Tribunal administratif N° 51439 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:51439 3e chambre Inscrit le 3 octobre 2024 Audience publique du 22 octobre 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires Intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51439 du rôle et déposée le 3 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, ayant élu domicile à l’étude de Maître Karima HAMMOUCHE, préqualifiée, sise à L-2550 Luxembourg, 2, avenue du X Septembre, tendant aux termes de ladite requête à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires Intérieures du 17 septembre 2024 ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable aux termes de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ainsi que de « l’ordre implicite de quitter le territoire » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 octobre 2024.
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Le 3 janvier 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 30 août 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, statuant dans le cadre d’une procédure accélérée, déclara la demande de protection internationale de Monsieur … manifestement non fondée et lui ordonna de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours, décision qui ne fit pas l’objet d’un recours contentieux.
Le 20 octobre 2023, Monsieur … fut convoqué à un entretien au ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, pour le 2 novembre 2023 en vue d’un retour volontaire au Maroc.
Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, commissariat … du 29 octobre 2023, référencé sous le numéro … qu’en date du même jour, Monsieur … fut impliqué dans une bagarre avec d’autres habitants du foyer d’accueil.
Le 24 janvier 2024, Monsieur … fut placé au Centre pénitentiaire pour une affaire de vol.
Le 20 août 2024, il fut libéré de prison et fut placé au Centre de rétention.
Le 6 septembre 2024, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Le 9 septembre 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa deuxième demande de protection internationale.
Par décision du 17 septembre 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le 19 septembre 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-
après désigné par « le ministre », déclara la deuxième demande de protection internationale de Monsieur … irrecevable sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015. Ladite décision est libellée comme suit :
« […] En date du 6 septembre 2024, vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (2) d) de la Loi de 2015, votre demande de protection internationale ultérieure est irrecevable.
1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux Monsieur, il ressort de votre dossier administratif qu’en 2017, vous auriez quitté le Maroc moyennant des faux papiers en gagnant d’abord la Libye en avion, puis l’Italie à bord d’un bateau. Vous n’auriez pas attendu la réponse des autorités italiennes à votre demande de protection internationale et auriez pris le bus pour aller vous installer en Espagne, où vous auriez alors clandestinement séjourné de juillet 2018 à février 2020. Vous n’y avez pas introduit de demande de protection internationale alors que vous auriez vécu chez la famille.
Après le décès de votre père, vous auriez dû quitter l’Espagne puisque vous n’auriez pas réussi à régulariser votre situation.
Vous auriez alors passé quelques mois en France et en Belgique, à nouveau sans y introduire de demande de protection internationale, avant d’aller introduire une telle demande en Suisse. Comme cette demande aurait été refusée, vous auriez décidé d’en introduire une nouvelle en Allemagne. Or, étant donné qu’en Allemagne, les autorités seraient « très sévères », vous auriez décidé de partir aux Pays-Bas, où vous seriez resté pendant deux mois où vous auriez introduit une demande de protection internationale en date du 31 août 2021. Comme on ne s’y serait toutefois pas occupé de vous, vous auriez décidé de retourner vivre clandestinement en Espagne, où vous auriez du coup passé onze mois auprès de membres de famille. Ensuite, vous seriez pendant un mois allé rendre visite à votre frère à …, avant de prendre le train pour la Belgique et finalement venir introduire une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 3 janvier 2023.
Le 25 avril 2023, vous avez été interpellé par la police française en Haute-Marne.
Le 26 avril 2023, vous avez réintégré votre foyer d’accueil au Luxembourg.
Le 8 août 2023, vous avez été informé que le Luxembourg est devenu responsable de l’examen de votre demande de protection internationale alors que votre transfert vers l’Italie n’a pas pu se faire dans les délais prévus par la loi.
Votre demande de protection internationale a par la suite été refusée par décision ministérielle du 30 août 2023 dans le cadre d’une procédure accélérée.
Vous aviez invoqué à la base de cette demande être de nationalité « berbère, amazigh, non marocain » alors que vous ne reconnaitriez pas le Maroc, être divorcé et originaire de …. Au Maroc, vous auriez travaillé dans l’agriculture et comme vous n’auriez pas pu payer les allocations suite à votre divorce, vous vous seriez tourné vers le commerce de haschisch, en transportant cette marchandise pour un groupe vers l’Espagne. Vous craindriez désormais « la mort. La prison. La prison, on peut la supporter ». Vous auriez par le passé travaillé avec les dénommés … et … dans le transport de haschisch vers l’Espagne, mais en 2016, votre marchandise aurait été confisquée par la marine espagnole. Vous auriez alors été placé en prison en Espagne et votre père aurait payé votre caution pour vous faire libérer après un mois de détention. Après votre libération, en 2016, vous seriez retourné au Maroc.
