de l'article cité qu’« à condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité au ressortissant de pays tiers. (…) L’autorisation de séjour visée à l’alinéa 1er est accordée à la victime de violence domestique si l’autorisation est nécessaire soit au regard de la situation personnelle de la victime, à savoir sa sécurité, son état de santé, sa situation familiale ou sa situation dans son pays d'origine, soit si elle s’impose aux fins de la coopération de la victime avec les autorités compétentes dans le cadre d’une enquête ou d'une procédure pénale ».
Les décisions du Parquet du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg et du juge aux affaires familiales à l'encontre de (C1) datent de fin 2019 et il ressort d'un protocole de la police du 29 novembre 2019 versé par votre avocat lors de votre demande de protection internationale que vous n’auriez pas souhaité porter plainte contre lui. Vous ne faites pas état d’autres documents ou informations actuels. En l’espèce, il ne ressort donc pas de votre dossier qu’une enquête ou procédure pénale est en cours au Luxembourg, de sorte que cette hypothèse est à exclure.
Il ne ressort également pas de votre dossier que votre sécurité serait menacée au Luxembourg ou dans votre pays d'origine. En effet, (C1) a quitté le Luxembourg en janvier 2020 et il n’y a pas d'indications qu'il serait au Luxembourg. Par ailleurs, il ressort de l'arrêt de la Cour administrative du 7 octobre 2021 ayant statué dans le cadre de votre demande de protection internationale lors de laquelle les violences et les menaces de « (B1) » et de (C1) ont été soulevées que : « (…) il n’appert pas des éléments de la cause que les autorités en charge de la sécurité et de l'ordre publics en Biélorussie ne veulent ou ne peuvent pas fournir à l’appelante une protection effective contre les agissements dont elle fait état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou que l’appelante a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d'origine. (…) Or, en l’espèce, il ne ressort ni des déclarations de l’appelante, ni des pièces produites en cause que les autorités biélorusses compétentes refuseraient d’accorder une quelconque protection à Madame (A1), l’intéressée n’ayant même pas tenté de déposer une plainte officielle auprès de la police ou de rechercher concrètement une aide quelconque auprès des autorités biélorusses.
En effet, celle-ci s’est volontairement abstenue de déposer une plainte auprès des autorités compétentes, après s’être pourtant rendue au commissariat de police, suite à un entretien avec l’oncle de son ex-compagnon « (B1) », également policier (« Später erschien sein Onkel dieser bat mich ihm zu folgen. Er erklärte mir, dass es für mich besser ist, die Klage fallenzulassen und die Probleme mit ihm unter uns zu klären. Der Onkel wollte anscheinend keine Probleme in seiner Familie haben und wollte vermeiden, dass ein Mitglied seiner Familie vorbestraft ist.
3 Dies könnte Auswirkungen auf seine Polizeikarriere und die seines Sohnes haben », pages 4 et 5 du rapport d'entretien), et ne s’est plus adressée aux autorités policières par la suite. Partant, il y a lieu de retenir que l’appelante est restée en défaut d'entreprendre des démarches sérieuses à l'encontre des auteurs des violences domestiques par elle subies, sans pour autant fournir des raisons valables permettant de justifier cette inaction ».
De même, la Cour a retenu que « Finalement, il convient encore d’insister sur le caractère essentiellement local des actes de persécution invoqués par Madame (A1) et de retenir que celle-ci peut bénéficier d'une possibilité de fuite interne, c’est-à-dire que l'intéressée peut mener, dans une autre partie de la Biélorussie, pays ayant une superficie de 207.600 km2, une vie normale, où il peut être raisonnablement exclu que les auteurs des persécutions, respectivement des atteintes graves invoquées puissent la retrouver et où il est tout à fait possible pour elle de s'installer ». Ces conclusions ne sont pas énervées par les éléments présentés dans votre demande.
Enfin, votre état de santé, le fait d'avoir suivi des cours ou d'être en possession d'une promesse d'embauche ne sauraient suffire pour justifier l’octroi d'une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité au Luxembourg.
Par conséquent, une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité vous est également refusée conformément à l'article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration et vous restez dans l'obligation de quitter le territoire luxembourgeois. […] ».
En date du 18 mai 2022, Madame (A1) introduisit auprès du ministère une deuxième demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015, demande qui fut rejetée par décision ministérielle du 1er août 2022. Le recours contentieux introduit à l’encontre de ladite décision fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 5 octobre 2022, inscrit sous le numéro 47830 du rôle.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2022, Madame (A1) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle du 22 avril 2022, portant refus de faire droit à sa demande visant l’octroi d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité sur le fondement de l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008.
Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce.
En revanche, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi Prétentions des parties A l’appui de son recours, la demanderesse reprend en substance les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.
Elle explique, quant à l’argumentation du ministre selon laquelle elle n’aurait « pas porté plainte contre son ex-compagnon », que le Parquet du Tribunal d’Arrondissement de età Luxembourg aurait expulsé son « ancien ami prénommé Ilyas » et qu’une interdiction de retour au domicile pour une durée de trois mois consécutifs aurait été prononcée à l’encontre de ce dernier, de sorte que l’absence de dépôt d’une plainte ne justifierait pas le rejet de sa demande d’autorisation.
Ensuite, elle donne à considérer, en ce qui concerne l’affirmation du ministre selon laquelle elle pourrait s’établir dans une autre région en Biélorussie, qu’elle serait présente, sans interruption, sur le territoire luxembourgeois depuis juin 2019 et qu’elle s’y serait parfaitement intégrée sans y avoir connu « […] quelque incident que ce soit […] ».
En droit, elle sollicite l’annulation de la décision déférée pour erreur manifeste d’appréciation des faits et dans l’application du droit.
Elle reproche au ministre une application erronée des dispositions légales, en ce que sa demande d’autorisation de séjour aurait été déclarée irrecevable sur le fondement de la loi du 29 août 2008.
Elle fait valoir qu’elle remplirait les conditions de l’article 78 (3), alinéa 2 de la loi du 29 août 2008 en raison de sa situation personnelle, caractérisée par « sa sécurité, son état de santé et sa situation dans son pays d’origine ».
Dans ce contexte, elle explique qu’il résulterait de l’attestation du 14 octobre 2021 établie par l’association sans but lucratif (D1) ASBL, ci-après désignée par « ASSOCIATION (D1) », qu’elle se trouverait dans un état de stress post-traumatique, de même qu’elle aurait subi des soins médicaux « très importants » et plusieurs interventions chirurgicales.
Elle explique que son « agresseur » serait en Biélorussie et la menacerait, depuis son pays d’origine, par voie téléphonique, de sorte que son état d’anxiété s’accroîtrait.
La demanderesse souligne que le ministre souhaiterait l’expulser du territoire luxembourgeois afin qu’elle retournerait dans son pays d’origine, alors que, d’une part, « son ex-compagnon qui l’a[urait] agressée », s’y trouverait et, d’autre part, « tout porte[rait] à croire que (C1) » s’y trouverait également, de sorte que la décision du 22 avril 2022 serait un « non-sens ». Elle en conclut qu’il serait « impensable » qu’après ces « terribles épreuves de violences », elle pourrait regagner la Biélorussie, pays dans lequel se trouveraient ses agresseurs.
Elle réfute l’argumentation du ministre selon laquelle les autorités biélorusses ne refuseraient pas de lui accorder une aide et assistance, en soutenant que le président Alyaksandr LUKASHENKA aurait qualifié « d’absurde l’idée d’une loi contre la violence domestique » dans son pays, tout en se référant à un communiqué de presse, publié par Amnesty International le 9 novembre 2006.
La demanderesse fait valoir qu’au vu de ses développements antérieurs relatifs à l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008, un retour en Biélorussie l’exposerait à une situation dangereuse mettant en cause sa vie.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal L’article 78 (3), alinéa 1er de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au ressortissant de pays tiers. La demande est irrecevable si elle se base sur des motifs invoqués au cours d’une demande antérieure qui a été rejetée par le ministre. En cas d’octroi d’une autorisation de séjour telle que visée ci-dessus, une décision de retour prise antérieurement est annulée. ».
Cette disposition permet au ministre, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, d’accorder un droit de séjour s’il estime que le ressortissant du pays tiers a fait état de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité. Aux termes de cette même disposition, la demande est irrecevable si elle se base sur des motifs invoqués au cours d’une demande antérieure ayant été rejetée par le ministre.
La loi du 20 juillet 2018 portant approbation de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a ajouté un deuxième alinéa à l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008, libellé comme suit :
« L’autorisation de séjour visée à l’alinéa 1er est accordée à la victime de violence domestique si l’autorisation est nécessaire soit au regard de la situation personnelle de la victime, à savoir sa sécurité, son état de santé, sa situation familiale ou sa situation dans son pays d’origine, soit si elle s’impose aux fins de la coopération de la victime avec les autorités compétentes dans le cadre d’une enquête ou d’une procédure pénale. ».
