Tribunal administratif N° 47607 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47607 1re chambre Inscrit le 28 juin 2022 Audience publique du 11 novembre 2024 Recours formé par l’association sans but lucratif L’ASSOCIATION (AA) ASBL et consorts, … et …, contre deux décisions de la Ville de Luxembourg en matière d’accès aux documents
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47607 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2022 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) l’association sans but lucratif (AA), établie et ayant son siège à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, 2) Monsieur (A1), demeurant à L-…, 3) Monsieur (A2), demeurant à L-…, et 4) Madame (A3), demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation du « […] refus de la Ville de Luxembourg de communiquer des documents relatifs à la sécurité des passages pour piétons et contre le maintien de ce refus, nonobstant un avis de la Commission d’accès aux documents […] favorable à la communication […] », « […] [l]e refus initial et sa confirmation résult[a]nt de deux lettres du 28 janvier 2022 […] et du 6 avril 2022 […] adressées au l’association (AA) […] et à [Messieurs] (A1) et (A2) […] » ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 5 juillet 2022 portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, établie à L-1648 Luxembourg, 42, Place Guillaume II, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2022, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2022 par Maître Steve HELMINGER, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2023 par Maître Marc THEWES, au nom des demandeurs, préqualifiés ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 février 2023 par Maître Steve HELMINGER, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pierre DURAND, en remplacement de Maître Marc THEWES, et Maître Steve HELMINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 septembre 2024.
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Par deux courriers électroniques du 6 décembre 2021, Monsieur (A1) et Monsieur (A2), agissant au nom de l’association de fait « L’ASSOCIATION (AA) » (« L’ASSOCIATION (AA) ») – ainsi que cela se dégage des mentions « […] Monsieur (A1) & Monsieur (A2) pour L’ASSOCIATION (AA).lu […] », respectivement « […] Monsieur (A1), Monsieur (A2) pour L’ASSOCIATION (AA) […] », telles que figurant dans les courriers électroniques en question – introduisirent auprès de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, ci-après désignée par « la commune », une demande tendant à la communication, sur base de la loi modifiée du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte, ci-après désignée par « la loi du 14 septembre 2018 », des documents suivants :
a) « […] document(s) contenant l’analyse menée par les services de la Ville de Luxembourg des passages piétons mesurés comme étant en non-conformité par le L’ASSOCIATION (AA) (projet « … ») […] », b) « […] document(s) contentant l’analyse de tous les passages piétons de la ville […] », c) « […] base(s) de données géographiques du service topographie contenant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking […] », d) « […] document(s) reprenant l’accord avec le MMTP concernant l’interprétation des articles 164 (2.)(e) & 166 (h) du Code de la Route et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg […] », e) « […] document le plus récent d’interprétation interne du Service Circulation de ces mêmes articles […] », f) « […] document le plus récent d’interprétation interne du Service Juridique de ces mêmes articles […] », g) « […] document(s) présentant les 37 passages piétons que la Ville considère comme non-conformes […] » et h) « […] document(s) reprenant les slides de la réunion de la commission « Mobilité urbaine » du 2 décembre 2021 […] ».
Par courrier du 5 janvier 2022, la commune informa l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), par l’intermédiaire de Messieurs (A2) et (A1), du fait qu’en application de l’article 5 (2) de la loi du 14 septembre 2018, le traitement de ladite demande nécessiterait un délai supplémentaire d’un mois.
Par décision du 28 janvier 2022, la commune refusa partiellement de faire droit à la demande en question, ladite décision étant rédigée comme suit :
« […] Par la présente, nous prenons position par rapport à votre demande du 6 décembre 2021 basée sur la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte.
Par lettre du 5 janvier 2022, nous vous avions informés que le traitement de votre demande nécessitait un délai supplémentaire d’un mois en application de l’article 5 (2) de ladite loi.
Veuillez trouver ci-après notre prise de position par rapport aux différents points de votre demande :
« • document(s) contenant l’analyse menée par les services de la Ville de Luxembourg des passages piétons mesurés comme étant en non-conformité par le L’ASSOCIATION (AA) (projet « … ») • document(s) contenant l’analyse de tous les passages piétons de la ville » Il n’existe pas de document détaillant une analyse systématique des passages piétons relevés comme prétendument non-conformes par le L’association (AA). Une note relative aux dangers auxquels les piétons seraient supposément exposés d’après un article paru dans le quotidien « … » en date du 8 novembre 2021 et qui a été rédigée en date du 10 novembre 2021 par le Service Circulation à l’attention du Collège échevinal ne peut pas vous être communiquée, alors qu’elle est à considérer comme un document interne dont la communication peut être refusée en application de l’article 7, point 4 de la loi.
« • base de données géographiques du service topographique contenant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking » La loi du 14 septembre 2018 ne prévoit pas l’accès aux banques de données utilisées par les administrations concernées, mais son champ d’application se limite aux documents détenus par les organismes visés à l’article 1er, paragraphe 1er de la loi. A défaut d’une indication précise permettant d’identifier des documents déterminés, la demande est irrecevable sur ce point. Par ailleurs, les bases de données utilisées par le Service Topographie sont soumises à des droits d’auteur, de sorte que la demande est également irrecevable sur base de l’article 1er, paragraphe 2 point 5 de la loi, alors que sont exclus de la communication les documents relatifs à des droits de propriété intellectuelle.
« • document(s) reprenant l’accord avec le MMTP concernant l’interprétation des articles 164(2.)(e) & 166(h) du Code de la Route et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg. » Il n’existe pas d’accord écrit concernant l’interprétation desdits articles du Code de la Route.
« • document le plus récent d’interprétation interne du Service Juridique de ces mêmes articles. » Il n’existe pas de document correspondant à cette description.
« • document(s) reprenant les 37 passages piétons que la Ville considère comme non-conformes » Sur base d’un premier passage en revue, le Service Circulation considère actuellement 37 passages comme éventuellement dignes d’être sujets à une analyse plus approfondie. Or, comme cette analyse est toujours en cours, toute documentation à ce sujet est à considérer comme document inachevé dont la communication peut être refusée en application de l’article 7, point 1er de la loi.
« • document(s) reprenant les slides de la réunion de la commission « Mobilité urbaine » du 2 décembre 2021 » Nous vous prions de trouver ci-joint, en annexe sous format .pdf, les treize (13) slides de la présentation faite à la réunion de la Commission de la Mobilité urbaine du 2 décembre 2021 intitulée « Dispositions du Code de la Route en matière d’arrêts et stationnement aux passages pour piétons ». […] ».
Par courrier électronique du 8 février 2022, l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) saisit la Commission d’accès aux documents, ci-après désignée par « la CAD », d’une demande d’avis.
Le 2 mars 2022, la CAD rendit son avis n° …, libellé comme suit :
« […] Par courriel du 8 février 2022, le collectif L’ASSOCIATION (AA) a saisi la CAD pour avis en application de l’article 10 de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte (la « Loi »). Cette saisine fait suite à une demande de communication datée du 6 décembre 2021 à l’administration communale de la Ville de Luxembourg (la « Ville de Luxembourg ») portant sur une série de documents concernant la sécurité des passages pour piétons sur le territoire de la Ville de Luxembourg, à savoir :
a) document(s) contenant l’analyse menée par les services de la Ville de Luxembourg des passages piétons mesurés comme étant en non-conformité par le L’ASSOCIATION (AA) (projet « … ») ;
b) document(s) contentant l’analyse de tous les passages piétons de la ville ;
c) base(s) de données géographiques du service topographie contenant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking ;
d) document(s) reprenant l’accord avec le Ministère de la Mobilité et des Travaux Publics concernant l’interprétation des articles 164, paragraphe 2, lettre e) et 166, lettre h) du Code de la route et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg ;
e) document le plus récent d’interprétation interne du Service Circulation de ces mêmes articles ;
f) document le plus récent d’interprétation interne du Service Juridique de ces mêmes articles ;
g) document(s) présentant les 37 passages piétons que la Ville considère comme non-conformes ;
h) document(s) reprenant les slides de la réunion de la commission « Mobilité urbaine » du 2 décembre 2021.
Après avoir prolongé le délai de réponse conformément à l’article 5 de la Loi, la Ville de Luxembourg a, en date du 28 janvier 2022, communiqué le document visé au paragraphe h) ci-dessus au collectif L’ASSOCIATION (AA) et a émis une décision de refus concernant les autres documents sollicités.
Sur demande de la CAD, la Ville de Luxembourg lui a fait parvenir, en date du 23 février 2022, (i) une prise de position comportant ses motifs de refus, (ii) la note du Service Circulation de la Ville de Luxembourg du 10 novembre 2021 concernant la sécurité des passages pour piétons ; et (iii) le plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg.
La CAD a examiné le dossier lors de sa réunion du 24 février 2022.
1. Quant aux documents visés aux paragraphes a), b) et e) ci-dessus La Ville de Luxembourg a fondé son refus de communication de la note du Service Circulation du 10 novembre 2021 sur l’article 7, point 4° de la Loi qui prévoit que « La demande de communication peut être refusée si la demande concerne des communications internes ». Or, la CAD est d’avis que le document ne constitue pas une « communication interne » au sens de la Loi. En effet, il s’agit d’une analyse de la situation relative à l’espace public qui a un impact sur les résidents et les visiteurs de la ville et dont les résultats ont été présentés lors de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021.
La Ville de Luxembourg invoque également l’exception prévue à l’article 1er, paragraphe 2, point 6° de la Loi qui prévoit que sont exclus du droit d’accès, les documents relatifs à un secret ou une confidentialité protégés par la loi. À cet effet, elle invoque l’article 51 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 (la « Loi communale ») d’après lequel, « Sauf disposition légale contraire, les réunions du collège des bourgmestre et échevins ont lieu à huis clos ». La CAD estime toutefois que le concept de huis clos se distingue de la notion de confidentialité des documents. En effet, selon la définition juridique de Gérard Cornu, l’expression « huis clos » signifie « « toutes portes fermées » pour désigner, soit l’audience à laquelle le public n’est pas admis par exception du principe de la publicité des débats, soit la décision du juge de ne pas (ou de ne plus) admettre le public » ; elle ne vise toutefois pas la publicité ou non du jugement ou de la décision. De même, le huis clos des réunions du collège des bourgmestre et échevins ne peut donc pas non plus interdire la communication ou la publication du procès-verbal de la réunion par la suite. Dès lors, l’article 51 de la Loi communale n’a pas pour effet d’imposer le secret ou la confidentialité des documents débattus lors des réunions du collège des bourgmestre et échevins.
Par conséquent, la CAD est d’avis que la note du Service Circulation de la Ville de Luxembourg du 10 novembre 2021 concernant la sécurité des passages pour piétons est communicable.
2. Quant aux documents visés aux paragraphes c) et g) ci-dessus :
En amont de la réunion, la Ville de Luxembourg a transmis à la CAD le document visé au paragraphe g) ci-dessus, à savoir un plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg. Elle est d’avis que toute documentation concernant les 37 passages pour piétons que la Ville considère comme non-conformes est à considérer comme document inachevé au sens de l’article 7, point 1° de la Loi pour le motif que l’analyse est toujours en cours.
Or, la CAD rappelle que lors de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021, Monsieur l’échevin Monsieur (B) a présenté le « résultat » de l’analyse de tous les passages pour piétons par le Service Circulation.
Dans une affaire où il était question de la communication de documents d’urbanisme, le tribunal administratif a rappelé que les documents inachevés ne doivent pas être confondus avec les documents préparatoires, alors que certains documents préparatoires ont atteint leur stade définitif d’élaboration. En d’autres termes, l’article 7, point 1° de la Loi ne permet pas à l’organisme de refuser en bloc la communication de tous les documents constituant un dossier pour le seul motif que le processus décisionnel plus large n’est pas encore terminé.
Partant, la CAD considère que l’exception prévue à l’article 7, point 1° de la Loi n’est pas applicable en l’espèce.
Par ailleurs, la CAD estime que ce plan de situation correspond également partiellement à la description des documents visés au paragraphe c) en ce qu’il constitue une représentation graphique d’une partie d’une base de données géographiques.
À cet égard, la Ville de Luxembourg invoque l’exception prévue à l’article 1er, paragraphe 2, point 5° de la Loi relative aux droits de propriété intellectuelle. La CAD est toutefois d’avis que cette exception ne saurait s’appliquer à une représentation graphique d’une base de données contenant des informations sur les espaces publics, même si le logiciel utilisé pour héberger et/ou représenter ces données puisse être protégé par des droits de propriété intellectuelle.
Partant, la CAD est d’avis que le plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg est communicable.
3. Quant aux documents visés aux paragraphes d) et f) ci-dessus :
Il ressort de la décision de refus de la Ville de Luxembourg qu’il n’existe pas d’accord écrit entre la Ville de Luxembourg et le Ministère ayant la Mobilité et les Transports dans ses attributions concernant l’interprétation desdits articles du Code de la route.
De même, il n’existe pas de document contenant l’interprétation du Service Juridique de la Ville de Luxembourg concernant ces articles.
Par conséquent, la demande de communication se situe en dehors du champ d’application de la Loi tel qu’établi par l’article 1er, paragraphe 1er de la Loi et est à déclarer irrecevable. […] ».
Par décision du 6 avril 2022, la commune confirma sa décision de refus partiel du 28 janvier 2022 en ces termes :
« […] Par la présente, nous prenons position par rapport à l’avis n° … de la Commission d’accès aux documents daté du 2 mars 2022 ainsi qu’à votre courriel du 21 mars 2022 nous rappelons la demande de transmission des documents retenus comme communicables par l’avis susvisé.
I.
En ce qui concerne votre demande se rapportant à la communication des documents suivants :
- document(s) contenant l’analyse menée par les services de la Ville de Luxembourg des passages piétons mesurés comme étant non-conformes par le L’ASSOCIATION (AA) (projet « … ») ;
- document(s) contenant l’analyse de tous les passages piétons de la Ville ;
- document le plus récent d’interprétation interne du Service Circulation de ces mêmes articles ;
nous vous avions avertis par lettre du 28 janvier 2022 et nous avions informé la Commission d’accès aux documents au moyen de notre prise de position datée du 23 février 2022 qu’un seul document correspondait à cette demande, à savoir une note du Service Circulation au Collège échevinal du 10 novembre 2021 et dont la communication était refusée sur base de l’article 7, point 4 (demande concernant des communications internes) ainsi que sur base de l’article 1er paragraphe 2 point 6 (document relatif à un secret ou une confidentialité protégés par la loi) de la loi modifiée du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte, alors qu’en vertu de l’article 51 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, les réunions du collège des bourgmestre et échevins ont lieu à huis clos.
La Commission d’accès aux documents a répondu à ce moyen qu’elle estime que « le huis clos des réunions du collège des bourgmestre et échevins ne peut donc pas (…) interdire la communication ou la publication du procès-verbal de la réunion par la suite. Dès lors, l’article 51 de la Loi communale n’a pas pour effet d’imposer le secret ou la confidentialité des documents débattus lors des réunions du collège des bourgmestre et échevins.
Par conséquent la CAD est d’avis que la note du Service Circulation de la Ville de Luxembourg du 10 novembre 2021 concernant la sécurité des passages pour piétons est communicable. » Toutefois, la Ville de Luxembourg maintient que la notion de huis clos implique nécessairement la confidentialité des réunions du Collège échevinal et que dès lors, les documents débattus lors de ses réunions sont bien visés par un secret ou une confidentialité protégés par la loi.
A cet égard, il y a encore lieu de noter que l’article 23 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 prévoit que : « Les membres du conseil communal ont le droit de prendre connaissance des décisions du collège des bourgmestre et échevins prises en exécution des délibérations du conseil communal. » Il se dégage implicitement, mais nécessairement de cette disposition que si la consultation des décisions échevinales de la part des membres du conseil communal est soumise à la condition qu’il s’agisse de décisions prises en exécution d’une délibération du conseil, ceci dans l’idée que le conseil, en tant qu’organe « législatif » de la commune est appelé à exercer un contrôle politique sur l’action de l’exécutif communal, alors un simple particulier non chargé d’un mandat politique ne saurait par la force des choses prétendre un accès illimité à toutes décisions visées indistinctement.
Cette interprétation est d’ailleurs confirmée dans les termes suivants par la circulaire du Ministère de l’Intérieur n° 3651 du 4 décembre 2018 relative à l’interprétation de la loi du 14 septembre 2018 précitée :
« Vu qu’il s’avère toutefois nécessaire de protéger certains intérêts publics ou privés fondamentaux, ce principe d’ouverture connaît des exceptions. Ainsi, sont par exemple exclus du droit d’accès les documents relatifs à la sécurité publique, aux droits de propriété intellectuelle ou aux secrets protégés par la loi. Tel est par exemple le cas des délibérations du collège échevinal, qui se tiennent, en application de la loi communale, à huis clos. Ceci vaut également, le cas échéant, pour les documents et dossiers qui se rattachent aux délibérations du collège échevinal. » Contrairement à cette argumentation, la Commission d’accès aux documents a rendu de manière regrettable un avis qui nous paraît manifestement erroné et contraire à la loi et dont les enseignements risqueraient non moins de compliquer sensiblement le fonctionnement de tout Collège échevinal au cas où ils feraient école.