Vous auriez alors dû vous déplacer d’un endroit à l’autre alors que vos anciens partenaires seraient désormais à votre recherche étant donné qu’ils seraient d’avis que vous auriez volé leur marchandise confisquée. Dans ce contexte, vous vous seriez une fois promené à …, lorsqu’une voiture se serait arrêtée et que trois personnes, selon vous trois hommes de main d’… et d’…, seraient sortis. Vous auriez immédiatement commencé à courir et un des hommes en question aurait tiré plusieurs fois en votre direction en vous touchant une fois au tibia. La police serait intervenue et aurait pris des photos. Vous auriez été soigné à l’hôpital et auriez porté plainte. Vous n’auriez toutefois pas raconté la vérité aux policiers pour ne pas vous retrouver en prison vous-même. Après cet incident, vous n’auriez plus connu de problèmes au Maroc, où vous seriez encore resté pendant trois mois.
Vous aviez ajouté que votre deuxième problème au Maroc concernerait votre ex-épouse alors que cela ferait désormais six ou sept ans que vous n’auriez pas versé d’allocations et que vous risqueriez par conséquent une peine de prison de quatre à cinq ans.
Vous n’auriez pas les moyens de verser ces allocations.
Vous aviez ajouté que vous ne feriez pas confiance aux autorités et que vous ne croiriez, ni au gouvernement, ni au roi. Convié à préciser votre problème avec les autorités, vous parlez de disputes entre les berbères et la police, respectivement, de manifestations qui auraient lieu dans le Rif depuis 2007, voire, depuis les années 1970, organisées par des tribus locales pour « montrer qu’on était les premiers habitants du Maroc » et qui auraient été suivies par des interventions de la police. Vous vous plaignez dans ce contexte de bagarres avec la police et du fait que vous auriez été fouillé par la police en marchant tranquillement dans la rue. En 2011, vous auriez une fois été arrêté avant d’être libéré.
Depuis, vous n’auriez plus connu de tels soucis. Néanmoins, à cause de ces manifestations et de la condamnation à vingt ans de prison du dénommé … pour avoir réclamé ses droits, vous craindriez également d’être condamné à une peine de prison. Dans ce contexte, vous ajoutez avoir déjà été condamné à une peine de prison de huit mois en 2015, parce qu’un informateur vous aurait faussement dénoncé comme étant impliqué dans le trafic de drogues.
Vous n’avez pas introduit de recours contre cette décision ministérielle, de sorte que la décision est passée en force de chose décidée.
Le 20 octobre 2023, vous avez reçu en mains propres votre convocation afin de vous présenter auprès de la Direction générale de l’immigration en vue de préparer votre retour volontaire au Maroc.
Le 29 octobre 2023, vous étiez impliqué dans une bagarre avec d’autres habitants de votre foyer d’accueil (rapport de police …), altercation qui a rendu nécessaire l’intervention de la police.
Le 24 janvier 2024, vous avez été placé au Centre pénitentiaire pour une affaire de vol.
Le 20 août 2024, vous avez été libéré de prison et avez alors réintégré le Centre de rétention en vue de préparer votre mesure d’éloignement.
Le 6 septembre 2024, vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale.
Enfin, il convient encore de noter que vous êtes connu sous les trois identités suivantes : …, né le …, alias, …, né le …, alias, …, né le …, de nationalité marocaine.
2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale ultérieure Monsieur, vous déclarez être de nationalité marocaine, célibataire et originaire de ….
Vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale parce que vous craindriez d’être arrêté par la police au Maroc. « il y a deux semaines » (p. 4 du rapport d’entretien), donc fin août 2024, elle serait passée chez votre mère pour la demander où vous vous trouveriez. Vous prétendez par la suite que la police serait passée « plusieurs fois, toujours » (p. 4 du rapport d’entretien) chez votre mère, voire, « c’était plus d’une dizaine de fois » (p. 4 du rapport d’entretien), voire, « tous les jours » (p. 4 du rapport d’entretien).
Vous prétendez que la police serait à votre recherche « pour l’affaire de pension alimentaire » (p. 4 du rapport d’entretien) et à cause de mes « activités en tant qu’amazigh contre l’état (sic) » (p. 4 du rapport d’entretien), respectivement, « mes mouvements AL Rif lors des manifestations » (p. 4 du rapport d’entretien) qui auraient commencé en 2000 et se seraient poursuivies jusqu’en 2017 ou 2019. Vous ne reconnaitriez toujours pas le drapeau marocain et vous seriez en outre menacé par l’Etat à cause de « mon tatouage et mes photos, que je transmettrai » (p. 4 du rapport d’entretien).
A cela s’ajoute que vos ex-beaux-frères vous auraient menacé parce que vous auriez divorcé de leur sœur.
A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez une copie d’une photo qui vous montrerait participer à une manifestation à un lieu et une date inconnus.
3. Quant à l’irrecevabilité de votre demande de protection internationale ultérieure En vertu des articles 28 (2), point d) et 32 de la Loi de 2015, le Ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.
Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.
Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.
