Tribunal administratif Numéro 51752 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51752 4e chambre Inscrit le 30 octobre 2024 Audience publique extraordinaire du 6 novembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), connu sous d’autres alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51752 du rôle et déposée le 30 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, connu sous deux autres alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 14 octobre 2024 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 novembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Eric SAYS s’étant excusé.
Il ressort de six rapports de la police grand-ducale des 3 et 26 octobre, 28 novembre, 19, 28 et 29 décembre 2023, qu’à ces dates, Monsieur (A), connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », fit l’objet de contrôles policiers lors desquels il ne put présenter de documents d’identité ou de voyage valables.
Par arrêté du 29 décembre 2023, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois irrégulier et lui ordonna de le quitter sans délai, tout en lui interdisant l’entrée sur ledit territoire pour une durée de trois ans.
Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, mesure qui fut prorogée à 5 reprises en date des 25 janvier, 28 février, 26 mars, 26 avril et 28 mai 2024, à chaque fois pour un mois supplémentaire.
Les recours contentieux dirigés par Monsieur (A) contre les arrêtés de prorogation du placement en rétention des 25 janvier et 28 février 2024 furent rejetés par des jugements du tribunal administratif des 7 février et 20 mars 2024, inscrits sous les numéros de rôle 50018, respectivement 50184.
Un jugement du président du tribunal administratif du 10 mai 2024, inscrit sous le numéro 50424 du rôle, confirma encore l’arrêté ministériel du 26 avril 2024 portant 4e prorogation de la mesure de rétention du demandeur.
Suite à l’accord, en date du 4 juin 2024, des autorités consulaires tunisiennes de délivrer un laissez-passer en faveur de Monsieur (A), le ministre chargea, par un courrier du 6 juin 2024, une agence de voyage aux fins de la réservation de billets d’avion en vue de l’éloignement de Monsieur (A) vers la Tunisie, éloignement qui fut prévu, selon le plan de vol établi par la police grand-ducale du même jour, pour le 13 juin 2024.
En date du 10 juin 2024, Monsieur (A) sollicita la possibilité d’introduire une demande de protection internationale, demande déposée en date du 11 juin 2024, de sorte que le ministre prit un arrêté en date du 11 juin 2024, ordonnant la mainlevée du placement de Monsieur (A) du 28 mai 2024, tout en ordonnant, dans la même décision, le placement en rétention de ce dernier, sur base de l’article 22, paragraphe (2), points b) et e) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », pour une durée de trois mois à partir de la notification, ledit arrêté, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, étant basé sur la motivation suivante :
« (…) Vu l'article 22 (2) b) et e) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après la « Loi de 2015 ») ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport de police n° 2023-142711 du 3 octobre 2023 établi à l'occasion d'un contrôle d'identité à la suite d'un vol à l'arraché ;
Vu le rapport de police n° 144137-3/2023 du 26 octobre 2023 établi à l'occasion d'un contrôle d'identité à la suite d'une bagarre ;
Vu le rapport de police n° JDA/2023/146147-1 du 28 novembre 2024 établi à l'occasion d'un contrôle d'identité à la suite d'une dispute ;
Vu le rapport de police n° 51379-1622/2023 du 19 décembre 2023 établi à l'occasion d'un contrôle d'identité à la suite d'un contrôle préventif de criminalité ;
Vu le rapport de police n° 2023/148061-1 du 28 décembre 2023 établi à l'occasion d'un contrôle d'identité à la suite d'un contrôle préventif de criminalité ;
Vu le signalement de l'intéressé dans la base de données SIS par les autorités italiennes en raison d'une interdiction d'entrée sur ledit territoire ;
Vu la décision de retour du 29 décembre 2023 déclarant irrégulier le séjour de l'intéressé et comportant ordre de quitter le territoire sans délai ;
Vu l'arrêté ordonnant le placement en rétention de l'intéressé du 29 décembre 2023, lui notifié le même jour, sur base des dispositions de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu les différents arrêtés ordonnant dans le chef de l'intéressé la prolongation des mesures de placements en rétention et les jugements rejetant les recours y afférent ;
Vu l'accord des autorités tunisiennes du 4 juin 2024 de délivrer un laissez-passer pour un retour en Tunisie ;
Vu le départ prévu pour la Tunisie le 13 juin 2024 suivant le plan de vol du 6 juin 2024 ;
Considérant que l'intéressé a présenté une demande de protection internationale depuis le centre de rétention en date du 10 juin 2024, engendrant l'annulation du départ pour la Tunisie prévu le 13 juin 2024 ;
Attendu qu'il convient de déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale de l'intéressé ;
Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé ;
Attendu que l'intéressé a présenté la demande de protection internationale à la seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour alors qu'il avait déjà eu la possibilité d'accéder à la procédure d'asile ;
Attendu que les mesures moins coercitives prévues à l'article 22 (3) ne peuvent être efficacement appliquées alors qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé ;
Par conséquent, la décision de placement s'avère nécessaire. (…) ».