Pour ces motifs, la Ville de Luxembourg a décidé de ne pas réserver une suite favorable à l’avis du 2 mars 2022 en ce qui concerne la note du Service Circulation au Collège échevinal du 10 novembre 2021, étant rappelé qu’en vertu de l’article 10 de la loi du 14 septembre 2018, l’avis en question ne lie pas l’autorité administrative concernée.
II.
Concernant votre demande en ce qu’elle se rapporte aux documents suivants :
- base(s) de données géographiques du service topographique contenant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking ;
- document(s) présentant les 37 passages piétons que la Ville considère comme non-conformes ;
la Commission d’accès aux documents a exprimé l’avis que le plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg est communicable.
En tâchant de réserver une suite favorable à l’avis sur ce point, la Ville de Luxembourg invite les représentants du L’association (AA) à prendre connaissance dudit plan à l’occasion d’un échange de vues, en présence du M. (B), échevin responsable de la mobilité, des représentants de la Direction Mobilité ainsi que d’un membre de la cellule juridique du Secrétariat Général, dans les locaux du Service Circulation à L-1326 Luxembourg, 98, rue Auguste Charles.
A cet effet, nous vous proposons les dates suivantes, avec prière de nous informer de votre préférence par retour de courrier/courriel :
- Le mardi 19 avril 2022, après-midi (1 heure).
- Le mercredi 20 avril 2022, de 11h00 à 12h00.
- Le mardi 26 avril 2022, après-midi (1 heures).
Alors que la Commission d’accès aux documents ne s’est pas prononcée de manière claire sur la demande d’accès à une base de données géographiques par le L’association (AA), la Ville de Luxembourg tient encore une fois à souligner que celle-ci ne constitue pas un document au sens de la loi du 14 septembre 2018 et que dans le cas contraire, des motifs liés à des droits de propriété intellectuelle tels que visés par l’article 1er paragraphe 2 point 5 s’opposent à une consultation.
III.
En ce qui concerne votre demande dans la mesure où elle se rapporte à la communication de :
- document(s) reprenant l’accord avec le Ministère de la Mobilité et des Travaux publics concernant l’interprétation des articles 164, paragraphe 2, lettre e) et 166, lettre h) du Code de la route et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg ;
- document le plus récent d’interprétation interne du Service Juridique de ces mêmes articles ;
nous vous rappelons que la Commission d’accès aux documents a jugé la demande irrecevable, alors qu’il n’existe pas de document correspondant à cette description. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2022, l’association sans but lucratif (AA), ci-après désignée par « l’ASBL (AA) », ainsi que Monsieur (A1), Monsieur (A2) et Madame (A3) ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des décisions, précitées, de la commune des 28 janvier et 6 avril 2022.
I) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Les voies de recours en la présente matière sont prévues par l’article 10 de la loi du 14 septembre 2018, qui est libellé comme suit :
« (1) Toute personne qui se voit opposer une décision refusant de faire droit, en tout ou en partie, à sa demande de communication d’un document peut saisir par écrit dans le mois de la notification de la décision la Commission d’accès aux documents pour avis.
A la lettre de saisine doit être jointe la décision de refus de communication du document demandé.
(2) La Commission d’accès aux documents communique son avis au demandeur et à l’organisme concerné dans les deux mois de la saisine.
(3) Lorsque la Commission d’accès aux documents est d’avis que le document sollicité est communicable, et si l’organisme décide de suivre l’avis de la Commission d’accès aux documents, il est tenu de communiquer le document demandé dans un délai d’un mois à partir de la réception de l’avis de la Commission d’accès aux documents. En cas d’absence de communication du document sollicité dans le délai d’un mois, l’organisme est réputé avoir rejeté la demande. Ce refus est susceptible d’un recours en réformation à introduire dans un délai de trois mois devant le Tribunal administratif.
(4) Lorsque la Commission d’accès aux documents est d’avis que le document sollicité n’est pas communicable, l’organisme est tenu de confirmer son refus de communiquer le document dans le délai d’un mois à partir de la réception de l’avis de la Commission d’accès aux documents. Le délai du recours en réformation commence à courir à partir de la notification de la décision de confirmation du refus par l’organisme. Lorsque l’organisme ne prend pas de décision de confirmation du refus, le délai du recours en réformation commence à courir à l’expiration du délai d’un mois à partir de la date de la réception de l’avis de la Commission d’accès aux documents. ».
En vertu de l’article 10 (3) de la loi du 14 septembre 2018, lorsque la CAD est d’avis que le document sollicité est communicable et si l’organisme visé par l’article 1er (1) de la même loi décide de suivre l’avis de la CAD, il est tenu de le communiquer dans un délai d’un mois à partir de la réception de l’avis de la CAD. En cas d’absence de communication du document sollicité dans le délai d’un mois, l’organisme est réputé avoir rejeté la demande. Ce refus est susceptible d’un recours en réformation à introduire dans un délai de trois mois devant le tribunal administratif.
En vertu de l’article 10 (4) de la loi du 14 septembre 2018, lorsque la CAD est d’avis que le document sollicité n’est pas communicable, l’organisme est tenu de confirmer son refus de communiquer le document dans le délai d’un mois à partir de la réception de l’avis de la CAD. Dans ce cas, le délai du recours en réformation commence à courir à partir de la notification de la décision de confirmation du refus par l’organisme. En revanche, lorsque l’organisme ne prend pas de décision de confirmation du refus, le délai du recours en réformation commence à courir à l’expiration du délai d’un mois à partir de la date de la réception de l’avis de la CAD.
En l’espèce, la CAD a, d’une part, conclu au caractère communicable de la note du service circulation de la commune, ci-après dénommé « le Service Circulation », du 10 novembre 2021, ledit document étant ci-après désignée par « la Note », et du plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg, documents, qui, selon la CAD, correspondraient en tout ou partie aux documents énumérés sub a), b), c), e) et g) dans l’avis en question. D’autre part, elle a conclu à l’irrecevabilité de la demande en ce qu’elle vise les documents énumérés sub d) et f), à savoir le(s) « […] document(s) reprenant l’accord avec le Ministère de la Mobilité et des Travaux Publics concernant l’interprétation des articles 164, paragraphe 2, lettre e) et 166, lettre h) du Code de la route et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg […] » et le « […] document le plus récent d’interprétation interne du Service Juridique de ces mêmes articles […] ».
Etant donné, d’une part, qu’il est constant en cause que les documents qualifiés de communicables par la CAD n’ont pas été communiqués endéans le délai d’un mois prévu par l’article 10 (3) de la loi du 14 septembre 2018 et, d’autre part, que dans sa décision du 6 avril 2022, la commune a expressément confirmé sa décision de refus initiale tant en ce qui concerne ces derniers documents qu’en ce qui concerne ceux pour lesquels la CAD a conclu à l’irrecevabilité de la demande de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), le tribunal est, en vertu des dispositions combinées des paragraphes (3) et (4) de l’article 10 de la loi du 14 septembre 2018, compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre du refus de communication des documents en question, tel qu’il est matérialisé par la décision, précitée, du 6 avril 2022.
S’agissant de la décision initiale de refus partiel de communication des documents sollicités du 28 janvier 2022, adoptée préalablement à la saisine de la CAD, le tribunal constate qu’aucun recours n’est prévu par la loi du 14 septembre 2018 à l’encontre de la décision initiale de refus de communication. Il s’ensuit que le recours principal en réformation introduit à l’encontre de cette décision initiale n’est a priori pas recevable. Ce constat est cependant sans conséquences sur la recevabilité du présent recours, dirigé tant contre la décision initiale de refus de communication que contre la décision confirmative de refus, puisqu’une décision purement confirmative d’une décision initiale, tire son existence de cette dernière et, dès lors, les deux doivent être considérées comme formant un seul tout.1 Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de chacun des actes déférés.2 • Quant à l’intérêt à agir et à la qualité pour agir des demandeurs Positions respectives des parties La commune soulève l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef des différentes parties demanderesse.
Quant à l’intérêt à agir de l’ASBL (AA), elle fait valoir que lors des différents échanges qu’elle aurait eus avec le L’ASSOCIATION (AA) au cours de la phase précontentieuse, ce dernier n’aurait pas eu de personnalité juridique, alors qu’il ne se serait immatriculé au registre de commerce et des sociétés, ci-après désigné par « le RCS », en tant qu’ASBL qu’en date du 3 mai 2022. Etant donné que l’ASBL (AA) n’aurait pas été à l’origine de la demande de communication des documents litigieux, puisqu’elle n’aurait pas eu d’existence légale à l’époque, elle n’aurait pas d’intérêt à agir à l’encontre des décisions déférées qui ne lui feraient, ainsi, pas grief.
La partie communale conteste encore tout intérêt à agir dans le chef de Messieurs (A1) et (A2) et de Madame (A3), en soutenant que la demande de communication des documents litigieux, qui ne comporterait pas de signature, aurait été rédigée par le L’ASSOCIATION (AA), et non pas par ses membres en nom personnel. De même, tant l’avis de la CAD que les décisions communales de refus auraient été adressées à l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), et non pas à ses membres en nom personnel, qui n’auraient, dès lors, aucun lien avec les décisions déférées. Ainsi, le recours, en ce qu’il serait introduit par Messieurs (A1) et (A2), ainsi que par Madame (A3) en leurs noms personnels, et non pas en leur qualité de représentants de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), serait à déclarer irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs concluent au rejet de ce moyen d’irrecevabilité.
1 Trib. adm. 21 avril 1997, n° 9459 du rôle, confirmé par Cour adm., 23 octobre 1997, n° 10040C du rôle, Pas.
adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 116 et les autres références y citées ; voir aussi : trib. adm., 2 septembre 2020, n° 43704 du rôle, de même que trib. adm., 27 février 2023, n° 44963 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
2 En ce sens : trib. adm., 27 février 2023, n° 44963 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
Après avoir souligné que la capacité à agir s’apprécierait au jour de l’introduction du recours et qu’au jour du dépôt de la requête introductive d’instance, l’ASBL (AA) aurait disposé de la capacité pour agir requise, ils font valoir qu’il se dégagerait d’un jugement du tribunal administratif du 9 mars 2022, portant le numéro 45172 du rôle, que l’intérêt à agir pourrait être transmis entre un groupement non encore constitué, tel que l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), et une personne morale valablement formée postérieurement à l’adoption de la décision administrative querellée, telle que l’ASBL (AA). Dans ce contexte, ils insistent sur le fait que l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) et l’ASBL (AA) ne seraient pas deux entités absolument distinctes, alors qu’il existerait une continuité de membres, d’objet social et d’intérêt entre les deux groupements, de sorte que leur situation formerait en réalité un complexe factuel unique. Par ailleurs, ils font valoir que l’ASBL (AA) aurait ratifié les demandes introduites en son nom par ses membres avant sa constitution, tout en expliquant que cette ratification consisterait en un acte juridique valide par lequel l’ASBL (AA) aurait décidé de reprendre avec effet rétroactif l’intérêt à agir de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) et qui pourrait intervenir en cours d’instance, jusqu’à la clôture des débats. L’ASBL (AA) ayant ainsi repris l’intérêt à agir de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), le recours introduit par elle devrait être déclaré recevable.
A titre subsidiaire, les demandeurs font valoir que le recours de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) serait recevable, en ce qu’elle constituerait la destinatrice des décisions déférées.
Ledit recours serait encore recevable en vertu du principe de confiance légitime. En application de ce principe, la commune serait irrecevable à plaider que l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) ne disposerait pas de l’intérêt à agir requis ou ne serait pas valablement représentée, alors qu’au cours de la phase précontentieuse, d’une part, elle n’aurait jamais soutenu que ladite association de fait ne disposerait pas d’un intérêt à agir et aurait accepté de statuer sur le fond de sa demande et, d’autre part, elle aurait adressé ses courriers à Messieurs (A1) et (A2), de sorte à avoir admis que ces derniers auraient représenté ladite association de fait.
En tout état de cause, le recours de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) serait recevable pour avoir été introduit conjointement par l’ensemble de ses membres. A cet égard, les demandeurs se prévalent de la jurisprudence des juridictions administratives aux termes de laquelle l’absence de personnalité juridique d’une association momentanée aurait pour effet que son action en justice ne serait recevable que si elle a été introduite par tous les associés conjointement, tout en soutenant, d’une part, que cette jurisprudence serait transposable au cas d’espèce, alors que la nature juridique d’une association momentanée ne serait pas fondamentalement distincte de celle d’une association de fait et, d’autre part, que la jurisprudence en question n’exigerait pas que la requête soit introduite par les membres agissant « en tant que représentant[s] » de l’association momentanée, mais qu’il suffirait que la requête soit conjointe, ce qui serait le cas en l’espèce, alors que Messieurs (A1) et (A2), de même que Madame (A3) auraient été les seuls membres de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) avant la transformation de celle-ci en ASBL et seraient toujours les seuls membres de ladite ASBL.
En dernier ordre de subsidiarité, dans l’hypothèse où le tribunal retiendrait que l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) ne disposerait pas d’un intérêt à agir, les demandeurs font valoir que le recours serait recevable, en ce qu’il aurait été introduit par Messieurs (A1) et (A2), ainsi que par Madame (A3). A cet égard, ils font valoir que la demande de communication des documents litigieux aurait nécessairement été formulée par un demandeur. Si ce demandeur n’était pas l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), il y aurait lieu de reconnaître que les personnes physiques la composant seraient les demandeurs initiaux et les destinataires des décisions déférées. Ainsi, le recours de Messieurs (A1) et (A2) et Madame (A3) serait recevable, en ce qu’ils seraient les destinataires des actes déférés.
Dans son mémoire en duplique, la partie communale soutient que le susdit jugement du tribunal administratif du 9 mars 2022, tel qu’invoqué par les demandeurs, ne serait pas transposable au cas d’espèce, étant donné que les demandes adressées à la commune n’auraient pas été signées par « […] L’ASSOCIATION (AA), asbl en cours de constitution […] » et que la commune n’aurait jamais adressé de courrier à l’ASBL (AA), mais seulement à l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), de sorte que la demande aurait été introduite par l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), et non pas par l’ASBL (AA).
Par ailleurs, elle réfute l’argumentation des demandeurs ayant trait à la ratification par l’ASBL (AA) des demandes introduites en son nom par ses membres avant sa constitution, à travers laquelle cette dernière aurait rétroactivement repris l’intérêt à agir de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA). A cet égard, elle soutient, en substance, que l’intérêt à agir devrait exister au jour de l’introduction du recours et devrait se maintenir tout au long de la procédure contentieuse et que si la disparition en cours d’instance de l’intérêt à agir aurait pour conséquence l’irrecevabilité du recours, il devrait en être de même en cas d’apparition d’un intérêt à agir postérieurement au dépôt de la requête introductive d’instance, tel que ce serait le cas en l’espèce.
En outre, la commune conteste l’argumentaire des demandeurs selon lequel le recours serait recevable en ce qu’il aurait été introduit par l’association de fait L’ASSOCIATION (AA). Sur ce point, elle souligne que le recours n’aurait aucunement été introduite par ladite association de fait, qui serait le seul destinataire des décisions déférées.
Elle conclut encore au rejet de l’argumentation des demandeurs fondée sur le principe de confiance légitime, en soutenant, d’une part, que les règles afférentes à l’intérêt à agir seraient propres à la procédure contentieuse, de sorte qu’une administration ne saurait les invoquer au stade précontentieux et, d’autre part, que le défaut d’intérêt à agir ne découlerait, en l’espèce, pas du fait que la personne qui aurait introduit la demande initiale n’aurait pas eu d’intérêt mais du fait que cette personne ne serait pas représentée à l’instance contentieuse.
Par ailleurs, ce serait à tort que les demandeurs feraient valoir que le recours serait recevable en ce qu’il aurait été introduit conjointement par les membres de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), à savoir Messieurs (A1) et (A2), ainsi que Madame (A3). En effet, il se dégagerait du libellé de la requête introductive d’instance, qui ne mentionnerait pas l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), que le recours sous examen aurait été introduit, d’une part, par l’ASBL (AA) et, d’autre part, par les membres de cette dernière en tant que personnes physiques individuelles. A défaut de toute précision en ce sens dans la requête introductive d’instance, ces derniers n’agiraient pas en tant que représentants de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), mais ils agiraient soit en leur nom personnel, soit en tant que représentants de l’ASBL (AA).