Monsieur, malgré le fait que vos déclarations sont très confuses et qu’il est difficile de savoir de qui et pour quelles raisons vous avez effectivement peur, il semble que vous invoquez trois motifs de fuite à la base de votre deuxième demande de protection internationale à savoir, premièrement que vous risquez d’être emprisonné en raison du non-paiement de la pension alimentaire à votre ex-épouse, deuxièmement que vous risquez d’être emprisonné en raison de vos prétendues « activités en tant qu’amazigh contre l’état (sic) » (p. 4 du rapport d’entretien), respectivement, vos « mouvements Al Rif lors des manifestations » (p. 4 du rapport d’entretien) qui auraient commencé en 2000 et se seraient poursuivies jusqu’en 2017 ou 2019, et troisièmement que vous seriez tué par vos ex-beaux-frères alors que vous auriez divorcé.
Monsieur, quant aux deux premiers motifs de fuite, il y a lieu de soulever que vous les aviez déjà invoqués et qu’ils ont fait l’objet d’une analyse dans le cadre de votre première demande de protection internationale, de sorte qu’il ne s’agit pas de motifs de fuite nouveaux.
En effet, vous aviez déjà mentionné votre prétendue participation à des manifestations et le fait que vous auriez à l’époque été arrêté et frappé par la police, tout comme vous aviez déjà parlé de votre appartenance ethnique amazigh ou berbère, de votre prétendu rejet de l’État et du drapeau marocain et de façon générale de manifestations qui auraient eu lieu dans le Rif depuis 2007, voire, depuis les années 1970.
Il en est de même de vos prétendues problèmes ou craintes concernant le non-
versement d’allocations familiales à votre ex-épouse. En effet, vous aviez déjà parlé dans le cadre de cette première demande du fait que cela ferait six ou sept ans que vous n’auriez pas versé d’allocations et que vous risqueriez par conséquent une peine de prison de quatre à cinq ans. A part le constat qu’il vous avait été communiqué dans le cadre du refus de votre première demande de protection internationale que le fait de risquer une peine de prison pour ne pas verser d’allocations et ne pas se tenir à ses obligations ne constitue nullement une persécution mais bien une sanction légale également prévue au Luxembourg, vos peurs en lien avec ces allocations familiales ne sauraient donc clairement pas non plus être perçues comme des éléments nouveaux au sens dudit article 28.
Vous expliquez certes dans le cadre de la présente demande que l’élément nouveau serait le fait que la police serait à votre recherche et qu’elle serait passée à plusieurs reprises chez votre mère, or, il échet de soulever que la sincérité de vos propos sur ce point ne saurait être retenue alors que vous ne restez non seulement en défaut de corroborer vos déclarations par des preuves et pièces quelconques mais qu’en plus, vos déclarations sont vagues et incohérentes.
En effet, vous voulez d’abord faire croire que fin août 2024, des policiers se seraient présentés chez votre mère pour la demander où vous vous trouveriez, tandis que vous prétendez toutefois par la suite qu’en fait, ces policiers seraient « toujours » venus chez vous, ou tous les jours, voire, plus d’une dizaine de fois, tout en précisant que vous en auriez déjà été au courant lors de votre séjour en prison au Luxembourg. Or, étonnement, vous n’aviez pendant tout ce temps en prison pas éprouvé le besoin d’introduire une demande de protection internationale ultérieure, besoin qui n’est apparemment apparu que lorsque vous avez compris que votre éloignement vers le Maroc serait imminent après l’émission de votre laissez-passer par les autorités marocaines.
Dans ce même contexte, il convient de noter qu’il n’est manifestement pas plausible non plus que la police ne vous ait à aucun moment recherché au Maroc à cause de votre participation auxdites manifestations alors que vous précisez ne plus y avoir connu de soucis avec la police depuis 2011, mais que comme par hasard, suite au refus de votre première demande de protection internationale en 2023, et sept ans après votre départ du Maroc en 2017, elle se serait en 2024, mise à vous rechercher pour des faits vieux d’une dizaine d’années ou plus.
Comme déjà mentionné dans la décision ministérielle de refus de votre première demande de protection internationale, contre laquelle vous n’avez d’ailleurs pas introduit de recours devant les juridictions administratives, il est d’autant plus permis de douter de votre sincérité, voire, de la gravité de votre situation au Maroc au vu de votre comportement adopté en Europe. Alors qu’on doit pouvoir attendre d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée qu’elle introduise une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, il ressort pourtant de vos dires que vous auriez d’un côté préféré voyager clandestinement à travers l’Europe pendant des années et de l’autre côté, même pas voulu attendre la réponse des autorités à vos demandes de protection internationale.
En effet, après que vous seriez arrivé à bord d’un bateau en Italie et que vous y avez introduit une demande de protection internationale, vous avez après un moment décidé de quitter ce pays sans attendre la réponse des autorités à votre demande, pour voyager clandestinement à travers la France et puis vous installer pendant deux ans de manière irrégulière en Espagne. Vous n’avez en outre à aucun moment tenté de rechercher une forme quelconque de protection en Espagne sous prétexte que vous auriez vécu auprès de votre famille, même après que vous y auriez pourtant en vain tenté de régulariser votre situation suite à la mort de votre père.