Cette disposition, qui constitue la transposition en droit luxembourgeois de l’article 59 (3)1 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, faite à Istanbul le 11 mai 2011, ci-après désignée par « la Convention d’Istanbul », prévoit deux hypothèses spécifiques dans lesquelles l’autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité doit être accordée par le ministre, lorsque le demandeur a la qualité de victime de violence domestique, à savoir, premièrement, celle où l’autorisation de séjour est nécessaire au regard de la situation personnelle de la victime, à savoir sa sécurité, son état de santé, sa situation familiale ou sa situation dans son pays d’origine, et, deuxièmement, celle où elle s’impose aux fins de la coopération de la victime avec les autorités compétentes dans le cadre d’une enquête ou d’une procédure pénale.
En l’espèce, il se dégage des développements de la demanderesse que seule la première de ces deux hypothèses entre en ligne de compte. En effet, la demanderesse se prévaut de violences domestiques dont elle aurait été victime dans son pays d’origine, ainsi qu’au Luxembourg, sans qu’il ne soit allégué ni a fortiori établi que du fait de ces violences, une enquête ou procédure pénale serait ouverte, dans le cadre de laquelle la demanderesse serait appelée à coopérer avec les autorités compétentes.
1 Art. 59 (3) de la Convention d’Istanbul : « Les Parties délivrent un permis de résidence renouvelable aux victimes, dans l’une ou les deux situations suivantes : a) lorsque l’autorité compétente considère que leur séjour est nécessaire au regard de leur situation personnelle ; b) lorsque l’autorité compétente considère que leur séjour est nécessaire aux fins de leur coopération avec les autorités compétentes dans le cadre d’une enquête ou de procédures pénales. ».Force est au tribunal de constater que l’alinéa 2 de l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008 complète l’alinéa 1er de ce même article, mais n’y déroge pas, de sorte que les deux alinéas sont à appliquer conjointement en présence d’un demandeur se prévalant de sa qualité de victime de violences domestiques, étant encore relevé que ledit article doit également être lu à la lumière de la Convention d’Istanbul qui prévoit notamment en son article 18, paragraphe (1), invoqué par la demanderesse, que « Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour protéger toutes les victimes contre tout nouvel acte de violence. ».
S’il ressort certes de la requête introductive d’instance, ainsi que du dossier administratif et plus particulièrement (i) d’un procès-verbal de la police grand-ducale du 25 novembre 2019, (ii) d’un certificat médical du 25 novembre 2019, (iii) d’une ordonnance du juge aux affaires familiales du 20 décembre 2019 et (iv) d’une attestation de ASSOCIATION (D1) du 14 octobre 2021 que Madame (A1) a été victime de violence domestique en Biélorussie et au Luxembourg, et si, certes, la partie étatique n’a pas remis en cause la réalité d’un tel vécu dans le chef de la demanderesse, cette dernière reste cependant en défaut d’établir concrètement dans quelle mesure elle risquerait, en cas de retour en Biélorussie, à nouveau d’être exposée à des violences domestiques de la part de ses deux ex-compagnons. Dans ce contexte, le tribunal relève plus particulièrement que l’intéressée est restée en défaut d’alléguer et a fortiori d’établir une impossibilité pour elle de s’installer en Biélorussie dans une autre région que celle où résident ses ex-compagnons, alors que ce pays a une superficie de 207.600 km2. De même, elle n’a pas rapporté la preuve de l’impossibilité d’obtenir, dans son pays d’origine, une protection étatique appropriée contre les agissements de ceux-ci.
Dans ce contexte, le tribunal relève que la Cour administrative a retenu dans l’arrêt du 7 octobre 2021, précité, rendu dans le cadre de la première demande de protection internationale de Madame (A1) lors de laquelle les violences et menaces de « (B1) » et de Monsieur (C1) avaient été soulevées, qu’elle peut s’installer dans une autre partie de la Biélorussie que celle habitée par ses ex-compagnons : « […] il convient encore d’insister sur le caractère essentiellement local des actes de persécution invoqués par Madame (A1) et de retenir que celle-ci peut bénéficier d’une possibilité de fuite interne, c’est-à-dire que l’intéressée peut mener, dans une autre partie de la Biélorussie, pays ayant une superficie de 207.600 km2, une vie normale, où il peut être raisonnablement exclu que les auteurs des persécutions, respectivement des atteintes graves invoquées puissent la retrouver et où il est tout à fait possible pour elle de s’installer. […] ».