S’agissant, finalement, de l’argumentation des demandeurs selon laquelle, dans l’hypothèse où l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) ne devrait pas être considérée comme le demandeur à l’origine de la demande de communication des documents litigieux, cette qualité devrait être reconnue aux personnes physiques la composant, de sorte que le recours de ces dernières devrait être déclaré recevable, la commune fait valoir que ce qui serait reproché aux demandeurs, ce serait le fait que la seule personne qui aurait qualité pour agir en l’espèce, à savoir l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), qui serait à l’origine de la demande initiale et la destinatrice de la réponse afférente, ne serait pas représentée à l’instance.
En effet, l’ASBL (AA) et les trois personnes physiques la composant ne représenteraient aucunement ladite association de fait, en ce qu’il n’en serait fait aucune mention dans le recours, de sorte que celui-ci devrait être déclaré irrecevable pour défaut de qualité pour agir dans le chef des demandeurs.
Appréciation du tribunal Le tribunal relève que l’intérêt conditionne la recevabilité d’un recours contentieux. En matière de contentieux administratif portant, comme en l’espèce, sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut en tirer un avantage corrélatif de la sanction de la décision par le juge administratif.3 Pour justifier d’un intérêt à agir il faut pouvoir se prévaloir de la lésion d’un intérêt personnel dans le sens que la réformation ou l’annulation de l’acte attaqué confère au demandeur une satisfaction certaine et personnelle.4 En l’espèce, le tribunal est tout d’abord amené à rejeter l’argumentation des demandeurs selon laquelle le moyen d’irrecevabilité tiré d’un défaut d’intérêt à agir se heurterait au principe de confiance légitime, en ce que pareille contestation n’aurait pas été soulevée par la partie communale au cours de la phase précontentieuse.
En effet, la question de l’existence, dans le chef d’un demandeur, d’un intérêt à agir est une question d’ordre public à soulever d’office par le tribunal et qu’il appartient à ce dernier d’apprécier in concreto, indépendamment du comportement adopté par la partie défenderesse au cours de la phase précontentieuse.
Le tribunal rappelle ensuite que la demande de communication des documents litigieux a été introduite par Messieurs (A1) et Monsieur (A2), agissant au nom de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA).
De même, il est constant en cause que c’est cette même association de fait qui est à l’origine de la saisine de la CAD et que c’est aussi à cette association de fait, par l’intermédiaire de Messieurs (A1) et (A2), que les décisions de refus des 28 janvier et 6 avril 2022 ont été adressées par la commune.
Ainsi, si le demandeur initial et le destinataire des actes déférés est bien l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), c’est cependant à tort que la commune en déduit un défaut d’intérêt à agir dans le chef de l’ASBL (AA).
3 Cour adm. 14 juillet 2009, n° 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse n° 2 et les autres références y citées.
4 Trib. adm., 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 12 et les autres références y citées.
En effet, il se dégage de l’ensemble des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, et notamment du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire de l’ASBL (AA) du 29 décembre 2022, lors de laquelle le président de cette dernière a « […] pass[é] chronologiquement en revue les actions du collectif L’ASSOCIATION (AA) avant l’immatriculation de l’asbl, puis de l’asbl […] », tout en soulignant « […] la continuité entre les actions du collectif et celles de l’association […] », que l’ASBL (AA) a succédé à l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), à la suite de son immatriculation au RCS et à la publication de ses statuts en date du 3 mai 2022, soit antérieurement au dépôt de la requête introductive d’instance. Ce constat, qui n’est a priori pas remis en cause par la partie communale, est corroboré, d’une part, par la circonstance selon laquelle l’ASBL et l’association de fait partagent la dénomination « L’ASSOCIATION (AA) » et, d’autre part, par le fait qu’il se dégage des explications des demandeurs, non contredites par la commune, que les trois membres de l’ASBL (AA), à savoir Messieurs (A1) et (A2), ainsi que Madame (A3), étaient aussi les seuls membres de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA).
Dans ces circonstances, et indépendamment de l’incidence de la reprise des demandes de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), décidée par l’ASBL (AA) lors de ladite assemblée générale, qui s’est tenue le 29 décembre 2022, soit postérieurement au dépôt de la requête introductive d’instance, le tribunal arrive à la conclusion que ladite ASBL a un intérêt suffisant à agir à l’encontre des actes déférés, pris à l’encontre de l’association de fait dont elle est issue.
Quant à la question de l’intérêt à agir de Messieurs (A1) et (A2), ainsi que de Madame (A3), le tribunal rappelle qu’il vient ci-avant d’être constaté que le demandeur initial et le destinataire des actes déférés était l’association de fait L’ASSOCIATION (AA).
Or, étant donné qu’une association de fait est dépourvue de personnalité juridique, les décisions déférées, prises à l’égard de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), ont nécessairement été prises à l’égard des personnes physiques l’ayant composée, à savoir Messieurs (A1) et (A2), ainsi que Madame (A3), de sorte que c’est à tort que la commune fait plaider qu’il n’existerait aucun lien entre ces derniers et les actes déférés.
Dans ces circonstances particulières, le tribunal retient que Messieurs (A1) et (A2), ainsi que Madame (A3) ont un intérêt suffisant à agir à l’encontre des décisions déférées, qui statuent sur une demande de communication de documents dont ils sont, en définitive, à l’origine.
S’agissant ensuite de l’argumentation de la commune ayant trait à un défaut de qualité pour agir dans le chef des demandeurs, le tribunal relève que la qualité à agir, c’est-à-dire le pouvoir d’agir, à partir du moment où il n’a pas été réservé par la loi à certaines personnes, appartient à tout intéressé, c’est-à-dire à tous ceux qui peuvent justifier d’un intérêt direct et personnel. La qualité se confond alors avec l’intérêt. Au contraire, lorsque la loi a attribué le monopole de l’action à certaines personnes qu’elle désigne, seules ces dernières ont qualité pour agir.5 5 Trib. adm., 4 mai 2009, n° 23190 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 189 et l’autre référence y citée.
Dès lors, et dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les demandeurs ont un intérêt suffisant à agir à l’encontre des actes déférés, ils ont également qualité pour agir, à moins que la loi ait réservé le monopole de l’action à certaines personnes.
Or, cette dernière hypothèse n’est pas vérifiée en l’espèce, étant donné que l’article 10 (3) et (4), précité, de la loi du 14 septembre 2018 se limite à préciser la forme et les délais du recours contentieux pouvant être introduit à l’encontre du refus de communiquer les documents concernés, à la suite de l’avis de la CAD, sans autrement limiter le cercle des personnes habilitées à introduire le recours en question, la partie communale ne s’étant d’ailleurs référée à aucune disposition légale de nature à remettre en cause ce constat.
Il s’ensuit que les demandeurs, dont l’intérêt à agir vient d’être constaté ci-avant, ont également qualité pour agir à l’encontre des actes déférés.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les moyens d’irrecevabilité tirés d’un défaut d’intérêt et de qualité pour agir dans le chef des demandeurs sont à rejeter pour ne pas être fondés.
• Quant à la recevabilité du recours pour le surplus Pour le surplus, la commune se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours quant à la forme et quant au délai.
S’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation6, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions7. Dès lors, et dans la mesure où la commune est restée en défaut d’expliquer en quoi le recours serait irrecevable quant à la forme et quant au délai, ses contestations afférentes encourent le rejet.
En l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours est à déclarer recevable.
II) Quant au fond Prétentions des parties A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées. Plus particulièrement, ils expliquent qu’ils seraient à l’origine du projet « … », qui aurait pour objet de recenser les passages piétons en analysant leur conformité aux dispositions du Code de la route, et plus particulièrement aux articles 164 (2) e) et 166 h) de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désigné par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 ». Les relevés effectués dans le cadre dudit projet aurait révélé que près d’un tiers des passages pour piétons de la Ville de Luxembourg ne seraient pas conformes à ces dispositions. Lors de la séance du conseil communal de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par « le conseil 6 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 905 et les autres références y citées.
7 Trib. adm., 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 905 et les autres références y citées.
communal », du 15 novembre 2021, l’échevin Monsieur (B) aurait cependant affirmé que cette problématique ne concernerait que 32 localisations, dont la conformité aux susdites dispositions de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 devrait donner lieu à un contrôle plus approfondi. Lors d’une réunion de la Commission de la mobilité urbaine, ci-après désignée par « la Commission », qui se serait tenue le 2 décembre 2021, le nombre de passages pour piétons dont la conformité à ces mêmes dispositions serait douteuse aurait été estimé à 37.
En droit, les demandeurs concluent à l’illégalité du refus de la commune de communiquer la Note.
Dans ce contexte, ils réfutent l’argumentation communale selon laquelle il s’agirait d’une communication interne au sens de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, en soutenant que cette argumentation ne serait pas autrement étayée, tout en soulignant que le fait qu’un document ait uniquement transité au sein d’une autorité administrative ne suffirait pas pour le qualifier de communication interne. Pour le surplus, ils renvoient à l’argumentation développée sur ce point par la CAD dans son avis, précité, du 2 mars 2022, cité in extenso ci-avant.
Par ailleurs, les demandeurs contestent l’argumentation de la commune selon laquelle la Note serait un document relatif à un secret ou une confidentialité protégés par la loi, au sens de l’article 1er (2), point 6. de la loi du 14 septembre 2018, en ce qu’elle aurait été présentée lors d’une réunion du collège des bourgmestre et échevins de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par « le collège échevinal », du 10 novembre 2021 qui se serait tenue à huis clos, en application de l’article 51 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ci-après désignée par « la loi communale ».
A cet égard, ils soutiennent que pareille argumentation se heurterait aux principes de confiance légitime et de l’estoppel, alors que la commune aurait accepté de leur communiquer la présentation « PowerPoint » qui aurait été discutée lors de la réunion de la Commission du 2 décembre 2021 qui se serait, elle aussi, tenue à huis clos, en application de l’article 5.7, alinéa 1er du règlement intérieur du conseil communal de la Ville de Luxembourg, ci-après désigné par « le Règlement intérieur ».
Par ailleurs, ils font valoir que contrairement à l’argumentation communale, le seul fait qu’une réunion se soit tenue à huis clos ne signifierait pas ipso facto que les documents ayant figuré à son ordre du jour ou que les débats y ayant été menés et les décisions y ayant été prises bénéficieraient de la protection afférente à un secret ou une confidentialité protégés par la loi.
En renvoyant à l’avis de la CAD du 2 mars 2022, ainsi qu’à l’article 5.7 du Règlement intérieur, ils font valoir qu’il existerait une différence entre le huis clos, qui ne serait qu’une mesure spécifique concernant les conditions d’organisation d’une réunion, et le secret, qui porterait sur la nécessité de protéger le contenu des délibérations.
Les demandeurs précisent ensuite qu’ils auraient aussi sollicité la communication du « […] document informatique contenant la base de données géographiques tenant à la localisation de tous les passages pour piétons existants, en général, et à la localisation des 37 passages piétons identifiés aux fins de la réunion de la Commission […] du 2 décembre 2021, en particulier […] ».
Dans ce contexte, ils réfutent l’argumentation communale selon laquelle tout document relatif aux 37 passages pour piétons considérés actuellement comme étant non conformes au Code de la route serait constitutif d’un document inachevé au sens de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018. A cet égard, ils font valoir que la jurisprudence administrative opérerait une distinction claire entre un document inachevé et un document préparatoire, qui, s’il ne constitue pas per se l’aboutissement d’un processus décisionnel de l’administration, serait néanmoins un document définitif. Or, en l’espèce, les résultats de l’analyse en cause auraient été présentés lors de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021 et lors de la réunion de la Commission du 2 décembre 2021. De même, il importerait peu que les conclusions de l’analyse seraient réévaluées ultérieurement, alors que les conclusions présentées et le document les supportant auraient acquis un caractère arrêté à un moment donné.
Le document litigieux étant achevé, il serait communicable.
Les demandeurs font encore plaider que la base de données géographiques dont ils auraient sollicité la communication, ci-après désignée par « la Base de données », serait bien communicable, contrairement à l’argumentation de la commune. Dans ce contexte, ils font valoir que ce serait à tort que la commune soutiendrait que les bases de données ne tomberaient pas dans le champ d’application de la loi du 14 septembre 2018. Ils se prévalent, à cet égard, de l’avis du Conseil d’Etat du 28 février 2017 relatif au projet de loi n° 6810, ayant retenu que la qualification d’un document en tant que « document administratif » ne dépendrait pas du support utilisé, ainsi que de la définition de la notion de « document », telle que figurant à l’article 2 de la loi du 29 novembre 2021 sur les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public, ci-après désignée par « la loi du 29 novembre 2021 », aux termes de laquelle constituerait un « document » « […] tout contenu quel que soit son support […] », pour soutenir que la Base de données constituerait bien un document au sens de la loi du 14 septembre 2018. Etant donné que les données litigieuses seraient détenues par la commune et concerneraient la conduite de la politique de l’urbanisme et l’exercice des missions de police administrative incombant à cette dernière, la Base de données tomberait dans le champ d’application de la loi du 14 septembre 2018.
Les demandeurs ajoutent que la Base de données ne constituerait pas un document inachevé. En effet, une telle base de données aurait, certes, vocation à évoluer au fil des modifications de son contenu, mais chaque version de la Base de données constituerait un document achevé.
Par ailleurs, ils soutiennent que la Base de données ne constituerait pas un document relatif à des droits de propriété intellectuelle, qui serait exclu du droit d’accès en vertu de l’article 1er (2), point 5. de la loi du 14 septembre 2018. A cet égard, les demandeurs renvoient à l’argumentation développée sur ce point par la CAD dans son avis, précité, du 2 mars 2022, tout en soulignant que la commune serait restée en défaut d’identifier tant les droits de propriété intellectuelle en cause que leur titulaire.
Les demandeurs continuent, en soutenant que l’offre de la commune de consulter les données géographiques au cours d’un entretien serait illégale. En effet, l’article 5 (1) de la loi du 14 septembre 2018 prévoirait en toute hypothèse la transmission d’une copie du document sollicité, sauf si la reproduction nuit à la conservation du document ou n’est pas possible en raison de la nature du document demandé. Or, aucune de ces deux hypothèses ne serait vérifiée en l’espèce. Dans ce contexte, les demandeurs soutiennent que les dispositions de l’article 5 (1), point 3. de la loi du 14 septembre 2018 relatives à la consultation des documents sur place devraient être interprétées restrictivement, en ce sens qu’une consultation sur place ne serait envisageable que si la reproduction du document se heurterait à une impossibilité matérielle insurmontable, alors que les dispositions de la loi du 14 septembre 2018 devraient être conciliées avec celles de la loi du 29 novembre 2021, qui poserait le principe suivant lequel les documents auxquels elle s’appliquerait pourraient être réutilisés à des fins commerciales ou non commerciales, de sorte à s’opposer à une proposition de consultation sur place de la part de l’administration.
Après avoir insisté sur le fait qu’une base de données tomberait dans le champ d’application de la loi du 29 novembre 2021, ils font valoir que si, certes, ils n’auraient pas explicitement invoqué la loi en question en tant que fondement juridique de leur demande, il n’en resterait pas moins qu’en application des dispositions de l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », il aurait appartenu à la commune d’appliquer ladite loi de sa propre initiative, spontanément.
Ainsi, la commune aurait dû reconnaître d’office qu’ils auraient disposé d’un droit à la réutilisation des données géographiques détenues par elle et accueillir leur demande en leur permettant d’obtenir une copie des données en question. Il s’ensuivrait que les décisions déférées violeraient la loi du 29 novembre 2021, ainsi que l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Les demandeurs réfutent ensuite l’argumentation de la commune ayant trait à l’inexistence de certains des documents sollicités par eux, à savoir (i) des documents matérialisant l’accord entre la commune et le ministère de la Mobilité et des Travaux Publics, ci-après désigné par « le ministère », concernant l’interprétation des articles 164 (2) e) et 166 h) de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg, (ii) les documents matérialisant la position la plus récente des services compétents de la commune sur l’interprétation de ces dispositions et (iii) des documents autres que la Note, qui matérialiseraient l’analyse des 475 passages pour piétons litigieux.
A cet égard, ils soulèvent une violation du principe de collaboration, en reprochant à la commune, qui semblerait considérer que leur demande afférente n’aurait pas été suffisamment précise, de ne pas avoir sollicité des précisions de leur part.
Ils font valoir qu’en tout état de cause, leur demande de communication de documents aurait été suffisamment précise, en contestant, dans ce contexte, l’argumentation de la commune selon laquelle il n’existerait pas de documents, autres que la Note, qui matérialiseraient l’analyse systématique des passages pour piétons menée par le Service Circulation. Les demandeurs soulignent que l’inexistence de pareils documents serait improbable, tout en insistant sur le fait qu’il y aurait bien eu une analyse par les services communaux des 475 passages pour piétons, qui auraient, à l’époque, été qualifiés de non conformes par l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), analyse qui aurait été menée à son terme et dont des conclusions auraient été tirées. Ainsi, il serait certain que d’autres documents pourraient être communiqués, tels que des documents préparatoires qui auraient nécessairement été élaborés dans le cadre de ladite analyse, ainsi que des notes, des mesures ou encore des photographies, de même que, surtout, le procès-verbal de la réunion de la Commission du 2 décembre 2021 au cours de laquelle l’analyse en question aurait été débattue, les demandeurs soulignant, dans ce contexte, que l’article 5.8 du Règlement intérieur imposerait la publication sur internet des procès-verbaux des réunions des commissions consultatives.