Ensuite, vous auriez décidé de passer quelques mois clandestinement en France, à nouveau sans y rechercher de protection, pour par la suite faire pareil en Belgique. Ensuite, après le refus de votre demande de protection internationale en Suisse, vous auriez décidé d’aller introduire une nouvelle demande en Allemagne en ne jugeant toutefois pas opportun de rester dans ce pays alors que les autorités y seraient « très sévères », respectivement, parce qu’« Il n’y a pas de travail au noir en Allemagne. On ne peut pas y vivre. Je n’avais presque rien à manger » (p. 8 du rapport d’entretien Dublin III). Ainsi, vous êtes parti introduire une nouvelle demande de protection internationale aux Pays-Bas mais vous n’auriez à nouveau pas voulu rester dans ce pays sous prétexte cette fois-ci qu’on ne se serait pas occupé de vous. Vous auriez finalement décidé de retourner vivre clandestinement en Espagne pendant onze mois, suivi d’un séjour irrégulier d’un mois à … avant de repartir pour la Belgique et venir introduire une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg. On peut d’ailleurs pareillement attendre d’une telle personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée qu’elle tente de s’intégrer dans son pays hôte qui lui offrirait toit et protection plutôt que de se faire remarquer pour son caractère délinquant ou agressif et une condamnation à une peine de prison.
Il faut déduire de ces constats qu’il paraît évident que vous n’avez introduit cette demande ultérieure que dans le seul but d’empêcher ou d’éviter la décision d’éloignement qui a été prise à votre encontre et nullement à cause d’une prétendue crainte d’être victime de persécutions ou d’une atteinte grave au Maroc.
Nonobstant la question de la crédibilité de vos déclarations sur ce point, il convient encore de noter que le seul fait que des policiers seraient passés chez votre mère et seraient à votre recherche ne saurait en aucun cas augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
En effet, il ne ressort pas de vos déclarations que vous seriez recherché par la police en raison de votre race, de votre nationalité, de votre religion, de vos opinions politiques ou encore de votre appartenance à un groupe social. Ce constat est corroboré par le fait qu’il n’est manifestement pas possible de se faire une idée claire et détaillée de ce que la police serait vraiment venue faire chez vous, ni pourquoi elle voudrait savoir où vous vous trouveriez. Vos déclarations sur ce sujet ne constituant en fait que des pures suppositions alors que vous avancez d’un côté la théorie des allocations non payées et de l’autre côté votre participation à des manifestations et vous n’êtes donc pas non plus en mesure de corroborer vos problèmes ou craintes par des preuves quelconques. Le seul versement de la copie d’une photo qui vous montre lors d’un agroupement de gens à une date inconnue, un lieu inconnu et pour un motif inconnu ne saura en tout cas nullement servir comme preuve à l’appui de vos dires et manifestement pas non plus comme preuve que la police vous rechercherait pour vos activités au cours des manifestations auxquelles vous auriez participé avant votre départ du Maroc en 2017.
D’ailleurs, au vu de votre passé criminel et de votre refus de payer la pension alimentaire à votre ex-épouse le passage des policiers chez votre mère peut avoir une raison tout à fait légitime. En tout cas, vous n’établissez pas le contraire et il y a lieu de conclure que le seul fait que des policiers soient passés chez votre mère et qu’ils soient à votre recherche ne saurait être considéré comme acte de persécution ou atteinte grave pouvant justifier l’octroi d’une protection internationale dans votre chef.
Enfin, en ce qui concerne votre troisième motif de fuite, à savoir les prétendues menaces proférées à votre encontre par vos ex-beaux-frères, force est de constater que vous ne les avez effectivement pas mentionnées dans le cadre de votre première demande de protection internationale mais que vous n’étiez manifestement pas dans l’incapacité de les mentionner dans le cadre de cette procédure. En effet, vous étiez déjà divorcé avant même de quitter le Maroc en 2017 et il ne ressort pas de vos dires que vous y seriez à un moment donné retourné depuis. Les menaces reçues auraient donc forcément été proférées avant votre départ du pays de sorte que vous auriez dû en faire part dans le cadre de cette première demande de protection internationale.
Enfin, et à toutes fins utiles, il s’avère que les menaces n’auraient pas été proférées à votre encontre en raison d’un des cinq motifs de fond définis dans la Convention de Genève et la Loi de 2015, mais s’inscrivent dans le cadre d’un simple conflit familial. Par ailleurs, de simples menaces, non suivies d’un acte concret, ne sauraient être considérées comme constituant un acte de persécution, voire une atteinte grave. Partant, ce troisième motif à la base de votre deuxième demande ne saurait pas non plus augmenter de manière significative la probabilité de vous remplissiez les conditions d’octroi d’une protection internationale, ceci d’autant plus qu’il ne ressort nullement de vos dires que vous auriez tenté de dénoncer vos ex-beaux-frères ou de déposer plainte contre eux, ni que vous n’auriez pas pu compter sur l’aide ou la protection des autorités marocaines.