En date du 12 juin 2024, Monsieur (A) fut entendu par la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
En date du 17 juin 2024, Monsieur (A) passa un entretien auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par une décision du 27 juin 2024, notifiée à l’intéressé par courrier envoyé le lendemain, le ministre rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A) dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015, paragraphe (1), points, a), g) et h), au motif qu’il n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, qu’il n’aurait présenté une demande de protection internationale qu’afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision antérieure ou imminente qui entraînerait son éloignement, respectivement qu’il serait entré ou aurait prolongé son séjour illégalement sur le territoire et, sans motif valable, ne se serait pas présenté aux autorités ou n’aurait pas présenté une demande de protection internationale dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée.
Le recours contentieux dirigé par Monsieur (A) contre l’arrêté ministériel, précité, de placement en rétention du 11 juin 2024 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 9 juillet 2024, inscrit sous le numéro 50676 du rôle.
Par un arrêté du 10 septembre 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre décida la prorogation de la mesure de placement au Centre de rétention de Monsieur (A) pour une durée de trois mois à compter de la notification dudit arrêté. Le recours contentieux dirigé par Monsieur (A) contre ledit arrêté ministériel du 10 septembre 2024 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 1er octobre 2024, inscrit sous le numéro 51387 du rôle.
Par jugement du tribunal administratif du 8 octobre 2024, inscrit sous le numéro 50764 du rôle, Monsieur (A) fut débouté de son recours introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 27 juin 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, portant refus d’octroi d’une protection internationale et lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours.
Par un arrêté du 14 octobre 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre rapporta l’arrêté de placement au Centre de rétention de Monsieur (A) du 11 juin 2024 et le remplaça par une nouvelle mesure de placement en rétention à son égard d’une durée d’un mois sur base des motifs et considérations suivants :
« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon interdiction d'entrée sur le territoire de trois ans du 29 décembre 2023 ;
Vu ma décision de retour du 27 juin 2024 ;
Vu le refus de la demande de protection internationale du 27 juin 2024 ;
Revu la mesure de placement du 11 juin 2024 ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;
Considérant que l'intéressé a été identifié par les autorités tunisiennes en date du 4 juin 2024 ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé alors qu'il ne dispose pas d'une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Par courrier du 22 octobre 2024, le litismandataire de Monsieur (A) rappela au ministre sa demande de sursis à l’éloignement dans le chef de ce dernier pour des raisons de santé du 16 octobre 2024.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 14 octobre 2024.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut, tout en citant l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant qu’il existerait dans son chef un danger de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement. Il précise encore, dans ce cadre, n’avoir aucun intérêt ni aucune volonté de s’enfuir.
Il fait ensuite relever qu’il nécessiterait une prise en charge médicale, alors que son état de santé physique et psychique se serait détérioré depuis son placement en rétention, raison pour laquelle il aurait sollicité l’octroi d’un sursis à l’éloignement, respectivement d’un titre de séjour pour raisons médicales le 16 octobre 2024, demande par rapport à laquelle le ministre n’aurait pas encore pris de décision. A titre subsidiaire, le demandeur fait valoir vouloir rejoindre son frère habitant en France, lequel aurait attesté vouloir l’héberger et le prendre en charge afin de le faire bénéficier des soins médicaux dont il aurait besoin.
Le demandeur conteste encore que les démarches nécessaires pour son éloignement auraient été entamées et souligne que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vol ne sauraient justifier un placement en rétention.
Monsieur (A) réfute finalement la conclusion ministérielle selon laquelle des mesures moins coercitives au sens de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 ne pourraient pas efficacement lui être appliquées.