S’agissant plus particulièrement des documents en relation avec l’interprétation des articles 164 (2) e) et 166 h) de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 et l’accord y relatif entre la commune et le ministère, les demandeurs insistent sur le fait que la commune disposerait nécessairement de documents matérialisant le contenu et l’existence dudit accord, en citant, à titre d’exemples, les minutes des réunions s’étant tenues ou encore les échanges de correspondance entre le ministère et la commune.
La commune conclut au rejet du recours.
Après avoir insisté sur la nécessité de permettre une gestion sereine des administrations, elle explique que les deux documents dont les demandeurs solliciteraient la communication, à savoir la Note et son analyse cartographique, ci-après désignée par « l’Analyse », feraient partie d’un même ensemble documentaire, alors que la Note serait la partie écrite sommaire décrivant l’Analyse, laquelle se présenterait sous forme d’une carte dotée d’une légende où chaque passage pour piétons de la Ville serait référencé par un « sticker » catégorisant ledit passage au regard des prescriptions du Code de la Route, telles qu’interprétées par la commune en accord avec le ministère.
Elle insiste ensuite sur le caractère interne de la Note et de l’Analyse, en faisant valoir que ce serait à tort qu’à l’instar de la CAD, les demandeurs soutiendraient que ces dernières auraient été présentées lors de la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021, alors qu’en réalité, il aurait, à cette occasion, été fait état, non pas de ces documents, mais des résultats d’une première vérification des passages pour piétons effectuée rapidement à la suite de la publication, en date du 8 novembre 2021, dans le journal « … », d’un article relatif aux dangers potentiels aux abords des passages piétons se trouvant sur le territoire de la Ville de Luxembourg. Les documents en question n’auraient partant jamais été communiqués au public et auraient uniquement servi de compte-rendu sommaire de la situation servant à la base d’une discussion au sein du collège échevinal.
Par ailleurs, la commune conteste l’argumentation de la CAD et des demandeurs selon laquelle la Note et l’Analyse auraient nécessairement une vocation publique et non interne, au motif qu’elles viseraient des espaces publics, en soutenant que suivre cette thèse reviendrait à priver de sa substance l’exception légale visant les communications internes, telle que prévue à l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018.
Contrairement à l’argumentation des demandeurs, la Note et l’Analyse seraient des documents de travail internes qui n’auraient pas vocation à être communiqués au public.
La commune insiste ensuite sur le caractère confidentiel de la Note et de l’Analyse, en réfutant l’argumentation ayant trait à une violation des principes de confiance légitime et de l’estoppel, telle que développée dans ce contexte par les demandeurs. A cet égard, elle soutient qu’il n’y aurait aucune contradiction dans son comportement et que les principes susmentionnés ne pourraient jouer que si « […] la situation factuelle et légale entre les situations comparées […] » serait identique ou semblable, ce qui ne serait cependant pas le cas en l’espèce, étant donné que tant les organes administratifs concernés que la nature des documents en cause différeraient. En effet, le collège échevinal, qui serait l’organe exécutif décisionnel de la commune, et la Commission se distingueraient de par leurs rôles et prérogatives respectifs, le mode de nomination de leurs membres et la nature juridique de leurs choix, ceux de la Commission étant de nature consultative, tandis que ceux du collège échevinal auraient une nature décisionnelle. Quant aux documents concernés, la commune soutient que la présentation « PowerPoint » communiquée aux demandeurs auraient servi à appuyer une présentation devant une commission consultative en résumant la problématique en question, alors que la Note et l’Analyse contiendraient des éléments circonstanciés permettant à l’organe politique de prendre une décision en connaissance de cause.
Par ailleurs, la partie communale fait plaider que serait à tort que les demandeurs distingueraient entre le huis clos des réunions du collège échevinal et la communication des documents servant aux discussions menées lors des réunions en question. En effet, le législateur aurait imposé le huis clos de ces réunions, à travers l’article 51 de la loi communale, au motif que les discussions menées et les documents débattus lors de ces réunions auraient un caractère éminemment politique et confidentiel. Le collège échevinal se distinguant à cet égard de la Commission, l’article 5.7 du Règlement interne ne serait pas pertinent en l’espèce.
Elle souligne encore que sa position selon laquelle, en substance, la Note et l’Analyse tomberaient dans le champ d’application de l’article 1er (2), point 6. de la loi du 14 septembre 2018 pour avoir été discutées lors d’une réunion à huis clos du collège échevinal serait corroborée par la circulaire n° … du ministre de l’Intérieur du 4 décembre 2018, ci-après désignée par « la circulaire … », de même que par les dispositions de l’article 1er (2), point 10.
de cette même loi, excluant du droit d’accès les documents relatifs la confidentialité des délibérations du Gouvernement. Sur ce dernier point, la commune fait valoir que sur base d’un raisonnant par analogie, reposant sur la considération selon laquelle le collège échevinal serait le pendant au niveau communal du Gouvernement au niveau étatique, analogie qui aurait, d’ailleurs, été faite dans les travaux parlementaires gisant à la base de la loi du 14 septembre 2018, il y aurait lieu de retenir que seraient également exclus du droit d’accès les documents relatifs à la confidentialité des délibérations du collège échevinal. Le caractère confidentiel des décisions du collège échevinal et des documents gisant à leur base découlerait encore de l’article 23 de la loi communale, accordant aux membres du conseil communal le droit de prendre connaissance des décisions du collège échevinal prises en exécution des décisions du conseil communal, disposition qui serait superflue si la consultation des décisions du collège échevinal était permise à tout un chacun.
La commune fait encore valoir que tant la Note que l’Analyse seraient des documents inachevés. Dans ce contexte, elle fait plaider que contrairement à ce que soutiendraient les demandeurs, ce ne serait pas l’Analyse, mais seulement la susdite présentation « PowerPoint », qui aurait été communiquée lors la réunion de la Commission du 2 décembre 2021. La Note et l’Analyse auraient exclusivement été communiquées au collège échevinal, et non pas à la Commission.
Elle ajoute que ces documents auraient été établis à la hâte entre la parution du susdit article du « … » du 8 novembre 2021 et la réunion du conseil communal du 15 novembre 2021, de sorte à être sommaires et à nécessiter des études approfondies avant de pouvoir être communiqués au public. Après avoir souligné que les documents en question ne sauraient été considérés comme circulant en dehors de l’administration, de sorte à pouvoir être qualifiés de documents inachevés, en application de la jurisprudence du tribunal de céans, la partie communale explique encore qu’en refusant la communication des documents litigieux, mais en autorisant la consultation sur place de l’Analyse, elle aurait entendu préserver son « droit au brouillon », afin d’éviter des malentendus auprès du public qui pourrait erronément conclure au caractère définitif du document en question. En conclusion, la commune fait plaider que tant l’Analyse que la Note qui la décrirait constitueraient tout au plus des premières analyses, respectivement des brouillons tombant dans le champ d’application de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, de sorte que leur communication aurait valablement pu être refusée.
Quant à la Base de données, la commune explique que celle-ci constituerait un document électronique à usage interne des services de la Ville de Luxembourg qui serait utilisé par l’ensemble de ces services et qui serait constamment remis à jour par ces derniers au fur et à mesure des informations recueillies. Ce document, qui serait la propriété intellectuelle de la Ville de Luxembourg, ne saurait ainsi être communiqué au public à l’état brut en ce qu’il contiendrait de nombreuses données sensibles touchant notamment à la sécurité publique. La Base de données constituerait, en outre, un « éternel brouillon » qui serait sans cesse revérifié et réévalué par les services compétents. En imposer la communication au grand public aurait pour conséquence de demander un travail de vérification et de triage des informations sensibles considérable dans le chef de la commune, qui serait impossible à mener. En résumé, la commune soutient que la Base de données ne serait pas communicable en ce qu’elle constituerait un document interne nécessaire au travail quotidien de l’administration et qui serait sans cesse réévalué, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme un document achevé.
Quant à l’incidence de la loi du 29 novembre 2021, la commune se prévaut des travaux parlementaires afférents, pour soutenir qu’un document qui ne serait pas communicable sur base de la loi du 14 septembre 2018 ne le serait pas non plus sur base de la loi du 29 novembre 2021.
Par ailleurs, la commune conteste l’argumentation des demandeurs selon laquelle l’offre de consulter les données géographiques sur place aurait été illégale, en se prévalant de l’article 5 (1), point 3. de la loi du 14 septembre 2018, ainsi que des travaux parlementaires afférents.
S’agissant des autres documents dont les demandeurs auraient sollicité la communication, elle reproche à ces derniers de pratiquer une « pêche à l’information » et conteste toute violation du principe de collaboration, en soutenant qu’elle aurait bien collaboré avec les demandeurs en répondant à leur demande de communication des documents à sa disposition, mais qu’il ne saurait lui être fait grief de ne pas avoir versé des documents qui n’existeraient pas.
Quant à l’accord qu’elle aurait conclu avec le ministère concernant l’interprétation à donner aux articles 164 (2) e) et 166 h) de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, la commune insiste sur le fait qu’il s’agirait d’un accord purement oral qui ne serait pas matérialisé par un quelconque écrit, de sorte qu’aucun document ne saurait être versé à cet égard.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs donnent à considérer, à titre liminaire, que l’attitude de la commune en matière de transparence administrative serait contraire à l’esprit et à la lettre de la loi du 14 septembre 2018 et serait en dissonance avec les standards européens en matière d’accès aux documents.
Sur ce dernier point, les demandeurs soutiennent, notamment, que la position communale se heurterait à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », relative à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », selon laquelle la non-communication d’informations détenues par l’autorité publique pourrait être contraire à la Convention dans l’hypothèse où l’accès à l’information serait déterminant pour l’exercice par l’individu de son droit à la liberté d’expression. Tel serait le cas pour l’ASBL (AA), qui serait un acteur central du débat public relatif à la mobilité et à la transparence administrative, ainsi que cela ressortirait à suffisance de ses statuts. Les demandeurs précisent que les demandes d’accès de l’ASBL (AA) auraient pour objet d’informer le public sur la gestion, par la commune, des questions relatives à la mobilité, mais concerneraient aussi « […] l’analyse par le citoyen de la façon dont travaille[rait] l’administration […] ». A cet égard, l’ASBL (AA) serait un « […] acteur du développement de la démocratie administrative indispensable dans une société démocratique […] ».
Par ailleurs, les demandeurs font plaider que le dossier administratif n’aurait pas été déposé par la partie communale, en violation de l’article 8 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », de sorte qu’il y aurait lieu d’écarter tous les arguments de la commune qui seraient fondés sur le contenu des documents sollicités.
Ensuite, les demandeurs insistent sur le caractère communicable de la Note et de l’Analyse.
A cet égard, ils soutiennent que ce serait à tort que la commune qualifierait ces documents de brouillons, alors qu’ils auraient été annexés à l’ordre du jour de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021. L’urgence et le bref délai à disposition des services communaux pour établir les documents en question seraient sans incidence à cet égard. Dans ce contexte, les demandeurs contestent que lesdits services auraient effectivement dû agir dans l’urgence, tout en soutenant qu’en tout état de cause, le temps imparti aurait été suffisant pour analyser les données présentées à l’époque par l’association de fait L’ASSOCIATION (AA).
Ils ajoutent que comme la Note et l’Analyse auraient été établies pour être discutées lors de la susdite séance du conseil communal du 15 novembre 2021, elles auraient nécessairement été finalisées à cette date, tout en soulignant que la position de la commune aurait été arrêtée et définitive en ce qui concerne les 443 passages pour piétons qui, selon elle, ne nécessiteraient pas d’analyse ultérieure pour être conformes aux dispositions du Code de la route.
Les demandeurs affirment qu’en tout état de cause, à défaut, pour la commune, d’avoir versé le dossier administratif, son argumentation selon laquelle il s’agirait de documents inachevés devrait être écartée pour ne pas être démontrée, et ce afin de préserver leurs droits de la défense et, par conséquent, l’effectivité de leur recours.
Les demandeurs insistent ensuite sur le fait que la Note et l’Analyse ne constitueraient pas des communications internes au sens de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, en soutenant que cette disposition ne s’appliquerait pas à un document qui ne serait pas une communication. Selon les demandeurs, la notion de « communications internes » viserait l’échange de messages au sein de l’administration, et non pas les documents démontrant l’expression d’une volonté ou d’une prise de position par la personne publique elle-même.
Lorsque l’existence d’un document serait portée à la connaissance du public, ce document ne pourrait plus être qualifié de communication interne. Tel serait le cas lorsque le document aurait quitté la sphère interne de l’administration, en étant communiqué hors de l’administration.
Les demandeurs en déduisent que le seul fait que l’existence de la Note et de l’Analyse aurait été révélée par la mention de leurs résultats de la part de l’échevin MONSIEUR (B) lors de la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021 suffirait pour dénier un caractère interne aux documents en question.
Lesdits documents démontrant une prise de position de la part du collège échevinal sur une question d’intérêt public et leur existence ayant été divulguée au public, il ne s’agirait pas de communications internes au sens de la loi.
En outre, les demandeurs soulignent que la Note et l’Analyse ne seraient pas des documents confidentiels exclus du droit d’accès en vertu de l’article 1er (2), point 6. de la loi du 14 septembre 2018. A cet égard, ils donnent à considérer que cette disposition légale ne s’appliquerait que si une obligation légale protège le document concerné ou son contenu par un secret ou une confidentialité, en ce sens qu’une interdiction de divulgation devrait être assignée à l’autorité administrative.
Or, une telle interdiction de divulgation n’existerait pas à charge de la commune et ne se dégagerait, plus particulièrement, pas de l’article 23 de la loi communale, qui, selon les travaux parlementaires afférents, ne viserait pas à garantir le secret des décisions du collège échevinal à l’égard du public, mais à garantir que le collège échevinal ne dissimule pas d’éléments d’intérêt communal aux membres du conseil communal.
L’article 51 de la loi communale ne serait pas non plus de nature à créer un secret protégé par la loi. En se prévalant des travaux parlementaires afférents, les demandeurs font plaider que le législateur aurait prévu le huis clos des réunions du collège échevinal, non pas pour protéger le secret d’un débat éminemment politique, mais en raison du fait que les décisions de ce dernier ne nécessiteraient pas de débat politique et, partant, pas de publicité. Le huis clos ne protégerait de la vue du public que les réunions en tant que telles, c’est-à-dire l’échange précédant l’adoption d’une décision ou d’une position, et non pas ce qui précéderait et ce qui succéderait les réunions stricto sensu.
Les demandeurs font ensuite plaider, contrairement à l’argumentation communale, que l’exception au droit d’accès concernant les documents relatifs à la confidentialité des délibérations du Gouvernement, telle que prévue au point 10. de l’article 1er (2) de la loi du 14 septembre 2018, ne serait pas applicable par analogie aux délibérations du collège échevinal, alors que le législateur aurait expressément visé le seul Gouvernement, défini, notamment, par les articles 76 à 83 de la Constitution.
Ils ajoutent que la partie communale ne saurait utilement se prévaloir de la circulaire …, étant donné que celle-ci, d’une part, n’aurait pas d’effet juridique contraignant à l’égard de la commune et, d’autre part, serait illégale, alors qu’en retenant que les délibérations du collège échevinal relèveraient d’un secret protégé par la loi, elle irait au-delà du contenu du texte légal.
A l’appui de leur argumentation ayant trait à la violation du principe de confiance légitime, les demandeurs font valoir que contrairement à l’argumentation communale, il n’y aurait pas de différence entre le huis clos des réunions du collège échevinal et celui des réunions de la Commission, en soulignant que dans les deux cas, le huis clos serait prévu pour des raisons organisationnelles similaires.
Les demandeurs insistent ensuite sur le caractère communicable de la Base de données.
Après avoir souligné que cette dernière serait bien constitutive d’un document au sens de la loi du 14 septembre 2018, ils font plaider qu’elle ne constituerait pas une communication interne au sens de l’article 7, point 4. de ladite loi, étant donné, d’une part, qu’elle ne serait pas réservée à un usage interne, alors que la commune proposerait contre rémunération des extraits de l’atlas topographique en question et qu’elle utiliserait de tels extraits pour informer le public sur des chantiers de voirie qu’elle conduirait et, d’autre part, qu’il ne s’agirait pas d’une communication, c’est-à-dire d’informations échangées entre les membres des services communaux, mais d’un document qui démontrerait une prise de position ou une appréciation de la personnes publique sur la légalité des passages piétons concernés.
En outre, les demandeurs soulignent que la Base de données ne constituerait pas un document inachevé, étant donné que chaque version de celle-ci en serait une version achevée, tout en donnant à considérer que le fait, mis en exergue par la partie communale, que la Base de données contiendrait de probables erreurs serait dépourvu de pertinence au regard de la question de savoir s’il s’agit d’un document communicable sur base des dispositions de la loi du 14 septembre 2018 ou non.
