Tribunal administratif N° 51753 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:51753 4e chambre Inscrit le 30 octobre 2024 Audience publique extraordinaire du 6 novembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 51753 du rôle et déposée le 30 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 18 octobre 2024, ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 novembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en sa plaidoirie à l’audience publique du 5 novembre 2024, Maître Eric SAYS s’étant excusé.
Il se dégage de plusieurs rapports de la police grand-ducale référencés sous les numéros … du 1er septembre 2024, … du 22 septembre 2024, … du 1er octobre 2024, … du 5 octobre 2024, … du 7 octobre 2024, et … du 18 octobre 2024, que Monsieur (A) fut appréhendé par les forces de l’ordre sans être en possession de documents d’identité.
Les vérifications faites à ces différentes occasions dans la base de données du système d’information Schengen (SIS) révélèrent que l’intéressé y était signalé par les autorités françaises et suisses pour « refuser l’entrée sur le territoire », et, par les autorités néerlandaises pour « interpeller la personne et la conduire devant l’autorité compétente ».
Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC le 5 septembre 2024 révéla que Monsieur (A) avait introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date des 24 juillet 2022 et 30 avril 2023, et en Allemagne en date du 16 novembre 2022.
Par arrêté du 18 octobre 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur (A) 1sur le territoire luxembourgeois lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et lui interdit, l’entrée sur ledit territoire pour une durée de cinq ans.
Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, dans les termes suivants :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport no … du 18 octobre 2024 établi par la Police grand- ducale, unité Région Centre-Est Commissariat Museldall (C3R) G-3R-MUS ;
Considérant que l’intéressé a fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que l’intéressé est signalé dans le système EURODAC comme ayant introduit une demande de protection internationale en Pays-Bas et en Allemagne ;
Considérant qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 18 octobre 2024.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.
2En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 en contestant que les démarches nécessaires pour son éloignement auraient été entamées.
Il conteste ensuite qu’il existerait dans son chef un risque de fuite.
Le demandeur fait encore valoir qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite et qu’aucune date de son extradition ne lui aurait été proposée, tout en soulignant que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vols ne sauraient justifier un placement en rétention.
Il en conclut de l’ensemble de ces développements que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée, étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.
Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision de placement litigieuse, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
3L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
S’agissant d’abord des contestations de Monsieur (A) quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, il convient de constater qu’en l’espèce, il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’il a fait l’objet d’une décision de retour comportant une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, prise en date du 18 octobre 2024, décision non visée par le présent recours, et qu’il ne dispose ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.
Il existe, dès lors dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant pas soumis un quelconque élément pertinent de nature à renverser la présomption de risque de fuite.
Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.
En ce qui concerne les démarches entreprises par le ministre en vue de permettre l’éloignement du demandeur dans les meilleurs délais, force est de constater qu’en date du 23 octobre 2024, soit le troisième jour ouvrable suivant le placement en rétention de l’intéressé, 4les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités néerlandaises en vue de la reprise en charge de Monsieur (A) sur le fondement des articles 18, paragraphe (1), point b) du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Par courrier du 4 novembre 2024, les autorités néerlandaises acceptèrent la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Force est ainsi de relever, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas entrepris les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement du territoire, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le dispositif d’éloignement est toujours en cours.
Le tribunal est dès lors amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, étant relevé qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier que l’éloignement du demandeur ne puisse pas être mené à bien endéans les délais légalement requis, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, il ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 6 novembre 2024 par :
Géraldine Anelli, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
5 s.Marc Warken s.Géraldine Anelli Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 novembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 6