Le demandeur en conclut que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.
Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.
Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre soit dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
S’agissant d’abord des contestations de Monsieur (A) quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il se dégage du dossier administratif que le demandeur a fait l’objet, en date du 29 décembre 2023, d’une décision de retour, de sorte à se trouver en situation de séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.
Etant donné qu’en date du 29 décembre 2023, il a également fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de trois ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé (…) s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
En l’espèce, il aurait appartenu à Monsieur (A) de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effective de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il est toutefois resté en défaut de faire, étant précisé que le risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à sa mesure d’éloignement.
Au contraire, le risque de fuite est corroboré par l’argumentation de l’intéressé, selon laquelle il souhaiterait rejoindre son frère habitant en France, alors qu’il en découle que le demandeur ne serait plus à disposition du ministre en vue de son éloignement vers son pays d’origine, pour se trouver sur le territoire d’un autre Etat.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par les développements du demandeur ayant trait à son état de santé physique et mental, lequel se serait détérioré en raison de son placement en rétention, alors que Monsieur (A) reste en défaut de soumettre un quelconque élément probant à l’analyse du tribunal quant à son état de santé et quant aux éventuels traitements médicaux dont il bénéficie au Luxembourg, respectivement qu’il serait dans l’impossibilité d’obtenir dans son pays d’origine, le demandeur s’étant limité à verser à l’appui de son recours le seul courrier de son litismandataire du 16 octobre 2024 sollicitant l’octroi d’un sursis à l’éloignement, respectivement une autorisation de séjour pour des raisons médicales, sans les annexes y énumérées. Ainsi, la nécessité d’obtenir au Luxembourg des soins médicaux, dont la réalité laisse d’être établie en l’espèce, n’est en l’occurrence pas de nature à faire échec à la présomption de l’existence d’un risque de fuite dans le chef du demandeur.
Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.
En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, il ressort du dossier administratif que depuis l’annulation, en date du 11 juin 2024, de la tentative d’éloignement du 13 juin 2024, en raison de la circonstance que Monsieur (A) avait à ce moment présenté une demande de protection internationale, dont il fut définitivement débouté par un jugement du tribunal administratif du 8 octobre 2024, inscrit sous le numéro 50764 du rôle, le ministre a saisi, le même jour où il a pris l’arrêté de placement en rétention litigieux, l’unité de garde et d’appui opérationnel, service de garde et de protection de la police grand-ducale, en vue d’organiser le départ de Monsieur (A) vers la Tunisie.
Au regard des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, dont les démarches antérieures avaient déjà abouties à l’organisation d’un premier vol d’éloignement de Monsieur (A) vers la Tunisie pour le 13 juin 2024, c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement du territoire luxembourgeois, de sorte que le tribunal est amené à constater que la procédure d’éloignement du demandeur est toujours en cours et que les démarches entreprises à cet égard par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées, à ce stade, comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 pour justifier son placement en rétention.
Quant aux mesures moins coercitives, le tribunal doit, tout d’abord, relever que la référence du demandeur, dans ce contexte, à l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 constitue une base légale erronée, alors que la mesure de placement litigieuse est fondée sur l’article 120 de la loi du 29 août 2008, de sorte à tomber dans le champ d’application de l’article 125, paragraphe (1) de la même loi, aux termes duquel : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.
Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.1 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.
Au regard des contestations du demandeur, il y a lieu de vérifier si, en l’espèce, celui-
ci a fourni des garanties de représentation suffisantes pour prévenir un risque de fuite, qui, tel que cela a été retenu ci-avant, est suffisamment établi dans son chef.
A cet égard, il convient de constater que Monsieur (A) ne soumet aucun élément à l’appréciation du tribunal susceptible de prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, sauf à se prévaloir d’une attestation de son frère lequel serait disposé à l’héberger chez lui en France, proposition qui ne saurait cependant être prise en considération, dans la mesure où seule une adresse au Luxembourg serait, le cas échéant, susceptible de garantir que la personne concernée soit à disposition des autorités étatiques luxembourgeoises dans le cadre de l’organisation de son éloignement par ces dernières, de sorte qu’à défaut de proposition relative aux autres mesures moins coercitives, le tribunal est amené à retenir que le demandeur ne lui a pas soumis suffisamment d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.
C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.
Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 6 novembre 2024 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 novembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 10