Quant au motif de refus selon lequel la Base de données serait protégée par des droits de propriété intellectuelle, les demandeurs font plaider que faute pour la partie communale d’avoir déposé le dossier administratif, le bien-fondé de ce motif ne pourrait être contrôlé.
A titre subsidiaire, ils font valoir que la Base de données ne serait pas protégée par des droits de propriété intellectuelle. Dans ce contexte, ils font valoir qu’en vertu de l’article 1er (2) de la loi modifiée du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, les droits voisins et les bases de données, ci-après désignée par « la loi du 18 avril 2001 », une base de données ne bénéficierait d’une protection légale qu’à condition de constituer une création originale. Or, la Base de données ne serait probablement qu’un atlas topographique sur lequel ne seraient portées que des mentions techniques, de sorte qu’elle ne remplirait pas le critère de l’originalité, tel qu’il serait précisé par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») et que, dès lors, elle ne tomberait pas dans le champ d’application de l’article 1er (2), point 5. de la loi du 14 septembre 2018.
En tout état de cause, même à admettre que la Base de données serait protégée en vertu de la loi du 18 avril 2001, cette protection ne s’étendrait pas à son contenu, conformément à l’article 1er (2), alinéa 3 de cette même loi.
A cela s’ajouterait que la Base de données serait communicable sur base de la loi du 29 novembre 2021. En effet, à travers son article 1er (2), point 3°, celle-ci exclurait de son champ d’application les documents sur lesquels des tiers détiendraient des droits de propriété intellectuelle, ce qui permettrait de retenir qu’a contrario, ladite loi permettrait la réutilisation de données couvertes par des droits de propriété intellectuelle appartenant, non pas à des tiers, mais à la personne publique requise de communiquer les documents, telle qu’en l’espèce la commune.
En soutenant que l’article 1er (2), point 3°, précité, de la loi du 29 novembre 2021 serait la transposition en droit national de l’article 1er (2) c) de la directive (UE) 2019/1024 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public, ci-après désignée par « la directive 2019/1024 », et en se prévalant du principe d’interprétation conforme du droit national, les demandeurs font valoir que sous peine de priver ladite directive de son effet utile, l’article 1er (2), point 5. de la loi du 14 septembre 2018 devrait être interprété comme ne visant que les droits de propriété intellectuelle appartenant à des tiers.
A titre subsidiaire, ils demandent au tribunal de saisir la CJUE de la question préjudicielle suivante : « Une disposition de droit national, telle que l’article 1er, paragraphe 2, point 5 de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte en l’espèce, n’ayant pas été adoptée pour transposer une directive, telle que la directive (UE) 2019/1024 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public comme en l’espèce, mais étant susceptible de porter atteinte à l’effectivité et à l’effet utile de cette directive, comme, en l’espèce, par l’établissement d’une exception empêchant la réutilisation de données détenues par l’autorité publique lorsque celle-ci dispose elle-même de droits de propriété intellectuelle sur le document qui les contient, alors que l’article 1er, paragraphe 2, point c) de la directive (UE) 2019/1024 précitée n’exclut de son champ d’application que les documents pour lesquels ce sont des tiers qui détiennent des droits de propriété intellectuelle, est-elle conforme au droit de l’Union européenne ? ».
Les demandeurs réitèrent ensuite leur conclusion selon laquelle l’offre de consultation sur place de la Base de données, telle qu’elle aurait été formulée par la commune, serait illégale au regard des dispositions de l’article 5 (1) de la loi du 14 septembre 2018, tout en soulignant qu’un document électronique pourrait être reproduit à l’infini, sans risque pour sa conservation.
En se prévalant des principes de confiance légitime et de l’estoppel, ils ajoutent que la commune ne serait pas recevable à plaider que la Base de données ne serait pas communicable, étant donné qu’elle leur aurait proposé la consultation sur place de cette dernière, de sorte qu’elle aurait implicitement admis la communicabilité de la Base de données et qu’elle se serait, dès lors, contredite à leur détriment, alors que l’article 5 (1), précité, de la loi du 14 septembre 2018 ne s’appliquerait qu’aux documents communicables.
Quant aux autres documents dont ils auraient sollicité la communication, les demandeurs font valoir que faute pour la partie communale d’avoir déposé le dossier administratif, l’affirmation de cette dernière quant à l’inexistence de ces documents ne pourrait être vérifiée.
A l’appui de leur moyen tiré de la violation du principe de collaboration, tel que soulevé dans ce contexte par eux, les demandeurs font valoir qu’en application de l’article 4 (2) de la loi du 14 septembre 2018, il aurait appartenu à la commune de les inviter à préciser leur demande.
Par ailleurs, les demandeurs contestent se livrer à une pêche à l’information, en insistant sur le fait que leur demande aurait été suffisamment précise.
Dans son mémoire en duplique, la partie communale soutient, à titre liminaire, qu’elle aurait respecté les exigences légales en relation avec le dépôt du dossier administratif. A cet égard, elle précise que sous peine de vider la loi du 14 septembre 2018 de sa substance, les documents dont l’accès aurait été refusé ne sauraient être communiqués à un demandeur à travers le dossier administratif déposé au greffe du tribunal administratif. Il y aurait, ainsi, lieu de différencier entre le dossier administratif communicable, qui aurait été déposé en annexe au mémoire en réponse communal, et le dossier administratif confidentiel, qui aurait été versé à l’appui du mémoire en duplique, à l’exception de la Base de données, qui ne serait pas consultable en dehors des bureaux de la commune.
Quant au fond, la partie communale insiste sur le fait que la Note et l’Analyse constitueraient des communications internes, au sens de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, étant donné qu’il s’agirait d’une missive écrite et cartographique adressée par le chef du Service Circulation à l’ingénieur-directeur de la Direction Mobilité. Il ne s’agirait aucunement de documents démontrant l’expression d’une prise de position dans le chef de la personne publique. Ces documents, qui ne contiendrait aucune expression de volonté de la part de l’administration, ne feraient que reprendre des éléments internes à l’administration à la suite de l’analyse menée par l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) pour permettre au collège échevinal de débattre en connaissance de cause. Ces documents mentionnés par un échevin « […] avec les emphases nécessaires au titre de brouillon et de document en cours d’approfondissement […] » ne sauraient être qualifiés de documents publics ayant quitté la sphère interne de l’administration, les documents en question n’ayant, selon la partie communale, jamais été communiqués au public et ayant uniquement servi de compte-rendu sommaire de la situation en vue d’une discussion au sein du collège échevinal.
Quant à la question du caractère confidentiel de la Note et de l’Analyse, la commune réitère, en substance, ses développements antérieurs selon lesquels il se dégagerait des travaux parlementaires relatifs à la loi du 14 septembre 2018 que le régime légal applicable aux délibérations du Gouvernement serait également applicable aux délibérations du collège échevinal. Ainsi, les décisions et les éléments à la base des délibérations de l’organe exécutif communal devraient être considérés comme des documents par principe confidentiels, afin de préserver le rôle du pouvoir exécutif et ses prises de décision, de sorte à ne pas être pas communicables. Ils ne seraient communicables qu’en vertu de l’article 23 de la loi communale aux membres du conseil communal dans les cas strictement définis par les travaux préparatoires.
Quant à la question de savoir si la Note et l’Analyse peuvent être qualifiées de documents inachevés, la commune réfute l’argumentation des demandeurs selon laquelle ces documents auraient été débattus lors d’une réunion du 15 novembre 2021 de sorte à avoir été finalisés à cette date. A cet égard, elle fait valoir qu’il n’y aurait pas eu de réunion du collège échevinal le 15 novembre 2021 et que la Note et l’Analyse, qui dateraient du 10 novembre 2021 et dont la finalité aurait été d’être discutées au sein du collège échevinal afin de pouvoir le cas échant répondre à une interpellation des conseillers communaux à la suite du susdit article paru dans le « … », ne seraient aucunement achevées ou finalisées, en ce qu’il s’agirait de documents en cours d’approfondissement par les services communaux, ainsi que l’échevin MONSIEUR (B) l’aurait expressément précisé lors de la susdite séance du conseil communal.
En effet, tous les passages pour piétons, y compris les 443 a priori conformes au Code de la route, auraient dû être réévalués, l’Analyse ayant tout au plus permis de nuancer rapidement les affirmations péremptoires de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA), relatées dans ledit article de presse. Le caractère en cours d’approfondissement de l’Analyse serait, d’ailleurs, confirmé par la mention y apposée d’une modification intervenue le 16 novembre 2021, soit après la susdite séance du conseil communal.
Quant à la Base de données, la commune se rapporte à prudence de justice quant à la qualification de document de celle-ci, tout en soulignant qu’il s’agirait d’un recueil informatique rassemblant toutes les données à disposition des différents services communaux afin de permettre une meilleure administration de son territoire.
Elle insiste ensuite sur le caractère interne de la Base de données. Elle précise que celle-ci ne contiendrait aucune position de l’administration sur une situation et, plus particulièrement, qu’elle n’établirait pas si un passage pour piétons est conforme à la loi ou non. La Base de données serait en constante évolution et ne ferait que refléter, au su des fonctionnaires de la commune, la situation factuelle d’un lieu donné sur le territoire communal.
Ce recueil électronique, qui ne constituerait qu’un « […] réceptacle de toutes les communications internes entre les services compétents en lien avec l’aménagement du territoire […] », n’aurait ainsi aucune vocation à être rendu public à l’état brut, en ce que les mentions y reprises seraient à chaque fois revérifiées par les services compétents avant, le cas échéant, d’être communiquées en partie au public, un tel travail de vérification pour l’intégralité de la Base de données étant, selon la commune, impossible à réaliser.
La commune soutient encore que le fait, pour elle, de mettre à la disposition du public des extraits de son atlas topographique, tel qu’invoqué par les demandeurs, ne serait pas un argument justifiant la communication de la Base de données, étant donné que celle-ci et ledit atlas topographique constitueraient deux recueil électroniques « […] totalement différents […] ».
Quant à la question de savoir si la Base de données constitue un document inachevé, la commune réitère ses développements antérieurs selon lesquels il s’agirait d’un « éternel brouillon », tout en insistant sur le fait (i) que les informations y recueillies seraient revérifiées systématiquement, avant qu’une décision soit prise sur base de ces informations et avant toute communication au public d’une partie de ces dernières, (ii) que la Base de données comprendrait plusieurs milliers de données qui ne sauraient toutes être vérifiées en temps réel et (iii) qu’une communication au public de celle-ci entraînerait des risques pour la sécurité nationale et poserait des problèmes en termes de responsabilité de la commune quant à la véracité des informations transmises au public.
La partie communale soutient, en outre, que la Base de données serait bien protégée par des droits de propriété intellectuelle. En effet, il s’agirait d’une création originale, en ce qu’il s’agirait d’un recueil propre à la Ville de Luxembourg que les services communaux auraient créé selon un mode de classement propre à leurs besoins, les informations y figurant étant diffusées de manière libre et créative afin de permettre au personnel de la commune de les retrouver le plus rapidement possible. Il ne s’agirait, dès lors, pas d’un atlas topographique ne reprenant que des mentions purement techniques et sans originalité.
En soulignant que la Base de données contiendrait des milliers d’informations provenant de sources différentes, la commune ajoute que « […] si la base est protégée et n’est pas à communiquer en tant que telle, cela rendrait la demande des parties requérantes non précise[…] en ce que cela reviendrait à solliciter la communication par la Ville de Luxembourg de toutes les données à sa connaissance sur l’intégralité de son territoire […] », pour en déduire qu’une telle demande non précise serait exclue du champ d’application de la loi du 14 septembre 2018 et justifierait un refus de communication des documents concernés.
La commune réfute encore l’argumentation des demandeurs selon laquelle seuls des droits de propriété intellectuelle détenus par des tiers pourraient justifier un refus de communication de documents, en vertu de l’article 1er (2) de la loi du 29 novembre 2021. A cet égard, elle se prévaut de l’article 3 (1) de la même loi, des travaux parlementaires afférents, ainsi que du considérant n° 23 de la directive 2019/1024, pour soutenir que ladite loi du 29 novembre 2021 ne dérogerait pas à la loi du 14 septembre 2018 et que, dès lors, un document qui ne serait pas communicable en vertu de cette dernière loi ne le serait pas non plus sur base de la loi du 29 novembre 2021.
Par ailleurs, la commune soutient que l’argumentation des demandeurs ayant trait à l’effet utile de cette directive serait à rejeter, sans qu’il y ait besoin de saisir la CJUE de la question préjudicielle formulée à cet égard par ces derniers, étant donné qu’à travers son considérant n° 23, ladite directive prévoirait expressément que les règles d’accès seraient régies par le droit national, soit en l’espèce par la loi du 14 septembre 2018, et non pas par la directive en question.
S’agissant des contestations formulées par les demandeurs quant à son offre de consulter les données géographiques sur place, la commune conteste toute violation des principes de confiance légitime et de l’estoppel, en soutenant que dans sa décision du 6 avril 2022, elle aurait formulé cette offre dans une optique de « […] pacification sociale […] », de transparence et d’ouverture, tout en ayant expressément précisé que la Base de données ne serait pas communicable pour être protégée par des droits d’auteur.
Elle insiste sur le fait que dans l’hypothèse où le tribunal devait conclure au caractère communicable de la Base de données, elle entendrait se prévaloir de l’exception prévue à l’article 5 (1) de la loi du 14 septembre 2018, alors qu’au vu de sa nature, et plus particulièrement de son volume, il serait très difficile, voire impossible de la communiquer à un tiers ou même au tribunal, étant donné que sa prise de connaissance ne serait possible que dans les bureaux de la commune.
Quant aux autres documents dont les demandeurs auraient sollicité la communication, la commune s’interroge sur les moyens à sa disposition pour prouver l’inexistence des documents en question, tout en contestant une violation du principe de collaboration. Sur ce dernier point, elle précise qu’elle n’aurait jamais soutenu que la demande lui soumise n’aurait pas été suffisamment précise à cet égard, mais qu’elle aurait indiqué que les documents sollicités ne correspondraient à aucun document en sa possession.
Appréciation du tribunal A titre liminaire, s’agissant de la problématique du dépôt du dossier administratif, telle que soulevée par les demandeurs, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999, « L’autorité qui a posé l’acte visé par le recours dépose le dossier au greffe sans autre demande, dans le délai de trois mois à partir de la communication du recours. Les parties peuvent obtenir copie des pièces de ce dossier contre paiement des droits de copie fixés pour frais de justice. Le recouvrement de ces frais est opéré par le receveur de l’Administration de l’enregistrement. ».
Or, lorsque le litige porte sur le refus de communication de documents, tel que c’est le cas en l’espèce, les documents en question ne sont, par exception au principe du contradictoire, pas communicables aux parties intéressées. Cette dérogation audit principe général du droit s’impose nécessairement, étant donné que le refus de communication des documents en question constitue l’objet même du litige. En décider le contraire, c’est-à-dire associer le demandeur à ce contrôle juridictionnel et lui communiquer la teneur des documents litigieux, reviendrait, en effet, à lui donner gain de cause avant toute décision au fond quant à l’existence de son droit de communication.8 8 Trib. adm., 15 décembre 1997, n° 9776 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 858 et l’autre référence y citée ; voir aussi : document parlementaire n° 681013, rapport de la commission de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, des médias, des Communications et de l’Espace, p. 18 : « […] la jurisprudence des Ainsi, il ne saurait être reproché à la commune de ne pas avoir versé, en tant qu’éléments communicables du dossier administratif, les documents dont le refus de communication est l’objet du litige.
Sur ce point, le tribunal relève que la commune affirme que les seuls documents en sa possession qui répondraient à la demande de l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) seraient (i) la Note, (ii) l’Analyse et (iii) la Base de données. Si la Note et l’Analyse ont bien été déposées à titre d’éléments confidentiels du dossier administratif en annexe au mémoire en duplique communal, tel n’est pas le cas de la Base de données, la commune expliquant, en substance, qu’au vu de son volume et de sa nature, celle-ci ne pourrait être versée en tant que telle et ne serait consultable que dans ses bureaux. Toutefois, sur invitation du tribunal à l’audience publique des plaidoiries du 18 septembre 2024, la commune a versé une vidéo montrant la structure et le fonctionnement de la Base de données. Ainsi, le tribunal dispose d’éléments suffisants pour apprécier le caractère communicable ou non des documents en question.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal retient que c’est à tort que les demandeurs soutiennent qu’il y aurait lieu d’écarter tous les arguments de la commune qui seraient fondés sur le contenu des documents sollicités.