Partant votre demande en obtention d’une protection internationale ultérieure est déclarée irrecevable. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2024, inscrite sous le numéro 51439 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 17 septembre 2024 ayant déclaré irrecevable sa deuxième demande de protection internationale.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date 4 octobre 2024, inscrite sous le numéro 51444 du rôle, il a encore fait introduire un recours tendant à voir ordonner le sursis à exécution, sinon à voir instaurer une mesure de sauvegarde par rapport à la décision en question jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, requête qui fut rejetée par ordonnance du président du tribunal administratif du 8 octobre 2024.
Etant donné que la décision attaquée est fondée sur l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35, paragraphe (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base dudit article 28, paragraphe (2), un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle du 17 septembre 2024.
Ledit recours est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels que retranscrits ci-avant.
En droit, et en ce qui concerne la légalité externe de la décision ministérielle litigeuse, le demandeur conclut en premier lieu à une violation de ses droits de la défense. A cet égard, il invoque un vice de procédure lié à l’absence d’information dans son chef de la date de son audition portant sur les motifs à la base de sa deuxième demande de protection internationale au Centre de rétention dans un délai raisonnable lui permettant de préparer efficacement sa défense en mandatant un avocat. Il donne plus particulièrement à considérer qu’il n’aurait pas été informé préalablement et en temps utile de la date de son audition, de sorte qu’il n’aurait pas été en mesure de mandater un avocat qui aurait pu le préparer à cette audition et qui aurait pu l’aider à soumettre des documents pertinents dans le cadre de l’instruction de sa demande.
Cette absence d’information préalable serait d’autant plus préjudiciable qu’il se trouverait actuellement placé en rétention, dans l’attente de son expulsion et que l’audition en question aurait eu lieu trois jours seulement après le dépôt de sa deuxième demande de protection internationale. Il se serait dès lors trouvé dans l’impossibilité de mandater un avocat et de bénéficier du soutien effectif de celui-ci lors de son entretien.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision litigieuse, le demandeur estime que ce serait à tort que le ministre a retenu qu’il n’aurait pas présenté de faits nouveaux à la base de sa deuxième demande de protection internationale, voire que les faits présentés ne seraient pas pertinents pour ne pas rentrer dans le cadre des conditions prévues pour bénéficier du statut de réfugié, sinon du statut conféré par la protection subsidiaire. A cet égard, il rappelle avoir soulevé trois faits nouveaux au sens de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, à la base de sa deuxième demande de protection internationale, à savoir (i) le fait que la police se serait rendue à plusieurs reprises chez sa mère en raison des pensions alimentaires qu’il aurait omis de verser à son ex-épouse et en raison de son lien avec le mouvement « AL RIF », (ii) son passé d’activiste du mouvement contestataire contre l’autorité marocaine, lequel l’exposerait à des persécutions en cas de retour au Maroc, et (iii) son passé de membre d’une milice mafieuse dans le milieu de la drogue.
Il donne plus particulièrement à considérer que sa mère aurait reçu des menaces tant de la part de la milice mafieuse du milieu de la drogue, que de la part des autorités policières marocaines et de la part ses beaux-frères, le demandeur expliquant que ces derniers tenteraient de le localiser en raison des pensions alimentaires dues à son ex-épouse.
A l’appui de ses affirmations, il se prévaut d’un courrier de sa mère dans lequel celle-ci solliciterait « la protection de son fils qui est recherché par la police » et qui serait « menacé de mort ».
Le demandeur estime que ces menaces seraient à considérer comme faits nouveaux au sens de l’article 32, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 tout en soulignant que la circonstance qu’il n’aurait pas fait état de ces mêmes menaces lors de son incarcération ne pourrait avoir d’effet sur la qualification à donner à ces mêmes faits et ne saurait le priver de la possibilité lui offerte de solliciter la réouverture de sa demande de protection internationale.
En ce qui concerne son passé d’activiste, le demandeur, en se prévalant d’un document établi par l’association « Liberté de Rif » et qui corroborait ses dires à cet égard, fait plaider qu’il s’agirait également d’un élément de nature à permettre la réouverture de l’examen de sa demande de protection internationale. Il est en effet d’avis que le fait d’avoir été activiste au sein du mouvement « Liberté de Rif » l’exposerait, en cas de retour au Maroc, à un emprisonnement arbitraire, emprisonnement qui devrait être qualifié de persécution au sens de l’article 1A de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, (ci-après dénommée « la Convention de Genève », sinon d’atteinte grave au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 Au vu des considérations qui précèdent, le demandeur conclut à l’annulation de la décision litigieuse pour autant que celle-ci a déclaré irrecevable sa deuxième demande de protection internationale.
A l’appui de son recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, il fait valoir qu’au vu de ce qui précède et en vertu du principe de précaution, la décision en question serait à annuler, le demandeur soulignant qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à un risque réel de subir des atteintes graves, le demandeur réfutant encore les conclusions du ministre selon lesquelles l’introduction de sa nouvelle demande de protection internationale aurait été dictée par sa volonté de retarder au d’empêcher son éloignement.