L’affirmation de Madame (A1) selon laquelle le ministre aurait à tort estimé que les autorités biélorusses ne lui refuseraient pas d’accorder une aide ou assistance, alors que le président aurait qualifié « d’absurde l’idée d’une loi contre la violence domestique », tout en se référant à cet égard à l’article intitulé « Les femmes biélorusses se tournent vers l’autodéfense pour lutter contre la violence domestique », publié par « Global Voices » le 6 mai 2020, ne saurait convaincre le tribunal, étant donné que, d’une part, la demanderesse s’est volontairement abstenue de déposer une plainte auprès de la police biélorusse et, d’autre part, il ne ressort pas des éléments du dossier que les autorités biélorusses ne pourraient ou ne voudraient pas aider la demanderesse.
Ce constat n’est pas énervé par la référence à un communiqué de presse d’AMNESTY INTERNATIONAL, intitulé « Biélorussie. La violence domestique, un secret bien gardé ». En effet, outre le fait que ce dernier a été rédigé le 9 novembre 2006, et que, de ce fait, se pose légitimement la question de l’actualité des informations y renseignées, il se dégage entre autres dudit communiqué de presse que « les auteurs de violences domestiques continuent d’agir en 7 toute impunité, car la majorité des victimes ne portent pas plainte auprès des service de police », tel que c’est le cas en l’espèce.
Dans ce contexte, le tribunal relève encore que la Cour administrative a retenu dans l’arrêt du 7 octobre 2021, précité, que : « […] les auteurs affichés des persécutions que l’appelante déclare avoir subies, à savoir ses deux ex-compagnons, sont des personnes privées sans aucun lien apparent avec les autorités biélorusses, de sorte que ces personnes ne sauraient être qualifiées d’auteurs de persécutions ou d’atteintes graves que si les autorités biélorusses ne sont pas capables, respectivement disposées à protéger l’intéressée.
Or, il n’appert pas des éléments de la cause que les autorités en charge de la sécurité et de l’ordre publics en Biélorussie ne veulent ou ne peuvent pas fournir à l’appelante une protection effective contre les agissements dont elle fait état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou que l’appelante a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.
[…] en l’espèce, il ne ressort ni des déclarations de l’appelante, ni des pièces produites en cause que les autorités biélorusses compétentes refuseraient d’accorder une quelconque protection à Madame (A1), l’intéressée n’ayant même pas tenté de déposer une plainte officielle auprès de la police ou de rechercher concrètement une aide quelconque auprès des autorités biélorusses. En effet, celle-ci s’est volontairement abstenue de déposer une plainte auprès des autorités compétentes, après s’être pourtant rendue au commissariat de police, suite à un entretien avec l’oncle de son ex-compagnon « (B1) », également policier (« Später erschien sein Onkel dieser bat mich ihm zu folgen. Er erklärte mir, dass es für mich besser ist, die Klage fallenzulassen und die Probleme mit ihm unter uns zu klären. Der Onkel wollte anscheinend keine Probleme in seiner Familie haben und wollte vermeiden, dass ein Mitglied seiner Familie vorbestraft ist. Dies könnte Auswirkungen auf seine Polizeikarriere und die seines Sohnes haben », pages 4 et 5 du rapport d‘entretien), et ne s’est plus adressée aux autorités policières par la suite. Partant, il y a lieu de retenir que l’appelante est restée en défaut d’entreprendre des démarches sérieuses à l’encontre des auteurs des violences domestiques par elle subies, sans pour autant fournir des raisons valables permettant de justifier cette inaction. […] ».2 Au vu des constatations développées ci-avant, et à défaut pour la demanderesse d’avoir établi à suffisance l’existence, dans son chef, d’un risque réel de subir, en cas de retour en Biélorussie, à nouveau des actes de violence domestique de la part de Monsieur (C1) ou de « (B1) », la décision du ministre de lui refuser une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité ne porte pas à critique, ceci tant au regard des conditions de l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008 qu’au regard des dispositions de la Convention d’Istanbul et plus particulièrement de l’article 18 (1) de ladite Convention.
En ce qui concerne finalement l’état de santé de Madame (A1), il est certes exact qu’il ressort de l’attestation de ASSOCIATION (D1) datée du 14 octobre 2021 que la demanderesse souffre d’un « Etat de Stress Post-traumatique » et qu’elle est également sous un « traitement médicamenteux et un suivi psychothérapeutique ». Il n’en reste pas moins que le tribunal ne s’est pas vu soumettre la moindre pièce probante dont il se dégagerait que dans son pays d’origine, Madame (A1) ne pourrait bénéficier d’une prise en charge médicale appropriée, de 2 Souligné par le tribunal.sorte que le ministre a valablement pu rejeter la demande de l’intéressée, même en tenant compte de l’état de santé de celle-ci.
Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent et à défaut d’autre moyen, le recours dirigé contre la décision ministérielle du 22 avril 2022 est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 octobre 2024 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 9