Pour le surplus, le tribunal constate que la partie communale a déposé, en annexe à son mémoire en réponse, une farde de trois pièces, qui, selon les explications de la commune, non contredites de façon circonstanciée par les demandeurs, constitueraient, ensemble avec les documents d’ores et déjà versés par ces derniers, les pièces du dossier administratif autres que celles dont le refus de communication fait l’objet du présent litige et qui, tel que précisé ci-avant, ne sont pas communicables aux demandeurs.
Si, certes, cette façon de procéder, consistant à ne verser que les pièces du dossier administratif qui n’ont pas d’ores et déjà été versées par la partie demanderesse, ne répond pas à la lettre de l’article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999, il n’en reste pas moins, d’une part, qu’il n’est pas établi en l’espèce que les droits de la défense des demandeurs aient été lésés de ce fait et, d’autre part, que les pièces versées de part et d’autre sont suffisantes pour trancher le présent litige.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que les contestations des demandeurs quant à l’absence de dépôt du dossier administratif sont à rejeter.
Quant au fond et toujours à titre liminaire, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 1er (1) de la loi du 14 septembre 2018, « (1) Les personnes physiques et les personnes morales ont un droit d’accès aux documents détenus par les administrations et services de l’État, les communes, les syndicats de communes, les établissements publics placés sous la tutelle de l’État ou sous la surveillance des communes ainsi que les personnes morales fournissant des services publics, dans la mesure où les documents sont relatifs à l’exercice d’une activité administrative. […] », l’article 3 de la même loi précisant que « Sans préjudice d’autres dispositions légales qui règlent l’accès à des documents détenus par les organismes visés à juridictions administratives, citées par le Conseil d’Etat dans son avis, règle d’ores et déjà, et à suffisance, selon l’avis de la commission parlementaire, l’hypothèse de l’exception au principe du contradictoire, faisant de sorte que le document sur lequel porte le litige, ne saurait être communiqué à la partie demanderesse au cours du même litige […] ».
l’article 1er, paragraphe 1er, ces derniers sont tenus de communiquer les documents qu’ils détiennent et qui sont accessibles en vertu de la présente loi, quel que soit leur support, à toute personne physique ou morale qui en fait la demande sans que celle-ci ne soit obligée de faire valoir un intérêt. ».
Il se dégage de l’exposé des motifs du projet à la base de la loi du 14 septembre 2018 que l’intention du législateur était celle de poser le principe de l’ouverture et du partage en ligne des documents administratifs, sous réserve des exceptions prévues par la loi, étant relevé que les auteurs de ladite loi ont décidé de réviser la liste des restrictions au droit d’accès telles que prévues initialement par le projet de loi n° 6540 relative à l’accès des citoyens aux documents détenus par l’administration, restrictions certes nécessaires pour empêcher la communication de documents dont la divulgation porterait atteinte à certains intérêts publics ou privés fondamentaux, le législateur ayant ainsi décidé de reformuler certaines exceptions libellées de manière trop générale afin de les assortir de conditions plus strictes.9 En d’autres termes, le principe, sous l’égide de la loi du 14 septembre 2018, entrée en vigueur le 1er janvier 2019, est dorénavant que tous les documents détenus par une administration ou un service de l’Etat, une commune, un établissement public et une personne morale fournissant un service public sont accessibles et qu’il suffit que les documents sollicités revêtent un caractère administratif et qu’ils se rapportent donc à la gestion d’une activité administrative10 : dorénavant l’accès aux documents constitue la règle générale, la loi prévoyant toutefois des exceptions à ce principe, dont le tribunal appréciera ci-après la portée, les parties à l’instance étant notamment en litige sur la portée des exceptions invoquées par la commune.
Sur ce dernier point, le tribunal précise que l’article 1er (2) de la loi du 14 septembre 2018 énumère les documents qui sont exclus du droit d’accès, parmi lesquels figurent, notamment, les « documents relatifs à des droits de propriété intellectuelle », ceux relatifs à « un secret ou une confidentialité protégés par la loi » et ceux relatifs à « la confidentialité des délibérations du Gouvernement », visés respectivement sous les points 5., 6. et 10. de la disposition légale en question, les auteurs du projet de loi ayant souligné que les restrictions prévues par la loi « sont nécessaires pour empêcher la communication de documents dont la divulgation porterait atteinte à certains intérêts publics ou privés fondamentaux »11, l’autorité publique sollicitée devant « mettre en balance l’intérêt de la communication d’un document et l’intérêt protégé par un motif d’exception ».12 Il ressort à cet égard de la jurisprudence de la Cour administrative13 que dans le cadre de cette démarche, l’administration est tenue de vérifier in concreto si la divulgation du document constitue un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à l’un des intérêts protégés par l’exception et que si au niveau de l’administration de la preuve, les règles de preuve en matière administrative font porter l’essentiel du fardeau de la preuve sur le demandeur, lequel doit en principe effectivement combattre et démentir le contenu et la légalité de l’acte administratif critiqué, il n’en reste pas moins qu’au cas où, en la présente matière, l’administration s’oppose à la communication des documents sollicités en avançant l’une des exclusions prévues par la loi du 14 septembre 2018, la charge de la preuve lui incombe.
9 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, exposé des motifs.
10 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art. 1er.
11 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art. 4.
12 Ibid..
13 Cour adm., 12 décembre 2023, n° 48782C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
Le tribunal relève ensuit qu’au-delà des cas d’exclusion du droit d’accès, la loi du 14 septembre 2018 prévoit, en son article 7, les hypothèses dans lesquelles la demande de communication peut être refusée, à savoir, notamment, « […] si :
1. la demande concerne des documents en cours d’élaboration ou des documents inachevés ;
[…] 4. la demande concerne des communications internes. ».
Dans une optique de cohérence, le tribunal retient que les principes dégagés par la Cour administrative quant à la charge de la preuve en ce qui concerne les cas d’exclusions visés par l’article 1er (2) de la loi du 14 septembre 2018 doivent être transposés aux motifs de refus prévus par l’article 7 de la même loi. Il en est nécessairement de même en ce qui concerne l’obligation de l’administration de vérifier in concreto si la divulgation du document constitue un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à l’un des intérêts protégés par l’exception invoquée.14 Ces conclusions sont corroborées par le fait que, d’une part, l’extrait du commentaire de l’article 4 du projet de loi n° 6810, cité dans ce contexte par la Cour, concernait ledit article 4 dans sa globalité et, d’autre part, cet article 4 visait, en ses paragraphes 1er et (3), tant les cas d’exclusion du droit d’accès, actuellement prévus par l’article 1er (2) de la loi du 14 septembre 2018, que les motifs de refus facultatifs d’une demande d’accès, actuellement régis par l’article 7 de la même loi.
Dans ce contexte, le tribunal précise encore que la doctrine belge considère que s’agissant des exceptions facultatives, telles que celles prévues en droit luxembourgeois par l’article 7, précité, de la loi du 14 septembre 2018, qui permettent, mais n’imposent pas, à l’autorité de refuser l’accès à un document, il faut justifier plus largement ce pouvoir d’appréciation laissé aux mains des administrations, et donc démontrer que l’intérêt protégé prime sur l’intérêt de la publicité.15 C’est sur cette toile de fond que le tribunal tranchera le présent litige qui, au vu des écrits respectifs des parties, porte sur trois séries de documents, à savoir (i) la Note et l’Analyse, (ii) la Base de données et (iii) les autres documents dont les demandeurs ont sollicité la communication.
• Quant à la Note et à l’Analyse A titre liminaire, le tribunal constate que la Note constitue, en substance, une prise de position du Service Circulation quant à l’analyse du L’ASSOCIATION (AA) de la conformité des passages pour piétons de la Ville de Luxembourg aux susdites dispositions du Code de la route. Cette prise de position comporte une description des éléments pris en considération pour évaluer la sécurité des passages pour piétons et leur conformité au Code de la route, ainsi que le résultat de cette évaluation.
14 Sur ce point, voir, en ce sens : RENDERS, D., BOMBOIS, T., GORS, B., THIEBAUT, C. et VANSNICK, L., « Article 4 - Les exceptions au droit d’accès » in Précis de droit administratif, 1e édition, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 89, pt. 171.
15 DE BROUX, P.-O., DE JONGHE, D., SIMAR, R. et VANDERSTRAETEN, M., « Chapitre 4 - Les exceptions à la publicité des documents administratifs » in MICHIELS, V. (dir.), La publicité de l’administration, 1re édition, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 135, pt. 3.
Selon la commune, il s’agirait de la partie écrite sommaire décrivant l’Analyse.
Ce dernier document – qui constitue un plan intitulé « …», reprenant l’analyse des passages pour piétons effectuée par le Service Circulation en les regroupant en différentes catégories – correspond, au vu de son contenu et de son intitulé décrits ci-avant, au « […] plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg […] », tel que visé dans l’avis de la CAD du 2 mars 2022.
Le tribunal constate encore qu’à travers sa décision du 6 avril 2022, la commune avait offert à l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) de consulter le susdit plan de situation, c’est-à-dire l’Analyse – et non pas le recueil électronique que constitue la Base de données, tel que soutenu erronément par les demandeurs – sur place, dans le cadre d’un échange de vues avec certains de ses représentants et agents.
Il est certes exact que la consultation sur place d’un document constitue l’une des modalités de mise à disposition à l’administré concerné d’un document sollicité par lui, telles que prévues par l’article 5 (1) de la loi du 14 septembre 2018.
C’est cependant à tort que les demandeurs en déduisent, en substance, qu’en vertu des principes de confiance légitime et de l’estoppel, la commune ne serait pas recevable à plaider que le document dont la consultation sur place aurait été offerte tomberait dans le champ d’application des exceptions légales au droit d’accès, alors que ce faisant, elle se contredirait à leur détriment.
En effet, le seul fait pour la commune d’avoir formulé cette offre de consulter l’Analyse sur place ne permet pas de retenir qu’elle aurait admis que le document en question ne relèverait d’aucune de ces exceptions, ni a fortiori qu’elle aurait renoncé à s’en prévaloir, alors que la partie communale explique, en substance, qu’elle aurait formulé l’offre en question malgré le caractère en principe non communicable du document en question, afin de concilier les objectifs de transparence administrative avec son « droit au brouillon », en évitant des malentendus auprès du public quant à la portée de ce document, tout en assurant une gestion sereine de l’administration. Par ailleurs, l’attitude de la commune est restée constante, en ce qu’elle n’est pas revenue sur son offre de consulter ledit document sur place, tout en refusant toujours la communication stricto sensu du document litigieux.
Pour justifier son refus de communiquer la Note et l’Analyse, la commune soutient, d’une part, qu’il s’agirait de « documents relatifs à un secret ou une confidentialité protégés par la loi », au sens de l’article 1er (2), point 6. de la loi du 14 septembre 2018, de sorte à être d’office exclus du droit d’accès, en ce qu’ils auraient été discutés lors d’une réunion du collège échevinal tenue à huis clos et, d’autre part, qu’il s’agirait de « documents inachevés », respectivement de « communications internes », au sens de l’article 7, points 1. et 4. de la loi du 14 septembre 2018, de sorte que leur communication aurait valablement pu être refusée.
S’agissant de la question de l’applicabilité au cas d’espèce des dispositions de l’article 1er (2), point 6. de la loi du 14 septembre 2018, la commune se prévaut du fait que la Note et l’Analyse auraient été discutées au cours d’une réunion du collège échevinal s’étant tenue à huis clos, en application de l’article 51 de la loi communale, aux termes duquel « Sauf disposition légale contraire, les réunions du collège des bourgmestre et échevins ont lieu à huis clos », tout en se prévalant de l’article 23 de la loi communale, aux termes duquel « Les membres du conseil communal ont le droit de prendre connaissance des décisions du collège des bourgmestre et échevins prises en exécution des délibérations du conseil communal ».
Le tribunal constate que la loi du 14 septembre 2018 ne précise pas ce qu’il y a lieu d’entendre par « un secret ou une confidentialité protégés par la loi », tandis que les travaux parlementaires fournissent les précisions suivantes : « Les documents qui touchent aux secrets protégés par la loi ne sont pas communicables. Il en est de même des documents auxquels la loi confère un caractère confidentiel. Tel est par exemple le cas des délibérations du collège échevinal qui se tiennent, en application de la loi communale, à huis clos16. Des établissements publics, comme la Commission de Surveillance du Secteur financier, le Commissariat aux Assurances ou la Banque centrale du Luxembourg détiennent des informations dont la confidentialité est prévue par les lois organiques respectives. Certaines informations recueillies dans le cadre des participations de l’Etat et couvertes par la confidentialité prévue par la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales ne peuvent pas être diffusées au public ».17 Ainsi, les auteurs du projet de loi n° 6810 ont expressément mentionné les délibérations du collège échevinal en tant que documents auxquels la loi confère un caractère confidentiel.
Dans ce contexte, le tribunal précise qu’il ressort des travaux parlementaires à la base de la loi communale que l’article 23, précité, de cette dernière « […] constitue un compromis entre la thèse selon laquelle les délibérations du collège doivent rester secrètes et confidentielles tant que le collège ne décide pas de les publier et la thèse de ceux qui voudraient donner à chaque membre du conseil le droit de prendre inspection du registre des délibérations du collège […] ».18 Au vu de ces éléments, le tribunal retient qu’il est dans l’intention du législateur que le huis clos des réunions du collège échevinal implique en principe la confidentialité des délibérations de ce dernier, avec comme tempérament le droit des conseillers communaux de prendre connaissance des décisions du collège échevinal prises en exécution des délibérations du conseil communal.
Or, cette confidentialité visant les délibérations du collège échevinal en tant que telles ne permet néanmoins pas de retenir, en l’absence de disposition expresse en ce sens, que tout document deviendrait lui-même confidentiel dès qu’il a été discuté au cours d’une réunion du collège échevinal, de sorte à être nécessairement et automatiquement exclu du droit d’accès en vertu de l’article 1er (2), point 6. de la loi du 14 septembre 2018, indépendamment de la nature et du contenu concrets du document en question.
Cette conclusion n’est pas énervée par la référence faite par la partie communale à la circulaire …, étant donné que de par sa nature, une telle circulaire ne s’impose ni au tribunal, ni aux personnes étrangères à l’administration.19 16 Souligné par le tribunal.
17 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art. 4.
18 Projet de loi communale n° 2675, rapport de la Commission des Affaires communales et de l’Aménagement du territoire en vue de la seconde lecture, 27 juin 1988, p. 5.
19 Trib. adm., 23 décembre 1997, n° 9938 du rôle, confirmé par Cour adm., 14 juillet 1998, n° 10528C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 164 et les autres références y citées.
Dans ce contexte, le tribunal précise qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour administrative20 que la partie désireuse d’invoquer un secret doit le faire en se référant à des éléments précis du document litigieux permettant ainsi de donner de la substance à ce secret et l’invocation abstraite d’un secret ne suffit pas. Au niveau de la motivation d’un refus de communication à l’initiative de l’administration, il ne suffit pas de citer une des exceptions applicables pour pouvoir valablement refuser l’accès à un document administratif, mais il faut que cette motivation soit circonstanciée, concrète et pertinente. La motivation invoquée par l’administration est encore à apprécier d’un point de vue temporel et il convient d’évaluer si le secret invoqué conserve encore sa pertinence du fait de l’écoulement du temps.
Or, en l’espèce, la commune se borne à soutenir que les documents sous analyse constitueraient des « documents relatifs à un secret ou une confidentialité protégés par la loi », au seul motif d’avoir été discutés au cours d’une réunion du collège échevinal s’étant tenue à huis clos, sans expliquer en quoi, concrètement, les différentes informations et chiffres contenus dans les documents litigieux mettraient en péril le secret, respectivement la confidentialité ainsi visés.
Ainsi, la partie communale ne démontre pas in concreto que la divulgation des documents sous analyse – qui, en tant que telle, ne serait pas de nature à révéler les propos tenus par les membres du collège échevinal, ni, plus particulièrement, les positions qu’ils ont adoptées au cours de leurs discussions, ni encore la/les décision(s) qu’ils ont prise(s) sur base de ces discussions – constituerait un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à l’un des intérêts protégés par l’exception concernant les « documents relatifs à un secret ou une confidentialité protégés par la loi ».
Dans ces circonstances, le tribunal arrive à la conclusion que c’est à tort que la commune oppose aux demandeurs le cas d’exclusion visé à l’article 1er (2), point 6. de la loi du 14 septembre 2018.
De même, la commune ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l’article 1er (2), point 10. de cette même loi, qui ne s’applique, conformément à son libellé, qu’aux délibérations du Gouvernement, visé au Chapitre V de la Constitution révisée, et dont le champ d’application ne saurait être étendu par analogie au pouvoir exécutif communal.