Le délégué du gouvernement, de son côté, conclut au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une violation des droits de la défense, force est de constater que le demandeur base ledit moyen en substance sur l’allégation qu’il n’aurait pas été en mesure de contacter un avocat avant son entretien avec un agent de la direction générale de l’immigration, le demandeur mettant à cet égard en exergue qu’il n’aurait pas été informé en temps utile de la date dudit entretien, lequel aurait d’ailleurs eu lieu trois jours seulement après l’introduction de sa demande de protection internationale.
Il convient à cet égard de rappeler que l’entretien dont a bénéficié le demandeur dans le cadre de sa deuxième demande de protection internationale n’est qu’une simple faculté prévue par le législateur, l’article 34, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant en effet que « […] Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien ».
Il y a ensuite lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 13, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 aux termes duquel :
« (2) Le demandeur a le droit à un entretien personnel sur le fond de sa demande de protection internationale avec un agent du ministre, sans préjudice des articles 28 et 32.
Il se présente à l’entretien et répond personnellement aux questions qui lui sont posées par l’agent du ministre, qui mène l’entretien. Il peut se faire accompagner par un avocat qui, à la fin de l’entretien, a la possibilité de formuler des observations.
L’absence d’un avocat n’empêche pas les agents du ministre de mener un entretien personnel avec le demandeur, sans préjudice de l’article 20. ».
Il s’ensuit que si le demandeur de protection internationale a certes le droit de se faire assister par un avocat lors de son entretien relatif à sa demande de protection internationale par un agent ministère, la présence de l’avocat lors de ce même entretien n’est toutefois pas obligatoire, l’article 13, paragraphe (2) précité prévoyant expressément que l’absence de l’avocat n’empêche pas l’agent ministériel de mener l’entretien personnel avec le demandeur de protection internationale.
Il s’ensuit que l’absence de l’avocat durant l’entretien ne saurait entacher la décision du ministre d’illégalité, de sorte que les développements y relatifs sont à rejeter pour être dénués de tout fondement.
Cette conclusion s’impose d’autant plus qu’il ressort sans équivoque des pièces figurant au dossier administratif que le demandeur avait non seulement valablement été informé de son droit de bénéficier d’un avocat, mais qu’il avait en outre, à tout moment, accès à un avocat. Il résulte en effet, de la fiche d’introduction d’une demande de protection internationale du 6 septembre 2024, signée par le demandeur-même, que ce dernier a été informé, dans une langue qu’il comprend, de son droit de se faire assister par un avocat, et qu’il a par ailleurs été rendu attentif au fait qu’il lui « incombe de faire les démarches nécessaires pour qu’un avocat soit présent lors de l’entretien fixé ». Il convient ensuite de noter que dans sa fiche de données personnelles remplie et signée par le demandeur à la même date, il a expressément indiqué qu’il dispose d’un avocat, à savoir Maître Philippe STROESSER. Finalement, et tel que relevé à juste titre par le juge du provisoire, il échet de relever que le demandeur n’a à aucun moment, serait-ce avant son entretien ou durant celui-
ci, demandé qu’il soit reporté ou qu’il puisse bénéficier d’un entretien complémentaire, le concerné ayant au contraire encore précisé disposer d’un avocat, puisqu’il a affirmé transmettre des documents à celui-ci1.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, les développements du demandeur relatifs à une prétendue violation de ses droits de la défense sont à rejeter pour ne pas être fondés.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision ministérielle litigieuse, il y a d’abord lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants :
[…] d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale […] ».
Aux termes de l’article 32 de la même loi, « (1) Constitue une demande ultérieure une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 23, paragraphes (2) et (3).
1 Page 5/8 du rapport d’entretien du 9 septembre 2024.
(2) Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure, ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie.
(3) Le ministre procède à un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point d). Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.
(4) Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. […] ».
Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure - c’est-à-dire une demande de protection internationale introduite après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure émanant de la même personne, y compris, notamment, le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande -, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.
Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir que (i) le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, (ii) les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et (iii) le demandeur ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.
Il appartient dès lors au tribunal de procéder à l’analyse des éléments soumis en cause par le demandeur afin de vérifier le caractère nouveau de ces éléments ainsi que leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure laquelle doit, aux termes de l’article 32, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, avoir fait l’objet d’une décision finale.
En l’espèce, il ressort du dossier administratif que la demande de protection internationale du demandeur faisant l’objet de la décision actuellement déférée a été introduite le 6 septembre 2024, soit après le rejet définitif de sa première demande de protection internationale par décision ministérielle du 30 août 2023, décision coulée en force de chose décidée pour ne pas avoir fait l’objet d’un recours contentieux, de sorte que la demande actuellement litigieuse doit être qualifiée de demande ultérieure au sens de l’article 32, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, précité.
S’agissant ensuite de la question de savoir si les éléments soumis par le demandeur dans le cadre de la demande nouvelle peuvent être qualifiés de nouveaux au sens des articles 28 et 32, précités, de la loi du 18 décembre 2015, il échet d’abord de souligner qu’il doit s’agir d’éléments qui, d’une part, sont postérieurs à la décision ministérielle de rejet de la demande initiale et à la procédure contentieuse afférente, et, d’autre part, doivent comporter des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution, le demandeur devant, par ailleurs, avoir été dans l’incapacité – sans faute de sa part – de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente en ce compris la procédure contentieuse2, étant, à cet égard, encore relevé qu’une demande de protection internationale fondée sur les mêmes faits que ceux produits dans le cadre d’une première demande d’asile ne contient pas des éléments ou faits nouveaux et ne saurait dès lors fonder une nouvelle demande de protection internationale sous peine de heurter l’autorité de chose jugée dont est revêtue la première décision judiciaire ayant débouté le demandeur de sa demande de protection internationale3.
En l’espèce, il ressort de la lecture de la décision de rejet du 30 août 2023 que dans le cadre de sa précédente demande de protection internationale, le demandeur s’est prévalu de du fait qu’il serait de nationalité « berbère, amazigh, non marocain », qu’il ne reconnaitrait pas le Maroc, le demandeur ayant encore fait état de manifestations dans le Rif, raison pour laquelle il craindrait une peine d’emprisonnement. Il avait encore fait valoir qu’après avoir travaillé dans l’agriculture, il se serait tourné « vers le commerce de haschisch » en transportant cette même marchandise pour un groupe de trafiquants. Il avait plus particulièrement expliqué qu’il craindrait des représailles de la part de membres de ce même groupe alors que ceux-ci seraient d’avis qu’il leur aurait volé de la marchandise A cet égard, il avait encore mentionné une agression physique de la part de ces individus. Le demandeur avait par ailleurs précisé ne pas avoir payé de pension alimentaire à son ex-épouse depuis six ou sept ans, de sorte qu’il risquerait une peine de prison de quatre à cinq ans.
Le tribunal constate ensuite que, dans le cadre de sa deuxième demande de protection internationale, le demandeur se prévaut de ces mêmes faits. Il ressort en effet des déclarations du concerné, que ce soit en instance précontentieuse ou encore dans le cadre du recours sous analyse qu’il craint d’être emprisonné en raison du non-paiement des pensions alimentaires à son ex-épouse, sinon en raison de ses « activités en tant qu’amazigh contre l’Etat », voire de son implication dans le « mouvement AL Rif lors des manifestations » ou encore de son passé de membre d’une milice mafieuse dans le milieu de la drogue, et qu’il risquerait d’être tué par ses ex-beaux-frères en raison de son divorce.
2 Trib. adm., 6 décembre 2006, n° 22137 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 91 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 13 septembre 2006, n° 21849 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 88 et l’autre référence y citée.
Tel que le tribunal vient de le noter ci-avant, le demandeur avait, dans le cadre de sa première demande de protection internationale, d’ores et déjà explicitement mentionné le fait qu’il serait amazigh, qu’il aurait participé à diverses « manifestations dans le Rif » et ne reconnaîtrait pas l’Etat, voire le drapeau marocain. De même, il avait, à l’époque déjà, précisé ne pas avoir payé de pension alimentaire à son ex-épouse depuis de nombreuses années, de sorte qu’il risquerait une peine d’emprisonnement. Pareillement il avait déjà fait état des menaces qu’il aurait reçues de la part de membres de ses anciens partenaires dans le trafic de drogue. Il s’ensuit que l’ensemble de ces faits ont ainsi déjà fait l’objet d’une analyse dans le cadre de sa première demande de protection internationale, de sorte qu’il ne s’agit pas d’éléments nouveaux au sens de l’article 32 précité de la loi du 18 décembre 2015.
En ce qui concerne le passé d’activiste dont le demandeur fait état, il convient encore de noter, outre le fait que celui-ci a d’ores et déjà été pris en compte dans le cadre de l’examen de la première demande de protection internationale du demandeur, que les deux certificats établis par l’association « Liberté du Rif », datés respectivement du 2 octobre 2016 et du 11 février 2017 et censés prouver cet activisme, n’ont été communiqués au ministre que dans le cadre du recours en annulation sous analyse, soit postérieurement à la décision du 17 septembre 2024, de sorte qu’il ne saurait, en tout état de cause, être reproché à ce dernier de ne pas en avoir tenu compte au moment de prendre la décision litigieuse.
A cela s’ajoute que ces deux certificats ont été établis il y a environ neuf ans, de sorte que le demandeur aurait pu les verser dans le cadre de l’introduction de sa première demande de protection internationale, et qu’ils ne sauraient, dès lors, en tout état de cause pas être qualifiés d’éléments nouveaux, le demandeur restant en défaut de prouver qu’il aurait, sans faute de sa part, été dans l’incapacité de se prévaloir desdits certificats au cours de la précédente procédure.