Quant au motif de refus selon lequel la Note et l’Analyse constitueraient des documents inachevés, au sens de l’article 7, point 1. de la loi du 14 septembre 2018, il échet de préciser qu’il ressort de la jurisprudence du tribunal de céans qu’un document inachevé ou en cours d’élaboration, les deux notions recouvrant la même réalité, est un document, matérialisé sous une ou l’autre forme, en cours d’élaboration, de finalisation ou de validation, tandis qu’un document est achevé au sens de la loi lorsqu’il n’appelle plus de modifications, ayant acquis sa version définitive.21 Aux termes de cette même jurisprudence, les documents inachevés ne doivent pas être confondus avec les documents préparatoires, alors que certains documents préparatoires ont atteint leur stade définitif d’élaboration. Ainsi, les différents états successifs d’un plan de route, les ébauches d’études relatives à des tracés ferroviaires, les états partiels ou provisoires d’un document final - pour autant que ceux-ci soient en eux-mêmes achevés -, les différents éléments 20 Cour adm., 12 décembre 2023, n° 48782C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
21 Trib. adm., 2 septembre 2020, n° 43704 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
qui ont jalonné une procédure ou un rapport préliminaire prêt à être rendu à son destinataire par exemple ne sont dès lors pas des documents inachevés soustraits d’emblée au champ d’application de la loi.22 Inversement, un document préparatoire n’est pas ipso facto à assimiler à un document « inachevé ».23 En l’espèce, la commune fait plaider, en substance, que la Note et l’Analyse seraient des documents inachevés, en ce qu’elles auraient été établies à la hâte entre la parution du susdit article du « … » en date du 8 novembre 2021 et la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021 et que des analyses approfondies des passages pour piétons de la Ville seraient encore nécessaires.
Or, le seul fait que les analyses effectuées par le Service Circulation et documentées par la Note et l’Analyse aient révélé un besoin de procéder à des analyses plus approfondies pour certains des passages pour piétons examinés – l’affirmation de la commune selon laquelle la totalité des passages pour piétons auraient dû être réévaluée étant non autrement étayée et même contredite par le contenu de la Note, de l’Analyse et des « slides » de la présentation « PowerPoint » communiquée lors la réunion de la Commission du 2 décembre 2021, aux termes desquels ce besoin d’analyse supplémentaire ne concerne que 32, respectivement 37 passages pour piétons – ne permet pas de conclure que les documents en tant que tels seraient inachevés, en ce sens que des modifications seraient encore à apporter aux documents eux-mêmes.
Le fait que l’Analyse fait état d’une modification y apportée le 16 novembre 2021, soit après la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021, est insuffisant à cet égard.
S’agissant, plus particulièrement, de la Note, le tribunal constate que celle-ci se présente sous forme d’un avis daté et signé par ses auteurs, à savoir le chef du Service Circulation et l’ingénieur-directeur de la Direction Mobilité, et transmis par la suite par ce dernier au collège échevinal, ce qui permet de conclure qu’il s’agit bien d’un document achevé.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la conclusion que la commune n’a pas rapporté la preuve, lui incombant, que les documents sous examen seraient des documents inachevés, au sens de l’article 7, point 1. de la loi du 14 septembre 2018.
La commune fait encore plaider qu’il s’agirait de communications internes, au sens de l’article 7, point 4. de la même loi.
A cet égard, le tribunal constate que la notion de « communications internes » n’est définie ni par la loi du 14 septembre 2018 ni par les travaux parlementaires afférents.
Cependant, le tribunal a déjà eu l’occasion de préciser le contenu de cette notion, sur base d’un arrêt de la CJUE du 20 janvier 202124, rendu à propos de la notion de « communications internes », telle que prévue par l’article 4 (1) e) de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à 22 « Pour une administration publique plus transparente », Projet de loi fédérale sur la transparence de l’administration et rapport explicatif, Département fédéral de justice et police, avril 2000, p.34.
23 Trib. adm. prés. 24 janvier 2019, n° 42171, Pas. adm. 2023, V° Environnement, n° 275.
24 CJUE, 20 janvier 2021, Land Baden-Württemberg c. D.R, C-619/19.
l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil.25 A cet égard, le tribunal a jugé que même si cette directive a été transposée en droit interne par une loi spéciale, à savoir la loi du 25 novembre 2005 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement, les principes dégagés dans le susdit arrêt quant à la portée de la notion de « communications internes » sont transposables par analogie à la matière régie par la loi du 14 septembre 2018. En effet, à l’instar de ladite loi, la directive 2003/4/CE prévoit le principe du droit d’accès aux informations qu’elle couvre, assorti d’un certain nombre d’exceptions qui sont d’interprétation restrictive, parmi lesquelles figure justement l’hypothèse d’une demande concernant des communications internes, telle que prévue par son article 4 (1) e) et telle que figurant également à l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, les deux instruments poursuivant une finalité de transparence.26 Concrètement, il ressort de cet arrêt (i) que le terme « communication » vise une information adressée par un auteur à un destinataire, ce destinataire pouvant être tant une entité abstraite, telle que les « membres » d’une administration ou le « conseil d’administration » d’une personne morale, qu’une personne spécifique appartenant à une telle entité, telle qu’un agent ou un fonctionnaire27, et (ii) que le terme « interne » vise une information qui ne quitte pas la sphère interne d’une autorité publique, en particulier lorsqu’elle n’a pas été divulguée à un tiers ou n’a pas été mise à la disposition du public28.
En conclusion, la CJUE a retenu que la notion de « communications internes » inclut toutes les informations qui circulent au sein d’une autorité publique et qui, à la date de la demande d’accès, n’ont pas quitté la sphère interne de cette autorité, le cas échéant après leur réception par ladite autorité et pour autant qu’elles n’aient pas été ou n’auraient pas dû être mises à la disposition du public avant cette réception.29 En l’espèce, étant donné que la Note et l’Analyse contiennent des informations adressées par le Service Circulation au collège échevinal, elles peuvent être qualifiées de « communications », au sens de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018.
Il appartient encore au tribunal de vérifier si ces informations ont quitté la sphère interne de l’administration.
Il est certes exact qu’un certain nombre des informations figurant dans la Note ont été présentées par l’échevin MONSIEUR (B) lors de la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021, les déclarations dudit échevin se lisant, en effet, comme un résumé du contenu essentiel de la Note.
Il n’en reste pas moins que cette présentation n’a pas porté sur la totalité des informations se trouvant dans ce document, qui, en tant que tel, n’a pas été divulgué.
Le même constat s’impose quant à l’Analyse, qui, en sus des informations d’ordre général contenues dans la Note, retrace la localisation exacte des différents passages pour 25 Trib. adm., 18 septembre 2023, n° 46939 du rôle et trib. adm., 18 septembre 2023, n° 46940 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
26 Ibid..
27 CJUE, 20 janvier 2021, Land Baden-Württemberg c. D.R, C-619/19, pt. 37.
28 Ibid., pt. 42.
29 Ibid., pt. 53.
piétons analysés et catégorisés par le Service Circulation, informations qui n’ont pas non plus été divulguées.
Dans ces circonstances, le tribunal arrive à la conclusion que considérées dans leur globalité, la Note et l’Analyse n’avaient pas quitté la sphère interne de l’administration à la date de la demande d’accès et ne l’ont pas non plus au jour du présent jugement.
Ainsi, le tribunal ne saurait remettre en cause la conclusion de la partie communale selon laquelle ces documents constituent des communications internes, au sens de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018.
Il n’en reste pas moins qu’il se dégage de l’emploi, par le législateur, du terme « peut », que même si la demande de communication porte sur des communications internes, le refus de la demande ne constitue pas un automatisme, mais une simple faculté pour l’organisme concerné, qui dispose, dès lors, d’une marge d’appréciation, de sorte à être investi, non pas d’une compétence liée, mais d’un certain pouvoir discrétionnaire.30 Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge31, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration32.
Dans ce contexte, le tribunal rappelle que l’administration est tenue de vérifier in concreto si la divulgation du document concerné constitue un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à l’un des intérêts protégés par l’exception invoquée par elle, de même qu’elle doit démontrer que l’intérêt protégé prime sur l’intérêt de la publicité.
Il appartient, dès lors, au tribunal, saisi d’un recours en réformation, de procéder à cette même vérification.
Or, en l’espèce, si, à travers ses propos liminaires, la commune insiste, de manière générale et abstraite, sur la nécessité de permettre une gestion sereine des administrations, elle reste néanmoins en défaut de fournir une motivation in concreto dont il se dégagerait, d’une part, que la communication de l’Analyse et de la Note risquerait de porter une atteinte suffisamment caractérisée aux intérêts protégés par l’exception ayant trait aux communications internes et, d’autre part, que ces intérêts devraient, en l’espèce, primer sur l’intérêt de la publicité.
Au-delà de ce constat, le tribunal estime qu’en tout état de cause, le fait qu’un résumé du contenu essentiel de la Note, qui selon la commune constituerait la partie écrite sommaire 30 Trib. adm., 18 septembre 2023, n° 46939 du rôle et trib. adm., 18 septembre 2023, n° 46940 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
31 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.
32 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.
décrivant l’Analyse, a d’ores et déjà été rendu public à travers les déclarations faites par l’échevin MONSIEUR (B) lors de la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021, de même que la circonstance selon laquelle la demande introduite par l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) tend, en fin de compte, à la finalité légitime de l’amélioration de la sécurité des piétons sur le réseau routier de la Ville de Luxembourg sont, en l’absence d’éléments pertinents en sens contraire fournis par la partie communale, de nature à faire pencher la balance en faveur de la publicité des documents litigieux.
Eu égard aux considérations qui précèdent, le tribunal conclut que c’est à tort que la commune refuse de communiquer la Note et l’Analyse, quand bien même ces documents qualifient chacun de « communication interne », tel que retenu ci-avant.
Par ailleurs, étant donné que l’Analyse est un document sur support papier qui est aisément reproductible et transmissible – le document en question ayant été déposé au greffe du tribunal administratif à titre de pièce confidentielle –, c’est encore à tort que la commune entend limiter la mise à disposition de ce document à une consultation sur place, les conditions de l’article 5 (1), point 3. de la loi du 14 septembre 2018, aux termes duquel il peut être recouru à une consultation sur place « […] lorsque la reproduction nuit à la conservation du document ou n’est pas possible en raison de la nature du document demandé […] » n’étant manifestement pas remplies.
Ainsi, le tribunal retient, par réformation des décisions déférées, que la Note et l’Analyse doivent être communiquées aux demandeurs.
• Quant à la Base de données A titre liminaire, le tribunal rappelle que sur ce point, la demande dont était saisie la commune visait la communication de(s) « […] base(s) de données géographiques du service topographie contenant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking […] ».
Dans son avis du 2 mars 2022, la CAD a estimé que l’Analyse correspondrait partiellement au(x) document(s) ainsi demandé(s), en ce qu’il s’agirait d’une « […] représentation graphique d’une partie d’une base de données géographiques […] », et a conclu au caractère communicable de celle-ci.
En revanche, le tribunal constate, à l’instar de la commune, que la CAD n’a pas clairement pris position quant à la Base de données en tant que telle, qui constitue un recueil électronique.
Par ailleurs, le tribunal précise que l’offre de consultation sur place, telle que formulée par la commune dans sa décision du 6 avril 2022 visait, non pas la Base de données en tant que telle, mais seulement le plan de situation soumis à la CAD, qui, tel que précisé ci-avant, n’est rien d’autre que l’Analyse.
Quant à la Base de données elle-même, la commune n’a, au stade précontentieux, pas formulé d’offre de consultation sur place, mais a exprimé un refus pur et simple de communication. Ce n’est qu’au cours de la présente instance contentieuse que cette possibilité est invoquée par la commune, et ce uniquement à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le tribunal conclurait au caractère communicable de la Base de données.
Il s’ensuit d’ores et déjà que le moyen des demandeurs tiré d’une violation des principes de confiance légitime et de l’estoppel, en ce qu’il vise le refus communal de leur communiquer la Base de données et qui repose sur une prétendue contradiction entre une offre de consulter la Base de données qui aurait formulée par la commune dans sa décision du 6 avril 2022 et la motivation fournie dans les mémoires en réponse et en duplique de la commune quant au caractère non communicable de la Base de données, est à rejeter pour reposer sur une prémisse erronée.
S’agissant ensuite de la question de savoir si la Base de données constitue un document tombant dans le champ d’application de la loi du 14 septembre 2018, le tribunal relève que l’article 3 de la loi en question précise expressément que les organismes visés à l’article 1er de ladite loi « […] sont tenus de communiquer les documents qu’ils détiennent et qui sont accessibles en vertu de la présente loi, quel que soit leur support33, à toute personne physique ou morale qui en fait la demande […] ». Le commentaire de la disposition légale en question précise encore que « […] Le droit d’accès s’exerce quel que soit le support du document en question (texte écrit, photographies, courriels, informations stockées sur un support électronique34). […] ».35 Ainsi, le tribunal arrive à la conclusion que contrairement à l’argumentation de la commune, les bases de données électroniques, telles que celle litigieuse en l’espèce, ne sont pas en tant que telles exclues du champ d’application de la loi du 14 septembre 2018, s’agissant d’informations stockées sur un support électronique.
De l’entendement du tribunal, la partie communale soutient que, sur ce point, la demande d’accès introduite par l’association de fait L’ASSOCIATION (AA) ne serait pas suffisamment précise, étant donné qu’elle viserait à obtenir « […] la communication par la Ville de Luxembourg de toutes les données à sa connaissance sur l’intégralité de son territoire […] ».
Le tribunal ne saurait cependant suivre cette argumentation, étant donné que la demande litigieuse avait un objet bien circonscrit, à savoir le(s) « […] base(s) de données géographiques du service topographique contenant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking […] ».
Par ailleurs, il ressort de la vidéo soumise à l’appréciation du tribunal par la commune que celle-ci dispose bien d’une telle base de données géographiques et que celle-ci permet de visualiser les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking.
La demande en question porte donc bien sur un document détenu par l’administration et qui est désigné avec un degré de précision suffisant.
La commune soutient encore que la Base de données serait exclue du droit d’accès, en vertu de l’article 1er (2), point 5. de la loi du 14 septembre 2018, en ce qu’il s’agirait d’un document protégé par des droits de propriété intellectuelle.
Aux termes de l’article 1er (1) de la loi du 22 mai 2009 portant transposition de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect 33 Souligné par le tribunal.
34 Ibid.
35 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art. 3.
des droits de propriété intellectuelle et portant désignation des tribunaux des dessins ou modèles communautaires, et ayant pour objet de modifier (i) la loi modifiée du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, les droits voisins et bases de données, et (ii) la loi modifiée du 20 juillet 1992 portant modification du régime des brevets d’invention :
« Au sens de la présente loi, le droit de propriété intellectuelle comporte les droits suivants :
Le droit d’auteur, les droits voisins, le droit sui generis d’un fabricant de bases de données, les droits du créateur de topographies d’un produit semi-conducteur, les droits des marques, les droits des dessins et modèles, les droits des brevets, y compris les droits dérivés de certificats complémentaires de protection, les indications géographiques, les appellations d’origine, la protection des obtentions végétales, les dénominations commerciales dans la mesure où elles sont protégées en tant que droits de propriété exclusifs par le droit national concerné ».
La protection des droits d’auteur, de même que la protection des droits sui generis sur des bases de données sont régies par la loi du 18 avril 2001.
En l’espèce, le tribunal constate qu’il ressort du libellé de la décision initiale de refus du 28 janvier 2022, aux termes de laquelle « […] les bases de données utilisées par le Service Topographie [seraient] soumises à des droits d’auteur […] », ainsi que des développements faits dans ce contexte par la partie communale dans son mémoire en duplique que les droits de propriété intellectuelle concrètement invoqués par elle sont les droits d’auteurs, qui sont visés par la partie 1re de la loi du 18 avril 2001.
Ainsi, il n’est ni allégué ni a fortiori démontré par la partie communale que la Base de données remplirait les critères légaux pour bénéficier de la protection des droits sui generis sur des bases de données, telle que réglementée par la 6ème partie de la loi du 18 avril 2001.
Dans ces conditions, l’analyse du tribunal se limitera à la question de savoir si la Base de données est protégée par des droits d’auteurs.
A cet égard, l’article 1er (2), alinéa 2 de la loi du 18 avril 2001 précise que « Sont protégées par les droits d’auteur les bases de données qui, par le choix ou la disposition des éléments qu’elles contiennent, constituent une création intellectuelle propre à leur auteur ».
Il ressort de la jurisprudence de la CJUE36, telle qu’invoquée par les demandeurs, que la notion de création intellectuelle propre à son auteur renvoie au critère de l’originalité37 et que ce critère de l’originalité est rempli lorsque, à travers le choix ou la disposition des données que la base de données contient, son auteur exprime sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs38. En revanche, ledit critère n’est pas rempli lorsque la constitution de la base de données est dictée par des considérations techniques, des règles ou des contraintes qui ne laissent pas de place pour une liberté créative.39 36 CJUE, 1er mars 2012, Football Dataco Ltd. e.a. contre Yahoo ! UK Ltd e.a., C-604/10.