En ce qui concerne les prétendues visites de la police marocaine chez la mère du demandeur, il convient d’abord de souligner que le tribunal partage les doutes de la partie étatique en ce qui concerne la sincérité des propos du concerné à cet égard. Il ressort en effet de la lecture du rapport d’entretien du 9 septembre 2024 que le demandeur y avait d’abord déclaré que les policiers se seraient rendus deux semaines avant son entretien chez sa mère, pour ensuite affirmer que ces mêmes policiers seraient venus plusieurs fois, voire « toujours », respectivement plus d’une dizaine de fois, tout en soutenant ensuite qu’il aurait déjà été au courant de ces mêmes visites lors de son emprisonnement au Luxembourg, emprisonnement qui avait pris fin le 20 août 20244. Les déclarations du demandeur en ce qui concerne ces prétendues visites sont dès lors non seulement truffées d’incohérences, mais ont, par ailleurs, été faites in tempore suspecto, à savoir près de deux semaines après son placement en rétention en vue de son éloignement vers le Maroc, lequel était imminent.
Par ailleurs, et même à supposer que la mère du demandeur ait effectivement reçu des visites de la police, serait-ce en raison du non-paiement par le concerné des pensions alimentaires dues à son ex-épouse, voire en raison de ses « mouvements Al Rif, lors des manifestations », ou encore en raison de son passé de trafiquant de drogue, force est de constater, à l’instar du juge du provisoire, que celles-ci se situent en tout état de cause dans la continuité des motifs de fuite qu’il avait avancés dans le cadre de sa première demande de protection internationale, de sorte qu’elles ne sauraient être qualifiées d’éléments nouveaux 4 Page 4/8 du rapport d’entretien du 9 septembre 2024.
pour avoir d’ores et déjà été analysées et rejetées dans le cadre de la décision ministérielle prémentionnnée du 30 août 2023.
Quant aux prétendues menaces dont il ferait l’objet de la part de ses ex-beaux-frères, il échet de relever que Monsieur … n’en a jamais fait état dans le cadre de sa première demande de protection internationale et ce en dépit du fait qu’à l’époque, il avait d’ores et déjà été divorcé. Etant donné qu’il ne ressort en aucune façon des déclarations du demandeur qu’il serait retourné dans son pays d’origine depuis son départ en 2017, ces mêmes menaces ont, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, nécessairement été antérieures à son départ du Maroc, de sorte qu’il aurait pu les mentionner dans le cadre de sa première demande de protection internationale, ce qu’il a toutefois omis de faire. Dans la mesure où il reste en outre en défaut de prouver, voire même seulement d’alléguer qu’il aurait été dans l’impossibilité, sans faute de sa part, de faire état de ces menaces dans le cadre de sa première demande de protection internationale, celles-ci ne sauraient être qualifiées d’éléments nouveaux au sens de l’article 32 précité de la loi du 18 décembre 2015.
Pour être tout à fait complet, il convient encore de souligner, en ce qui concerne le courrier de la mère du demandeur, lequel semble être censé appuyer les dires du concerné quant aux menaces dont il serait victime, outre le fait que celui-ci date du 27 septembre 2024 et est dès lors postérieur à la décision ministérielle litigieuse. Il s’ensuit que ce même courrier ne saurait être pris en considération dans le cadre du recours sous analyse, étant rappelé à cet égard que la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, et que la vérification de la matérialité des faits s’effectue, en principe, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, respectivement en fonction des éléments dont l’autorité a connaissance ou aurait dû avoir connaissance au moment où elle statue : en effet, il ne saurait être reproché à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte d’éléments qui ne lui ont pas été présentés en temps utile, le juge de l’annulation ne pouvant en effet prendre en considération ni des éléments de fait, ni des changements législatifs ou réglementaires s’étant produits postérieurement à la prise de la décision.
Par ailleurs, il convient de constater que le courrier en question manque en tout état de cause de pertinence compte tenu de son libellé pour le moins succinct, ledit courrier ne fournissant en effet aucune précision quant au contenu des prétendues menaces, leur date, voire quant aux auteurs de celles-ci.
Dans la mesure où le demandeur est dès lors resté en défaut de faire valoir un quelconque élément nouveau au sens de l’article 32 de la loi du 18 décembre 2015, c’est à bon droit que le ministre a déclaré la deuxième demande de protection internationale introduite par celui-ci irrecevable en application de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015.
Finalement, et en ce qui concerne le prétendu « ordre implicite de quitter le territoire » contre lequel le demandeur a encore affirmé diriger son recours, il y a lieu de souligner qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 « Une décision du ministre vaut décision de retour, à l’exception des décisions prises en vertu de l’article 28, paragraphes (1) et (2), points a), d) et f). […] ». Dans la mesure où la décision ministérielle sous analyse est fondée sur l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, elle ne saurait valoir décision de retour et n’implique automatiquement pas un ordre, même implicite, de quitter le territoire.
Il s’ensuit qu’en l’absence de toute décision valant ordre de quitter le territoire, le recours en annulation contre « l’ordre implicite de quitter le territoire » est à rejeter faute d’objet.
Au vu de l’ensemble des conclusions qui précèdent, et en l’absence de tout autre moyen, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision du ministre des affaires intérieures du 17 septembre 2024 ayant déclaré la demande de protection internationale de Monsieur … irrecevable sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2) point d) de la loi du 18 décembre 2015 ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette le recours en annulation contre « l’ordre implicite de quitter le territoire », faute d’objet ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 octobre 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 16