37 Ibid., pt. 37.
38 Ibid., pt. 38.
39 Ibid., pt. 39.
En l’espèce, la partie communale se borne à affirmer que la Base de données constituerait un recueil propre à la Ville de Luxembourg que les services communaux auraient créé selon un mode de classement propre à leurs besoins et que les informations y figurant seraient diffusées de manière libre et créative afin de permettre au personnel de la commune de les retrouver le plus rapidement possible, tout en contestant qu’il s’agirait d’un atlas topographique ne reprenant que des mentions purement techniques et sans originalité.
Or, à part ces simples affirmations d’ordre général, la partie communale, sur laquelle repose la charge de la preuve, tel que précisé ci-avant, est restée en défaut d’expliquer en quoi, concrètement, à travers le choix ou la disposition des données que contient la Base de données, son ou ses auteur(s) – qui ne sont, d’ailleurs, aucunement identifiés – aurai(en)t exprimé sa/leur capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs.
En tout état de cause et à défaut d’explications plus circonstanciées de la part de la commune, le tribunal ne saurait, en consultant la vidéo de la Base de données versée en cause, déceler une expression originale d’une capacité créative, étant donné que la Base de données se présente sous la forme d’un simple atlas topographique, contrairement à ce que fait plaider la partie communale, doté de cases à cocher permettant d’y visualiser un certain nombre d’informations.
En tout état de cause, il se dégage de l’alinéa 3 de l’article 1er (2) de la loi du 18 avril 2001 que « La protection des bases de données par les droits d’auteur ne s’étend pas à leur contenu […] ». Or, c’est précisément le contenu de la Base de données qui fait l’objet de la demande d’accès dont était saisie la commune.
Eu égard aux considérations qui précèdent, le tribunal conclut que c’est à tort que la commune se prévaut du cas d’exclusion prévu par l’article 1er (2), point 5. de la loi du 14 septembre 2018, sans qu’il y ait besoin de saisir la CJUE de la question préjudicielle proposée dans ce contexte par les demandeurs.
La partie communale soutient encore que la base de données litigieuse constituerait une communication interne, au sens de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, et, plus particulièrement, un « […] réceptacle de toutes les communications internes entre les services compétents en lien avec l’aménagement du territoire […] ».
Or, étant donné qu’il s’agit d’une base de données topographiques, qui, selon les propres explications de la partie communale, ne fait que refléter la situation factuelle sur le territoire communal, le tribunal ne perçoit pas, à défaut d’autres explications fournies à cet égard par la commune, sur laquelle repose la charge de la preuve en la présente matière, en quoi les informations y figurant pourraient être considérées comme étant restées dans la sphère interne de l’administration, s’agissant a priori d’informations publiques de par leur nature, telles que le tracé des rues, la présence de bâtiments ou encore la réglementation de la circulation applicable à un endroit donné du territoire communal.
Dès lors, et indépendamment de la question de savoir si la Base de données répond à la notion de « communication », c’est à tort que la partie communale invoque les dispositions de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018 pour refuser la communication de celle-ci.
La partie communale argumente encore qu’il s’agirait d’un document inachevé, au sens de l’article 7, point 1. de la même loi.
A cet égard, il échet de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence du tribunal de céans qu’un document inachevé ou en cours d’élaboration, les deux notions recouvrant la même réalité, est un document, matérialisé sous une ou l’autre forme, en cours d’élaboration, de finalisation ou de validation, tandis qu’un document est achevé au sens de la loi lorsqu’il n’appelle plus de modifications, ayant acquis sa version définitive.40 Or, en l’espèce, la Base de données est un instrument de travail des services communaux qui, selon les explications plausibles fournies par la commune et non autrement contestées par les demandeurs, est constamment remis à jour par lesdits services au fur et à mesure des informations recueillies par eux.
Ce document est, dès lors, évolutif par sa nature et ne saurait être considéré comme n’appelant plus de modifications et comme ayant acquis sa version définitive.
Ainsi, le tribunal ne saurait remettre en cause la conclusion de la partie communale selon laquelle la Base de données constituerait un document inachevé au sens de l’article 7, point 1. de la loi du 14 septembre 2018.
Quant aux conséquences à tirer de ce constat, le tribunal renvoie aux développements faits ci-avant quant au pouvoir discrétionnaire dont dispose l’administration dans le cadre de la mise en œuvre des exceptions facultatives prévues à l’article 7 de la loi du 14 septembre 2018, tout en rappelant que l’administration est tenue de vérifier in concreto si la divulgation du document constitue un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à l’un des intérêts protégés par l’exception invoquée par elle, de même qu’elle doit démontrer que l’intérêt protégé prime sur l’intérêt de la publicité.
Le tribunal constate à cet égard que l’exception facultative ayant trait aux documents inachevés ou en cours d’élaboration est justifiée, d’une manière générale, par la doctrine, par la fluidité de l’action administrative41, et, spécifiquement en ce qui concerne les documents en cours d’élaboration ou inachevés, par la jurisprudence, par la nécessité d’éviter les malentendus au sujet de la portée d’un document, respectivement par la nécessité de préserver la sérénité du travail préparatoire et du processus décisionnel des administrations, afin de préserver le « droit au brouillon » de l’administration.42 Or, en l’espèce, le tribunal ne perçoit pas en quoi une communication aux demandeurs des informations contenues dans la Base de données, qui, selon les propres explications de la partie communale, ne fait que refléter la situation factuelle sur le territoire communal, de sorte à contenir des informations a priori neutres, serait susceptible de porter une atteinte caractérisée à la fluidité du travail de l’administration ou à la sérénité du travail préparatoire et du processus décisionnel de l’administration.
Par ailleurs, la partie communale est restée en défaut de préciser quels seraient les malentendus quant à la portée de la Base de données qui risqueraient concrètement d’être causés par la communication de ces informations et en quoi ces malentendus potentiels risqueraient d’avoir des conséquences telles que leur prévention devrait l’emporter sur l’intérêt de la publicité, étant rappelé dans ce contexte que la demande introduite par l’association de 40 Trib. adm., 2 septembre 2020, n° 43704 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
41 RENDERS D., Droit administratif, t. III, Le contrôle de l’administration, Larcier, 2010, p. 108.
42 Trib. adm., 2 septembre 2020, n° 43704 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
fait L’ASSOCIATION (AA) tend, en fin de compte, à la finalité légitime de l’amélioration de la sécurité des piétons sur le réseau routier de la Ville de Luxembourg.
Elle n’a pas non plus précisé autrement les informations sensibles qui seraient contenues dans la Base de données, ni expliqué pourquoi, concrètement, une communication des informations enregistrées dans la Base de données mettrait en danger la sécurité et la sûreté publiques, respectivement la sécurité nationale, tel qu’elle le soutient encore.
Quant à l’argumentation communale ayant trait à la nécessité de revérifier les informations en cause avant leur communication, le tribunal constate, de concert avec les demandeurs, que la loi du 14 septembre 2018 n’impose pas une obligation de véracité des informations contenues dans les documents administratifs et qu’elle ne limite pas non plus le droit d’accès aux documents dépourvus d’erreurs.
Dans ces circonstances, le tribunal conclut que c’est à tort que la commune s’oppose à la demande d’accès en ce qu’elle vise la Base de données.
Quant à la demande, formulée à titre subsidiaire par la partie communale, de voir limiter la mise à disposition de la Base de données à une consultation sur place, le tribunal relève que l’article 5 (1) de la loi du 14 septembre 2018 est libellé comme suit :
« (1) Le document demandé est mis à la disposition du demandeur dans les meilleurs délais et au plus tard dans le mois qui suit la réception de la demande par l’organisme sollicité selon les modalités suivantes :
1. par la délivrance de copies en un seul exemplaire ;
Sans préjudice des pouvoirs conférés par la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 aux autorités communales, un règlement grand-ducal peut fixer une redevance à payer par le demandeur en cas de délivrance de copies d’un document. Cette redevance ne peut excéder le coût réel de reproduction.
2. par la transmission par voie électronique lorsque le document est disponible sous forme électronique et si le demandeur a communiqué une adresse électronique aux organismes visés à l’article 1er, paragraphe 1er ;
3. par la consultation sur place lorsque la reproduction nuit à la conservation du document ou n’est pas possible en raison de la nature du document demandé. […] ».
S’agissant, plus particulièrement, du point 3. de l’article 5 (1) de la loi du 18 septembre 2018, tel qu’invoqué par la partie communale, les travaux parlementaires afférents contiennent les précisions suivantes : « […] Le principe de la délivrance d’une copie du document connaît une exception, lorsque la reproduction par copie nuit au document ou si la reproduction est trop compliquée43, comme tel pourrait être le cas par exemple pour des documents techniques et des plans dans le cadre d’un plan d’occupation du sol. […] ».44 S’agissant d’une base de données géographiques contenant des milliers d’informations, en ce compris des informations dépassant l’objet de la demande soumise à la commune, qui visait les « […] trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking […] », le tribunal 43 Souligné par le tribunal.
44 Projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art 6.
estime qu’une délivrance pure et simple d’une copie de la Base de données, nécessitant au préalable un travail de triage et d’extraction en vue d’y soustraire les informations non sollicitées, irait au-delà de ce qu’il est raisonnable d’exiger de la commune, étant encore précisé qu’au vu de son volume, la Base de données ne se prête guère à une transmission par voie de simple courrier électronique.
Il convient, dès lors, de faire droit à la demande subsidiaire de la partie communale de voir limiter la mise à disposition de la Base de données à une consultation sur place.
Les demandeurs ne sauraient, dans ce contexte, utilement se prévaloir des dispositions de la loi du 29 novembre 2021, pour s’opposer à une telle consultation sur place, étant donné qu’il ressort de l’article 1er (3) de la loi en question que celle-ci « […] s’appuie sur les règles d’accès en vigueur et ne les affecte en rien […] », de sorte qu’elle ne déroge pas aux dispositions de la loi du 14 septembre 2018, en ce compris celles de l’article 5 (1) de cette dernière.
Ainsi, par réformation des décisions déférées, le tribunal retient qu’il y a lieu de permettre aux demandeurs de consulter la Base de données sur place, pour pouvoir prendre connaissance des informations y enregistrées en relation avec « […] les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking […] ». Afin de ne pas perturber outre mesure le fonctionnement des services communaux, cette consultation sur place, qui pourra se faire en présence d’un ou de plusieurs agent(s) ou représentant(s) de la commune, est limitée, sauf accord contraire des parties, à une durée totale de 8 heures, durée qui, selon les propres explications des demandeurs, devrait amplement suffire pour leur permettre de prendre connaissance des informations visées, les demandeurs soutenant, en effet, dans leur mémoire en réplique, que l’analyse des 475 passages pour piétons de la Ville de Luxembourg « […] [pourrait] aisément être opéré en une quinzaine de secondes par passage piéton […] ».
• Quant aux autres documents Les demandeurs ont encore sollicité les documents suivants :
− « […] document(s) reprenant l’accord avec le [ministère] concernant l’interprétation des articles 164 (2.)(e) & 166 (h) du Code de la route et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg […] » et − « […] document le plus récent d’interprétation interne du Service Juridique de ces mêmes articles […] », l’ensemble de ces documents étant ci-après désignés par « les documents A) ».
Cette demande a été rejetée au motif de l’inexistence des documents sollicités, motivation que les demandeurs contestent.
De même, les demandeurs font plaider, de l’entendement du tribunal, que contrairement à ce que soutiendrait la commune, il existerait encore d’autres documents que la Note et l’Analyse, qui correspondraient aux documents sollicités suivants :
- « […] document(s) contenant l’analyse menée par les services de la Ville de Luxembourg des passages piétons mesurés comme étant en non-conformité par le L’ASSOCIATION (AA) (projet « … ») […] », - « […] document(s) contentant l’analyse de tous les passages piétons de la Ville […] », - « […] document le plus récent d’interprétation interne du Service Circulation [des articles 164 (2) e) et 166 h) de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955] […] » et - « […] document(s) présentant les 37 passages piétons que la Ville considère comme non conformes […] », l’ensemble de ces documents étant ci-après désignés par « les documents B) ».
A cet égard, le tribunal retient en premier lieu que c’est à tort que les demandeurs reprochent dans ce contexte à la commune d’avoir violé le principe de collaboration, ensemble l’article 4 (2) de la loi du 14 septembre 2018, aux termes duquel « Pour les demandes formulées de manière trop générale, l’organisme sollicité invite le demandeur, au plus tard avant l’expiration du délai prévu à l’article 5, paragraphe 1er, alinéa 1er, à préciser sa demande d’information », au motif qu’il aurait appartenu à la commune, qui aurait jugé leur demande trop imprécise à cet égard, de les inviter à préciser leur demande.
En effet, s’agissant des documents A) et B), la commune n’invoque pas un défaut de précision de la demande lui soumise, mais soutient, en ce qui concerne les documents A), que ceux-ci n’existeraient pas, et, en ce qui concerne les documents B), que seuls la Note, respectivement l’Analyse correspondraient aux documents en question.
Le moyen tiré d’une violation du principe de collaboration, ensemble l’article 4 (2) de la loi du 14 septembre 2018 encourt, dès lors, le rejet.
Pour le surplus, le tribunal relève, d’une part, que les développements fournis par les demandeurs pour conclure à l’existence des documents A), respectivement à l’existence de documents autres que la Note et l’Analyse qui correspondraient aux documents B) relèvent de la pure spéculation, pour ne pas être corroborés par des éléments de preuve tangibles et, d’autre part, qu’il ne saurait être exigé de la commune de prouver l’inexistence des documents ainsi réclamés par les demandeurs, s’agissant d’une preuve négative impossible à rapporter.
Les contestations afférentes des demandeurs encourent, dès lors, le rejet.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la conclusion que, d’une part, le recours sous examen est partiellement justifié, en ce qu’il vise la Note, l’Analyse et la Base de données, en ce sens qu’il y a lieu de dire que la Note et l’Analyse seront transmises aux demandeurs et que ceux-ci pourront consulter la Base de données sur place, selon les modalités plus amplement décrites au dispositif du présent jugement et, d’autre part, ledit recours est à déclarer non fondé pour le surplus.
III) Quant aux demandes d’octroi d’une indemnité de procédure Les demandeurs sollicitent encore l’octroi d’une indemnité de procédure de 3000 euros, sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».
Il n’est cependant pas établi, en l’espèce, qu’il serait inéquitable de laisser à la charge des demandeurs les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens. Le seul fait que la commune n’ait pas suivi en tous ses points l’avis de la CAD est insuffisant à cet égard.
Il en est de même en ce qui concerne l’argumentation ayant trait au défaut pour la partie communale d’avoir déposé le dossier administratif, telle que réitérée dans ce contexte par les demandeurs, le tribunal renvoyant, sur ce point, à ses développements afférents faits ci-avant.
Les demandeurs sont partant à débouter de leur demande d’indemnité de procédure.
La commune sollicite, à son tour, l’octroi d’une indemnité de procédure de 3.000 euros.
Cette demande est, elle aussi, à rejeter, étant donné qu’il n’est pas établi qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie communale les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.
IV) Quant aux frais et dépens Etant donné que le recours a été déclaré partiellement fondé, en ce qu’il vise la Note, l’Analyse et la Base de données, et non fondé pour le surplus, il y a lieu de faire masse des frais et dépens de l’instance et de les imputer pour trois quarts à la commune et pour un quart aux demandeurs.
V) Quant à la demande de distraction des frais Quant à la demande de distraction des frais au profit du mandataire des demandeurs, il convient de rappeler qu’il ne saurait être donné suite à la demande en distraction des frais posés par le mandataire d’une partie, pareille façon de procéder n’étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative.45 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond le déclare partiellement justifié, partant, par réformation des décisions déférées, dit :
- que le document intitulé « Note relative aux dangers auxquels les piétons seraient supposément exposés d’après l’article publié dans le quotidien « … », daté du 10 novembre 2021, de même que le plan intitulé « …», daté de novembre 2021, dernièrement modifié le 16 novembre 2021 et portant le numéro de référence …, doivent être transmis aux demandeurs, - qu’il y a lieu de permettre aux demandeurs de consulter la base de données géographiques de l’administration communale de la Ville de Luxembourg sur place, afin de pouvoir prendre connaissance des informations y enregistrées en relation avec « […] les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking […] » et - que cette consultation sur place, qui pourra se faire en présence d’un ou de plusieurs agent(s) ou représentant(s) de l’administration communale de la Ville de 45 Trib. adm., 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1317 et les autres références y citées.
Luxembourg, est limitée, sauf accord contraire des parties, à une durée totale de 8 heures ;
renvoie l’affaire à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, pour exécution ;
pour le surplus, déclare le recours principal en réformation non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
déboute les demandeurs et l’administration communale de la Ville de Luxembourg de leurs demandes respectives en allocation d’une indemnité de procédure ;
fait masse des frais et dépens de l’instance et les impute pour trois quarts à l’administration communale de la Ville de Luxembourg et pour un quart aux demandeurs.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 novembre 2024 par :
Daniel WEBER, vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Michel THAI, juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s. Lejila ADROVIC s. Daniel WEBER 48